Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008
Le 3 novembre dernier, le député Christine Boutin défendait une exception d'irrecevabilité contre la proposition de loi sur le Pacte civil de solidarité (Pacs). Moins connus que les arguments philosophiques développés par les partisans et les adversaires du Pacs, nous publions les motifs d'inconstitutionnalité du projet, tels que Christine Boutin les a présentés dans la dernière partie de son exposé .
4.4- L'irrecevabilité financière : l'article 40 de la Constitution
L'article 40 de la Constitution stipule que les propositions formulées par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique.
4.4.1- Le Pacs occasionnera une diminution des recettes de l'État
Or la proposition relative au Pacs sera de toute évidence à l'origine d'une perte importante de recettes. Monsieur le ministre Strauss-Kahn annonçait que le Pacs dans sa première version coûterait au moins six milliards de francs. Le Pacs dans sa deuxième version n'attribue plus aux contractants les droits accordés aux époux en matière de sécurité sociale, mais il étend aux frères et aux sœurs le bénéfice de certaines dispositions du Pacs. Ne disposant pas d'une estimation exacte du coût de ces modifications, on est en droit de penser que le Pacs coûterait toujours au moins six milliards de francs, et vraisemblablement bien davantage. Vous pourrez constater avec moi que ce chiffre n'a jamais été démenti.
Les articles 2 et 3 de la proposition de loi sont respectivement relatifs à l'imposition commune des revenus des partenaires d'un Pacs et à la baisse du tarif des droits applicables en cas de succession ou de donation ainsi qu'à la création d'un abattement de 250.000 F pour la perception des droits de mutation à titre gratuit. Ces deux articles entraîneront une diminution des ressources publiques.
4.4.2- Nature et disproportion du gage
Certes, les auteurs des diverses propositions de lois sur le Pacs ont pris soin de prendre un gage, retenu par le rapporteur, selon le droit, afin que, conformément aux règles constitutionnelles, la compensation des pertes de recettes soit suffisante. Selon la coutume, cette fois-ci, le Pacs est gagé sur le tabac. Mais ce gage est-il suffisant ? Est-il en réelle adéquation avec le coût du Pacs ? En réalité, la disproportion est flagrante. Le rapport remis en 1994 par notre collègue Jacques Barrot, consacré à l'article 40 de la Constitution, traite évidemment de la recevabilité financière des propositions de lois et amendements. Il y indique que les droits sur les tabacs rapportent près de 30 milliards de francs à l'État. Une augmentation de 6 milliards de francs des taxes tabagiques reviendrait ainsi à augmenter à due compensation le prix du tabac à l'achat d'environ 20 %. Cette augmentation est effectivement disproportionnée, et fort difficilement défendable au plan politique. Et je laisse le soin aux fumeurs d'apprécier.
4.4.3- Le Pacs créera des charges publiques
Par ailleurs, le Pacs créerait ou aggraverait également une charge publique. L'article premier de la proposition de loi prévoit que les dépôts de déclarations et l'enregistrement du Pacs seront confiés aux services des préfectures . Ces nouvelles fonctions attribuées au personnel de l'administration préfectorale créeront de nouvelles charges de gestion.
Or, ainsi que le note Guy Carcassonne en mentionnant le rapport sus-cité de Jacques Barrot , " la notion de charge est d'autant plus rigoureuse qu'elle n'est pas seulement entendue dans son acception budgétaire, mais aussi juridique : ainsi tombe sous le coup de l'article 40 le fait de confier des missions nouvelles à un organisme public ". MM. Favoreu et Philip écrivent également que " la notion de charge publique doit être entendue dans un sens très large : elle englobe non seulement toutes les dépenses de l'État figurant dans les lois de finances, mais également celles des autres personnes publiques (collectivités et établissements publics) et même celles des divers régimes d'assistance et de sécurité sociale ".
4.4.4- Le Pacs n'est pas conforme à l'article 40
La proposition de loi inscrite aujourd'hui à l'ordre du jour semble bien être contraire à l'article 40 de la Constitution. Or, le Conseil constitutionnel a déjà déclaré non conformes à la Constitution des propositions de loi diminuant des ressources publiques, créant ou aggravant une charge publique de façon manifeste. On peut citer par exemple la décision du juge constitutionnel en date du 18 janvier 1978 portant sur une proposition de loi relative aux rapports entre l'État et l'enseignement agricole privé.
