Article rédigé par Mgr Dominique Rey*, le 09 décembre 2008
Par Mgr DOMINIQUE REY,
évêque de Fréjus-Toulon.
LE VOYAGE du pape Benoît XVI en France du 12 au 15 septembre 2008 fut un incontestable succès. La beauté des liturgies, le recueillement des foules, la sagesse et la profondeur des enseignements du Saint-Père ont favorisé une communion des esprits et des cœurs dont la fécondité se manifestera petit à petit. L'Église en France a reçu à l'occasion de cette visite un certain nombre d'orientations, en particulier à l'occasion du discours que le pape a destiné aux évêques le dimanche 14 septembre après-midi.
Benoît XVI, témoin de la catholicité de l'Église, est venu affermir dans la foi ses frères dans l'épiscopat, rassembler les évêques dans la charité et les soutenir dans leur ministère. Ce discours ne se contente pas de généralités mais aborde des points précis où nous avons besoin d'être encouragés et interpellés pour aller de l'avant. C'est une vision organique de l'Église et du monde que le pape nous livre afin de défricher le terrain de l'évangélisation aujourd'hui. Il brosse un itinéraire structuré de la question de la foi, en soulignant son architecture interne, son dynamisme propre et son actualité face aux défis et aux appels de notre société.
1/La foi exprimée : la catéchèse
En affirmant que la catéchèse n'est pas d'abord une affaire de méthode mais de contenu , Benoît XVI prend position dans un débat qui agite l'Église de France depuis plus de quarante ans. Un peu d'histoire nous permettra de saisir ce qui est en jeu dans ce débat. Jusqu'en 1950, la catéchèse était perçue comme la transmission de la doctrine catholique, exposée et résumée dans un livre nommé catéchisme. Cette doctrine était souvent exprimée dans un langage assez abstrait, éloigné du langage biblique et liturgique et qui prenait assez peu en considération l'expérience vécue aussi bien dans le domaine religieux que dans le domaine profane. En fait, la catéchèse n'était qu'un élément dans une formation chrétienne plus vaste, transmis dans le cadre familial et paroissial et dans un contexte de chrétienté. Elle donnait des points de repère qui s'avéraient fort utiles tout au long d'une existence chrétienne.
Après la Deuxième Guerre mondiale, des responsables laïcs et prêtres ont pris conscience du fait que cette doctrine était souvent transmise à des enfants dont la vie chrétienne n'était plus soutenue par la famille et la paroisse. La catéchèse devait donc exercer un rôle de suppléance. Elle devait devenir évangélisatrice. Pour cela, il fallait qu'elle se développe dans le cadre d'une équipe dont le (ou la) catéchiste devenait l'animateur (ou l'animatrice). Le souci premier était que l'enfant fasse une expérience de vie chrétienne. Il fallait donc proposer des activités qui puissent l'intéresser et le conduire à une rencontre personnelle avec le Christ. Le texte biblique devenait de ce fait la base de la rencontre hebdomadaire. L'aspect doctrinal passait alors au second plan. Certes, il ne disparaissait pas, mais le souci d'une présentation systématique et ordonnée de la doctrine s'est progressivement affaibli.
À cette objection, les partisans des nouvelles méthodes répondaient en soulignant que l'essentiel était d'établir un lien entre la parole de Dieu et la vie des enfants. En France, la controverse atteignit une grande ampleur. C'est pourquoi, en 1983, le cardinal Lustiger et le cardinal Decourtray ont invité le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, pour qu'il aborde cette question. Dans la conférence qu'il a prononcée d'abord à Paris puis à Lyon, le cardinal Ratzinger a pris une position claire et nette. Il a expliqué que le texte biblique pris comme tel pouvait faire l'objet de nombreuses interprétations et ne mettait en contact avec le Christ que s'il était lu selon la règle de foi. En d'autres termes, il n'y a pas à choisir entre une approche biblique et existentielle d'un côté et une approche doctrinale de l'autre. La seconde est nécessaire pour la fécondité spirituelle de la première. Le catéchisme, en tant que présentation organique de la doctrine de la foi, demeure donc nécessaire.
