Sortir ou pas de l'Euro
Article rédigé par Roland Hureaux, le 06 janvier 2012

Réponse à François de Lacoste Lareymondie

L’Euro n’explique pas toute la crise mais pour certains la monnaie européenne en est en partie responsable et il faut en sortir. D’autres économistes ou hommes politiques estiment que la question n’est pas là et que ce serait prendre un risque plus dangereux que le mal. Roland Hureaux qui collabore régulièrement à Liberté Politique appartient à la catégorie de ceux pour qui il faudra sortir de l’euro tôt ou le moins tard possible. Il a publié avec d’autres économistes et personnalités dans le journal Le Monde du 24 décembre dernier un article intitulé « Pour un démontage concerté de l’euro ». François de Lacoste Lareymondie qui est d’avis que la sortie de l’euro n’est pas une solution adéquate a commenté l’article du Monde sur notre site. Nos deux amis n’ont pas la même approche. Nous nous réjouissons de ce débat légitime sur un sujet important pour l’avenir. Nous publions bien volontiers la réponse de Roland Hureaux à François de Lacoste Lareymondie, mais nous souhaiterions apporter pour nourrir cet échange quelques remarques et précisions à lire en fin d’article.

Consacrant un temps conséquent à répondre au texte collectif publié par Le Monde du 24/12/2011 intitulé « Pour un démontage concerté de l’euro », François de Lacoste-Lareymondie en mesure avec raison toute l’importance.

Précisons que, contrairement à ce qu’il imagine, le collectif est largement étranger à la haute fonction publique : il comprend cinq professeurs d’économie dont trois agrégés, l’un d’eux ayant longtemps présidé le jury d’agrégation, un industriel président du Club des N°1 mondiaux français à l’exportation et ancien membre du Comité de politique monétaire de la Banque de France, deux consultants. Il compte aussi trois énarques, mais l’un, inspecteur des finances, a pratiquement fait toute sa carrière dans le secteur privé, l’autre est devenu professeur, le troisième, auteur de la présente réponse, se consacre surtout à l’écriture. On ajoutera que le groupe de travail s’est réuni à la suite du Forum franco-allemand d’économistes qui s’est tenu à Lyon le 7 octobre.

Qui d’autre pourrait s’exprimer comme nous le faisons ? Chacun sait qu’il est aujourd’hui impossible à quelqu’un qui manifesterait une pensée dissidente sur l’euro (fût-ce avec la caution de la plupart des prix Nobel, à commencer par le regretté Maurice Allais ! )d’occuper de hautes fonctions dans l’Etat ou dans la banque, et même ailleurs : un autre auteur, ancien chef économiste du Medef fut licencié en 2005 après avoir annoncé qu’une grave crise financière allait éclater!

Si on laisse de côté l’anecdotique (la surcharge des billets ou le mot écu employé parfois comme équivalent d’euro), le premier point à préciser est qu’aucun des auteurs n’imagine un instant que l’euro soit la cause essentielle de la crise mondiale qui sévit depuis 2008 ; il est seulement un facteur de complication propre à l’Europe. Or c’est ce sujet qui est traité dans le texte, pas la crise mondiale. Il est probable que l’euro serait en difficulté, même s’il n’y avait pas de crise mondiale et que la crise mondiale aurait éclaté avec ou sans euro.

C’est au contraire les gouvernements européens, le français en particulier, qui laissent croire qu’en tenant des sommets de plus en plus rapprochés et de plus en plus dramatiques pour « sauver l’euro », ils sauvent le monde, ce qui est illusoire.

Crise de l’euro ou du surendettement 

Crise de surendettement : d’accord.

A condition de rechercher plus à fond les causes de ce surendettement : parmi elles, le fait que la mondialisation tire les salaires à la baisse dans le monde entier et que le capitalisme (comme dans les années vingt) rêve de consommateurs qu’il n’aurait pas à rémunérer; il y arrive un peu, dans les pays anglo-saxons par le crédit à la consommation, en Chine et en Allemagne par l’export ; mais cela n’a qu’un temps.

