Article rédigé par Thibaut Dary, le 03 juin 2011
Liberté Politique a recueilli le témoignage d'un professeur de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT), enseignant en lycée public depuis plus de 15 ans, catholique pratiquant, qui aura à appliquer le nouveau programme des classes de 1ères L et ES à partir de la rentrée 2011. Il explique ce qui change, et ce qui l'attend avec ses élèves dès septembre prochain.
Un nouveau programme de SVT est prévu pour la rentrée 2011 en classe de 1ère L, ES et S. Que va-t-il modifier au programme actuel ?
Le programme actuel de SVT en classe de 1ère L et ES nous demande d'aborder chaque année deux thèmes en commun avec la physique-chimie, et d'en choisir un troisième parmi trois possibles en SVT, qui sont la procréation, le génotype et le phénotype, et l'origine et l'évolution humaines. Ce qui signifie qu'au cours d'une année, la reproduction n'était pas forcément traitée. Désormais, elle sera étudiée chaque année, avec deux évolutions principales.
Lesquelles ?
La première nouveauté, c'est la question de la sexualité et du plaisir, avec la notion du circuit de la récompense : on sort d'une approche strictement hormonale et reproductive. La seconde, c'est la mention explicite d'une différence à faire entre identité et orientation sexuelles. Ce chapitre du programme était appelé Procréation dans le programme en vigueur jusqu'à aujourd'hui. Désormais, le chapitre est baptisé Féminin, masculin , ce qui est une évolution révélatrice.
Pour être plus précis, quel était jusqu'à présent le contenu du programme sur la question de la sexualité ?
Jusqu'à aujourd'hui, l'enseignement scientifique sur cette question est orienté vers la contraception, la protection contre les IST (infections sexuellement transmissibles), et l'assistance à la fertilité (PMA).
C'est tout de même un contenu qui offre une grande porosité aux débats idéologiques contemporains, non ?
C'est vrai, même s'il s'agit d'abord d'en comprendre les mécanismes. On aborde normalement d'abord ces questions sous l'angle biologique.
Est-il normal qu'un programme change ainsi ?
Oui, les évolutions de programme sont classiques. Elles se font selon des cycles réguliers d'environ 8 ans, pour tous les niveaux et dans toutes les matières. Le cycle qui s'achève actuellement date du début des années 2000 en SVT.
Comment se prévoit l'évolution d'un programme ?
Cela se joue sur deux années : les professeurs sont consultés au cours d'une année N, et peuvent faire remonter leurs remarques et propositions, qu'il s'agisse du contenu de l'enseignement ou de sa faisabilité. Ces remarques sont ensuite traitées par le Ministère de l'Education nationale, qui publie un Bulletin officiel au début de l'année N+1, durant laquelle des livres scolaires sont préparés par les éditeurs, pour être mis en service dans les classes à partir de la rentrée de l'année N+2.
Le programme de 1ère de la rentrée 2011 a été annoncé fin septembre 2010. Logiquement, le programme de Terminale S changera aussi à partir de la rentrée 2012, selon des instructions qui seront définitivement connues à la rentrée 2011, et qui auront été recueillies au cours de l'année qui se termine.
Cela signifie-t-il qu'en biologie, il n'y a pas des fondamentaux intangibles ?
Disons que les questions abordées sont dépendantes des spécialités qui existent dans le groupe de création des programmes, mais aussi des questions de sociétés d'actualité. Un géologue cherchera par exemple à faire réfléchir à la question des ressources énergétiques, et l'on a vu les programmes s'ouvrir à la promotion des comportements éco-responsables. De même, la question de l'immunité avait failli disparaître du programme il y a quelques années et la consultation des professeurs a conduit à la réintroduire, évidemment en lien avec la diffusion du SIDA.
Quelle a été votre réaction quand vous avez pris connaissance du Bulletin Officiel de septembre 2010, évoquant le programme à appliquer à partir de la rentrée 2011 ?
