Article rédigé par Roland Hureaux, le 28 avril 2009
Il n'est pas, dit-on, politiquement correct d'effectuer une lecture ethnique des événements politiques. On ne voit pourtant pas comment l'éviter s'agissant de l'Afrique du Sud. Ne nous a-on pas assez dit, après tout, combien l'élection d'un métis à la présidence des États-Unis était supposée représenter une révolution ?
Ce qui vient de se passer en Afrique du Sud, avec l'accession à la tête de l'ANC de Jacob Zuma, promis, après la nouvelle victoire de ce parti aux élections, à devenir le troisième président de l'après apartheid, représente aussi à sa manière une révolution.
Les deux premiers présidents, Nelson Mandela et Thabo Mbeki étaient Xhosas, le nouveau est Zoulou.
Zoulous et Xhosas
Il y a beaucoup de groupes ethniques en Afrique du Sud, y compris parmi les Blancs divisés entre Afrikaner et anglophones. Mais parmi les Noirs, la plupart des tribus ont un pied en dehors des frontières : les Tswana au Botswana, les Ndebele au Zimbabwe, les Swazis au Swaziland, etc. Seuls les Zoulous et les Xhosas (la consonne xh désigne le clic émis du fond de la gorge car le xhosa est une langue à clics ) sont purement sud-africains et ils sont aussi les plus nombreux.
Historiquement rivaux, ces deux groupes ont connu un destin très différent.
Les Zoulous, dont les farouches guerriers opposèrent au XIXe siècle la plus rude résistance aux Européens, auraient eu vocation à prendre la tête de la lutte contre l'apartheid. Ce ne fut pourtant pas le cas : leurs chefs historiques, le roi des Zoulous et le chef Mangosuthu Buthelezi, se reposant sur la gloire de leurs ancêtres, préférèrent pactiser avec l'ancien régime .Tout en le critiquant, ils se tinrent à l'écart de la lutte armée, cultivant leurs racines ethniques dans le cadre d'un bantoustan et d'un parti tenu pour modéré, l'Inkatha Freedom Party.
Même si l'African National Congress qui fut, en conjonction avec le Parti communiste sud-africain, le fer de lance de la lutte contre l'apartheid, a au contraire toujours refusé quelque forme d'ethnicisme que ce soit, prétendant représenter tous les Sud-Africains y compris les Blancs, sa direction fut de fait dès les années cinquante sous la forte emprise de la noblesse xhosa à la quelle appartenaient Nelson Mandela et sa garde rapprochée, Oliver Tambo et Govan Mbeki. C'est tout naturellement que le fils de ce dernier succéda en 1999 à Nelson Mandela comme si le pouvoir sud-africain était devenu, au sein de l'ethnie xhosa, une affaire de famille.
Ce n'est plus du tout le cas avec Jacob Zuma qui fut longtemps le principal représentant des Zoulous à l'ANC, mais qui s'y trouvait, de fait, en minorité.
Le style Zuma
Accédant au pouvoir à 67 ans, il a profité de l'usure de son prédécesseur, de sa légitimité historique d'ancien prisonnier à Robben Island, et de sa grande popularité dans la base du parti pour s'imposer à la succession de Thabo Mbeki en dépit de nombreuses affaires judicaires dans lesquelles ses partisans n'ont vu que la vindicte de ses ennemis.
Mais par delà le basculement ethnique, après tout assez anecdotique vu de l'extérieur, c'est à un total changement de style qu'il faut se préparer.
Les fondateurs de l'ANC appartenaient à des familles aristocratiques ; ils avaient reçu une excellente éducation à l'université de Fort Hare où, au cœur du pays xhosa, les missionnaires purent former, avant le durcissement de l'apartheid, une authentique élite africaine. Mandela était avocat. Thabo Mbeki a fait ses études à la London school of economics et n'a jamais renoncé à un style british qui passait mal dans le parti.
Jacob Zuma est tout à l'opposé : d'origine populaire, autodidacte, il a appris à lire et à écrire en prison grâce à Govan Mbeki, le père de son prédécesseur. Il reflète à sa manière la génération le plus récente des Noirs, dont le système bantou d'éducation , produit de l'apartheid, a limité l'instruction.
À la haute tenue morale de Nelson Mandela, à la distinction de Thabo Mbeki, il oppose une truculence populiste et, il faut bien le dire, un profil moins lisse : mal lavé de graves soupçons de corruption, polygame avéré et grand amateur de danses africaines, il a même été accusé de viol par une de ses nombreuses partenaires. Il aura moins de raisons de traiter de haut tel ou tel de ses collègues africains.
Moins marqué que son prédécesseur par le monde anglo-saxon, il devrait être aussi moins prévenu contre la France.
Même s'il vient de l'aile gauche de l'ANC, son élection ne devrait pourtant pas changer les orientations du pays : une économie capitaliste où la minorité blanche, plus gênée par la grave insécurité que par la rhétorique socialiste du pouvoir, joue toujours un rôle clé. Un chômage étendu, des inégalités considérables, le Sida, la corruption : malgré tout cela, l'économie, dont la variable fondamentale depuis des lustres est le cours de l'or, devrait en raison de la hausse de ce dernier, tenir mieux que d'autres le choc de la crise.
Quelque inquiétude que suscite la personnalité du nouveau président, les équilibres (ou les déséquilibres !) fondamentaux de ce pays ne devraient pas être bouleversés.
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