Dans une décision du 14 juin 1978 portant sur une résolution tendant à modifier le règlement du Sénat, le Conseil a affirmé que l'article 40 établit une " irrecevabilité à caractère absolu ", selon les propres termes de l'avis. Cette irrecevabilité faisait alors obstacle à ce que la procédure législative s'engageât à l'égard d'une proposition formulée par des sénateurs, et dès lors à ce que le dépôt de ces propositions soit annoncé en séance publique par le président du Sénat. Ce principe faisant évidemment référence à la procédure parlementaire qui existe dans les deux assemblées, elle s'applique de plein droit et de la même manière à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Dans cette même décision, le Conseil rappelle que le respect de l'article 40 de la Constitution exige qu'il soit procédé à un examen systématique de la recevabilité des propositions de loi antérieurement à l'annonce par le président de leur dépôt.
Le Conseil rappelle également cette exigence selon laquelle doit pouvoir être constatée, au cours de la procédure législative, l'irrecevabilité des propositions qui auraient, à tort, été déclarées recevables au moment où elles étaient formulées.
Par ailleurs, dans une décision du 23 juillet 1975 sur la loi supprimant la patente et instituant une taxe professionnelle, le Conseil a considéré qu'il était de sa mission de " statuer sur le point de savoir si, au cours de l'élaboration de la loi, il a été fait de l'article 40 de la Constitution une application conforme à sa lettre et à son esprit ". Il a précisé que cet article a pour but d'éviter que des dispositions particulières ayant une incidence financière directe puissent être votée sans qu'il soit tenu compte des conséquences qui pourraient en résulter pour la situation d'ensemble des finances publiques. Or, la commission des finances n'a pas même été saisie pour avis sur cette proposition de loi, montrant qu'une partie au moins de cette assemblée fait assez peu de cas des incidences financières du Pacs. La non-conformité du Pacs à l'article 40 de la Constitution est flagrante. Elle justifie à elle seule l'irrecevabilité de cette proposition de loi.
4.5- Le Pacs porte atteinte au principe d'égalité
Telle n'est pas la moindre fragilité du Pacs, qui contrevient à ce principe de manière grave. Je ne m'étendrai pas sur les nombreuses démonstrations du Conseil constitutionnel visant à déclarer que l'égalité est un principe fondateur de notre République, au point qu'il ouvre la Déclaration des droits de l'homme. Je voudrais toutefois tirer quelques enseignements de la jurisprudence constitutionnelle. Celle-ci considère premièrement que l'égalité de tous les citoyens entre eux ne signifie pas nécessairement une égalité de traitement.
Ainsi que l'a justement rappelé notre collègue Mattéi le 9 octobre dernier, " le juge constitutionnel a souvent affirmé que le principe d'égalité ne s'opposait ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général. A contrario, continuait notre collègue, il apparaît que des situations totalement différentes, comme le sont celles des couples hétérosexuels et homosexuels, n'ont pas à être traités de la même manière ". Cette position est parfaitement conforme à notre jurisprudence constitutionnelle, en plusieurs de ses arrêts.
Les experts constitutionnalistes notent par ailleurs que cette nécessité d'intérêt général ne permet pas pour autant toutes les dérogations au principe d'égalité, qui doivent être fondées sur, selon Favoreu et Philip, un " lien nécessaire, un rapport logique entre la règle discriminatoire et l'intérêt général précisément poursuivi par l'objet de la loi ", même si, précisent les auteurs, " le Conseil fait prévaloir une conception large de la notion d'intérêt général, telle que l'intérêt général qui permet de déroger à l'égalité n'est que l'objectif poursuivi par le législateur ". Il faudra donc, pour établir que le Pacs va à l'encontre des exigences du principe d'égalité, montrer que, soit il est contraire à ce principe du fait qu'il instaure des discriminations de principe pures et simples, soit que les objectifs qui fondent ces discriminations sont eux-mêmes contraires à la Constitution, et donc que le législateur n'a pas le droit de les poursuivre. Nous trouvons ces deux caractères dans le Pacs.
4.5.1- Première raison : la discrimination à l'égard des personnes homosexuelles
Ce n'est pas le moindre des paradoxes de ce texte que de constater les risques potentiels indignes qu'il fait courir aux personnes homosexuelles. J'ai eu l'occasion de développer tout à l'heure les raisons pour lesquelles ces personnes voyaient, par l'enregistrement du Pacs devant les services préfectoraux, leur vie privée gravement atteinte. La même raison me fait invoquer ici le principe d'égalité. L'existence d'un registre rassemblant des informations sur les signataires des Pacs fait entrer l'État dans des relations qu'il n'a pas à connaître, et qu'il connaîtra de fait à propos d'un petit nombre de nos concitoyens, tout en ayant aucun moyen de les connaître pour d'autres. Cette différence de traitement entre les personnes est évidemment dérogatoire au principe d'égalité, et justifie l'inconstitutionnalité du texte.