L'intrusion de la théorie du Gender m'a sauté aux yeux, même si j'ai peut-être un regard plus averti que mes collègues, pour qui la distinction entre identité sexuelle et orientation sexuelle est quelque chose qui semble tout à fait normal, alors qu'en ce qui me concerne, je crois à l'unité de la personne. Il y a une pression très forte et très disproportionnée du lobby homosexuel pour déconnecter le corps des pratiques sexuelles, et légitimer ses options.
Venons-en à cela : concrètement, on distingue trois notions dans les instructions ministérielles, qui parlent d' identité sexuelle , de rôle sexuel , et d' orientation sexuelle . Qu'est-ce qui vous paraît figurer à sa place dans un cours de SVT ?
L' identité sexuelle , c'est évidemment la partie biologique, avec la description des corps de l'homme et la femme, et de leur interaction. Dès que l'on parle de rôle sexuel , on est déjà dans une démarche sociologique, qui décrit des tâches, et pour laquelle je ne suis pas spécialement formé. Enfin, quand on parle d' orientation sexuelle , on est dans le domaine des choix de pratiques, et plus du tout dans la biologie.
Est-ce que cela ne devrait pas être plutôt abordé sous l'angle de la philosophie, par exemple en interrogeant la question de la liberté face à la nature ? C'est d'ailleurs ce que préconise le Bulletin Officiel...
En effet, à cette difficulté près que la philo est une matière... de Terminale. Cela ne serait possible qu'avec l'accord des professeurs de philosophie. Ce serait souhaitable, oui, mais ce ne sera ni facile, ni vraiment possible d'après moi.
Quelle est la différence entre les programmes des séries S, L et ES ?
Pour les premières L et ES, ont retrouve ces notions parmi les compétences exigibles , ce qui signifie que l'on peut évaluer les élèves au bac sur ces questions : dans ces sections, je rappelle que l'épreuve de SVT du baccalauréat est prévue en fin d'année de 1ère.
En série S, en revanche, l'épreuve du bac a lieu en fin de Terminale, et la procréation n'est pas au programme. Par ailleurs, tel qu'énoncé au BO, on comprend qu'il s'agit là d'une possibilité d'extension du traitement du sujet, mais qui n'est pas à proprement parler dans ce qu'on appelle les compétences exigibles . C'est plutôt de l'ordre du dialogue possible à avoir avec les élèves.
Qu'est-ce que cela change pour vous ?
Il va me falloir traiter ces questions : cela fait partie de l'obligation morale des professeurs de préparer leurs élèves aux épreuves.
Justement, les livres de 5 éditeurs sont aujourd'hui disponibles, chez Nathan, Bordas, Belin, Hatier et Hachette pour les programmes de Première L et ES. Vous les avez vus : qu'en pensez-vous ?
Je n'ai pas vu le Hatier. Pour les autres, je trouve que le Belin n'est pas clair, et évoque par exemple une ceinture de chasteté servant contre la masturbation, dont on se demande le lien avec le sujet. Bordas et Nathan sont classiques, même si à chaque fois, la question de l'orientation sexuelle est toujours présentée du côté de l'homosexualité. Il y a une réelle tentative de séparer l'orientation de l'identité, de légitimer l'homosexualité et la bisexualité, et de leur donner une normalité, alors que le comportement homosexuel ne doit concerner que 2% de la population. Dans ces présentations, l'hétérosexualité est mise au même niveau que les deux orientations précédentes, alors qu'elle concerne plus de 90% de la population.
Dans le livre publié par Hachette, je note la référence à des sagesses religieuses : on y trouve la position du Catéchisme de l'Eglise catholique sur l'homosexualité, même si la présentation du propos est ambiguë, et peut servir à accréditer l'idée que l'Eglise n'y est pas opposée. On y voit aussi un tableau de Genethique.org, qui détaille la vision de chaque religion sur les différents comportements liés à la procréation, même si cela est fait trop brièvement.
Dans ces livres, on voit aussi clairement l'illustration du discours dominant sur la sexualité, avec dans plusieurs cas des portraits de Simone Veil, symbole de l'avortement dépénalisé en France, ou encore des photographies de militants homosexuels. Qu'en pensez-vous ?