Cela ne conduit pas à l'abandon de tout ce qui a été mis en place pour que la catéchèse soit vraiment une activité évangélisatrice. Benoît XVI le dit clairement dans son discours de Lourdes :
La catéchèse est une saisie organique de l'ensemble de la révélation chrétienne, apte à mettre à la disposition des intelligences et des cœurs la Parole de celui qui a donné sa vie pour nous. De cette manière, la catéchèse fait retentir au cœur de chaque être humain un unique sans cesse renouvelé : "Suis-moi" (Mt 9,9).
Le point important est que le (ou la) catéchiste n'est pas seulement comme un animateur, un accompagnateur ou un aîné dans la foi. Il (ou elle) doit être tout cela, mais il doit être aussi un enseignant qui s'exprime avec autorité. Il (ou elle) doit avoir acquis une intelligence de la foi catholique suffisante, non seulement pour transmettre les vérités de la foi (ce qui est relativement facile) mais encore pour faire entendre la parole de Dieu comme elle doit être entendue (ce qui est autrement plus difficile). C'est pourquoi Benoît XVI demande une sérieuse préparation des catéchistes . Il faut bien reconnaître sur ce point une certaine déficience. Il ne suffit pas de faire appel à des bonnes volontés en pensant qu'il suffisait de mettre un livre (parcours, ou toute autre publication) entre les mains de ces personnes, pour que celles-ci accomplissent leur tâche de façon satisfaisante. Un manuel clair, juste et pédagogue, et quelques journées de formation destinées à donner une connaissance de ce manuel ne peuvent remplacer l'indispensable travail de formation doctrinale, spirituelle et biblique de ces personnes. Une formation doctrinale juste, fondée sur une lecture sérieuse des Écritures et capable de nourrir une vie spirituelle authentiquement catholique demeure, pour toute activité de catéchèse et d'évangélisation, une exigence incontournable. Le catéchiste doit aussi être dans sa propre vie le témoin authentique de ce qu'il transmet.
2/ La foi célébrée : la liturgie
À Lourdes, Benoît XVI est allé droit à l'essentiel. Le but du motu proprio Summorum Pontificium Cura est que personne ne puisse rompre l'unité catholique pour une simple question de rituel. Le fait d'être attaché à la forme extraordinaire n'implique pas le rejet du concile Vatican II. L'unité de foi dans l'Église catholique n'exige pas l'uniformité liturgique. Il y a toujours eu une diversité de rite : l'existence des Églises orientales unies à Rome le prouve. À plus forte raison, il peut y avoir diverses formes du même rite.
En recevant le motu proprio, l'Église en France est invitée à en comprendre les enjeux, plutôt que d'en craindre les gauchissements.
Le motu proprio ne se réduit pas à une pure séduction vis-à-vis de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. La perspective est plus vaste. Elle s'inscrit dans une volonté affichée depuis toujours par Joseph Ratzinger de promouvoir la croissance organique de l'enseignement et de la liturgie de l'Église.
Au lendemain de son élection, Benoît XVI avait défini comme un axe prioritaire de son pontificat la mise en œuvre du concile Vatican II, en continuation fidèle avec la Tradition bimillénaire de l'Église . Il a proposé une herméneutique de la continuité et de la réforme, synthèse de fidélité et de dynamique pouvant seule être féconde.
Le motu proprio a pour horizon la redécouverte de l'esprit de la liturgie et la progressive resacralisation du culte, en particulier du rite ordinaire ( La beauté des rites ne sera jamais assez recherchée, assez soignée, assez travaillée ). D'où cette affirmation capitale que Joseph Ratzinger livrait dans sa biographie (Ma vie, mes souvenirs) :
Un renouvellement de la conscience liturgique, une réconciliation liturgique qui reconnaîtrait l'unité de l'histoire liturgique et verrait en Vatican II, non une rupture mais une étape, est d'une nécessité urgente pour l'Église. Je suis convaincu que la crise de l'Église que nous vivons aujourd'hui repose largement sur la désintégration de la liturgie. C'est pourquoi, nous avons besoin d'un nouveau mouvement liturgique qui donne le jour au véritable héritage de Vatican II.