A condition aussi de dire ce que personne ne dit aujourd’hui et que le texte commence par rappeler avec force : il y a plus décisif à terme que le surendettement des Etats ou des particuliers, c’est celui des pays. Or un des effets inexorables de l’euro est un déséquilibre croissant des balances des paiements à l’intérieur de la zone. Comment en serait-il autrement si on considère les taux d’inflation intérieurs, non comme une donnée morale opposant des bons et des mauvais élèves, mais comme une donnée culturelle lourde, propre à chaque pays, et qu’il était parfaitement utopique , voire idéologique ( l’idéologie étant l’introduction indue de la morale là où seul le principe de réalité doit prévaloir) d’espérer harmoniser en dix ans les comportements des pays d’Europe en la matière ? C’est le contraire qui se passe : la compétitivité (productivité et prix) des pays de la zone euro diverge chaque jour davantage. Ces divergences, qui sont dans l’ordre des choses, étaient neutralisées autrefois par des ajustements monétaires et d’aucune autre manière ; dans la zone euro, elles n’ont pas de solution.

Dévaluation positive ou pas

Les amateurs de paradoxes, nombreux aujourd’hui dans les cercles décisionnels, ont beau jeu de dire que certaines lois fondamentales de l’économie ne s’appliqueraient plus, que par exemple une dévaluation ne stimulerait plus les exportations : c’est absurde. Justes ou pas, les dévaluations, quand elles étaient nécessaires, ont toujours eu des effets positifs sur la croissance (dernier exemple, spectaculaire : l’Argentine, ou, plus près de chez nous, la dévaluation du franc CFA en 1993, tant redoutée par les gouvernants africains, trop longtemps reportée et qui fut finalement un stimulant extraordinaire pour les pays concernés). La Chine, où on ne pense sans doute pas de manière si sophistiquée que chez nous, sous-évalue tant qu’elle peut sa monnaie pour accroître sa puissance le plus vite possible, faussant aussi gravement qu’impunément le jeu mondial.

Contrairement à ce que l’on dit trop, la France ne s’est pas abandonnée, depuis la guerre, aux facilités de dévaluations en cascade : le franc s’est réévalué par rapport à toutes les monnaies du monde sauf le mark (et le franc suisse), faisant sur la longue période jeu égal avec le dollar. La psychologie particulière du peuple allemand, traumatisé par l’expérience de 1923, en fait un cas à part plutôt qu’un modèle. Si d’ailleurs l’Allemagne avait tenté de rapprocher son comportement de la moyenne de la zone, peut-être l’euro aurait-il pu tenir un peu plus longtemps. Or elle a fait exactement le contraire, lui portant ainsi un coup fatal.

Qui paye le prix de la dévaluation 

Loin d’être une spoliation, un réajustementmonétaire est une opération-vérité (d’ailleurs généralement anticipée par le biais des taux d’intérêt ou aujourd’hui des spreads). Les monnaies dévaluées ayant été émises en plus grande abondance, l’un équilibre donc l’autre. Il en irait de même d’un démontage de l’euro,qui enlèverait l’illusion d’être plus riches qu’ils ne sont à certains pays.

Pas à la France : les calculs qui ont été faits par le groupe (et, déjà, par différents cabinets à travers le monde) montrent qu’elle serait le pays le moins affecté par l’opération car, pour elle, 1 franc nouveau serait égal à 1 euro, un peu plus pour le mark nouveau, moins pour les autres monnaies. Sa compétitivité serait améliorée par rapport à l’outre-Rhin, amoindrie par rapport au Sud.

