Article rédigé par Christine Marthouret, le 08 mars 2004
J'ai 39 ans et je suis atteinte d'une lourde maladie neuromusculaire (amyotrophie spinale de type 1), je suis trachéotomisée. Votre émission Vie privée, vie publique du 25 février (" Au nom de l'amour, au nom de la loi ") a provoqué en moi une grande peine et de profondes interrogations.
Bien plus, je veux vous dire la honte que j'aie ressentie de la confrontation brutale avec cette vision triste et simplificatrice que vous m'avez renvoyée de mon handicap.
Mon époux et moi-même sommes tous deux lourdement handicapés, dépendants, assistés par des tierces personnes et des machines vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Est-ce pour cela que nous serions en horrible état " d'indignité " ?
Très franchement, Madame, je pense que vous n'avez absolument aucune idée de la portée du sens ce que vous laissez dire par souci seul de " l'audimat ". Personne n'a le droit moral ou éthique de juger de la dignité de son voisin. Alors, moins encore parce qu'il est fragile, âgé, handicapé et improductif !
Cela me fait étonnamment penser à un certain système de pensée, il n'y a pas si longtemps... Et je m'interroge : Où est ici la tolérance et l'esprit anti-raciste du service public ?... Il ne peut y avoir de jugement préalable sur la " qualité " de la vie d'une personne. Ainsi, toute vie et façon de vivre est respectable, c'est la base même de la pensée démocratique, lisez Rousseau et tous les penseurs des Droits de l'homme.
Et vous me répondrez que c'est par " amour ", c'est-à-dire par pur altruisme, qu'il est nécessaire de faire " abréger " très définitivement la souffrance de nos proches. Il me semble ici que le mot amour est totalement trahi, et que les mots : " ego tourmenté " ou, très simplement, égoïsme conviendraient beaucoup mieux à ce très instructif raisonnement. Car c'est l'image même de ma faiblesse qui dérange. Cette nouvelle idéologie, consistant à élever la force physique et l'image du corps parfait, au détriment du " faible " est pour moi une nette régression de la pensée.
Pourquoi n'avoir montré que des personnes sans capacité physique orale de témoigner leur propre opinion sur ce sujet ? Les invités sur le plateau n'étaient absolument pas touchés en leur propre corps par la dépendance, mais touché uniquement par le mal-être compréhensible que leur apportent la vue de la maladie et la relation au malade dépendant.
Il est extrêmement facile d'utiliser les souffrances intérieures bien réelles de nos familles et de nos conjoints. Et il est aussi en cela bien facile d'en culpabiliser totalement une personne très dépendante et, de ce fait, de lui faire demander n'importe quoi.
Sur votre plateau, c'est exactement ce qui s'est passé : des mamans, sincèrement douloureuses, parlant pour leurs enfants en incapacité physique d'exprimer clairement leur réponse personnelle. Ici, un plan reproché sur un regard extorqué de réponse à une mère bouleversée, c'est facile, trop facile, mais cela ne veut rien dire.
C'est une utilisation trop simple de " l'image-émotion " comme moyen de faire passer son idée : pour un journaliste, c'est fort peu honnête et assez irrespectueux de la liberté de penser de l'autre.
En fait, vous nous avez présenté dans cette émission un objectif préalable très visible qui consiste à faire passer l'euthanasie comme le remède unique et idéal à tous les problèmes que posent aujourd'hui à certains les personnes lourdement dépendantes.
Ici, il me paraît légitime que vous choisissiez pour vous, mais seulement pour vous-même de refuser d'être dépendante et de préférer la mort à cette situation. Cependant, je refuse que vous décidiez pour moi, ou pour d'autres, de nos choix et précisément de cet ultime choix.
Là, ne faites pas, je vous prie, intervenir des raisons de déficiences intellectuelles ou physiques qui limiteraient nos capacités de choix. La longue expérience que j'ai du milieu du handicap, et des personnes très lourdement dépendantes, me permet de vous affirmer que, s'il existe quelques personnes handicapées désireuses de mourir, ce n'est clairement pas la majorité.
Pour conclure, personnellement, je comprends parfaitement qu'une personne puisse avoir la volonté personnelle d'arrêter de vivre et je me refuse totalement à imaginer qu'elle soit par cela indigne ou intellectuellement déficiente. Mais de grâce, qu'on respecte mon handicap, ma lourde dépendance, et mon amour de la vie !
Je crois sincèrement, Madame, que ne connaissez pas bien le milieu des personnes dépendantes, vous ne pouviez pas imaginer que quelques réflexions intellectuelles en vogue aujourd'hui puissent nous faire de la peine. Je ne vous en veux pas, mais, de grâce, ne faites pas de l'exemple réellement douloureux de Vincent Humbert et de sa pauvre maman une croisade générale.
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