Dans un monde sans désir, témoigner d'une humanité différente
Article rédigé par Communion et Libération, le 28 janvier 2011

Comme l'affirme le rapport du Médiateur de la République daté de février 2010, notre société en quête de sens se révèle aujourd'hui usée et angoissée . La crise qui frappe l'Europe nous trouve étrangement désarmés et déconcertés. Pourquoi ?

Selon un rapport récemment publié [1], la nature de la crise réside dans une perte du désir qui se manifeste dans chaque aspect de la vie. Nous avons moins envie de construire, de grandir, de chercher le bonheur. De là découleraient les manifestations évidentes de fragilités, tant personnelles que de masse, des comportements désorientés, indifférents, cyniques, malléables, otages des influences médiatiques, condamnés au présent sans profondeur de mémoire ni de futur .
Alors que, par le passé, nous sommes parvenus à atteindre des objectifs importants (logement, travail, développement...), comment se fait-il que nous nous trouvions aujourd'hui dans une société dangereusement marquée par le vide ? Comment expliquer qu'à un cycle historique plein de curiosité et de volonté de faire, succède un autre cycle marqué par son anéantissement ?
Tout ceci nous prouve que, certes, la crise est sociale, économique et politique, mais qu'elle est avant tout anthropologique, car elle concerne la conception même de la personne, de la nature de son désir et de son rapport avec la réalité. Nous nous étions bercés de l'illusion que le désir se maintiendrait en vie de lui-même, voire qu'il serait plus fort dans la nouvelle situation de bien-être atteinte. L'expérience nous montre qu'il n'en est rien et que le désir peut s'aplatir s'il ne trouve pas d'objet à la hauteur de ses exigences.
Nous nous retrouvons ainsi, tous, repus et désespérés . L'aplatissement du désir est à l'origine du désarroi des jeunes et du cynisme des adultes ; et quelle est l'alternative à l'asthénie générale ? Un volontarisme sans souffle et sans horizon, sans génie et sans espace, et un moralisme qui soutient l'État comme source ultime de consistance du flux humain , affirmait Luigi Giussani dès 1987.
Vingt-cinq ans plus tard, nous constatons que ces deux réponses – le volontarisme individualiste et l'espérance étatique – n'ont pas pu nous donner la consistance souhaitée ; nous nous trouvons ainsi à affronter la crise plus désarmés et fragiles que par le passé. Paradoxalement, nos grands-parents et nos parents étaient humainement mieux armés pour faire face à de tels défis.
La vertu civile nécessaire
Le rapport est encore très lucide lorsqu'il identifie la véritable urgence de ce moment historique : Recommencer à désirer est la vertu civile nécessaire pour relancer une société trop satisfaite et plate. Mais qui – ou quoi – peut raviver le désir ? Voilà le problème culturel de notre époque. Tous ceux, partis politiques, associations, syndicats, enseignants, etc., qui ont quelque chose à dire pour sortir de la crise doivent nécessairement s'y confronter. Une réponse idéologique ne pourra plus suffire, car nous avons vu échouer tous les projets. Nous serons donc forcés de témoigner une expérience.
Le rôle de l'Église ne pourra plus non plus se limiter à proposer son assistance comme refuge face aux manquements d'autrui. Elle devra prouver l'authenticité de sa prétention d'avoir quelque chose à offrir. Ainsi que l'a rappelé Benoît XVI, l'apport des chrétiens est décisif uniquement si l'intelligence de la foi devient intelligence de la réalité . Elle devra montrer que le Christ est si présent qu'il peut réveiller la personne, et donc son désir tout entier, au point de ne pas la laisser dépendre totalement des conjonctures du moment.
Comment ? À travers la présence de personnes qui témoignent une humanité différente dans tous les domaines de la vie sociale : école et université, travail et entreprise, jusqu'à la politique et l'engagement. Des personnes qui ne se sentent pas condamnées à la déception et au désarroi, mais qui vivent à la hauteur de leurs désirs parce qu'elles reconnaissent que la réponse est présente.
Être vraiment raisonnable
Nous pouvons espérer sortir de cette situation dramatique si chacun (y compris les gouvernants qui ont aujourd'hui la difficile responsabilité de guider le pays à travers cette crise profonde) décide d'être vraiment raisonnable en soumettant la raison à l'expérience : autrement dit si, en se libérant de toute prétention idéologique, l'on est disponible à reconnaître ce qui fonctionne déjà dans la réalité. Soutenir quiconque, dans la société, ne s'est pas résigné à réduire son désir, et par conséquent travaille et construit, mu par une passion pour l'homme, telle est la première contribution que chacun peut apporter au bien de tous.
C'est aussi ce que nous, Communion et Libération France, reconnaissons comme responsabilité personnelle et c'est ce que nous essayons de vivre là où nous sommes.
CL France, janvier 2011
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[1] Rapport Censis (Centre d'Etudes des Investissements Sociaux italiens)