"À la Croisée des Mondes": du côté du Diable
Article rédigé par Hélène Bodenez*, le 07 décembre 2007

Lyra est une enfant noble et loyale, qui sauve Roger, son ami tzigane, parce qu'elle le lui a promis, de l'empire d'une autorité abusive. Comment ne pas admirer la force d'âme de cette toute jeune adolescente qui met en échec les adultes qui utilisent l'autorité dont ils sont dépositaires à des fins obscures ? Tel est le cœur des aventures de Lyra Belacqua investie d'une mission à travers un voyage initiatique dans les Royaumes du Nord.

Dans Golden Compass, premier volet de la trilogie désormais culte de Philip Pullman adapté au cinéma, l'Autorité contre laquelle l'héroïne s'insurge, est représentée par un clan hyper organisé, nommé Magisterium mais dont les jours sont comptés .

Les adeptes de ce club très fermé aux allures de loge vont d'"Érudits" à un mystérieux Maître ou Régent portant habit noir au col quasi romain rehaussé d'un collier quasi épiscopal, d'un professeur de métaphysique que Lyra ne veut pas voir à une inquiétante Mme Coulter au sourire aussi enjôleur que faux et dont l'héroïne se méfie aussitôt. Dans un décor aux allures victoriennes, ces membres aux activités secrètes symbolisent, à l'évidence, l'intolérance qui phagocyterait le libre-arbitre de Lyra et de tous ceux qui vivent comme elle dans l'Université. Mais le Magisterium se rendrait coupable, en réalité, de bien pire : de vols d'enfants pauvres et marginaux, la communauté précisément à laquelle appartient Roger.

Lyra cherchera longtemps son ami kidnappé par les Enfourneurs . Après de multiples épreuves où l'aideront un ours en armure de l'Arctique, l'alethiomètre, étrange instrument par lequel elle exercera une voyance efficace, Lyra le trouvera cet ami in extremis, prêt à subir l'intercision , une intervention réalisée par un médecin du Magisterium, juste une simple incision, qui vous rend adulte . L'opération traumatisante, s'il en est, consiste à séparer les enfants de leur daemon. Disons à ce propos, que dès les premières images de cette Fantasy story, mettant en scène un univers parallèle, on avait annoncé au spectateur ce qu'était une autre originalité de l'univers imaginaire de Pullman : contrairement au monde réel où les êtres ont une âme substantiellement liée au corps, les protagonistes de notre action en monde parallèle auraient une âme dont la manifestation serait animale.

Daemons

Brillamment exploitée ici l'invention du flux de conscience des personnages et de leurs dilemmes, bref d'une intériorité matérialisée par une extériorité, un animal qui apporte réconfort en abolissant toute solitude. Ajoutons une subtilité de taille : la personnalité des enfants et des adolescents n'étant pas encore stable, le daemon peut changer de forme. Voilà donc annoncés, on ne peut plus tranquillement, les daemons, animaux de métamorphoses, part essentielle des héros des mondes parallèles. Sorte de génie protecteur, le daemon renverrait bien alors à une première acception, non chrétienne, qui pourrait, à en croire les dictionnaires, n'être pas négative.

Si bien que dans cette optique-là, l'un des épisodes-clé du film, la séparation violente du daemon des enfants, relèverait d'un acte infâme, d'une sorte de viol où l'on attente, en réalité, à la part essentielle des enfants, à leur intériorité, même si celles-ci se présentent de manière extérieure comme un rat, un papillon de nuit, un singe. À preuve, l'enfant intercisé du film, qu'on découvre prostré et hagard, accroupi, et dont l'infinie tristesse émeut évidemment le spectateur. Enfants et daemons souffrent, torturés par leur séparation. On pourrait donc se sentir soulagé, dès lors, par l'action de Lyra aboutissant à la libération des victimes, le spectateur se rangeant avec le narrateur et le réalisateur pour condamner le camp du Magisterium malmenant gravement les enfants, dans un flou d'ailleurs qui peut laisser supposer les plus noirs et les plus honteux agissements. Car les abus sont explorés évidemment par mode imagé et symbolique.

