Article rédigé par François de Lacoste Lareymondie, le 24 juillet 2009
On sait depuis longtemps que Staline s'est lourdement trompé, et que la taille des armées ne suffit pas à asseoir la puissance. M. Kagefumi Ueno, ambassadeur du Japon auprès du Saint-Siège, l'a déclaré : Le Vatican est une grande puissance.
C'était en mai dernier au cours d'un séminaire organisé à l'intention des ambassadeurs d'Asie accrédités auprès de lui afin de leur faire connaître les grandes lignes de sa politique internationale. Pour comprendre l'intérêt provoqué par l'encyclique sociale de Benoît XVI, Caritas in veritate, il faut lire la démonstration du diplomate japonais.
L'initiative est originale ; après celui destiné aux ambassadeurs africains, ce séminaire était la deuxième édition du genre, remarquable dans la mesure où il s'adressait à des diplomates originaires de pays dont les cultures sont très éloignées de celle de Rome, où le christianisme est perçu comme étranger et où, sauf exception, les chrétiens sont largement minoritaires.
Il ne s'agissait pas de parler de religion, mais de culture, de politique et de diplomatie. C'est dans ce contexte que l'ambassadeur du Japon, lui même de formation boudhiste et shintoïste, intellectuel respecté, a prononcé une conférence où il a expliqué à ses collègues les raisons de son affirmation et pourquoi il pensait qu'il leur fallait donner davantage d'importance aux relations avec le Vatican.
Ces raisons sont au nombre de quatre :
1/ Son autorité morale : celle-ci a grandi à proportion de la diminution du territoire pontifical et de ses intérêts temporels propres, de sorte que le pape est devenu un des leaders d'opinion les plus importants et les plus respectés de la planète, un peu comme l'est le secrétaire général des Nations-unies, et par là un gardien de la société internationale dont les interventions ont un réel impact ; sans doute pas instantanément, mais certainement à long terme.
2/ Son pouvoir intellectuel : le Vatican est un des endroits où l'on réfléchit le plus aux grands problèmes du monde, et où convergent pour y réfléchir les plus éminents cerveaux venant de tous les pays ; ceci grâce aux nombreux instituts universitaires et centres de recherche dont le Vatican s'est doté ou qu'il labellise, organismes dont la renommée mondiale est reconnue par les spécialistes, et grâce aux multiples séminaires, colloques, et autres manifestations qu'ils organisent ; dans une certaine mesure, et pour reprendre les termes de M. Ueno, le Vatican est devenu un ensemble de think tanks eux-mêmes en réseau avec de très nombreux autres think tanks à travers le monde.
3/ Sa capacité à être informé de tout (ou presque) : présente dans le monde entier, avec des membres de toutes nationalités, capable de pénétrer au cœur des sociétés, l'Eglise fonctionne comme un exceptionnel hub d'informations ; le Vatican dispose d' oreilles énormes (selon l'expression de l'ambassadeur) et constitue un poste d'écoute privilégié, notamment pour un diplomate, même s'il est parfois malaisé de percer la réserve précautionneuse de ses services.
4/ Sa capacité à faire circuler les messages et les idées : l'audience que lui accordent tous les médias de la planète s'en déduit et en fait une caisse de résonnance unique au monde ; certes, y contribuent activement les médias catholiques eux-mêmes, qui constituent de précieux relais, et en particulier les médias romains (Radio-Vatican et l'Osservatore romano), mais pas seulement ; ce qui se passe au Vatican est relayé partout et façon très large ; d'où, a contrario, les précautions prises par la Secrétairerie d'État, qui peuvent agacer mais qui sont aussi un gage de responsabilité.
Voilà pourquoi chacun scrute les moindres propos du Pape, pour s'en réjouir ou s'en offusquer : on sait en effet qu'il ne parle pas pour ne rien dire, et que ce qu'il dit repose sur des fondements intellectuels et moraux infiniment plus solides que les propos de toute autre provenance.
Que cela fût exprimé par un diplomate asiatique n'en est que plus remarquable : pour lui, le Vatican est une de ces réalités du présent auxquelles les dirigeants du monde devraient prêter davantage d'attention. Le comportement des européens n'en fait que plus contraste : il est vrai que nul n'est prophète en son pays, surtout quand ce pays renie ses racines...
M. Ueno en a profité pour former deux vœux : d'une part que le Vatican lui-même s'efforce de comprendre plus en profondeur les mentalités asiatiques pour devenir plus universel ; d'autre part qu'il se désitalianise davantage qu'il ne l'a déjà fait, notamment en développant l'usage de la langue anglaise.
Les voyages apostoliques entrepris par les pontifes successifs depuis quarante ans à travers le monde sont probablement la manifestation la plus éclatante de l'évolution souhaitée, pour s'en tenir à l'aspect politico-diplomatique qui faisait l'objet de la conférence. De façon plus précise, les efforts de Benoît XVI en direction de la Chine rejoignent directement le premier vœu ; quant au second, ne nous en déplaise, il est logique qu'il ait été exprimé dans le monde tel qu'il est. Gageons qu'il sera pris en considération, nonobstant la sage lenteur des institutions romaines.
***