Précisons enfin qu’à aucun moment, les auteurs n’ont voulu démontrer qu’il fallait sortir de l’euro. Cela n’est même plus une question pertinente. L’euro est voué à l’éclatement, qu’on le veuille ou non. Certaines multinationales s’y préparent déjà. Il est, dit-on, plus facile de sauter d’un train en marche que de monter dans un train à l’arrêt mais il faut peut-être songer à sauter du train en se faisant le moins mal possible quand on sait qu’il va vers le précipice. Ajoutons que le maintien de la valeur nominale des biens ( avec seulement un changement d’unité) serait une opération plus simple pour le public que ne le fut la division par 6.67 à l’entrée dans l’euro ; on a aussi des exemples de divorce monétaires très faciles, comme la Tchécoslovaquie. 

Spirale de récession

En voulant à tout prix sauver l’euro, nos gouvernants risquent au contraire d’aller vers de solutions folles. L’une est heureusement écartée par les Allemands : des transferts permanents et même croissants vers les pays les moins compétitifs comme la métropole française en effectuent, à petite échelle, vers l’outre-mer. L’autre, acceptée avec réticence par Berlin, s’amorce déjà : un recours massif à la planche à billets pour financer les déficits croissants des pays les moins compétitifs. On dit que la contrepartie sera une rigueur accrue, voire une mise en tutelle générale des finances publiques. Il faut savoir que de toutes les façons cela ne suffirait pas : pour rétablir les équilibres fondamentaux, il faudrait ainsi diminuer de moitié tous les prix et les salaires grecs ! Mais même si, comme c’est le plus probable, on ne la tient pas, cette rigueur pourrait néanmoins plonger toute l’Europe dans la récession. N’est-ce pas d’ailleurs commencé ? Il y a certes une spirale de l’inflation ; il y a aussi une spirale de la récession, comme le montrent la Grèce et le Portugal. Pour le coup, l’Europe demeurant le premier marché mondial, la crise de l’euro deviendrait la principale cause de la récession mondiale.

Même s’il rappelle qu’il n’y a pas de solution simple à la crise de l’endettement ( y en eut-il d’ailleurs jamais, en dehors de l’inflation ou de la guerre ? ), le vice-président de la Fondation de Service politique, propose une série de mesures : réduction des retraites et des traitements des fonctionnaires, défaillance partielle de certains débiteurs , de 50 % pour la Grèce ( ce qui est le chiffre de la dévaluation projetée du drachme dans notre plan) , qui sont précisément les effets qu’il redoute d’un réajustement des parités, jugé par lui injuste.

Dévaluer : juste ou injuste 

Injustice ? L’inflation est-elle plus injuste que le prêt à intérêt, condamné par toutes les grandes religions et a fortiori de que certaines pratiques du système financier international actuel qui tiennent du grand banditisme ? On peut en débattre. Loin d’être d’abord une spoliation des rentiers, l’inflation est, comme l’avait montré en son temps Alfred Sauvy, un transfert des personnes âgées vers les jeunes ménages. La crise démographique actuelle est ainsi inséparable, en particulier en Allemagne, de l’horreur de l’inflation qui se manifeste depuis le début des années quatre-vingt. Cette horreur étant en partie au fondement de l’euro, on voit comment celui-ci exprime, mieux que tout autre symbole, le déclin de l’Europe. Il l’exprime et il l’accélère : la gestion de l’euro par J.C.Trichet a aggravé partout la désindustrialisation.

Faut-il conserver un euro monnaie commune et non plus unique ? Le démontage de l’euro sera de toutes les façons un choc. Montrer qu’il n’est pas la fin de la coopération monétaire européenne, de pair avec le caractère ordonné du démontage, serait un signal positif adressé aux marchés, à même d’amortir la secousse, au moins dans sa dimension psychologique. Nostalgie du temps de Bretton-Woods ? Pourquoi pas ? D’autres l’ont bien de l’étalon-or. Entre 1945 et 1980 : taux de croissance record, forte natalité, pas de chômage, hausse continue des salaires réels, contrôle étroit du système bancaire, absence de dévergondages financiers, pas de grande crise! Qui dit mieux ?

Le démontage de l’euro ne serait sans doute pas le remède à la crise mondiale, mais il aurait le mérite de permettre aux Européens particulièrement les moins compétitifs, de regarder en face le réel et, par là, de repartir du bon pied.

