Article rédigé par Mario Toso SDB, le 06 janvier 2012
Le texte de Mgr Mario Toso SDB, que nous publions ci-dessous est dans le contexte actuel un texte très important. Son auteur n’est rien moins que le Secrétaire du Conseil pontifical Justice et Paix. Il fait suite à la note publiée par le Conseil Pontifical Justice et Paix le lundi 24 octobre intitulée :Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d'une autorité publique à compétence universelle.
La note du Conseil Pontifical avait, en effet, suscité au moment de sa publication quelques émois et divers commentaires critiques dont nous nous sommes faits l’écho.
En particulier, la question d’une autorité politique mondiale qui en était le point saillant a été diversement commentée. Des développements un peu plus longs eurent sans doute été nécessaires. Le caractère limité de la note qui portait sur une analyse de la crise et de ses causes et tentait de formuler quelques pistes de réflexion pour « une réforme du système monétaire et financier par la constitution d’une autorité publique à compétence universelle », ne l’a pas permis.
Que voulait dire la note ? Elle semblait aller beaucoup plus loin que la dernière encyclique sociale, Caritas in Veritate, de Benoît XVI qui elle-même s’inscrivait, sur le même sujet, dans la ligne de ses devancières Mater et Magistra et Pacem in Terris de Jean XXIII. S’agissait-il d’une « governance », simple autorégulation fruit de la collaboration plus ou moins spontanée des Etats, ou d’une institution technocratique et monocratique ?
Une fois de plus s’est posé le problème de la réception d’un texte du magistère. Ceux-ci sont reçus dans le contexte de la modernité politique et de l’idéalisme philosophique alors que le référentiel de l’Eglise demeure celui de la pensée classique. Des concepts clefs comme souveraineté, autorité, bien commun, pour ne citer que ceux-ci, ont besoin aujourd’hui de toute une herméneutique. C’est à cette explication de texte que se livre Mgr Toso dans ce document intitulé : « Réflexions sur la réforme du système monétaire et financier »
A ce point, il faut bien reconnaître que cette exégèse de la note du Conseil Pontifical Justice et paix dépasse largement le cadre de celle-ci. Le texte de Mgr Mario Toso est long, universitaire, très argumenté et demande une lecture attentive, mais nous pensons qu’en raison du contexte il apporte une contribution importante à la réflexion sur la crise mondiale actuelle. Nous la publions immédiatement, sans attendre la traduction que le Conseil Pontifical Justice et Paix va publier sur son propre site. Vous pourrez aussi lire dans la prochaine livraison de la revue Liberté Politique (à paraître en mars 2012) le dossier qui lui sera consacré ainsi qu’une traduction revue et corrigée avec l’accord du Conseil Pontifical.
Nous ne saurions trop conseiller à tous ceux, chrétiens ou non qui s’intéressent à l’enseignement de l’Eglise dans le domaine économique, politique et social, de lire avec attention le texte de Mgr Mario Toso. C’est certainement, aujourd’hui, une des réflexions les plus abouties sur la question de la gouvernance mondiale.
LP.com
REFLEXIONS SUR LA REFORME DU SYSTEME MONETAIRE ET FINANCIER
Nature de la déclaration du Conseil pontifical «Justice et Paix»
«Une petite erreur commise au début devient une grande erreur à la fin» enseigne Aristote.[1] Pour commencer, il semble donc utile de réfléchir sur la nature et sur la vocation de la Note offerte par le Conseil pontifical «Justice et Paix» à propos de la réforme du système monétaire et financier mondial.[2]
Puisqu' il s'agissait de choisir le genre de déclaration sur un thème important et crucial pour le développement intégral des peuples, il a été concordé avec les organismes compétents du Saint-Siège de ne pas opter pour l'élaboration d'une Note formellement adoptée par celui-ci, contrairement à il y a quelques années, lors de la Note sur la Conférence de l'Assemblée générale des Nations Unies à Doha,[3] elle aussi élaborée par les experts du Conseil pontifical «Justice et Paix». La raison en est que – pour des motifs évidents - le Saint-Siège n'aurait pas participé au G20 de Cannes qui, comme on le sait, s'est déroulé du 3 au 4 novembre 2011. Ainsi, la Note devait s'inscrire dans le cadre de simples réflexions rédigées par le Conseil pontifical, sous la responsabilité de celui-ci, et selon la compétence caractérisant un Dicastère dont l'une des finalités est de diffuser et approfondir la Doctrine sociale de l'Eglise, ainsi que de contribuer à son expérimentation.
Selon certains commentateurs, cela aurait limité l'importance de la déclaration, comme s'il s'agissait d'une expression marginale du Saint-Siège.
Certes, il faut relever qu'il ne s'agit pas d'un texte signé par le Souverain Pontife, comme le sont les encycliques ou le Message désormais traditionnel pour la Journée mondiale de la Paix. Et ce n'est pas non plus, comme on l'a dit plus haut, un texte-document officiel du Saint-Siège.
Il s'agit précisément d'une Note présentée par un Dicastère du Saint-Siège. Une Note qui, bien que n'ayant pas été formellement souscrite par d'autres organismes supérieurs, est le fruit de la pratique caractéristique des documents des Dicastères de la Curie romaine, qui prévoit une consultation préalable et permanente, ainsi que l'autorisation des organismes compétents du Saint-Siège. Cela afin de garantir la spécificité des rôles, en même temps que l'homogénéité de la pensée.
Ceci étant dit, il ne semble pas inutile de noter aussi que, pour être évalué correctement dans son autorité, un texte devrait être lu en tenant compte du rôle institutionnel du sujet qui le rédige. Toutefois, il doit surtout être jugé en vertu de son contenu, de sa cohérence avec le magistère de l'Eglise, de sa raison et de sa consistance par rapport au thème qu'il traite. Et c'est à ce niveau que s'est situé le Conseil pontifical, en élaborant une réflexion en accord avec sa compétence propre - morale et religieuse – et dans la fidélité à la Doctrine sociale de l'Eglise et au magistère de Benoît XVI.
Les raisons de la déclaration et la continuité avec l’encyclique «Caritas in veritate»
L’élaboration d'une Note – qui devait être brève et centrée sur un unique problème important – avait un but très simple[4] : il s'agissait d'offrir une série de réflexions approfondies, rédigées grâce à la contribution d'experts internationaux très compétents, et ayant pour objectif de développer l'analyse, le jugement et la programmation déjà esquissés dans Caritas in veritate (CIV)[5] quant à la crise des systèmes monétaires et financiers dans le contexte de la mondialisation.