4.5.2- Deuxième raison : les dispositions concernant les fratries
On connaît les raisons d'opportunité pour lesquelles le célèbre amendement " fratries " a été incorporé à la deuxième version du texte. Aux termes de l'article 10 de la proposition de loi, " les dispositions des articles 2, 4 à 9 relatives aux signataires d'un Pacs sont applicables à deux frères, deux sœurs, ou un frère et une sœur qui vivent ensemble ".
Cet alinéa de l'article 10 est contraire au principe d'égalité. Premièrement, il méconnaît que certaines fratries peuvent être composées de plus de deux personnes. Dans notre pays en effet, les familles de trois enfants et plus représentent près de 30 % du nombre total de familles. Que fera-t-on dans le cas de familles de trois, quatre enfants ou davantage ? Dans le cas d'une fratrie composée de trois personnes, dont deux ont manifesté leur souhait de bénéficier des avantages du Pacs, que pourra faire la troisième, notamment si elle souhaite continuer de vivre avec ses deux autres frères ou sœurs après la mutation professionnelle de l'un des deux ? Puisqu'il fait résidence commune avec ses deux frères ou sœurs, pourquoi lui serait-il retiré le droit de déclaration fiscale commune avec les deux personnes dont il partage le toit et certainement une partie des charges ? Cette disposition place dans une situation gravement inégalitaire les " frères et sœurs impairs ", ou surnuméraires, dont les droits ne sont pas pris en compte. Par ailleurs, on ne voit pas pourquoi les frères et sœurs n'estimeraient pas avoir besoin, d'une manière ou d'une autre, de profiter des dispositions de l'article premier de la proposition de loi.
Deuxièmement, le fait de limiter certains avantages du Pacs à une seule catégorie de parents constitue également une grave atteinte à l'égalité, et ne peut s'expliquer en aucune manière. Au nom de quoi deux cousins célibataires n'auraient-ils pas le droit de contracter ou de bénéficier des effets du Pacs ? Et un parent divorcé ou veuf vivant seul, en compagnie d'un de ses enfants lui-même célibataire, divorcé ou veuf ? Le rapporteur est-il prêt à expliquer à notre assemblée que ces personnes n'ont jamais besoin de bénéficier des facilités de mutation professionnelle promise aux contractants du Pacs ? N'ont-elles pas le droit de fixer elles aussi par le Pacs les modalités de leur aide mutuelle ? N'y a-t-il pas nécessité à fixer par contrat la liste des biens considérés comme compris dans l'indivision ? Rien ne permet de justifier une telle discrimination, qui renforce l'inégalité comprise dans cet article, et fonde son inconstitutionnalité.
Troisièmement, le deuxième alinéa de l'article 10 de la proposition de loi stipule que " les délais prévus le cas échéant par les articles 2, 4 à 9 pour l'ouverture des droits commencent à courir, pour les frères et sœurs, à compter de la justification par eux apportée de leur résidence commune ". Or l'article 2 propose d'insérer dans le Code général des impôts l'article suivant, dont je donne lecture : " Les partenaires liés par un Pacs défini à l'article 515-1 du code civil font l'objet, pour les revenus visés au premier alinéa, d'une imposition commune à compter de l'imposition des revenus de l'année du troisième anniversaire de l'enregistrement du pacte. "
L'article 10 rompt donc l'égalité entre les citoyens devant l'impôt. Non pas que l'inégalité devant l'impôt soit contraire à la Constitution. En plusieurs arrêts, le Conseil constitutionnel a justifié une inégalité fiscale par la nécessité de lutter contre la fraude fiscale, ou encore par l'existence d'activités professionnelles différentes entre les contribuables, ou encore par le fait qu'une limitation d'avantage fiscal ne pouvant profiter qu'à deux entreprises reposait sur des critères objectifs. Mais dans sa décision du 16 janvier 1986, le Conseil constitutionnel a fait connaître la juste interprétation de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme, qui déclare que " pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". La décision du Conseil précisait ceci : " Si ce principe d'égalité devant l'impôt n'interdit pas au législateur de mettre à la charge d'une ou plusieurs catégories sociologiques professionnelles déterminées une certaine aide à une ou plusieurs autres catégories socioprofessionnelles, il s'oppose à une rupture caractérisée du principe d'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens. " Or un système d'impôts plus favorable à une catégorie de personnes (les frères et sœurs) qu'à une autre (les contractants d'un Pacs) constitue évidemment une rupture de l'égalité de contribution des citoyens à la dépense publique, cette rupture n'étant d'ailleurs fondée sur aucune justification.