Anticatholique, certainement

À la Croisée des mondes est-il bien ce film anti-chrétien comme semblerait l'annoncer un début de polémique relayée par Le Monde [1] ? rien de moins sûr. Un film anti-catholique ? certainement, quoi qu'en dise Nicole Kidman ! N'en doutons pas. En petit-fils de pasteur, ce que vise Pullman avec son Magisterium, c'est principalement l'Église catholique comme cela apparaît clairement, même si dans ce premier volet cela reste encore assez voilé. L'Église et l'autorité de son Magistère, l'Église et l'autorité de ses dogmes, l'Église et l'autorité de ses membres possiblement défaillants est la cible, bien entendu, de cette œuvre de pseudo justice menée par Lyra, nouvelle Alice en pays de noire magie. C'est bien là que le bât blesse. La mise à mal de l'autorité, vrai prétexte à la démolition d'une vision gauchie de l'autorité emblématique représentée par l'Église catholique (qui est peut-être la seule institution au monde à confesser ses fautes), relève à bien des égards de la supercherie. Il serait pour le moins sot que les catholiques se laissent berner en applaudissant à leur mise en accusation si facile et si fausse.

En effet, l'univers parallèle représenté dans ce film, univers complexe, ne laisse pas de poser de graves questions. Habituellement, le propre de la création cinématographique de ces univers secondaires, qui ont fait également le succès de Tolkien et de Lewis, est de superposer mondes suffisamment connu et suffisamment différent à la fois pour engendrer enchantement et plaisir des spectateurs. L'efficacité d'une morale et la construction d'une représentation du monde sont à ce prix. Or, dans Golden compass, force est de constater qu'enchantement et plaisir ne sont pas au rendez-vous. Loin de là. À part la chevauchée à dos d'ours sur la banquise, il n'y a guère de scènes lumineuses et enchanteresses.

Pour confondre le mal, en l'occurrence l'Autorité abusive – qu'elle soit religieuse ou pseudo scientifique –, le mal lui-même. Pour opérer le discernement, pas de lumière mais magie, voyance, sorcières et violence. Pour exorciser les pulsions obscures, le recours à une vérité profonde et à ses différents niveaux de réalité, aux forces obscures et occultes, aux daemons. Rien de plus suspecte évidemment que cette histoire très confuse reposant sur une anti-théologie , comme le dit Alan Jacobs. Les daemons sont à l'évidence une représentation inversée de la réalité de l'ange gardien catholique.

De fait, à en croire encore les dictionnaires, les daemons, selon le sens reconnu du christianisme, signifient également démons, ceux de l'antique rébellion où s'affrontent Anges menteurs et autorité d'un Dieu source, d'un Dieu Père et Amour. L'affranchissement que poursuit la jeune adulte Lyra relève sans doute de cette rébellion originelle, même si l'Autorité de son monde dont elle veut se dégager n'a plus grand chose à voir avec la confiance, l'amour et la paternité. À y voir de plus près, on ne trouve pas d'ailleurs Lyra si innocente que cela : adolescente, elle n'a pas la pureté de l'enfant, elle apparaît dès les premières minutes du film hardie, insolente et arrogante avec parfois même un rictus bien malin. Le plus grave, en définitive, c'est qu'il n'y a pas, dans le film, de camp du bien et c'est un royaume divisé contre lui-même qui prétend faire la morale à l'Église. Lyra et ses épigones dont Asriel la stigmatise dans des faiblesses humaines d'ailleurs plus passées qu'actuelles sous le visage du Magisterium, cherchant de manière perverse à la perdre par des prétextes grossiers. Lyra n'en reste pas moins asservie par une autre autorité, celle des liens qu'elle contracte et entretient avec les daemons.