Le Conseil pontifical y a été poussé en vertu de son engagement institutionnel, mais aussi de la durée de la crise économique et financière, et de la déclaration d'intention souscrite par les leaders du G20 célébré en 2009, où il était affirmé : «the economic crisis demonstrates the importance of ushering in a new era of sustainable global economic activity grounded in responsibility».[6]
C'est donc dans une telle perspective que l'on a voulu recueillir l'appel de Benoît XVI, selon lequel la crise actuelle :
«nous oblige à reconsidérer notre itinéraire, à nous donner de nouvelles règles et à trouver de nouvelles formes d’engagement, à miser sur les expériences positives et à rejeter celles qui sont négatives. La crise devient (...) une occasion de discernement et elle met en capacité d’élaborer de nouveaux projets» (CIV 21).
En outre, l'intention était d'approfondir ce que propose le Souverain Pontife au n° 57 (c'est-à-dire la nécessité d'une Autorité qui gouverne la mondialisation selon le principe de subsidiarité et de façon polyarchique) et au n° 67 (que nous reportons ici et qui est omis par certains parce qu'il exprimerait des contenus en contraste avec le paragraphe précédent) :
«Face au développement irrésistible de l’interdépendance mondiale, et alors que nous sommes en présence d’une récession également mondiale, l’urgence de la réforme de l’Organisation des Nations Unies comme celle de l’architecture économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au concept de famille des Nations, trouve un large écho. On ressent également fortement l’urgence de trouver des formes innovantes pour concrétiser le principe de la responsabilité de protéger et pour accorder aux nations les plus pauvres une voix opérante dans les décisions communes. Cela est d’autant plus nécessaire pour la recherche d’un ordre politique, juridique et économique, susceptible d’accroître et d’orienter la collaboration internationale vers le développement solidaire de tous les peuples. Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII. Une telle Autorité devra être réglée par le droit, se conformer de manière cohérente aux principes de subsidiarité et de solidarité, être ordonnée à la réalisation du bien commun, s’engager pour la promotion d’un authentique développement humain intégral qui s’inspire des valeurs de l’amour et de la vérité. Cette Autorité devra en outre être reconnue par tous, jouir d’un pouvoir effectif pour assurer à chacun la sécurité, le respect de la justice et des droits. Elle devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux. En l’absence de ces conditions, le droit international, malgré les grands progrès accomplis dans divers domaines, risquerait en fait d’être conditionné par les équilibres de pouvoir entre les plus puissants. Le développement intégral des peuples et la collaboration internationale exigent que soit institué un degré supérieur d’organisation à l’échelle internationale de type subsidiaire pour la gouvernance de la mondialisation et que soit finalement mis en place un ordre social conforme à l’ordre moral et au lien entre les sphères morale et sociale, entre le politique et la sphère économique et civile que prévoyait déjà le Statut des Nations Unies».
A l'intention de ceux qui entendent approfondir le sens des affirmations de la Doctrine sociale de l'Eglise, qu'il soit permis d'observer qu'à propos du concept d'autorité politique il est impossible d'extraire du corpus du magistère social une seule affirmation ou un seul paragraphe des encycliques. Dans le cas présent, le numéro 57 de CIV, qui a été mis en relief par certains journalistes et commentateurs, doit être lu et interprété en liaison avec le numéro 67 de la même encyclique. Et ce n'est pas tout. En outre, ces deux numéros doivent être mis en rapport avec Mater et magistra et Pacem in terris auxquelles CIV se rattache, ainsi que le suggère le passage rapporté ci-dessus, dans le but de relancer la perspective d'une Autorité politique mondiale.
La constitution d'une Autorité politique mondiale, l’angle de l’approche, les raisons du bien commun et de la justice sociale
CIV, dont le thème central est donné par le développement intégral dans le contexte de la mondialisation, énumère une série de raisons de type moral plus que «technocratique» qui, pour finir, postulent la constitution d'une Autorité politique mondiale. Comme il ressort du numéro 67 reporté plus haut, celle-ci doit être comprise au sens déjà indiqué par Jean XXIII dans Pacem in terris. C'est-à-dire non comme une simple governance, une sorte d'autoréglementation du secteur monétaire et financier, ou d'une réglementation fruit de la collaboration spontanée entre les principaux Etats, conformément à ce que certains exégètes improvisés des textes du Magistère social ont voulu nous faire croire. Et non plus dans le sens d'une super puissance technocratique et monocratique ; mais bien dans le sens d'une force morale, d'un principe unifiant et coordinateur supérieur ayant la faculté d'exercer le commandement suivant la raison, mais aussi d'être coercitif, en vertu d'un ordre moral et juridique auquel il s'efforce de s'adapter toujours plus afin de le traduire dans des décisions concrètes, indispensables pour réaliser le bien commun. Tel est le sens de l'expression "Autorité politique mondiale" à laquelle se réfère CIV.
Mais revenons-en à la série de raisons énumérées dans CIV pour justifier la constitution d'une telle Autorité. Si on relit la totalité de l'encyclique, la liste du numéro 67 pourrait s'allonger avec la référence au taux élevé de chômage, à la priorité du travail pour tous, aux objectifs du dépassement de la pauvreté et de la faim, à l'urgence d'une green economy et de l'universalisation d'une welfare society. Il est pris acte des contenus actuels du bien commun mondial de la famille des peuples de la terre et des exigences morales qui en découlent. Ce sont justement ces exigences - dont l'importance est accrue par le contexte de la mondialisation – qui postulent la promotion d'Institutions politiques et économiques qui, en dépassant les nationalismes, sont véritablement supranationales.
