Article rédigé par Philippe Oswald, le 27 août 2011
Tripoli investie, Kadhafi enfui, le succès des opérations militaires dont la France a été le fer de lance en partenariat privilégié avec le Royaume Uni ne marque pas le commencement de la fin mais la fin du commencement pour reprendre la formule de Churchill. On peut certes parier que le dictateur et ses fils ne pourront pas continuer indéfiniment à narguer leurs adversaires (lesquels ont encore crié victoire trop vite en claironnant l'arrestation de deux des fils du colonel aussitôt évadés ) et que leurs partisans encore à l'œuvre dans plusieurs quartiers de Tripoli seront mis bientôt hors d'état de nuire. Pour Kadhafi, le danger vient moins des rebelles, toujours aussi brouillons et désorganisés, que des forces spéciales ou plus pudiquement des conseillers militaires français et britanniques qui le traquent (notamment les fameux SAS, selon le quotidien britanniques The Daily Telegraph), en dépit de la résolution du Conseil de sécurité de l'Onu qui interdit l'envoi de troupes au sol.
Mais le plus difficile reste à venir : gagner la paix. Après avoir mis le paquet pour venir à bout de Kadhafi en armant et en épaulant sur le terrain des rebelles courageux mais fantasques et divisés, les coalisés se retrouvent rivaux dans la course à l'or noir libyen : des réserves estimées à 46 milliards de barils, manne à laquelle s'ajoutent des milliards de m2 de gaz, le tout aisément exploitable, aux portes de l'Europe. De telles richesses qui avaient fait de la Libye un des pays les plus développés du continent africain (avec notamment un taux d'alphabétisation de 81,7%) peuvent aussi précipiter sa ruine si les 150 tribus qui composent sa population (elle-même divisée en ethnies : Berbères, Touaregs, Toubous, Haoussas...) se les disputent pour en proposer l'exploitation aux plus offrants. Déjà les Turcs font du forcing auprès des rebelles pour faire oublier, à grand renfort de dollars, leur hostilité première à l'intervention de l'Otan et récupérer leur mise ( Les sociétés turques ont investi 950 million de dollars en Libye et ont 100 millions bloqués dans les banques du pays, outre 1,4 milliard d'arriéré de paiements souligne Le Figaro du 26 août). Mais les Chinois aussi étaient très présents en Libye et ne manqueront pas de défendre leurs intérêts. Il sera intéressant de connaître leur réponse à l'invitation du tandem franco-britannique de participer à la grande conférence internationale sur la Libye, le 1er septembre, à Paris aux côtés de la Russie et de l'Inde, non moins réticents à l'intervention en Libye.
Qui ferait office de juge de paix parmi les Libyens ? Le Conseil national de transition (CNT) ? L'assassinat du général en chef de la rébellion et de ses adjoints à l'instigation d'une faction du CNT a révélé et aggravé ses fractures. Je ne vois pas qui pourrait fédérer la Libye , explique dans La Croix (25 août) Kader Abderrahim, professeur à l'université de Californie, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste du monde arabe : Que peut proposer le CNT, dont la plupart des dirigeants sont des transfuges de l'ancien régime, aux chefs de tribus qui règnent sans partage pour qu'au minimum, ils n'exercent pas de pouvoir de nuisance, ou, au mieux, participent au pouvoir ? A ses yeux, les seuls qui pourraient mettre tout le monde d'accord (de gré ou de force) seraient les islamistes parce qu'ils incarnent historiquement l'opposition . Et de parier sur l'obligation pour les occidentaux de maintenir une présence militaire sur le sol libyen comme en Irak, en Afghanistan et même en Arabie saoudite où plus de 50 000 soldats sont installés depuis 1991 (c'est-à-dire depuis la première Guerre du Golfe). Reste à savoir ce qu'en penseraient les Libyens, à commencer par les islamistes ...
(Sources : Le Figaro, La Croix, The Daily Telegraph)
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