Article rédigé par Élizabeth Montfort, le 21 juillet 2011
Le 4 juillet, Son Altesse impériale et royale l'archiduc Otto de Habsbourg est retourné vers le Père. Fils aîné de l'empereur Charles d'Autriche, roi de Hongrie et de Bohème, et de l‘impératrice Zita, Otto de Habsbourg ne fut jamais empereur, il y renonça en 1961 pour rentrer en Autriche. Il ne fut jamais chef d'Etat et pourtant il en avait la stature. Ses obsèques ce samedi 16 juillet, furent des funérailles dignes de ceux-là : des obsèques nationales et européennes, comme une reconnaissance posthume de tant de peuples d'Europe centrale et orientale pour ce que l'archiduc a entrepris pour reconquérir leur liberté, pendant de si longues d'années.
Le cardinal Schönborn, archevêque de Vienne, a salué son œuvre de paix lors d'une messe de requiem à la cathédrale Saint-Etienne, en présence des têtes couronnées et des plus hauts représentants de l'Etat autrichien dont le président et le chancelier, du président de Géorgie, M. Saakasvili, de représentants de la république tchèque, croate, macédonienne... ainsi que le président polonais du Parlement européen, M. Buzek. Sans oublier des évêques venus de Slovénie, Croatie, Slovaquie, ces pays avec lesquels il était lié par l'amitié et son engagement pour leur indépendance.
Mais c'est surtout la foule des anonymes qui était impressionnante. Comme dans un dernier sursaut de reconnaissance pour l'archiduc Otto qui ne les a jamais oubliés.
Son corps repose maintenant dans la crypte impériale des franciscains de Vienne, aux côtés de son épouse, l'archiduchesse Regina de Saxe-Meinigen, décédée l'an dernier. Il a été accueilli selon le rituel impérial Otto, un simple mortel, un pauvre pêcheur . Et son cœur a été déposé dans le monastère bénédictin de Pannonhalma, à l'ouest de Budapest, en signe de fidélité de l'homme à sa dynastie et à son destin brisé.
La France, à sa manière, lui a rendu un dernier hommage en lui décernant à titre posthume la Grand Croix de la Légion d'honneur. C'est le grand chancelier lui-même, le général Georgelin, qui l'a remise au fils aîné de l'archiduc Otto. Celui-ci était membre de l'Institut.
Monseigneur Brincard, évêque du Puy en Velay, représentait l'Eglise de France. Il déclarait à la sortie de la messe de requiem : L'archiduc a tracé dans les cœurs un chemin de lumière et d'espérance. Pendant cette cérémonie, Otto a été une fois encore le roi des cœurs. La vraie grandeur d'une longue vie éclairée par une foi profonde apparaissait, apportant avec elle paix et joie. Le peuple est venu en grand nombre dire au revoir à son vieil ami qui avait su si bien le défendre et le servir. L'Europe était au rendez-vous. Plaise au ciel que les leçons d'une vie qui a tant contribué à construire la vraie unité des peuples européens ne soient pas oubliées.
Peu de personnalités ont de leur vivant fait l'objet d'une biographie. Ce fut l'exception de l'archiduc Otto. En 2002, deux de ses collaborateurs, Stephan Baier et Eva Demmerle, qui, l'ayant suivi pendant de longues années, ont montré dans ce livre toute la densité d'une vie qui aura traversé le XXe siècle[1]. Otto de Habsbourg a connu la Première Guerre mondiale, le communisme et le nazisme, les deux idéologies mortifères, assisté à la chute du mur de Berlin et participé à la réunification de l'Europe en 2004, pour qu'elle puisse enfin respirer de ses deux poumons, oriental et occidental , selon l'expression du pape Jean-Paul II.
L'Association pour la Fondation de Service politique a eu l'honneur et l'immense joie de l'accueillir lors de deux colloques. Le premier eut lieu à Souvigny, dans le Bourbonnais, sur Les racines chrétiennes de l'Europe , en 2003 ; l'autre pendant l'année sainte du Puy-en-Velay sur le thème : Pour une civilisation de l'amour et de l'espérance , en juillet 2005. L'archiduc fut le témoin exceptionnel des longues années de tension, de guerre et de paix en Europe et le défenseur infatigable de la liberté dans les pays soumis trop longtemps au joug soviétique,
Celui qui avait l'honneur de le rencontrer était frappé par la finesse de son intelligence. Il était une mémoire vivante. Il pouvait aussi bien nous parler de la mort de son père en 1922, que nous raconter sa dernière entrevue avec Ibrahim Rugova, son ami du Kosovo et homme de paix trop tôt disparu.
Son œuvre pour la paix et la liberté a été immense en Europe, même si elle a été injustement occultée. Il est l'heure de s'en souvenir comme ultime reconnaissance d'un homme si grand par sa naissance et si simple par sa foi dans le Christ, et sa confiance en tout homme. Car c'est en Lui qu'il puisait son énergie et sa force : Lorsqu'on se retrouve face à son Créateur, seul compte le devoir accompli et la bonne volonté. Dieu n'exige pas des hommes des victoires. Il nous fait don de notre réussite. Ce qu'il attend de nous, c'est que nous fassions de notre mieux[2].