Autrement dit, l'émergence toujours plus évidente de biens collectifs mondiaux qui, par de nouveaux contenus, alimentent le bien commun de toute l'humanité – les souverainetés nationales individuellement n'étant pas en situation de le garantir et de le promouvoir, ni seules ni en formant des groupes spontanés - postulent une Autorité de dimension adéquate, qui dispose donc de nouveaux organismes, de nouvelles structures et de nouveaux agents de façon à pouvoir traduire dans la réalité ces biens collectifs et le bien commun mondial. Dans une telle perspective, dont les racines sont ancrées dans des exigences morales objectives clairement énoncées dans la Note, l'«autorité» et la «souveraineté» mondiales ne sont pas des entités absolues, étrangères au bien humain universel. Leur nouveau profil vient se dessiner non pas simplement comme un ouvrage d'ingénierie institutionnelle et bureaucratique, mais avant tout sur la base de l'importance de ces exigences morales, inhérentes à des sujets libres et responsables, qu'il s'agisse de personnes ou de peuples, qui ont pour but essentiel leur réalisation au plan humain, caractérisée par la transcendance horizontale et verticale. On trouve donc dans la Note un lien étroit entre la proposition d'une Autorité politique mondiale et le bien commun, vu, certes, comme l'ensemble des conditions sociales permettant aux individus, aux familles et aux peuples de se réaliser pleinement sur le plan humain.
A ce point, et à propos des conditions sociales, il vient spontanément à l'esprit de souligner que, parmi les raisons sollicitant la constitution d'une Autorité politique mondiale, on trouve particulièrement celles – d'ailleurs déjà bien exprimées dans CIV – de la réalisation d'une justice sociale mondiale.
La question de la justice sociale, qui se pose pour les différents problèmes liés aux biens publics de l'air, de l'eau et de la paix, se pose aussi en référence aux autres biens publics, ceux constitués par les systèmes économiques, monétaires et financiers. Par exemple, il y a les questions de justice posées par la libéralisation des marchés, la délocalisation des entreprises, la libéralisation du mouvement des capitaux qui, grâce aux nouvelles technologies télématiques, peuvent être transférés immédiatement d'un point à l'autre du globe, en échappant à toute sorte de contrôle de la part des autorités nationales ; il y aussi des problèmes comme les crises financières périodiques et mondiales, qui créent des dommages très importants à l'économie réelle et à la croissance, avec des retombées dévastatrices sur les plus faibles. Il faut prendre acte en particulier de ce que la question de la justice sociale doit être affrontée et résolue aussi bien dans le cadre des différents secteurs économiques qu'au plan mondial, et que les réponses obtenues doivent être proportionnelles à son extension pour ce qui est du revenu mondial des peuples, aujourd'hui réunis dans une unique communauté.
L’activité financière est une activité humaine et elle a une fonction sociale indispensable au niveau mondial également. Aussi ne doit-elle pas être laissée à elle-même, sans aucune intervention qui fournisse discipline et orientation au plan national et mondial, du fait que, comme le reconnaissent les experts mêmes du secteur, l'autorégulation ne fonctionne pas toujours.[7] En outre, une réflexion sérieuse est nécessaire – comme celle effectuée en son temps par Quadragesimo anno à l'occasion de l'effondrement de la bourse de New York en 1929 -, sur le caractère unitaire de l’économie mondiale et sur la mondialisation de l’économie sociale. A ce propos, nous ne devrions pas nous lasser de nous poser la question suivante : pour quelle raison, bien que l'on parle en permanence d'économie mondialisée, n'approfondit-on pas le thème de l'unité de l'économie mondiale, en mettant en évidence ses implications au plan de la justice sociale ? Cela est exigé par l'interdépendance toujours plus grande existant dans les politiques, les facteurs productifs, les secteurs économiques, l'usage des ressources et les salaires eux-mêmes, puisque la convenance à investir des capitaux là où le coût de la main d'œuvre est la plus basse déclenche, à l'échelle mondiale, une concurrence salariale et commerciale indue. En outre : comment se fait-il, qu'au plan de la destination universelle des biens matériels, techniques et qualitatifs, et des opportunités sociales et culturelles, l'urgence de réaliser la justice sociale dans les transactions financières et commerciales ne soit pas ressentie ?
Il est évident qu'il faut être cohérent, lorsqu'on admet le caractère unitaire de l'économie et de la finance, ainsi que leur fonction ou utilité sociale, face aussi aux crises récurrentes déterminées par la spéculation et par l'absolutisation du profit : une nouvelle architecture institutionnelle et juridique est nécessaire et urgente, une architecture qui puisse – avec des méthodes démocratiques, c'est-à-dire participatives et subsidiaires – réaliser la justice sociale dans le cadre du bien commun mondial, pour ce qui est de ses aspects distributifs et contributifs. Une Autorité politique mondiale est indispensable, capable de réaliser la justice sociale mondiale, face à la constatation que les autorités ou les souverainetés nationales sont caractérisées par leur dégradation et leurs disproportions.
La réalisation de la justice sociale au plan mondial est la prémisse et la condition pour un développement qualitatif et durable pour tous, en vue d'une paix sociale stable, largement compromise aujourd'hui par des inégalités considérables entre les riches et les pauvres. Selon certains économistes célèbres comme Joseph Stiglitz et Jean-Paul Fitoussi, ce sont ces facteurs qui seraient à l'origine de la récession actuelle.
Les bases morales de la souveraineté et de l’autorité mondiales sont le fondement d'une de leur conception polyarchique et démocratique
La tension au bien humain intégral, inscrite dans la conscience de tous les peuples et débouchant dans l'exigence de réaliser un bien commun mondial, nécessite, entre autre, de voir répudié le fait que l'économique et le financier englobent toutes choses, comme cela s'est produit lors de la dernière crise ; qu'ils soient ramenés à leur juste «mesure» anthropologique, éthique et sociale, au plan national et mondial ; que soit reconnue à la politique l'importante et noble tâche de coordination, de direction, d'encouragement et même de coercition - si nécessaire - qui est la sienne ; que la politique même, conçue comme l'art de bien vivre ou de la bonne vie sociale, selon les exigences du bien commun mondial, soit réalisée en étant subordonnée à la primauté ontologique et finaliste des personnes et des peuples. Une primauté qui demande l'intériorité, c'est-à-dire la primauté de leur union morale sur les institutions et sur les normes procédurales, celles-ci restant incontournables. Elle exige en outre de renoncer à une conception idéologique de souveraineté, qui alimente les isolationnismes et les nationalismes archaïques. La souveraineté ne peut pas se concentrer en un seul lieu, en générant une sorte de Super-Etat, de Léviathan technocratique, de concentration dangereuse de pouvoir monocratique. Elle doit plutôt être considérée comme une réalité fonctionnelle ou ministérielle, indispensable en vue de la réalisation du bien commun universel au niveau local et mondial, devant donc être modelée de façon subsidiaire, c'est-à-dire d'une manière flexible et réticulaire, suivant des termes d'autonomie et de liberté responsable, dans un contexte de solidarité.