Le motu proprio n'est surtout pas un retour en arrière. Le geste de réconciliation qu'il exprime appelle prophétiquement un renouveau liturgique sur les bases d'une valorisation théologique et spirituelle des principes de la réforme liturgique de Vatican II. Il revient aux pasteurs de mettre en place le motu proprio pour que personne ne se sente exclu. Nul n'est de trop dans l'Église.
3/ La foi transmise : la famille, les jeunes, les vocations
La famille est la première destinataire de la proposition de la foi. Elle est le socle sur lequel repose toute la société. Aux différentes formes d'associations affectives promues par les médias et les lobbies , la famille oppose l'indissolubilité du mariage entre un homme et une femme.
À l'heure où vacillent les repères constitutifs de l'amour humain, l'Église annonce prophétiquement la bonne nouvelle du mariage où Dieu rencontre l'homme pour signifier l'amour de prédilection et de fidélité qu'il lui porte. La catéchèse de l'Église doit valoriser la force du sacrement du mariage par lequel le Christ vient sauver et soutenir l'amour humain.
Le pape a délivré à Lourdes une leçon pastorale : défendre une exigence qui se rapporte à la définition même de l'Église comme mystère nuptial (l'apôtre Paul le souligne dans la lettre aux Éphésiens, 5 : chaque alliance conjugale reflète et exprime l'union du Christ à son Église) ; et dans le même mouvement, entourer d'affection ceux qui ne peuvent l'honorer.
La sollicitude du pasteur à l'égard de ceux-ci sera d'autant plus grande qu'ils souffriront sans doute de ne pas pouvoir accéder à la vie sacramentelle de l'Église. C'est dire l'effort pédagogique considérable qu'il reste à entreprendre au sein de nos communautés chrétiennes pour accueillir les divorcés remariés, les encourager dans la compréhension de la discipline sacramentelle qu'a rappelée le pape, leur faire découvrir d'autres moyens de sanctification et d'intégration au sein de la communauté chrétienne par le service et la prière...
Les jeunes et les vocations sont aussi au centre du projet pastoral que le Saint-Père propose à l'Église en France. Ils dessinent l'avenir de nos communautés. Comment imaginer une Église qui aurait pris le parti de bannir une culture de l'appel et qui organiserait à l'avance sa mise en bière ? Toute pastorale de la jeunesse doit être une pastorale vocationnelle, rappelant à chacun la beauté de la vie chrétienne , l'espérance qu'apporte le Christ, la joie de croire... . Elle doit inviter à redécouvrir la place du ministère ordonné dont le laïcat a besoin pour ne pas se cléricaliser lui-même. À charge pour l'Église d'accueillir positivement les charismes et les initiatives dont la nouveauté peut surprendre mais qui ont besoin de la sollicitude des pasteurs et d'espaces de liberté pour régénérer de l'intérieur la vie des communautés chrétiennes et leur apostolat.
4/ La foi dans la cité : la laïcité
L'Église et l'État sont autonomes et indépendants l'un de l'autre, et c'est ce qui permet le dialogue et la collaboration. L'Église ne revendique pas la place de l'État et ne veut pas se substituer à lui... Elle réclame une saine collaboration avec la communauté politique (Benoît XVI). Dans le contexte de faillite des religions séculières (comme le communisme) et de crise de l'idée de progrès, l'Église rappelle aux communautés politiques qu'elles sont soumises à la loi morale inscrite dans le cœur de l'homme. La démocratie ne peut pas répondre aux questions fondamentales qui touchent à la vie et à la mort, au caractère sacré de la personne, à l'origine du monde...