À proscrire aux enfants

Ce film n'est pas un dessin animé. Ce film n'est pas un film pour enfants. Certaines scènes sont cruelles et violentes ; les zooms d'une caméra à hauteur de gueules monstrueuses et de dents effrayantes des ours ou des loups peuvent traumatiser de jeunes esprits. La bande sonore en rajoute largement dans les grognements et autres hurlements de bêtes. Il n'y a aucun avertissement d'âge : ce film, dont l'affiche placardée partout annonce étrangement un film de Noël, devrait être interdit aux moins de douze ans. Ajoutons encore que sur le site officiel du film, est proposé un jeu aux jeunes qui souhaiteraient connaître leur daemon associé. Jeu plus que dangereux. Les enfants devront se soumettre à une étrange manipulation mentale : donner d'abord leur nom, puis mettre un curseur sur d'accord ou pas d'accord avec des nuances à mesurer grâce à ce même curseur. Il y a ainsi vingt affirmations autour desquelles les enfants naïfs vont se livrer. En voici parmi les plus significatives :Vous suivez généralement les autres. Vous évitez toujours les inconnus. Vous posez trop de questions. Vous vous en tenez toujours à ce qui est prévu. Vous travaillez à votre avenir. Vous vous mettez en colère facilement. Quand vous avez mal agi vous le gardez pour vous. Quand vous avez bien agi, vous le gardez pour vous. Selon vous on n'évite pas son destin....Vingt affirmations dont on notera qu'elles s'introduisent pour certaines dans le for interne de manière répréhensible. À la suite de quoi, sera établi un profil de personnalité, profil associé ensuite à un daemon, mâle pour les filles, femelle pour les garçons. Dans une sorte de halo trinitaire mouvant, apparaît le daemon, une bête, comme par exemple un rat nommé Zatius, ou un papillon de nuit nommé Desra. Tombe le verdict ainsi formulé : Vous êtes donc affilié avec le daemon DESRA l'un des 4229 papillons de nuit daemons (types de daemon) au sein de la population totale de 423013 daemons. Desra est un daemon femelle car les humains et leurs daemons sont toujours de sexe opposé. Dans une sorte de halo trinitaire mouvant, la bête-rat, Zatius, ou papillon-de-nuit, Desra, se dessinera sur l'écran de votre ordinateur et viendra se poser... sur un calice ! L'enfant peut sauvegarder alors son daemon. N'entre-t-on pas là en possible channelling [2] dont l'Église ne cesse pas de rappeler les dangers ?

Le professeur Alan Jacobs dans un article intitulé The Devil's party (The Weekly Standard, oct. 2000) cite Milton et William Blake pour éclairer l'inspiration de Pullman : Si, comme disait William Blake "Milton était du parti du Diable sans le savoir", Pullman sait parfaitement de quel côté il se trouve.

Alors ne soyons donc pas dupes. Redisons-nous avec Rimbaud que le combat auquel nous, chrétiens, devons faire face avec courage est un combat spirituel aussi brutal que la bataille d'hommes .

*Hélène Bodenez est professeur de lettres à Saint-Louis de Gonzague (Paris).

Pour en savoir plus :■ Les tourments de Monsieur Pullman, par Henry Trinque

[1] Qualifié d'antichrétien, l'écrivain Philip Pullman préfère en rire , Le Monde du 3 décembre 2007.

[2] Communication avec des esprits par le biais, entre autres, d'instruments technologiques comme le téléphone, la télévision, l'ordinateur ou d'autres supports, d'autres channels ...

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L'enseignement de Jean Paul II sur les démons

Audience générale 13 août 1986

En poursuivant le thème des catéchèses précédentes consacrées à l'article de foi qui concerne les anges, créatures de Dieu, nous sommes amenés aujourd'hui à explorer le mystère de la liberté que certains d'entre eux ont retournée contre Dieu et son plan de salut pour les hommes.

Selon le témoignage de l'évangéliste Luc, au moment où les disciples revenaient près du Maître, remplis de joie pour les fruits cueillis au cours de leur initiation missionnaire, Jésus prononça une phrase qui nous donne à réfléchir: Je voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair (Lc 10, 18). Par ces mots, le Seigneur affirme que l'annonce du Royaume de Dieu est toujours une victoire sur le démon, mais en même temps, il révèle aussi que l'édification du Royaume est sans cesse exposée aux embûches de l'esprit du mal. S'y intéresser, comme nous voulons le faire dans la catéchèse de ce jour, signifie se préparer à la condition de lutte qui est le propre de la vie de l'Église en ces derniers temps de l'histoire du salut (comme l'affirme le livre de l'Apocalypse, 12, 7). D'autre part, cela permet d'éclairer la foi loyale de l'Église en face de qui la bouleverse - en exagérant l'importance du démon - ou de qui nie ce dernier, ou en minimise la puissance maléfique.

Les précédentes catéchèses sur les anges nous ont préparés à comprendre la vérité révélée par l'Écriture Sainte et que la Tradition de l'Église a transmise sur Satan, c'est-à-dire sur l'ange déchu, l'esprit malin, appelé aussi diable ou démon.