Par rapport à l'actuelle situation, la souveraineté doit donc être «redistribuée» entre les Etats nationaux et les entités politiques régionales ou mondiales, suivant les nécessités historiques et, évidemment, ayant une valeur démocratique. Cela implique qu'en vue du bien commun universel, les Nations considèrent la nécessité de renoncer librement à exercer certaines prérogatives, pour les transférer à une souveraineté supérieure de plus justes dimensions.
De sorte que les souverainetés nationales doivent être conçues en termes non pas radicaux d'autonomie et d'indépendance, mais de communication et de réciprocité, comme des réalités interdépendantes, en rapport avec quelque chose de précédent. En effet, elles ont, inscrit dans leur essence relationnelle même, un principe d'autotranscendance vers la forme d'une souveraineté supérieure, qui les complète sans les nier, les suppose et les renforce selon le principe de subsidiarité, en les reliant et en leur permettant d'agir ensemble à un niveau transnational, dans le cadre d'une communion de principes coordinateurs et potestatifs.
Si l'on considère Pacem in terris et CIV, la question n'est pas simplement celle d'une Autorité mondiale et de son articulation institutionnelle. La constitution d'une Autorité mondiale doit être impérativement précédée par la constitution d'une société politique mondiale, c'est-à-dire l'unification des nombreux peuples en une conscience commune, ce qui suppose l'assomption de responsabilités, la volonté de collaborer – à travers des institutions et des règles procédurales partagées – à réaliser le bien commun mondial. Bref, le processus de constitution d'une Autorité politique mondiale ne peut pas se passer d'un mouvement démocratique de participation venant du bas. Cette constitution est liée à une démocratie universelle : une démocratie substantielle, participative, solidaire et ouverte à la transcendance.
La Note concentre son attention sur la crise des systèmes monétaires et financiers internationaux, pour lesquels CIV demande la réforme de l'architecture actuelle, en rapport avec la réforme de l'Organisation des Nations Unies. L’encyclique insiste sur le fait que les systèmes monétaires et financiers doivent être orientés vers le bien commun de la famille des Nations non seulement de la part des sujets monétaires et financiers – premiers responsables d'eux-mêmes - mais aussi de la part d'autres sujets sociaux, ainsi que d'une Autorité politique mondiale en tant qu'ultime responsable, mais non l'unique, du bien commun en question. Comme on l'a déjà vu, une Autorité politique à responsabilité universelle trouve l'une de ses raisons d'être justement dans l'existence et le fonctionnement adéquat des marchés monétaires et financiers qui, selon la Note, doivent être considérés comme un «bien public». C'est justement le «bien» constitué par des systèmes monétaires nationaux et internationaux – rendus aujourd'hui, par la mondialisation, plus interdépendants et reliés entre eux – qui exige la constitution non seulement d'une Autorité monétaire et financière internationale, mais aussi d'une Autorité politique mondiale, adaptée aux exigences des «biens publics», à une dimension supranationale. Les systèmes monétaires et financiers fonctionnant de façon adéquate sont des biens qui doivent être rendus accessibles à tous, conformément au principe de la destination universelle des biens.
Difficultés herméneutiques dans la réception
Certains ont vu la proposition de la Note quant à la constitution d'une Autorité politique mondiale comme «utopiste» ou du moins n'étant pas plausible pour l'instant, parce que considérée comme trop difficile à réaliser, au vu de la fragmentation actuelle du tissu international. D'autres l'ont jugée incompréhensible, voire nocive pour la démocratie, et même antithétique à elle-même. Ils considèrent en effet que le concept d'Autorité proposé par la Note n'est pas conciliable avec l'idée actuelle de démocratie. Ceux qui invoquent la constitution d'une Autorité politique mondiale ne voudraient pas la démocratie, presque comme si l'existence d'un principe unifiant et coordinateur – ayant des difficultés à commander selon la raison et à sanctionner selon le droit – venait heurter l'essence même des gouvernements démocratiques, qui décident leurs lois sur la base du principe de la majorité et du consensus social, en le détachant de son enracinement dans l'ordre moral en tant que réalité metaconsensuelle.
Ce sont des difficultés réelles de compréhension des contenus de la Note, qui ont émergé aussi pendant la conférence de presse au cours de laquelle elle a été présentée, comme pour démontrer la nécessité toujours plus aiguë de devoir soigner la communication des contenus de la Doctrine sociale de l'Eglise. A y voir de plus près, les difficultés subsistent car, désormais, la plupart de nos contemporains – outre le fait d'avoir perdu le concept traditionnel de bien commun – a perdu aussi la notion classique d'autorité, comprise en tant que faculté de commander selon la raison : c'est-à-dire en tant que force morale – et donc, non arbitraire et non irrationnelle – au service de la croissance en liberté et responsabilité des citoyens et des peuples, parce que «proportionnelle» à cette dignité humaine qui les caractérise en tant que personnes douées de la capacité de rechercher leur bien propre et celui d'autrui, et ce en toute liberté et responsabilité.
Bref, nos contemporains se réfèrent surtout à un concept d'autorité coïncidant en fait avec celui de pouvoir, issu de la doctrine politique moderne (cf. J. Bodin, Th. Hobbes, mais aussi J. J. Rousseau, bien que d'une manière différente, en partant de la perspective d'une démocratie gouvernée par la volonté générale), qui a contribué à hypostasier les concepts d'autorité et de souveraineté, les rendant indépendants de l'ordre moral. L'autorité et la souveraineté n'ont aucun compte à rendre à qui que ce soit, sinon à elles-mêmes. Elles ne reconnaissent aucun ordre supérieur. Chaque Etat individuellement se situe au-dessus de la communauté des Nations et de la loi morale.
