La Passion sur les écrans : mais qui est Mel Gibson ?
Article rédigé par Nicolas Bonnal, le 27 février 2004

L'industrie du cinéma est un paradoxe ambulant : d'un côté elle doit créer des modèles pour formater les individus, ce qu'elle s'applique à faire avec la plus parfaite constance. Mais de l'autre elle doit offrir du rêve ; et elle permet à des individus hors norme d'afficher haut et fort leur couleur.

Rien ne prédisposait Mel Gibson à devenir une des stars les plus puissantes du monde. Son père est un catholique réactionnaire d'origine irlandaise. Horrifié par l'évolution étasunienne au cours des années 60, il fuit en Australie, alors Eldorado des frères prêcheurs et des aventuriers en fuite de la société de consommation. Il gagne de l'argent en triomphant dans des jeux TV parce qu'il sait tout, autodidacte surdoué. Il rédige, dit-on, des tracts contre le concile de Vatican II. Mel Columbcille est élevé comme un catholique du Moyen Âge. Mais il est beau et choisit de devenir acteur. Lorsqu'il se marie, sa jeune femme est déjà enceinte. Et sa fille Hannah a décidé de consacrer sa vie à Dieu il y a peu, sous les sarcasmes de la bonne presse émue par les turpitudes du princes William.

Deux des premiers films de Mel Gibson le font connaître à vingt ans : Gallipolli, de Peter Weir qui narre sur fond New Age, course à pied, et musique de Jean-Michel Jarre, les souffrances des appelés australiens lors de la désastreuse campagne des Dardanelles ; et bien sûr Mad Max. Film sur la fin du monde mais pas de la famille. Max est un jeune policier en cuir noir du bush australien, un jeune père de famille heureux, brutal et silencieux. La famille de Max est exterminée et le flic noir se venge au volant d'une voiture de course qui croise sur les highways de la Terre Gaste australienne.

L'homosexualité des méchants est à peine masquée, elle est encore plus patente dans le deuxième épisode — et Mad Max, qui évoque l'idéologie néo-sécuritaire des pays anglo-saxons, est taxé de néo-nazisme par la critique. C'est un succès mondial. Le deuxième épisode de la série fait allusion à une guerre permanente pour les ressources pétrolières... Des communautés civilisées sont attaquées par des barbares sado-maso et défendues par le preux chevalier.

Une autre série va consacrer les succès de Mel Gibson : l'Arme fatale. Un ancien du Vietnam traumatisé par la mort de sa femme se fait l'ami d'un père de famille noir avec qui il fait équipe pour sauver l'Amérique du crime. Le deuxième épisode de la série est plus consensuel, décrivant un consul sud-africain trafiquant des faux billets... Le jeu de balancier est là depuis le début dans l'épopée cinématographique de Mel Gibson. Un coup à droite avec Forever young, le patriote ; un coup à gauche avec Ce que pensent les femmes.

En 1995, Mel Gibson qui a fondé sa société de production, Icon, passe de l'autre côté de la caméra et réalise Braveheart, le film aux cinq oscars. Une grande aventure médiévale qui conte la tragédie d'un héros de la résistance écossaise face à l'éternel envahisseur anglo-saxon. Les foules entendent le mot Liberté, les autres devinent le mot Nation. Le héros William Wallace est pris, torturé par les Anglais, il meurt au cours d'une passion publique (il fut émasculé, démembré puis décapité) qui en annonce une autre. On sent chez Gibson une prédisposition à jouer des héros torturés.

Le scénariste de Braveheart est un homonyme qui va réaliser pour Mel Gibson un autre film de guerre sur le Vietnam, Nous étions des guerriers. Le colonel joué par Gibson prie le dieu des catholiques de lui accorder la victoire sur les païens d'Asie du Sud-Est. On dit que le film fut projeté a la Maison Blanche devant le président Bush. Riche à centaines de millions de dollars, Gibson produit un film fantastique chrétien, the Blessed Child- l'Enfant béni, qui décrit le combat d'une enfant blonde, élue contre le Diable en personne.

Dans le Patriote, il reprend le combat contre l'Anglais qui brûle femmes et enfants dans une église de campagne. On y voit poindre un chevalier français, comme on voyait poindre Isabelle de France dans Braveheart, parée de toutes les vertus : humanité, courage, beauté. Le Patriote est contesté par les Afro-américains et par les Britanniques. C'est encore un succès.

Gibson gagne de plus en plus d'argent. Ce que pensent les femmes, hymne au politiquement correct de féminisme ambiant, marche bien. Il aurait pu s'arrêter là et fumer de gros cigares en produisant de gros budgets. Mais il ne s'arrête pas.

La star, qui dispose de sa chapelle privée dans sa maison de Malibu, veut produire et réaliser son film sur la Passion de Notre Seigneur. Est-ce le pas de trop ? La presse se déchaîne, le New York Times en tête, qui accuse le père de Mel de négationnisme et d'extrême-droitisme. On écrit que Mel Gibson voudrait tuer le chien du journaliste anglais qui décrit ses crimes de lèse-pensée à foison. Le rabbin Foxman taxe — on a envie d'écrire trop vite — le film d'antisémitisme et voilà lancée une campagne de diffamation mondiale, bien sûr relayée par les médias français, qui ont déjà fort affaire avec d'autres artistes, Houellebecq, Dantec et même le bouffon Dieudonné.

Gibson tient bon, il remanie les images contestées de son film — celles qui ne concerne que la Passion et pas le message libérateur du Christ. Il tourne à Cinecitta pour un budget raisonnable (25 millions de dollars) avec un casting international. L'actrice israélite Marie Morgenstern qui joue le rôle de Marie défend le film à la télévision américaine : ne jetez pas la pierre trop vite, dit-elle.

Gibson aime l'émotion forte, les effets appuyés, il aime le ralenti, l'image léchée de Caleb Deschanel (chef lumineux du Patriote ou de l'Étoffe des héros), et surtout il veut nous faire ressentir la souffrance vraie du Christ. Le film est apparemment un chef d'œuvre qui dispose du soutien de nombreux évêques américains et de cardinaux de la Curie. Sorti le jour du mercredi des Cendres aux États-Unis, il est diffusé dans 4000 salles, au lieu des 2500 initialement prévues. Mais peine à trouver un diffuseur en France. Les chiens aboient, la caravane passera.

TEMOIGNAGE

"J'ai vu La Passion de Gibson"

Philippe Ollivier vit aux Etats-Unis depuis cinq ans. Il a vu le film de Mel Gibson le jour de sa sortie, mercredi des Cendres, et raconte à Décryptage.

"Nous sommes allés hier soir voir le film de Mel Gibson dans notre cinéma de quartier à Los Angeles. Toutes les places avaient été retenues à l'avance, les gens faisaient la queue depuis une heure pour être bien placés.

"Au bout de quelques minutes, les mangeurs de popcorn ont arrêté de mastiquer et, pendant toute la durée de la séance, le silence le plus complet... entrecoupé de sanglots.

 

"A la dernière scène, la salle a applaudi et s'est levée. Du jamais vu !

En une soirée - fait exceptionnel le film est sorti un mercredi au lieu du vendredi (plus porteur en termes de business ) - le film a fait plus de US $ 26 millions, un record.

"Les spectateurs venaient de tous les milieux, de toutes les origines ethniques.

"L'immense majorité des spectateurs estiment que ce film affermit leur foi.

"Et je puis vous dire que le succès du film ne ralentit pas, la foule se presse toujours comme au premier jour."

Ph. Ol.

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