Je disais tout à l'heure que le juge constitutionnel peut accepter la rupture de l'égalité pourvu que cela corresponde aux intentions du législateur : est-ce le cas ici ? Certainement pas. Si l'on veut bien admettre que l'exposé des motifs exprime clairement l'intention du législateur, si l'on veut bien reconnaître également que nous sommes aujourd'hui chargés de débattre d'une proposition de loi dont les motifs sont les mêmes que ceux de sa première version, alors reportons-nous à l'exposé des motifs du Pacs — première mouture. On y lit ceci : " Plus de deux millions de couples, appartenant à tous les milieux sociaux ont ainsi fait le choix de construire leur projet commun de vie en dehors des liens du mariage, auxquels s'ajoutent des personnes qui n'ont pas accès à cette institution. " Et plus loin : " Aux couples sexués s'ajoutent les personnes qui vivent à deux sans commerce sexuel mais se sentant solidaires l'une de l'autre et sont unies par ce sentiment qui pousse les hommes à s'accorder une aide mutuelle. "
C'est bien à toutes ces personnes que le Pacs est destiné, sans aucune différence particulière d'État (hormis, tout de même, celle des liens conjugaux). L'exposé des motifs est suffisamment clair sur ce point : il s'agit de permettre à ces couples de personnes d'organiser leur vie en commun, et de matérialiser entre autres choses cette vie commune par le biais de l'impôt. A tout cela s'ajoutent, dans les nombreuses propositions de lois antérieures, la référence à la lutte contre la précarité, dont on ne peut pas douter qu'elle constitue une intention affichée par le législateur. Qu'il s'agisse donc du souci de donner aux couples quels qu'ils soient un statut, ou de lutter contre la précarité, on ne voit pas que la facilité faite aux frères et sœurs en termes de réduction d'impôts soit explicable par l'intention du législateur. Pour cette raison, le deuxième alinéa de l'article 10 est tout aussi inconstitutionnel que le premier.
4.5.3- Troisième raison : le cas du mariage avec un tiers
Une des évolutions récentes de la proposition de loi consiste dans le fait d'avoir instauré un préavis de trois mois en cas de rupture unilatérale du Pacs. Les raisons de cette instauration sont liées à la nécessité d'assurer la protection des contractants, notamment de celui des deux qui n'a pas souhaité la rupture. Cette disposition ne modifiera rien au fait que le Pacs demeure une légalisation de la répudiation, mais cela est une autre affaire. Je vous en rappelle le contenu : " Lorsque l'un des partenaires décide de mettre fin au Pacs, il notifie à l'autre sa décision. Il informe également de sa décision, ainsi que de la notification à laquelle il a procédé au moins trois mois auparavant, les services de la préfecture qui ont reçu le pacte pour qu'il en soit porté mention sur celui-ci, en marge du registre sur lequel cet acte a été inscrit [...]. " Et plus loin : " En cas de mariage, il adresse également une copie de son acte de naissance sur lequel est porté mention du mariage. "
En réalité, cette période de préavis pose un problème, particulièrement lorsque celui des deux contractants qui souhaite mettre fin au Pacs se marie, ce qui est un cas de rupture, le Pacs étant signé, étant entendu que, toujours selon la proposition de loi, l'état marital est un cas de nullité du Pacs, ainsi que le propose l'article 1.
Voyons un peu. La dernière phrase de l'alinéa dont je viens de donner lecture semble indiquer que le mariage de celui qui rompt le Pacs peut avoir lieu pendant le délai de trois mois qui suit la notification de rupture, laquelle semble délier les contractants de toutes sortes d'obligations et d'empêchements liés au Pacs. S'il devait en être autrement, la proposition de loi serait inconstitutionnelle pour un motif supplémentaire, puisqu'elle porterait alors atteinte à la liberté de se marier, alors même que les empêchements liés à la signature d'un Pacs n'auraient plus de raison d'être. Or cette liberté est reconnue comme une liberté individuelle et protégée par la Constitution à ce titre. La décision du Conseil constitutionnel rendue le 13 août 1993 indique en effet que " le principe de la liberté du mariage est méconnu dès lors que la célébration du mariage est subordonnée à des conditions préalables ".