Aussi est-il évident que, si on se rattache à un concept d'autorité qui s'identifie à un pouvoir arbitraire, centralisateur et qui absorbe toute autonomie, il est impossible de comprendre le sens de la proposition d'une Autorité mondiale sans tomber dans l'erreur. A ce sujet, se présente alors l'urgence de retrouver un concept plus adéquat d'autorité, au sens personnaliste et communautaire, qui réaffirme ses nombreux liens avec l'ordre moral, met en évidence sa valeur en tant que ministère et souligne sa connexion avec le pluralisme social et institutionnel : l'autorité existe pour être au service des libertés et des autonomies, pour les aider à grandir, et non pour les abattre ou les opprimer. L'élément méthodologique de la démocratie conféré par le principe ou le critère de la majorité retrouvera alors toute la mesure éthique qui est la sienne. C'est seulement de cette façon que l'autorité ne courra pas le risque de se retrouver à la merci de l'arbitraire de minorités ou majorités totalitaires. La rationalité et la conformité à l’ordre moral sont essentielles à l’autorité politique.
En fin de compte, la Doctrine sociale de l'Eglise, qui propose une Autorité politique mondiale, n'entend nullement avancer l'idée d'un centre de super-puissance irrésistible, tel un Moloch dominant sur toute chose, ou qui soit l'expression d'intérêts partiels, ôtant toute liberté, en assujettissant tous les sujets sociaux, niant leur droit d'initiative et les réduisant à de simples courroies de transmission d'une volonté supérieure et tyrannique, comme c'était le cas dans les Etats absolus.
La proposition avancée par la Doctrine sociale va vers la réalisation d'une Communauté et d'une Autorité politique mondiales, instituées d'un commun accord et non pas imposées par la force, mais fondées sur des principes démocratiques, structurées et agissant de façon subsidiaire. Autrement dit, leurs institutions devraient être modelées et activées sur la base de la représentation et de la représentativité, de la division des pouvoirs, d'un ordre juridique dans lequel soient fixés les rapports entre les personnes-citoyens, les sociétés religieuses, les familles, les corps intermédiaires et les pouvoirs publics des communautés politiques respectives ; entre les pouvoirs publics de chaque communauté ; entre les pouvoirs de chaque communauté politique et les pouvoirs publics de la communauté mondiale ; entre les pouvoirs publics de la communauté mondiale et les sociétés civiles, les organisations internationales gouvernementales et celles non gouvernementales. Le fonctionnement démocratique d'un gouvernement englobe aussi la méthodologie du critère de la majorité. Une condition préjudicielle est que les critères et les méthodes démocratiques soient informés des contenus moraux du bien commun mondial et de la justice sociale qui y est reliée.
Les pouvoirs publics de la communauté mondiale n'auront donc pas pour but de limiter la sphère d'action des pouvoirs publics des communautés politiques, et encore moins de remplacer ceux-ci ; au contraire, leur but sera de contribuer – au plan mondial - à la création d'un «milieu» dans lequel les pouvoirs publics des communautés politiques, leurs citoyens, les familles et les corps intermédiaires, de même que les sociétés religieuses, puissent assurer leurs tâches, respecter leurs devoirs, et exercer leurs droits avec la plus grande sécurité. En définitive, tout comme l'autorité politique nationale, l'autorité mondiale sera une autorité limitée, ou, pour mieux dire, elle respectera un ordre juridique qui sera normalement exprimé dans un texte constitutionnel ou un Statut, comme cela est prévu du reste dans les Etats libres de droit ; elle verra la participation de plusieurs institutions représentatives facilitant l'application du principe de l'autonomie sociale et politique des différents sujets sociaux ; elle sera décentralisée, parce qu'articulée sur plusieurs niveaux et «connectée» à plusieurs sujets sociaux (pluralisme social et institutionnel : Etats, Peuples, Organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales, sociétés civiles et acteurs non étatiques, comme par exemple les communautés religieuses).
La re-sémantisation de l’économie et de la finance, à travers la récupération d'une raison intégrale et du telos humain
La Note encourage la re-sémantisation de l'économie et, en particulier, de la finance. Il ne s'agit pas seulement de mettre en relief le côté intrinsèque et autonome de leur caractère éthique : un caractère éthique particulier, qui implique le critère de la gratuité et du don, et qui les caractérise dans leur essence même. Il s'agit surtout de les percevoir et de les saisir dans le contexte des autres activités de l'homme et, donc, en rapport avec la politique, la culture et la religion. L’identité de l’économie et de la finance ne peut pas être définie correctement si elle est détachée des personnes concrètes et historiques, de la multiplicité de leurs objectifs. En effet, l’économie et la finance n'existent pas en elles-mêmes, de façon abstraite, séparées des sujets qui les réalisent, hors des contextes sociaux, politiques, nationaux et supranationaux. La crise de la finance a vu le jour, et elle persiste, du fait que l'activité humaine correspondante est vécue dans un cadre culturel amputé, fragmenté, qui enregistre la désarticulation entre les biens-valeurs, et même là où il n'y a plus d'échelle hiérarchique, à cause d'un scepticisme gnoséologique et d'un relativisme éthique absolu. Manque alors une rationalité capable de coordonner et d'harmoniser les divers objectifs humains au sein d'un telos qui les ordonne en vertu du vrai et du bien parfaits, c'est-à-dire de Dieu. C'est pourquoi persistent le polythéisme des valeurs et les attitudes qui absolutisent le profit, l'instrumentalisation de la politique à la finance, en provoquant la destruction du bien commun et de la justice sociale inhérente.
Sans référence au telos humain, l’économie et la finance ne reconnaissent pas l'existence du bien commun, c'est-à-dire de cet ensemble de conditions sociales qui facilitent la réalisation de la plénitude humaine. Elles deviennent réfractaires à cette réalisation, ainsi qu'à un concept de justice sociale basé sur l'aspiration au bien propre et à celui d'autrui, avant qu'au consensus social.
Pour sortir de la crise financière et économique actuelle, de la spéculation sans limite qui endommage l'économie réelle et porte à la faillite les systèmes monétaires et financiers eux-mêmes, en érodant les systèmes de sécurité sociale et, en même temps, pour réaliser une re-sémantisation, il est nécessaire de retrouver une raison intégrale, prémisse d'une éthique amie de la personne et de son bien global, ouvert à la transcendance. En l'absence de Dieu, recherché et désiré comme le Bien suprême, vient aisément à manquer la référence qui permet d'insérer correctement la finance parmi les biens à réaliser selon un ordre hiérarchique.
