"J'ai subi une IVG." Lettre au médiateur de l'Éducation nationale
Article rédigé par Anne-Hélène O’Malley*, le 29 juin 2005

Monsieur le Médiateur, la question scientifique du bac de Première L sur l'avortement m'a énormément angoissée et affectée. J'ai en effet moi même subi une IVG en 1979. Dans cette épreuve, on a demandé à des jeunes gens et jeunes filles de dégager des arguments en faveur de l'IVG sans leur demander de réfléchir aux conséquences irréversibles d'un avortement, conséquences avec lesquelles je vis depuis plus de 25 ans.

À 18 ans, avant mon recours à l'IVG, j'étais persuadée que la loi Veil était un grand progrès pour les femmes. Je n'aurais donc pas eu de difficultés à trouver les réponses demandées pour cette épreuve du bac. La réalité vécue de l'IVG et des années de souffrance en raison de ce choix m'ont amené à totalement réviser mon avis.

Aujourd'hui, après des années de dépression suite à cette décision, je ne conseillerais l'IVG à personne. Je sais maintenant qu'il y a des moyens moins violents pour la mère et l'enfant à naître face à une grossesse non désirée que l'IVG.

Au lieu d'avoir à vivre chaque jour avec le cauchemar refoulé ou conscient d'avoir fait supprimer mon premier enfant à naître, je serais par exemple si heureuse aujourd'hui de savoir mon enfant en vie dans une famille adoptive, de pouvoir le retrouver à présent que j'ai ma propre famille, comme c'est possible dans certains pays. Le système américain de l'adoption ouverte où la mère biologique choisit la famille adoptive et peut avoir des nouvelles ou contacts avec l'enfant est tellement moins brutal que l'adoption avec accouchement sous X pratiquée en France.

Que sont neuf mois de grossesse contrainte où l'on donne la vie face au fait d'avoir donner la mort, à des années de dépression et à une blessure au fond de mon cœur qui ne s'effacera qu'à la fin de mon existence?

L' IVG a ajouté pour moi un traumatisme violent, à une situation déjà bien difficile de grossesse non désirée, à un âge où je ne pouvais le gérer.

Les adolescentes d'aujourd'hui ont le droit d'être mieux informées que je ne l'ai été sur la réalité des dommages physiques, psychologiques, émotionnels et spirituels d'une IVG. Je pense en particulier au calvaire de gérer un tel secret face à mes quatre enfants nés plus de 15 ans après cet IVG . (Exemple de questions possibles de leur part : "Maman, comment puis je croire que tu m'aimes si tu as fait avorter mon demi-frère ou ma demi-sœur?" ou bien "Et moi, maman m'aurais tu fait avorter ?").

Je n'ai jamais rencontré de femmes ayant regretté avoir conduit à terme une grossesse non désirée mais j'ai rencontré beaucoup de femmes souffrant silencieusement de leur avortement depuis des années. Nous préférons généralement le silence car qui peut comprendre une douleur aussi profonde à moins de l'avoir vécue ?

Cette douleur est telle que pour continuer à vivre, il n'y a pas beaucoup d'autre choix que de la refouler. Ce que j'ai fait pendant des années jusqu'à ce que mon psychisme, épuisé par ces efforts, craque. J'ai vécu par exemple entre 1990 et 1993, sept épisodes délirants suivis de dépressions avec envies suicidaires nécessitant à chaque fois des hospitalisations en psychiatrie, coûteuses pour la société et douloureuses pour mes proches.

Ce n'est qu'en 1995, en tenant mon premier fils dans mes bras que j'ai réalisé ce que j'avais perdu. Dans l' IVG, il y avait eu cette réalité, occultée pendant 16 ans, d'un être humain distinct de moi peu de temps après sa conception. J'ai compris la très grande perte que j'avais subie, que mes accès délirants n'étaient pas dus à de la folie mais tout simplement au deuil de mon enfant que je n'avais pas fait.

Ce deuil n'a pas été facile. Comment faire le deuil de quelqu'un dont on n'a pas voulu, dont on a nié l'existence et que l'on a fait supprimer, même si l'on se rend compte des années plus tard de sa très grande erreur ? Comment faire le deuil de son bébé que l'on ne tiendra jamais dans ses bras ? Avec beaucoup d'aide et plusieurs années supplémentaires, de nombreuses personnes pour écouter, beaucoup de femmes passées par les mêmes souffrances avec qui échanger, on y parvient malgré tout. Aujourd'hui, je ne fais plus de dépression et le diagnostic de psychose maniaco-dépressive placé trop vite sur moi entre 1990 et 1993 n'est plus qu'un lointain et mauvais souvenir. Malgré tout, le sujet du bac sur l'avortement, imposant une telle prise de position unilatéralement favorable, m'a fortement perturbée...

Alors même si c'est douloureux et angoissant de parler, je crois que les adolescentes et les femmes aujourd'hui ont le droit de connaître précisément les conséquences irréversibles de l'avortement et d'y réfléchir à l'avance au lieu de se précipiter tête baissée, comme moi à 18 ans, dans la "solution" de l'IVG.

Mon avortement représente le moment le plus triste de ma vie. Le moment où je suis passé de la relative insouciance de l'enfance et espérance de l'adolescence à une vie changée pour toujours. Je peux aujourd'hui essayer de décrire cet événement par l'image d'un passage dans un nuage de radiation nucléaire. Même si superficiellement, on essaye de continuer à vivre comme avant , les ressorts profonds de l'être ont été cassés, sans avoir compris comment une telle chose avait pu se passer.

Si une seule femme évitait grâce à ce témoignage, la souffrance de l'avortement face à une grossesse non désirée, mon IVG sortirait pour moi du non sens. Je ne comprends donc pas pourquoi l'Éducation nationale promeut l'IVG par un tel sujet au lieu d'aider les adolescents à réfléchir sur les conséquences dramatiques et irréversibles de l'avortement.

En vous demandant pardon à l'avance pour ce témoignage peu accordé à l'air du temps, je vous prie de croire, Monsieur le médiateur, à l'assurance de toute ma considération.

A.-M. O'Malley

*Nous remercions Mme O'Malley de nous autoriser à diffuser son témoignage, comme elle le souhaite, pour aider d'autres personnes à briser le mur du silence et du secret, derrière lequel se cachent tant de souffrances. Celle-ci nous précise qu'elle peut parler aujourd'hui de manière non anonyme car tous ses proches, y compris ses enfants, connaissent désormais son IVG. Son témoignage a été également adressé de sa part à l'inspectrice générale "SVT" de l'Éducation nationale.

La rédaction de Décryptage

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