Plaçons-nous donc dans l'hypothèse où l'un des deux contractants souhaite se marier. Il le peut, dès lors qu'il notifie à son " pactisant " son intention de rompre le contrat. Commence à courir dès lors le délai de trois mois, qui est bien davantage un simple délai d'information administrative qu'un réel délai de préavis pour protéger celui qui ne souhaite pas rompre. Déroulons ensemble le cours des événements. Le jour même où le futur marié fait notification à son " pactisant " de sa volonté de rompre, il se rend à la mairie en vue d'accomplir toutes les formalités nécessaires au mariage. Souhaitant que la cérémonie ait lieu au plus tôt, le voilà marié par Mme ou M. le maire à peine un mois plus tard. Par le fait, toutes les obligations liées au Pacs s'effondrent, et avec elles la communauté de toit, la solidarité matérielle (ou du moins le peu qui est prévu), les dettes, etc. Ainsi, celui des deux contractants qui n'a pas rompu se trouve dans une situation d'inégalité au regard de la loi, puisqu'il ne peut pas être en mesure de bénéficier des délais régulièrement prévus par le texte contrairement aux personnes qui ont contracté un Pacs dont la rupture unilatérale n'est pas causée par un mariage. J'ajoute que le pouvoir de résiliation unilatérale existe seulement en droit administratif, et se justifie par la défense de l'intérêt général par la personne publique, laquelle n'est pas réputée égale à aucune autre personne. En revanche, en droit civil, le contrat unit toujours deux personnes dans le cadre d'une égalité stricte.
Ce cas d'inégalité constitue un motif supplémentaire d'inconstitutionnalité. Je le répète, cette inconstitutionnalité ne pourrait être levée que si le délai de trois mois était un véritable délai préfix, ayant pour objet de maintenir en l'État toutes les obligations et interdictions, en même temps que tous les droits attachés au Pacs pendant cette période. Mais alors, la liberté de mariage serait atteinte, ce qui est tout aussi inconstitutionnel. Dans les deux cas, la conclusion est la même. En tous cas, la résiliation unilatérale du Pacs introduit le fait du prince dans le droit civil, sans motif légal et sans consentement mutuel.
4.5.4- Quatrième raison : la privation des droits du répudié
L'instauration de la répudiation constitue un quatrième motif de rupture avec le principe d'égalité. À cet égard, la proposition de loi manifeste une régression énorme sur le droit positif actuel. D'une part, le droit du mariage républicain soumet la rupture du mariage à une procédure judiciaire qui empêche la répudiation. Sans doute admet-il une certaine forme de répudiation unilatérale dans le cas du divorce pour rupture de la vie commune, telle qu'envisagée par les articles 237 à 241 du Code civil. Mais ce divorce est soumis à des conditions de délai et de procédure. Surtout, il oblige le demandeur à supporter toutes les charges du divorce, ainsi que l'indique l'article 239, et notamment le devoir de secours. D'autre part, l'union libre peut être librement et unilatéralement rompue sans que cesse cette faculté de rupture unilatérale, qui est même de l'essence du concubinage. Celui-ci ne peut en effet perdurer que du fait de la constante volonté des concubins à vivre ensemble. Mais notre droit permet l'attribution de dommages et intérêts quand la rupture est fautive, ce qui permet d'atténuer quelque peu les situations de détresse.
Rien de tel dans la proposition de Pacs, même s'il s'agit d'un " pacte ". Lorsqu'elle est unilatérale, la rupture doit être " notifiée " au partenaire. Ceci signifie que la répudiation unilatérale est un droit pour chaque partenaire, et qu'elle ne peut plus être fautive. Et le juge ne peut pas davantage accorder des dommages et intérêts, puisque sa mission se limite à régler la répartition des biens matériels dont le Pacs est l'objet.