La proposition d'une Autorité politique mondiale devant être réalisée progressivement
Quant au projet, c'est-à-dire l'indication de voies possibles de solutions, se rapportant au magistère social des papes, la Note du Conseil pontifical suggère que la mondialisation soit gouvernée à travers la constitution d'une Autorité publique à compétence universelle, sans constituer un pôle nouveau détaché de l'ONU actuelle mais à partir de la réforme de celle-ci. Dans le sillage tracé par Pacem in terris de Jean XXIII, cette perspective est proposée une nouvelle fois - de façon claire et déterminée – par Benoît XVI, au numéro 67 de CIV. Les réflexions du Conseil pontifical entendent la développer, en voulant par là esquisser les grandes lignes de suggestions pour la réforme des Institutions internationales actuelles, afin de les rendre plus compétentes et démocratiques. Elles doivent être l'expression d'un accord libre et partagé par tous les peuples, plus représentatives, avec davantage de participation et de légitimité, et impliquant le plus possible toutes les sociétés politiques et civiles. Elles doivent être super partes, au service du bien de tous, capables à la fois d'offrir une guide efficace et de permettre à chaque Pays d'exprimer et de rechercher son bien commun propre selon le principe de subsidiarité, dans le contexte du bien commun mondial. C'est seulement ainsi que les Institutions internationales parviendront à faciliter l'existence de systèmes monétaires et financiers efficients et efficaces, c'est-à-dire de marchés libres et stables, disciplinés par un cadre juridique adéquat, fonctionnels au développement durable et au progrès social de tous et s'inspirant des valeurs de la charité dans la vérité. L’Autorité mondiale ne devra ni écraser ni exploiter les Gouvernements nationaux ou régionaux. Elle devra comprendre la faculté qui est la sienne d'orienter, de décider et de sanctionner sur la base du droit, comme étant un service aux différents Pays membres, afin qu'ils développent et disposent des marchés non hyperprotégés par des politiques nationales paternalistes, et non affaiblis par des déficits systématiques des finances publiques et des Produits nationaux qui, en fait, les empêchent d'agir au niveau mondial en tant qu'institutions ouvertes et concurrentielles[8].
Le court texte du Conseil pontifical montre sans doute sa plus grande originalité lorsqu'il s'efforce de tracer certaines étapes et caractéristiques de la voie à suivre vers la constitution d'une Autorité économique à compétence universelle, spécialement en référence au milieu économique et financier.
La Note envisage avant tout un processus de réforme, appliqué en «ayant comme référence l'Organisation des Nations Unies, en raison de la dimension mondiale de ses responsabilités, de sa capacité de réunir les nations de la terre, et de la diversité de ses tâches et de celles de ses Agences spécialisées».[9]
En outre, elle invoque un saut net de qualité pour les institutions existantes. Il est nécessaire d'innover par rapport à l'actuelle ONU, aux institutions de Bretton Woods,[10] au G8, au G20, et à d'autres encore. En particulier, il faut passer résolument d'un système de governance, de simple coordination horizontale entre les Etats en l'absence d'une Autorité supérieure, à un système qui, en plus de cette coordination horizontale, dispose d'une Autorité super partes ayant la faculté de décider selon une méthode démocratique, et de sanctionner en étant conforme au droit. Le Conseil pontifical explique qu'un tel passage vers un Gouvernement mondial ne peut avoir lieu qu'en donnant une expression politique aux interdépendances et coopérations déjà existantes. Donc, sans abandonner la pratique du multilatéralisme, que ce soit au niveau diplomatique ou dans le cadre des programmes pour le développement durable et pour la paix.[11]
Selon les réflexions du Conseil pontifical, bien que représentant un pas en avant, l'élargissement actuel du G7 au G20, - organisé aussi selon d'autres modalités qui, dans les orientations que doivent assumer l'économie et la finance mondiales, impliquent davantage la responsabilité des Pays à plus dense population, en voie de développement et émergents – ne coïncide pas encore avec l'objectif souhaité. C'est une solution encore inadéquate et insatisfaisante. En effet, malgré les changements appréciables survenus dans sa composition et son fonctionnement, changements clairement reconnus dans la Note,[12] le G20 ne répond pas totalement à la logique de représentation démocratique des peuples et des Etats membres à laquelle les Nations Unies sont appelées à tendre toujours plus. Les Etats composant le G20 ne peuvent pas être considérés comme représentatifs de tous les peuples. Bien qu'élargi, le G20, qui, comme on le sait, ne fait pas partie de l'ONU, est toujours un forum informel et limité qui, entre autre, manifeste de perdre de son efficacité à mesure que le nombre de ses membres augmente. Dans l'état actuel des choses, au G20 manquent une légitimation et un mandat politique lui venant de la Communauté internationale. Il faut ajouter à cela que, si la situation devait se poursuivre, le G20 risquerait de délégitimer ou de remplacer de fait les Institutions internationales – comme le Fond Monétaire International ou la Banque Mondiale – qui, bien que nécessitant des réformes profondes, semblent avoir la capacité de représenter tous les Pays – et pas seulement un nombre restreint d'entre eux – et ce, d'une manière institutionnelle.
Ce qui, donc, devrait être réalisé au plus vite, selon les affirmations aussi des leaders du G20 eux-mêmes dans la Déclaration finale de Pittsburgh de 2009, c'est de disposer d'une pensée politique plus adéquate pour pouvoir finalement entamer la réforme de l’«architecture globale» et affronter les exigences du bien commun du XXIème siècle, qui ne peuvent être différées. Cela, «en parcourant des voies créatives et réalistes tendant à mettre en valeur les aspects positifs (des institutions et) des forums qui existent déjà »,[13] en les améliorant dans le cadre de l'instauration de structures et de modalités typiques d'une compétence universelle, selon les principes de la représentativité mais aussi de la solidarité et de la subsidiarité. A propos des problèmes de nature économique et sociale au centre des réflexions du Conseil pontifical, on pense, par exemple, au Conseil économique et social (ECOSOC) lui-même qui, bien que favorisant une activité de coordination – sous l'égide de l'Assemblée générale des Nations Unies - n'a ni l'autorité ni la fonction d'un gouvernement.