Cette foi en Dieu lui avait été transmise par des parents profondément pieux et attentifs à l'éducation chrétienne de leurs enfants. Charles et Zita, ses jeunes parents, avaient fait de leur mariage un chemin de sainteté. Ne s'étaient-ils pas engagés à Mariazell, haut lieu marial en Autriche, la veille de leur mariage, à s'aider mutuellement pour aller au ciel ? L'empereur Charles a été béatifié par Jean-Paul II le 3 octobre 2004, et la cause de béatification de l'impératrice Zita a été introduite à Rome en 2009[3].
Ayant largement contribué à la chute du mur de Berlin et du rideau de fer, il sera un ardent défenseur de l'entrée des pays soumis au joug soviétique dans l'Union européenne. Sa fille Walburga dit de lui que son objectif a toujours été l'unité et l'avenir de l'Europe, la grande Europe unie dans un esprit chrétien, dans la paix et dans la liberté[4] .
Sa première expérience sur l'avenir de l'Europe remonte à l'année 1933. Il lit Mein Kampf et il comprend que l'Allemagne d'Hitler fera tout pour se rendre le maître de l'Europe et se préparer à annexer l'Autriche pour la détruire en tant que pays indépendant. Il se rend à Berlin pour ses études cette année-là et refuse de rencontrer Hitler, ce qui lui vaudra d'être condamné à mort par le dictateur. D'ailleurs, en 1938, l'Anschluss sera appelé Opération Otto .
Dès lors, il ne cesse de mettre en garde ses amis autrichiens. En vain. Il se rend alors en France pour plaider la cause de l'Autriche et surtout pour que les pays libres qualifient l'Autriche comme un pays occupé et non comme une province allemande, afin que les Autrichiens gardent leur nationalité et puissent être considérés comme des exilés et non comme des belligérants. Puis, dès l'entrée en guerre de la France contre l'Allemagne, il n'a de cesse pendant ses derniers jours sur le territoire français de trouver des visas pour ses amis autrichiens dont un grand nombre de juifs. Il réussira à sauver plusieurs milliers de personnes, avec l'aide de Georges Mandel, du gouvernement portugais puis des gouvernements des Etats-Unis, du Canada et du Mexique.
Exilé aux Etats-Unis, Otto de Habsbourg tente par tous les moyens d'œuvrer pour l'indépendance de l'Autriche afin de la soustraire à l'influence soviétique.
Pendant ces années de guerre, il n'oublie pas l'avenir de l'Europe. Membre de l'Union paneuropéenne en 1936, puis président de 1973 jusqu''en 2004, il donne des conférences sur ce que pourrait être une Europe pacifiée : Je suis pour une Europe des nations qui respecte la langue, les particularismes de chacun au lieu de les étouffer par la bureaucratie, mais en les reliant à un tronc commun.
En 1979, il entre au Parlement européen où il siègera pendant vingt ans. Il se promet de faire triompher la liberté dans les pays soumis au joug soviétique. Il rencontre et soutient Lech Walesa, Vaclav Havel et bien sûr Jean Paul II, dans cette entreprise. En 1988, il est autorisé à rentrer en Hongrie et prépare pendant l'été de l'année 1989 des pique-niques à la frontière austro-hongroise, dont le plus célèbre aura lieu à Sopron, le 19 août. Il ne sera pas présent, mais c'est sa fille Walburga qui prendra la parole devant une foule exaltée. Ce jour-là, des gardes hongrois cisaillent les barbelés entre les deux pays et laissent passer en Autriche, Hongrois, Allemands de RDA, Tchécoslovaques... Une brèche s'ouvre dans le Rideau de fer, elle ne se refermera plus... Les gouvernements de tous les pays soumis au diktat communiste tomberont les uns après les autres.
Mais son œuvre n'est pas terminée. Maintenant, il lui faut convaincre l'Europe occidentale d'accueillir les pays récemment libérés. Certes leur économie est déplorable, leur entrée dans l'Union européenne coûtera cher aux pays occidentaux, mais l'histoire rejoint la géographie et nos valeurs sont communes, en particulier nos racines chrétiennes auxquelles il tenait tant et qu''il voulait voir inscrites dans tous les traités européens, comme vérités historiques et comme ciment pour une Europe libre et en paix. Pendant de longs mois, il rencontre un grand nombre de chefs d'Etat. C'est à lui que nous devons l'entrée des Pays baltes dans l'Union.
Enfin, le 1er mai 2004 entraient officiellement en l'Europe dix pays d'Europe centrale et orientale. Cette journée fut un des plus beaux jours de sa vie.
Une de mes dernières rencontres avec l'archiduc Otto eut lieu à Budapest, en juillet 2004. Nous étions au Parlement hongrois, précisément au pied de la couronne de saint Etienne. Il m'en a donné la signification et le sens. J'ai vu alors dans ses yeux une grande fierté, non pour lui-même, mais pour les Hongrois et une immense joie pour l'entrée de ce pays si cher à son cœur dans l'Union européenne.
Otto de Habsbourg était devant moi la mémoire vivante de l'Europe et un grand témoin de l'Espérance !
Elizabeth Montfort, ancien député européen, est porte-parole de l'Association pour la Fondation de Service politique.
[1] Otto de Habsbourg, de l'Empire à l'Europe, Edition Racines, 2002.
[2] Op. cit., p. 19.
[3] Association pour la béatification de l'impératrice et reine Zita, épouse et mère : lien
[4] Op. cit, p. 7.
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