Cette chute, qui présente le caractère du refus de Dieu avec l'état conséquent de damnation, consiste dans le choix libre de ces esprits créés, qui ont radicalement et irrévocablement refusé Dieu et son règne, usurpant ses droits souverains et tentant de bouleverser le plan du salut et l'organisation même de la création toute entière. Nous trouvons un reflet de cette attitude dans les paroles du tentateur à nos premiers parents: Vous deviendrez comme Dieu ou comme des dieux . Ainsi l'esprit malin tente de transférer en l'homme l'attitude de rivalité, d'insubordination et d'opposition à Dieu, qui est presque devenue le but de toute son existence.

Dans l'Ancien Testament, le récit de la chute de l'homme, rapportée dans le livre de la Genèse, présente une référence à l'attitude d'antagonisme que Satan veut communiquer à l'homme pour le conduire à la transgression. De même dans le livre de Job nous lisons que Satan cherche à faire naître la révolte dans l'homme qui souffre. Dans le livre de la Sagesse (Sg 2, 24) Satan est présenté comme l'artisan de la mort, qui est entrée dans l'histoire de l'homme en même temps que le péché.

L'Église, au IVe concile du Latran (1215), enseigne que le diable (ou Satan) et les autres démons ont été créés bons par Dieu mais qu'ils sont devenus mauvais par leur propre volonté . Nous lisons en effet en saint Jude: ...les anges qui n'ont pas conservé leur primauté, mais qui ont quitté leur propre demeure, c'est pour le jugement du grand jour qu'il les a gardés dans des liens éternels, au fond des ténèbres (Jude 6). De même dans la seconde lettre de saint Pierre il est question d' anges qui avaient péché et que Dieu n'épargna pas, mais... précipita aux abîmes de ténèbres, où ils sont réservés pour le jugement (2 P 2, 4). Il est clair que si Dieu ne pardonne pas le péché des anges, c'est parce qu'ils demeurent dans leur péché, parce qu'ils sont éternellement dans les chaînes de ce choix qu'ils ont fait au commencement, repoussant Dieu, rejetant la vérité du Bien suprême et définitif qu'est Dieu lui-même. Saint Jean écrit dans ce sens que le diable est pécheur dès l'origine... (1 Jn 3, 8). Et dès l'origine il fut homicide et il n'était pas établi dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui (Jn 8, 44).

Ces textes nous facilitent la compréhension de la nature et de la dimension du péché de Satan, qui consiste dans le refus de la vérité sur Dieu, connu à la lumière de l'intelligence et de la révélation comme Bien infini, Amour et Sainteté qui sont une seule réalité. Ce péché a été d'autant plus grand que la perfection spirituelle et la perspicacité cognitive de l'intelligence angélique est supérieure et que sa liberté et sa proximité de Dieu le sont également. Repoussant la vérité connue sur Dieu par un acte de sa propre volonté libre, Satan devient menteur cosmique et père du mensonge (Jn 8, 44). Pour cela il vit dans la négation radicale et irréversible de Dieu et cherche à imposer à la création, aux autres êtres créés à l'image de Dieu, et en particulier aux hommes, son tragique mensonge sur le Bien qui est Dieu. Nous trouvons dans le livre de la Genèse une description précise de ce mensonge et de cette falsification de la vérité sur Dieu, que Satan (sous forme de serpent) essaya de transmettre aux premiers représentants du genre humain: Dieu serait jaloux de ses prérogatives et à cause de cela imposerait des limites à l'homme. Satan invite l'homme à se libérer de l'imposition de ce joug pour devenir comme Dieu .

Dans cette condition de mensonge existentiel Satan devient aussi, selon saint Jean, homicide , c'est-à-dire destructeur de la vie surnaturelle que, dès l'origine, Dieu avait greffée en lui et dans les créatures, faites à l'image de Dieu : les autres purs esprits et les hommes. Satan veut détruire la vie selon la vérité, la vie dans la plénitude du bien, la vie surnaturelle, vie de grâce et d'amour. L'auteur du livre de la Sagesse écrit: ... c'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde, ils en font l'expérience ceux qui lui appartiennent (Sg 2, 24). Et dans l'Évangile Jésus nous avertit: ... craignez plutôt celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l'âme et le corps (Mt 10, 28).

En conséquence du péché de nos premiers parents, cet ange déchu a conquis dans une certaine mesure la domination sur l'homme. C'est la doctrine constamment confessée et annoncée par l'Église, et que le concile de Trente a confirmée dans le traité sur le péché originel. Elle trouve son expression dramatique dans la liturgie du baptême, lorsqu'il est demandé au catéchumène de renoncer au démon et à ses séductions.