Il est certain que de telles perspectives exigent prudence et gradualité. En même temps, il ne faut pas renoncer à la décision que comporte le fait de poursuivre des objectifs dont la réalisation conditionne le bien commun mondial. Parmi ceux-ci, signalons : a) promouvoir, dans le contexte des Institutions internationales existantes – en particulier les Nations Unies – et dans la cohérence avec leurs Etats, la jonction entre la sphère politique et la sphère économique et civile dans le cadre des relations mondiales ; b) réformer les Institutions internationales actuelles,[14] par exemple le Conseil économique et social déjà cité,[15] pour donner naissance à un contrôle monétaire mondial effectif, en mettant en discussion les systèmes de change existants et en impliquant aussi dans ce processus les Pays émergents et en voie de développement, pour définir les étapes de la démarche. En recherchant, en outre, les possibilités permettant de réaliser un Organisme ayant les fonctions d'une sorte de «Banque centrale mondiale», afin de régler le flux et le système des échanges monétaires, à la manière des Banques centrales nationales, en redécouvrant la logique de fond – logique de paix, de coordination et de prospérité commune – qui a conduit aux Accords de Bretton Woods;[16] c) au plan régional, il est nécessaire de promouvoir un processus analogue, en mettant en valeur le rôle des Institutions existantes. Au niveau européen, par exemple, la Banque Centrale Européenne pourrait servir de référence, en y faisant toutefois correspondre des Institutions politiques de dimensions adéquates, en vue d'une plus grande unité et efficacité dans les décisions.
Dans tous les cas, et à propos de ce qui vient juste d'être mentionné, ce qui est nocif selon la Note dans l'optique de la réalisation de conditions financières et monétaires utiles à la croissance de tous les peuples au niveau mondial, est surtout le fait de retourner à la primauté de la politique sur l'économie et sur la finance. Dans les courtes réflexions présentées ici, on peut lire :
«... il est nécessaire de retrouver la primauté du spirituel et de l'éthique et, en même temps, de la politique – responsable du bien commun – sur l'économie et la finance. Celles-ci doivent, au vu de leurs responsabilités évidentes envers la société, être ramenées dans les limites de leur vocation et de leur fonction réelles, y compris celle sociale, afin de donner vie à des marchés et des institutions financières qui soient véritablement au service de la personne, c'est-à-dire capables de répondre aux exigences du bien commun et de la fraternité universelle, en transcendant toutes les formes de stagnation économique et de mercantilisme».[17]
En cohérence avec l'engagement de la politique à orienter les systèmes financiers et monétaires vers la réalisation du bien commun, le Conseil pontifical suggère en exemple trois voies possibles sur lesquelles réfléchir : a) des mesures de taxation réduite et juste dans les transactions financières ; b) des formes de recapitalisation des banques, selon des conditions à fixer ; c) la distinction entre les activités de crédit ordinaire et celles d' Investment banking: actuellement, ces dernières sont réalisées sans aucune limite ni contrôle.
L'Union Européenne a exprimé une opinion positive tout récemment pour ce qui est du point b).
Voilà donc brièvement quelques grandes lignes du programme, élaboré à partir de la réflexion en question et qui devrait être pris en charge non seulement par les responsables les plus directs du bien commun au plan national et supranational, mais aussi par ceux qui, souvent dans les Universités et les Instituts culturels, sont appelés à former les classes dirigeantes de demain.
Conclusion
Par tout ce qui a été dit jusqu'ici, la Note du Conseil pontifical, qui encourage la réforme du système financier et monétaire international dans la perspective de la constitution d'une Autorité publique à compétence universelle, ne veut nullement proposer une superpuissance monocratique et irrésistible, ni même condamner les aspects positifs de la pensée libérale, puisqu'elle reconnaît la liberté des marchés et leur valeur en tant que biens «publics» - contrairement à ce que certains commentateurs ont insinué, les positions de la Note étant bien différentes de celles du marxisme collectiviste -, biens nécessaires à la réalisation du bien commun mondial. Elle n'entend pas renforcer le bureaucratisme et les gestions instrumentales entre les mains d'un petit nombre, qui se sont souvent installées et persistent dans les Institutions internationales actuelles, et qui, hélas, assument une fonction de «dissuasion» s'opposant à l'idéal de la constitution d'une Autorité publique à compétence universelle. Le fait que les Institutions supranationales présentent de tels défauts ne doit nullement décourager et faire renoncer à l'intention de travailler pour leur réforme dans un sens plus démocratique et davantage partagé au plan de la gestion. Ainsi, un tel processus ne doit pas être ralenti par le fait que, dans diverses régions, par exemple en Asie, on se heurte à d'importantes difficultés culturelles ainsi qu'à des intérêts nationaux opposés, qui n'autorisent que de faibles formes d'intégration entre les Etats au niveau économique véritablement insuffisantes à supporter une coopération solide au plan politique. Aussi les responsables politiques et les différentes Institutions culturelles et religieuses doivent-ils se mobiliser davantage, contribuant à former une nouvelle vision des choses, une nouvelle mentalité et une nouvelle conscience entre les peuples de la terre, en investissant surtout sur le fait de prendre acte de l'existence d'un bien commun mondial et de la fraternité qui unit tous les hommes en une unique famille.
La proposition du gouvernement de la mondialisation à travers une Autorité publique à compétence universelle, démocratique et légitimée par tous les peuples, a ses racines particulièrement dans les exigences du bien commun mondial et de la justice sociale inhérente.
Ce que suggère la Note au plan de l'articulation des structures, des Institutions et des règles est donc motivé principalement au niveau des raisons morales, ainsi qu'à celui des opportunités historiques offertes par la mondialisation. Il n'est fait que mention de l'aspect technique et des profils plus pratiques, avec la conscience que leur configuration est laissée aux experts des Institutions internationales et dépend, pour finir, de la volonté des peuples, mais aussi de la discussion publique.
La Note ne fait pas de «futurologie», en imaginant quel peut être le résultat final. Elle rappelle simplement les raisons qui réclament la réforme urgente de l'architecture institutionnelle supranationale, par ailleurs précédemment souhaitée par le G20 lui-même à Pittsburgh. Il s'agit de redonner sa dimension au Léviathan économique qui, en fait, existe déjà en tant que superpuissance organisée au plan supranational, et qui tyrannise souvent les Nations.