Or, dans sa décision du 22 octobre 1982 consacrée au droit de grève de nombreux éléments rappellent la nécessité de respecter le principe d'égalité, et le Conseil constitutionnel a jugé que l'on ne pouvait priver de droits la victime d'un dommage causé par la faute d'autrui. Il y aurait là une atteinte fondamentale à un principe reconnu par la République, qui donne à tous " accès égal devant la justice ou plus largement à une procédure légale ", notent MM. Favoreu et Philip. Comme le remarque le doyen Carbonnier : " S'il y a quelque chose de constitutionnel dans l'article 1382 c'est la réparation du dommage, et non la sanction de la faute. " La répudiation unilatérale méconnaît ainsi les exigences de notre Constitution. En ne prévoyant aucune indemnité au profit de la victime d'une rupture fautive, elle porte atteinte à un principe fondamental des lois de la République. Ces quatre motifs rendent le Pacs inconstitutionnel, du fait qu'il méconnaît l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon laquelle, en son article premier, " tous les hommes naissent libres et égaux en droit ".
4.6- Le Pacs porte atteinte au droit de propriété
Le point particulier de la répudiation unilatérale constitue une inégalité supplémentaire, que l'on doit également apprécier au regard de notre Constitution, et qu'il n'est pas nécessaire de développer longuement.
4.6.1- Le régime de l'indivision
Il est dit dans la proposition de loi que le régime des biens dans le cadre du Pacs est celui de l'indivision. Cet aspect est important au point qu'il constitue le seul véritable objet de la compétence du juge en cas de rupture unilatérale, nous l'avons vu, et donc le seul motif potentiel de litige.
4.6.2- Un cas de divorce
Or prenons le cas d'une personne divorcée, dont la communauté de biens n'est pas encore réglée. Le mariage de cette personne a bien été rompu, et admettons qu'aucun des deux pactisants potentiels ne donne prise aux cas de nullité. C'est donc de plein droit qu'en dépit du fait que ses obligations d'ancien époux ou d'ancienne épouse ne sont pas encore complètement organisées, et les biens non encore dévolus, elle contracte un Pacs. Le Pacs étant contracté, aucune limitation n'étant prévue à cet effet, les biens non encore liquidés à la suite du divorce tomberont dans l'indivision du Pacs.
4.6.3- Méconnaissance du respect de la propriété privée
Une telle situation privera certainement de ses droits le tiers divorcé, qui verra tomber dans l'indivision des biens sur lesquels il peut prétendre légitimement exercer un droit de propriété, qui, tant que le juge n'a pas statué sur chaque bien particulier, ne peut être contesté.
Or, l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen stipule que " la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ". Cet article pose évidemment des limites à la propriété, ou du moins des conditions à son exercice qui permettent de le limiter. Mais, dans le cas qui nous intéresse, aucune de ces conditions n'est remplie. C'est pourquoi le Pacs contrevient effectivement aux dispositions de l'article 17, et se trouve de ce fait inconstitutionnel.
4.6.4- L'alternative de l'article 34
On dira que la proposition de loi se promet d'aménager les circonstances dans lesquelles ces cas d'espèce doivent être réglés. Je ne vois rien de tel dans le document de la commission des lois, et à tout le moins ces nouvelles circonstances n'iraient pas sans modifier radicalement l'esprit de totale liberté de pactiser défendue par le rapporteur et par la commission. De ce fait, si l'on entendait régler ainsi la question de la propriété privée, en alléguant d'aménagements futurs ou du ressort des juges, cela reviendrait à reconnaître que le législateur n'a pas fait son travail jusqu'au bout. Voilà qui soulève un autre motif d'inconstitutionnalité, au regard de l'article 34 de la Constitution cette fois-ci, par lequel j'achèverai ma démonstration. Mais avant cela, je souhaiterais évoquer les difficultés liées au respect de la vie privée.
4.7- La méconnaissance du principe de respect de la vie privée
4.7.1- Le principe de respect de la vie privée est essentiellement lié au respect de la liberté individuelle...
Plusieurs libertés classiques ont été constitutionnalisées, dont la protection de la vie privée (notamment par la décision du Conseil en date du 12 janvier 1977, portant sur la fouille des véhicules). Cette décision consacre une conception large de la liberté individuelle, qui inclut la protection de la vie privée, définie par M. Roche comme la " sphère de l'existence soustraite à la curiosité des tiers ".
Si cette décision de janvier 1977 ne reconnaît qu'implicitement la vie privée comme partie intégrante de la liberté individuelle, le Conseil déclare dans un arrêt du 18 janvier 1995 que " la méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle ". Montrant ainsi que le respect de la vie privée est indissolublement lié à celui de la liberté individuelle, il le confirme formellement par la décision du 22 avril 1997. Cette décision du 22 avril 1997 concernant le séjour des étrangers indique que " de manière générale, s'agissant de la vie privée, les méconnaissances graves du droit au respect de leur vie privée sont pour les étrangers comme pour les nationaux de nature à porter gravement atteinte à leur liberté individuelle ". La même décision indique, à propos de la question du renouvellement des cartes de séjour, qu'une simple menace à l'ordre public ne saurait justifier le non renouvellement, ce qui constituerait une grave atteinte au respect de la vie familiale et de la vie privée.