À cette influence sur l'homme et sur les dispositions de son esprit (et sur son corps), nous trouvons diverses allusions dans l'Écriture Sainte, où Satan est appelé le prince de ce monde , et même le dieu de ce monde (2 Co 4, 4). Nous trouvons beaucoup d'autres noms qui décrivent ses néfastes rapports avec l'homme: Beelzebul ou Belial , esprit immonde , tentateur , malin et enfin antichrist (1 Jn 4, 2). Il est comparé à un lion (1 P 5, 8), à un dragon (dans l'Apocalypse) et à un serpent (Gn 3). Très souvent pour le désigner on emploie le nom diable du grec diaballein (d'où diabolos), qui veut dire: provoquer la destruction, diviser, calomnier, tromper. Et en vérité tout ceci advient dès l'origine par l'action de l'esprit malin qui, dans la Sainte Écriture, est présenté comme une personne, dont il est dit aussi qu'il n'est pas seul : Nous sommes légion crient les démons à Jésus dans la région des Géraséniens (Mc 5, 9); le diable et ses anges , dit Jésus dans la description du jugement futur.

Selon la Sainte Écriture, et spécialement dans le Nouveau Testament, la domination et l'influence de Satan et des autres esprits malins, embrassent le monde entier. Pensons à la parabole du Christ sur le champ (qu'est le monde), sur la bonne semence et sur la mauvaise que le démon sème parmi le grain, tâchant d'arracher des coeurs ce bien qui y a été semé . Pensons aux nombreuses exhortations à la vigilance, à la prière et au jeûne. Pensons à cette forte affirmation du Seigneur: Cette espèce de démon ne peut être chassée que par la prière (Mc 9, 29). L'action de Satan consiste d'abord à tenter les hommes au mal, agissant sur leur imagination et sur leurs facultés supérieures pour les détourner de la loi de Dieu. Satan a mis à l'épreuve Jésus lui-même, dans la tentative extrême de s'opposer aux exigences du plan du salut tel que Dieu l'a préétabli.

Il n'est pas exclu qu'en certains cas l'esprit malin parvienne même à exercer son influence non seulement sur les choses matérielles, mais aussi sur le corps de l'homme; à ce sujet on parle de possessions diaboliques . Il n'est pas toujours facile de discerner ce qui dans ces cas est de nature préternaturelle. L'Église ne se prête pas ni ne condescend facilement à la tendance d'attribuer de nombreux faits à des interventions directement diaboliques; mais on ne peut nier à priori que, dans sa volonté de nuire et de porter au mal, Satan ne puisse parvenir à cette extrême manifestation de sa supériorité.

Nous devons enfin ajouter que les paroles impressionnantes de l'apôtre Jean: Le monde entier gît au pouvoir du mauvais (1 Jn 5, 19), font aussi allusion à la présence de Satan dans l'histoire de l'humanité, une présence qui s'accentue à mesure que l'homme et la société s'éloignent de Dieu. L'influence de l'esprit malin peut se cacher d'une manière plus profonde et efficace: se faire ignorer correspond à son intérêt. L'habileté de Satan dans le monde est celle de porter les hommes à nier son existence au nom du rationalisme et de tout autre système de pensée qui cherche toutes les échappatoires dans le but de nier son action. Cela ne signifie pas cependant l'élimination de la volonté libre et de la responsabilité de l'homme ni la frustration de l'action salvifique du Christ. Il s'agit plutôt d'un conflit entre les forces obscures du mal et celles de la rédemption. Elles sont éloquentes à ce propos, les paroles que Jésus adressa à Pierre au début de la passion : ... Simon, voici que Satan vous a réclamé pour vous cribler comme le froment; mais j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas (Lc 22, 31).

Par cela nous comprenons comment Jésus, dans la prière qu'il nous a enseignée, le Notre Père , qui est la prière du Royaume de Dieu, termine presque brusquement, à la différence de tant d'autres prières de son temps, en faisant référence à notre condition d'êtres exposés aux embûches du Mal-Malin. Le chrétien, en appelant au Père avec l'esprit de Jésus et en invoquant son règne, s'écrie avec la force de la foi :

Fais que nous ne succombions pas à la tentation, délivre-nous du Mal, du Malin.

Fais Ô Seigneur, que nous ne tombions pas dans l'infidélité à laquelle nous séduit celui qui a été infidèle dès le commencement .

Osservatore Romano, édition française, 33

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