En définitive, la Note met en lumière le fait que, si les exigences éthiques du bien commun mondial sont méconnues – ce bien qui doit être particulièrement attentif aux conditions des plus démunis –, ainsi que celles de la justice sociale mondiale et du principe de la destination universelle des biens, il est difficile de comprendre les motivations conduisant à vouloir constituer une Autorité politique mondiale, dans le sens proposé par la Doctrine sociale de l'Eglise.
+ Mario Toso SDB
[1] Cf. De coelo et mundo, I, 5, 271b 8-10.
[2] Cf. Conseil Pontifical «JUSTICE ET PAIX», Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d'une autorité publique à compétence universelle, Typographie Vaticane, Cité du Vatican 2011.
[3] Cf. Conseil Pontifical «Justice et Paix», Un nouveau pacte financier international, 18 novembre 2008. Note sur finance et développement en vue de la Conférence organisée par l'Assemblée générale des Nations Unies à Doha, Typographie Vaticane, Cité du Vatican 2009. Avant cela, le Conseil s'était déjà intéressé aux crises financières récurrentes et à la nécessités de nouvelles institutions et avait publié les textes suivants : ANTOINE DE SALINS-FRANÇOIS VILLEROY DE GALHAU, Le développement moderne des activités financières à la lumière des exigences éthiques du christianisme, Typographie Vaticane, Cité du Vatican 1994; Social and Ethical Aspects of Economics, Actes du Ier Séminaire d'économistes organisé le 5 novembre 1990 au siège du Conseil Pontifical «Justice et Paix», Vatican Press, Vatican City 1992; World Development and Economic Institutions, Actes du IIème Séminaire d'économistes organisé le 4 janvier 1993, Vatican Press, Vatican City 1994. Ces deux Séminaires ont été possibles grâce à la collaboration des Prof. Ignazio Musu et Stefano Zamagni, experts du Conseil Pontifical.
[4] La Note n'entendait pas recenser toutes les causes, mais plutôt analyser surtout celles de type anthropologique et éthique, avec une attention spéciale à celles de type idéologique, dans la ligne indiquée par CIV.
[5] Cf. Benoit XVI, Caritas in veritate, Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 2009.
[6] Cf. Leaders’ Statement, The Pittsburgh Summit, September 24-25, 2009; Annex, 1: «La crise économique prouve l'importance d'entamer une nouvelle ère de l'économie mondiale basée sur la responsabilité».
[7] Cf., par exemple, T. Padoa-Schioppa, Regole e finanza. Contemperare libertà e rischi, Il Mulino, Bologna 2011, p. 97-118.
[8] Cf. Pour une réforme du système financier et monétaire international, p. 24-25.
[9] Cf. ib., p. 27-28.
[10] S'ils ont su, dans un premier temps, répondre à la situation successive à la Deuxième Guerre Mondiale, le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale semblent avoir perdu progressivement le mandat et la vocation universels implicites dans les Accords de Bretton Woods dont ils étaient le fruit. En définitive, ils n'ont pas été capables de garantir l''objectif de la stabilité monétaire et financière, ainsi que celui d'un développement économique adéquat, de façon à vaincre les situations de pauvreté et d'inégalité – ou du moins à leur donner une nouvelle dimension significative. Ils les ont même souvent aggravées, en contribuant par ailleurs à réduire considérablement leur propre crédibilité internationale.
[11] Cf. Pour une réforme du système financier et monétaire international, p. 28-29.
[12] Cf. Ib., p. 31-32.
[13] Ib., p. 33.
[14] A maintes reprises, les Nations Unies se sont déclarées prêtes à des réformes profondes, à partir de celle du Conseil de Sécurité. Toutefois, il est clair qu'il n'existe aucun consensus mondial à ce sujet. En outre, il est à noter qu'il n'y a encore aucune Agence des Nations Unies pour faire face aux problèmes mondiaux de grande importance. Il suffit de penser, par exemple, au problème de l'environnement pour lequel, il n'est prévu qu'un seul programme spécifique, l’UNEP, au niveau des Nations Unies. Et encore : au problème du commerce international pour lequel il existe, certes, un forum spécifique – l'OMC – qui n'est toutefois pas une Agence des Nations Unies, avec laquelle elle n'entretient qu'un rapport de collaboration. Il faut aussi penser aux questions du désarmement et du contrôle des armements, ainsi qu'aux graves problèmes rencontrés par la Conférence sur le désarmement. Celle-ci aussi est un forum externe aux Nations Unies. Et enfin, à la promotion et à la protection des droits fondamentaux de l'homme, et aux difficultés rencontrées par le Conseil des Droits de l'Homme.
[15] Pour ce qui est de surmonter l'actuelle disproportion des Institutions internationales, il est bon de signaler aussi ici - outre les différents appels qui ont suggéré l'évolution de l'ECOSOC - la proposition formulée par la Commission internationale d'experts nommée en 2009 par l'Assemblée générale des Nations Unies et présidée par Joseph Stiglitz, Prix Nobel pour l'économie, à propos de la réforme du système monétaire et financier international. La proposition dépasserait le G20, du fait qu'elle demande la création d'une nouvelle Institution représentative mondiale qui, dans le rapport de la Commission Stiglitz, est appelée «Conseil pour la Coordination économique mondiale». Une telle Institution devrait non seulement coordonner les Agences spécialisées et les programmes des Nations Unies, mais aussi assurer la coordination relative aux stratégies des Institutions financières internationales (FMI et Banque Mondiale) et de l'OMC, Institutions qui devraient être représentées de façon appropriée dans le Conseil.
[16] Dans la perspective de réformes créatives et réalistes, suggérée dans les réflexions du Conseil pontifical, les Institutions existantes (FMI et Banque Mondiale) – avec vocation de gouverner – ne devraient pas être supprimées. Elles devraient être réformées en profondeur, selon une perspective assurant la primauté de la politique et de l’autorité publique sur l’économie et les sujets privés. Plus spécialement, la réforme nécessaire consistera à augmenter la légitimité, en réduisant – par exemple – le pouvoir de veto des grandes puissances, et en reconnaissant à tous les Pays – et non seulement aux Etats-Unis et à l'Europe – le droit d'élire les principaux dirigeants du FMI et de la Banque Mondiale. Il sera aussi nécessaire d'assurer que les Organisations monétaires régionales, qui en tant que telles se sont multipliées au cours des dernières années, soient représentées de façon plus adéquate dans ces Institutions.
[17] Pour une réforme du système financier et monétaire international, p. 34-35.