Article rédigé par Dominique Daguet*, le 16 juin 2006
Voici une lettre envoyée aux dirigeants d'Orange, comme une lettre jetée à l'une des mers ornant la carte de la lune : certain qu'elle n'ira chez eux qu'à la poubelle, je vous en fais part, afin qu'au moins subsiste une trace du constant ras-le-bol dans lequel le monde du commerce (indigne) nous contraint de vivre de par ses méthodes.
Comment se fait-il que notre gouvernement, ayant-droit naturel, qui a en charge le devoir de défendre, protéger, illustrer le "droit moral", droit principal du droit d'auteur, de cette création séculaire qu'est notre langue, ne s'en préoccupe jamais, ou se contente de faux-semblants qui donnent alternativement envie de rire comme de pleurer ? Au Québec ont été votées des lois que le gouvernement de là-bas n'oublie pas de faire respecter. Ici, considérant la toute-puissance de modes étrangères, les nôtres, car tous les bords sont concernés, s'ingénient à disparaître sous terre dès qu'il est question de s'opposer à ces agressions constantes contre notre peuple.
Ce coup de sang, je l'ai piqué en recevant un message de l'ancien oie-n'a-douxde France Telecom — Le nouvel Orange est "Open" — mais c'est quinze fois par jour que nos systèmes nerveux et sanguin sont mis à l'épreuve : que d'appareils, notamment de chez Sony, se refusent avec obstination à s'adresser à nous en notre langue, au risque de ne rien comprendre à leur maniement. Dans ce domaine, il devient urgent qu'une réglementation précise et sévère fasse obligation aux constructeurs étrangers qui veulent vendre chez nous de mettre sur leurs produits des mots qui signifient quelque chose de clair pour l'ensemble de nos compatriotes.
Certains d'entre eux, il est vrai, traitent d'imbéciles ceux qui ne parlent qu'une langue, sous-entendu n'entendent pas la langue anglaise. Je fais partie de ces imbéciles, n'ayant d'elle que des notions limitées. Mais la question n'est pas là : veut-on ou non que la langue française soit encore parlée couramment dans les décennies futures ? Veut-on que les autres langues qui nous entourent le soient également ?
Or nous savons bien que l'essentiel de notre identité se découvre dans notre langue : ne pas l'entourer de tous les soins qu'elle mérite et que nous lui devons, c'est à l'évidence tenir compagnie à ceux qui ne rêvent que de la remplacer par l'anglo-étatsunien, comme leur homologues du XVIe siècle ne songeaient qu'à l'italien. Cela ne peut s'admettre, car participer, si peu que ce soit, à l'effacement d'une langue est un crime d'ordre culturel. Un crime aussi grand que de tuer des hommes puisque des hommes vivent de tout leur être la langue qui leur permet de se distinguer de tout ce qui vit sur cette planète et dans l'univers : elle est leur porte d'entrée dans le mystère ineffable de leur humanité, mystère dont jamais ne s'épuise la compréhension.
Favoriser outrancièrement autant que ridiculement cette langue d'importation, si respectable soit-elle, c'est non seulement réduire la nôtre à n'être bientôt plus qu'un dialecte pour Réserve de fossiles, mais c'est également vouer toutes les langues de l'Europe continentale au même sort. Que dis-je ? C'est un sort promis à toutes les langues de la planète, qui seront encore d'usage dans l'enceinte des familles, mais mise hors d'usage dans toutes les autres enceintes, celles du droit, des sciences, des arts, de l'histoire, de l'information, des sports, des autres loisirs... Cela se dessine lentement, mais se dessine, et ceux qui ne voient pas le phénomène en marche c'est qu'ils sont aveugles de naissance ou d'obligation ou par consentement : il existe mille façon d'être complices.
Et ceux qui savent lire comprennent que c'est un outil de domination qui se met en place.
"Aplaventrisme"
Lettre aux dirigeants d'Orange
Messieurs et Mesdames dirigeant l'entité Orange,
Il est totalement anormal, et en cela inadmissible, que l'on annonce aux Français l'ouverture d'Orange en remplacement de Wanadoo par un mot en langue étrangère. La traduction en tous petits caractères ne suffit pas.
C'est mépriser la France, les Français et leur langue, sans oublier tous ceux qui, à travers l'univers, ont cette langue en partage, que de vouloir leur imposer un autre langage que celui qui leur a été légué par des siècles d'histoire, où les souffrances, et pas plus les enthousiasmes, les travaux consentis en pure gratuité et les œuvres immenses, n'ont manqué ; langue qui a suffisamment, si j'ose l'écrire, de " lettres de noblesse " pour qu'elle ne soit pas traitée comme un vulgaire idiome de sous-développés mentaux. Type d'idiome qui d'ailleurs ne saurait exister, sauf dans l'imaginaire de commerciaux et de publicitaires sans autres ambitions que de complaire aux puissants, aux idolâtres du fric et aux acculturés qui dominent ce monde. Si vous désirez que l'on considère que vous êtes de leur compagnie, libre à vous, mais vous porterez devant l'histoire qui n'oublie rien que vous vous êtes fait leurs complices dans un crime toujours en train de se commettre, vendre sa patrie pour trente deniers.
Je ne découvre aucun trait d'humour dans cette façon de procéder qui est la vôtre, ni d'ailleurs la moindre trace de nécessité : seulement une manifestation de plus de l'espèce d'aplaventrisme de France Télécom devant la langue du dieu dollar. On ne respecte que ceux qui se font respecter.
Ce pourrait être un motif suffisant pour quitter Orange quand sera arrivé la fin de mon abonnement.
*Dominique Daguet est écrivain. Derniers ouvrages parus :
Bossuet (Fides, 2002) ; Poèmes choisis (éd. français-hongrois, Librairie bleue, 2005)
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