4.7.2- ... et la liberté individuelle est garantie par notre Constitution
Or il ne fait aucun doute que la protection de la liberté individuelle est garantie par notre Constitution, ainsi que le montrent l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme, selon lequel " le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ". L'article 3 de la Déclaration universelle des droit de l'homme de 1948 indique quant à lui que " tout individu a droit à la vie, à la liberté, et à la sûreté de sa personne ". Notre Constitution elle-même, dans son article 66, déclare que " l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ". Par conséquent, toute atteinte au respect de la vie privée sera nécessairement déclarée inconstitutionnelle.
4.7.3- Or le Pacs porte atteinte au respect de la vie privée
Il y a une raison pour laquelle le Pacs doit être considéré comme portant atteinte au respect de la vie privée. Cette raison touche au caractère sexuel du Pacs et à ses modalités de déclaration et d'enregistrement. La proposition de loi, dans son article premier, stipule que " le Pacs fait l'objet d'une déclaration écrite conjointe des partenaires, remise par eux à la préfecture du département dans lequel ils établissent leur résidence ". C'est ainsi à bon droit que quelques représentants de la communauté homosexuelle se sont inquiétés de voir resurgir en 1998 les dispositions contraires à la loi Deferre de 1984, par laquelle les fichiers d'homosexuels avaient été supprimés à juste raison. Cette inquiétude était notamment manifestée par M. Meyssan, président du Réseau Voltaire, lors d'un débat qui nous avait réunis en compagnie notamment de Mme la présidente Tasca, sur les plateaux de FR3 le 10 octobre dernier. Il l'avait exprimée en ces termes, s'adressant à Mme la présidente de la Commission des lois : " Les mauvais coups étaient partis au sein du groupe socialiste et nous viennent encore des socialistes. On nous a embarqués, dans un texte, le Pacs, qui, excusez-moi, n'a ni queue ni tête, un texte que nous considérons comme réactionnaire, discriminatoire et attentatoire aux libertés individuelles. Mais on pensait que dans l'amendement de ce texte il serait possible de revenir à la raison et de résoudre des problèmes concrets. Et finalement, tout cela a été tellement incohérent que les socialistes ne se sont même pas déplacés. En 1984, nous nous sommes battus pour supprimer les fichiers des homosexuels dans les commissariats de police et vous nous demandez de nous inscrire spontanément en préfecture. "
Mme Evelyne Sullerot, dans un entretien commun avec Mme Guigou il y a quelques jours, a donné l'argument central, qui dit tout : " Si l'on interdit à des cousins de se lier par le Pacs, c'est parce que l'on admet que la raison première de ce pacte est la relation sexuelle entre deux personnes. Or, la relation sexuelle n'a jamais été jusqu'à présent un objet juridique. " On m'objectera que la signature d'un Pacs par deux personnes de même sexe ne vaut pas déclaration d'homosexualité, et que par conséquent le Pacs n'est en rien le signe d'une relation sexuelle de cette nature. C'est probable. Toutefois, il n'en reste pas moins que la présence des contrats de Pacs dans les archives préfectorales présente pour les personnes un risque que ce " caractère de l'existence qui ne doit pas être soumis à la curiosité des tiers " ne soit plus couvert.
Je veux bien admettre qu'il n'y a pas d'identité stricte entre deux personnes signataires d'un Pacs et deux personnes homosexuelles, mais, d'une part, la probabilité en est assez forte, et d'autre part nous avons le devoir de protéger les personnes contre toute possibilité indue d'intrusion dans leur vie privée, et pas seulement contre la possibilité matérielle de cette intrusion. On objectera peut-être que deux frères qui souhaiteraient bénéficier des avantages du Pacs ne sont pas concernés par cette argumentation, et la font tomber. À quoi il faut répliquer que, d'après les dispositions de la proposition de loi, les frères et sœurs ne sont pas censés déposer une déclaration en préfecture, puisqu'ils ne contractent pas de Pacs, mais ne font que bénéficier de certains de ses avantages.