Pour ce qui est des relations de l'Église avec la République française, Benoît XVI ne revendique pas la modification du cadre institutionnel et des lois existantes. Il demande un renouvellement de l'interprétation des valeurs fondamentales sur lesquelles l'identité de la nation française s'est construite. Nos valeurs républicaines Liberté, Égalité, Fraternité sont en effet ambiguës. Incontestablement, on peut les comprendre à partir de la tradition chrétienne. Elles définissent alors un humanisme acceptable par tous, croyants ou non. Mais on peut aussi les interpréter en un sens antichrétien, en revendiquant une liberté affranchie de toute référence à la loi morale, seule fondatrice du contrat social. En condamnant le libéralisme, les papes du XIXe siècle n'avaient rien d'autre en vue que la liberté ainsi conçue. Une telle compréhension de la liberté n'est pas recevable, bien sûr, pour le chrétien, mais elle ne sauvegarde pas non plus la dignité humaine. En effet, elle peut conduire aux pires excès, dans la mesure où l'homme qui se pense comme liberté absolue construit un État qui n'est lui-même soumis à aucune norme transcendante.
On comprend dès lors la raison pour laquelle le pape est si attaché à la question des racines chrétiennes de l'Europe en général et de la France en particulier. Il s'agit de rappeler que c'est l'humanisme chrétien qui a permis l'émergence des principes de liberté, d'égalité et de fraternité. C'est à la lumière de cette tradition qu'il convient de les comprendre. Ainsi compris, ils sont acceptables pour tous et bénéfiques pour la communauté nationale.
5/ La foi en dialogue : le dialogue œcuménique et le dialogue interreligieux
Remarquons d'abord que Benoît XVI distingue les deux dialogues. Ceux-ci sont différents dans leur nature et leur finalité respective . Le concile Vatican II reconnaît en effet que nos frères séparés peuvent vivre une authentique foi en Jésus-Christ. Cette foi qui nous est commune doit nous pousser à surmonter les divisions survenues dans le passé. Si le but du dialogue est la recherche de la vérité, si la vérité est le Christ, le dialogue œcuménique qui a lieu entre des personnes qui confessent le mystère du Christ est très différent du dialogue interreligieux dans lequel ceux qui ont reconnu le Christ rencontrent des personnes qui ne le reconnaissent pas.
Il y a un dialogue interreligieux qui favorise la connaissance et le respect réciproque . Ce dialogue est nécessaire parce que l'ignorance détruit plus qu'elle ne construit . Mais Benoît XVI nous met en garde contre une forme de dialogue qui conduit à des impasses . Il fait clairement allusion ici à ces dialogues où la divergence entre chrétiens et non chrétiens est minimisée, où le légitime souci de développer l'amitié conduit à mettre entre parenthèses les oppositions irréductibles. Benoît XVI rappelle ce qui fut l'enseignement constant de Paul VI et de Jean Paul II, selon lequel le dialogue implique la confession de foi : Je crois qu'il est bon de commencer par l'écoute, puis de passer à la discussion théologique et à l'annonce de la foi elle-même. N'avons-nous pas privilégié quelquefois un dialogue qui exclut par principe l'annonce et qui s'arrête à l'estime mutuelle ?
Par ailleurs, la bonne volonté ne suffit pas . Une solide formation théologique et spirituelle est nécessaire pour celui qui veut entrer dans un dialogue sérieux avec les non-chrétiens. Nous devons bien constater que faute d'une formation convenable, beaucoup sont devenus relativistes et ont perdu de ce fait le dynamisme missionnaire. Il s'agit assurément pour les évêques d'un point où leur vigilance pastorale doit s'exercer.
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Dans notre Église en France devenue minoritaire et dont l'activité missionnaire se heurte constamment à de multiples résistances liées au sécularisme et au laïcisme, la parole du Pape est une invitation à persévérer dans la fidélité de la foi et l'attachement à l'Église. C'est en ce sens qu'elle est véritablement libre et prophétique.
+ D. R.
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