 

Roland HUREAUX

 

Commentaire de la rédaction

Roland Hureaux comme François de Lacoste Lareymondie distinguent l’un et l’autre l’endettement d’Etat ou des particuliers et celui d’un pays. Il faut en effet souligner que l’endettement d’un pays n’est pas une réalité de même nature et de même portée que l’endettement d’un Etat ou d’un ménage : celui-ci est une dette contractuelle à rembourser selon un échéancier déterminé; l’endettement d’un pays n’est pas autre chose que la détention de la monnaie d’un pays par des étrangers, quels qu’ils soient et quelle qu’en soit la cause. Si ces étrangers ne veulent pas détenir la monnaie d’un autre pays, ils la changent contre une monnaie préférable, ce qui se traduit, si les taux de changes sont flottants, par une baisse de son cours ; sinon, la fuite devant cette monnaie finit par pousser à sa dévaluation. Les deux notions sont de nature différente, même si elles ne sont pas sans liens ; il est intellectuellement imprudent passer implicitement de l’une à l’autre car dette et déficit sont des réalités distinctes.

Un second point de désaccord entre François de Lacoste Lareymondie et Rolland Hureaux concerne les bienfaits et les risques d’une dévaluation. Roland Hureaux est plus optimiste que François de Lacoste Lareymondie. Pour Roland Hureaux, les dévaluations nécessaires « ont toujours eu des effets positifs », ce que conteste François de Lacoste. La vraie question est de savoir si une dévaluation est nécessaire. Tout dépend du point où l’on se trouve et du moment. La dévaluation, quand elle devient inévitable, n’est qu’un constat. Les effets positifs sont moins ceux de la dévaluation par elle-même que ceux des mesures correctrices prises pour remédier aux causes qui y ont conduit. Réalité d’autant plus brutale que les importations, renchéries par la dévaluation, sont moins élastiques que les exportations: tout dépend de la structure des échanges et de la structure économique. Le risque est donc de confondre le traitement symptomatique et le traitement de fond. Ce qui fut hélas très souvent le cas en France depuis la guerre sauf pour la grande réforme monétaire de 1958.

Roland Hureaux écrit aussi : « Loin d’être une spoliation, un réajustement monétaire est une opération-vérité (d’ailleurs généralement anticipée par le biais des taux d’intérêt ou aujourd’hui des spreads) »

Certes, les emprunteurs étrangers porteurs de devise nationale ont accepté un risque rémunéré par un taux d’intérêt, mais quand cette devise, c’est-à-dire leur créance, qui valait « x », ne vaut plus que « x-n » un lundi matin parce le gouvernement a décidé de dévaluer de « n », ils ont bien été spoliés. Outre la question morale que cela pose, le paradoxe du propos, est de démontrer le bien-fondé des taux de change flottants. Dans ce cas, en effet, la variation continue des taux de change compense la perte de valeur progressive de la monnaie faible. Mais c’est au détriment de l’émetteur qui doit payer des intérêts plus élevés. C’est la raison pour laquelle la dévaluation rampante ou brutale est refusée par les Allemands car elle est toujours payée par le pays qui y procède.

Quant à la question de la rigueur qui menace de plonger les pays dans une spirale de récession comme c’est aujourd’hui le cas de la Grèce, il ne semble pas que la sortie de l’euro puisse nous dispenser de faire les ajustements, autant dire les sacrifices nécessaires ! La question, à la fois économique et morale, est de savoir si, euro ou pas, nous continuerons à vivre et consommer à crédit, c'est-à-dire à reporter sur les autres, les porteurs non-résidents de nos créances que l'on spolierait de temps en temps et nos enfants à qui on transmet des dettes. De toute manière la cure de désintoxication sera douloureuse et nous ne pourrons pas nous en dispenser. Est-ce l’euro qui est en cause ou une certaine forme de libéralisme qui récuse toute politique industrielle et ne voit plus l’économie qu’au travers de la finance et de la monnaie ?

 

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