De façon générale, les éditeurs sont politiquement corrects. On constate que les livres qui essaient d'être originaux dans leur démarche pédagogique ne se vendent pas, tout simplement. Or ces manuels sont coûteux à produire : pour se vendre, ils cherchent avant tout à être le plus neutres et le plus standards possible.
Vous ne pouvez pas vous passer de livre ?
Si, en théorie, bien entendu, je suis libre de ce qui se passe en classe. Mais la démarche pédagogique actuelle réclame de travailler sur des documents, et pour cela, les livres sont évidemment précieux. De plus, ils coûtent cher à l'Etat, et une fois que les élèves ont un manuel, avec un document qui fait l'affaire sur une question du programme, on a évidemment tendance à ne pas aller chercher ailleurs.
Votre choix de manuel est-il fait pour la rentrée 2011 ?
Non, c'est encore en cours de discussion entre professeurs de l'établissement. Mais je pense que certains lycées ont déjà fait leurs choix.
Une fois le livre choisi, combien d'années le conserverez-vous ?
Huit ans : jusqu'à la rentrée de 2018, huit classes successives d'élèves de premières l'utiliseront, même si la durée de vie de l'objet est plutôt de 4 ans, et impose un rachat à mi-parcours.
Depuis que vous enseignez, constatez-vous un intérêt particulier des élèves sur les questions de sexualité ?
Oui, depuis plus de 15 ans, j'ai toujours vu les élèves particulièrement intéressés par ce sujet. Mais de façon très différente qu'au collège : au lycée, il n'y a pas de ricanements, mais au contraire, une grande attention. Et il y a toujours des questions qui vont au-delà du contenu scientifique du cours lui-même. C'est aussi ce qui explique les orientations du Bulletin Officiel : on y voit la volonté de l'Education nationale de répondre aux interrogations qui sortent dans les classes, pour aller plus loin que la vision mécaniste de la sexualité.
Comment voyez-vous les jeunes d'aujourd'hui ?
Ce qui me marque, depuis plusieurs années, c'est la façon dont l'homosexualité est communément acceptée chez eux. J'ai vu deux élèves garçons du lycée s'embrasser sur le trottoir, et s'afficher comme homosexuels, sans que cela ne choque personne.
Vous ne croyez pas que la pression du politiquement correct est là aussi peut-être en cause ?
Peut-être. C'est vrai que je ne sais pas ce que les autres en pensent profondément. Mais dans ce qu'ils montrent, cela ne semble leur poser aucun problème.
Y a-t-il d'autres comportements de leur part que vous trouviez significatifs ?
Oui. Je me souviens du refus d'une classe, à majorité de filles, de travailler sur la question de la procréation. L'étalage les atteint, et elles en avaient tout simplement ras-le-bol. Je crois d'ailleurs qu'effectivement, on se trompe en voulant faire du traitement de masse sur ces questions d'enseignement lié à de la prévention. Bien plus de choses devraient être évoquées de façon personnelle. Maintenant, je n'ai pas les clés pour le mettre en œuvre.
Et quelle position pensez-vous prendre face à ces options idéologiques ?
Je n'y ai pas encore beaucoup réfléchi, mais mon attitude a toujours été celle d'une très grande prudence. En tant que professeur dans le public, j'ai un devoir de réserve. Mais j'ai aussi un devoir de vérité scientifique : j'essaie de dire les choses exactement comme elles sont, au moyen d'un vocabulaire censé conduire mes élèves à se poser des questions.
Ce n'est pas une position commode...
Non. Mais elle ne doit pas l'être non plus dans l'enseignement catholique, auquel ces mêmes programmes sont imposés. Et j'ai pu constater que la majorité des professeurs n'y sont pas au point sur ces questions, et ne perçoivent pas la rupture anthropologique qui y est présentée.
Propos recueillis par T.D.
N.B. : pour des raisons de prudence, le témoin rencontré a préféré s'exprimer de façon anonyme. Nous précisons simplement qu'il enseigne en milieu urbain, dans une grande préfecture de France.
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