Article rédigé par Michel Gitton*, le 18 novembre 2005
Ce dernier dimanche de l'année liturgique nous donne un aperçu sur le Jugement dernier. Autant dire que la fête du Christ-Roi, en passant de la fin octobre (où elle était jadis) à la fin novembre a acquis une note eschatologique plus marquée.
Le Règne de Dieu qui commence par le Règne du Christ est moins que jamais au programme de nos sociétés. Les chrétiens ne croient plus trop à la valeur éminemment positive des sociétés chrétiennes (ou en passe de l'être), alors l'attention se porte naturellement sur la fin des temps, où, nous le savons, nous sommes sûrs, le Christ aura le dernier mot face aux puissances hostiles et oppressives qui gouvernent cette terre.
Tout puissant ?
On n'en finit pas avec les images de la puissance. Jésus a eu beau se faire tout petit, faible, meurtri, on nous parle encore de roi, le Christ-Roi !
On croyait déjà en avoir fini avec le Père Tout Puissant et voilà qu'il revient dans les prières et les formules de la messe. Quand le christianisme aurait-il tourné le dos à ce modèle autoritaire que Jésus est venu précisément contester ? Dieu n'est qu'amour et sa seule puissance est la force désarmée du don de soi.
Je ne sais pas s'il y a encore beaucoup de gens pour reprendre à leur compte ce genre de réaction, mais elles ont incontestablement marqué une époque, qui correspondait en gros au refus de l'image paternelle dans les années qui précédèrent et suivirent mai 68. Je ne peux m'empêcher de raconter une anecdote qui en dit long sur cet état d'esprit. En Terre Sainte, à Bethphagé, sur le lieu où on situe le départ de la procession des Rameaux, il y a un bloc de pierre quadrangulaire qu'on a longtemps considéré comme le soubassement qui avait servi au Christ pour monter sur l'âne qui devait le mener à Jérusalem, or voici que le peintre roman qui a décoré cette base a représenté Jésus à cheval.
Pensez donc, quelle erreur !
Jésus qui n'avait voulu comme monture que le petit d'une ânesse se voyait attribuer un destrier prêt à la bataille. Plus d'un accompagnateur se gaussait de la méprise et glosait sur ce christianisme mal éclairé. L'ennui, c'est qu'il n'y a pas de méprise, le peintre, plus théologien que nos guides actuels, évoquait l'Apocalypse (19,11-16) : "Alors je vis le ciel ouvert, et voici un cheval blanc ; celui qui le monte s'appelle "Fidèle" et "Vrai", il juge et fait la guerre avec justice. Ses yeux ? Une flamme ardente ; sur sa tête, plusieurs diadèmes ; inscrit sur lui, un nom qu'il est seul à connaître ; le manteau qui l'enveloppe est trempé de sang; et son nom ? Le Verbe de Dieu. Les armées du ciel le suivaient sur des chevaux blancs, vêtues de lin d'une blancheur parfaite. De sa bouche sort une épée acérée pour en frapper les païens ; c'est lui qui les mènera avec un sceptre de fer; c'est lui qui foule dans la cuve le vin de l'ardente colère de Dieu, le Maître-de-tout. Un nom est inscrit sur son manteau et sur sa cuisse : Roi des rois et Seigneur des seigneurs." Le Messie qui s'avance désarmé vers Jérusalem est en réalité le Triomphateur des derniers temps !
Et c'est cela qui est intéressant pour nous. Car, disons-le franchement : la faiblesse à la quelle le Christ a consenti n'est pas une valeur en soi.
Elle ne change pas notre condition. Qu'il y ait un malheureux de plus qui souffre ne nous apporte guère de consolation. Et si l'on veut dire que ce qui compte, c'est que l'image de Dieu a changé et qu'ainsi on ne le confond plus avec les despotes de la terre, on fait de toute cette aventure une plate leçon de morale. On peut espérer qu'on aurait abouti à cette conclusion sans mobiliser toute cette histoire.
Non, notre Dieu est fort, c'est le "Dieu des victoires". Si sa force s'est déguisée en faiblesse pour s'insinuer dans la condition humaine, ce n'est pas pour la laisser comme elle est. Les Pères nous disent qu'il a réussi à tromper la ruse du Démon acharné à écraser l'homme et qu'en prenant incognito la place de celui-ci, il a pris sur lui toute la violence dont l'Ennemi se sert pour faire plier la volonté de l'homme et l'amener dans son camp. Seulement en mourant sans s'être un instant séparé de l'amour du Père, il a échappé au piège et les hommes peuvent maintenant passer par les mailles du filet. Ce ne sont pas que des images, c'est la réalité. La force paradoxale de Dieu a eu raison du malheur de l'homme.
On comprend qu'on puisse ensuite le représenter à cheval, comme un triomphateur et comme le Roi des rois !
*Le Père Michel Gitton est recteur de la basilique Saint-Quiriace de Provins.
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