La garantie de respect de la vie privée doit pourtant, c'est vrai, être complétée par la possibilité pour l'État de maintenir l'ordre autant que nécessaire, ainsi que le rappelle la décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 1977. Par conséquent, il apparaît clairement que la volonté de faire signer le Pacs en préfecture constitue une atteinte au respect de la vie privée, et donc un motif d'inconstitutionnalité.
4.8- Le Pacs méconnaît les exigences du préambule de la Constitution de 1946
Trois raisons nous conduisent à considérer que le Pacs porte gravement atteinte au préambule de la Constitution de 1946, qui fait indiscutablement partie du bloc de constitutionnalité.
4.8.1- Première raison : la répudiation méconnaît le droit à la protection et à la sécurité matérielle
Il est proposé d'inscrire dans le Code civil un article 515-7, qui prévoit les causes de rupture du Pacs. Le rapport de la commission des lois explique cet article en disant : " Cet article prévoit que le Pacs prend fin dans trois hypothèses : le décès de l'un des partenaires, le mariage des partenaires ou de l'un d'eux, puisqu'il s'agit là d'un empêchement à la conclusion d'un Pacs, ou à la volonté conjointe ou unilatérale des personnes. " Le seul problème qui nous est posé ici est celui de la protection des droits des personnes à la suite d'une rupture de ce genre. Le texte prévoit bien que, dans le cas où les deux parties prenantes seraient en désaccord, qu'elles tentent de trouver un arrangement. La proposition de loi précise en effet, dans son article premier que " les partenaires déterminent eux-mêmes les conséquences que la rupture du pacte entraîne à leur égard ".
Notre collègue Mattéi, commentant cette disposition dans son intervention du 9 octobre dernier, déclarait à juste titre que " tous ceux qui ont connu, de près ou de loin, des ruptures sentimentales, mais aussi des ruptures de contrat de travail ou de sous-traitance, savent que rien n'est plus difficile que d'aboutir raisonnablement à un accord entre les deux parties déchirées. En vérité, en l'absence d'un tiers, ce ne sont pas les parties qui déterminent, mais le plus fort des deux ". On me dira que, toujours selon l'article premier de la proposition de loi, il est précisé qu'à défaut d'accord, les conséquences de la rupture du Pacs sont réglées par le juge. Soit. Mais le texte ne dit rien sur le juge compétent, ni sur l'étendue de sa compétence. À partir du moment où le Pacs ne prévoit rien en termes de dommages et intérêts éventuels, de pension alimentaire le cas échéant, le juge ne pourra guère se prononcer que sur la répartition et la dévolution des biens matériels.
En réalité, le manque absolu de contraintes éventuelles liées à la rupture du Pacs plonge celui des deux contractants qui est le moins bien doté au plan économique et social dans une situation de précarité insupportable, tout en lui donnant ce que bon nombre de commentateurs ont appelé à bon droit une " illusion de protection ". On peut encore ajouter que le Pacs tel qu'il nous est proposé constituerait une première dans le droit français. Il serait en effet le premier et le seul contrat à durée indéterminée dont on pourrait sortir unilatéralement sans avoir besoin d'alléguer aucune raison, et sans devoir verser à l'autre contractant des dommages réparateurs de la rupture, nous l'avons déjà évoqué. J'ajoute que le fameux délai de trois mois interroge sur sa véritable nature : est-ce un délai préfix, pendant lequel les droits continuent de courir, en même temps que les obligations ? Est-ce un simple délai informatif, visant seulement à ce que celui des deux pactisants qui ne veut pas rompre puisse prendre le temps d'organiser sa future vie solitaire ? Tout cela est plus que flou, et ferait du Pacs, comme on a pu le dire, un contrat moins protecteur que n'importe lequel des contrats de travail du libéralisme sauvage, système philosophique et économique dans lequel on m'accordera que prime avant tout le droit du plus fort, à la merci duquel le plus faible serait laissé.
Or l'instauration d'un droit du plus fort est violemment contraire à la lettre comme à l'esprit du préambule de la Constitution de 1946, reprise dans le préambule de la Constitution de 1958. On lit en effet, à l'alinéa 11 du préambule de 1946 : " Elle (c'est-à-dire la nation) garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ". Cet alinéa est ainsi commenté par Guy Carcassonne : " Le rôle du Conseil constitutionnel n'est pas et ne peut être d'imposer la réalisation de ces objectifs, mais, ce qui n'est pas négligeable, de veiller à ce que les dispositifs destinés à sa réalisation ne soient pas diminués ou supprimés sans être remplacés par d'autres offrant des garanties au moins équivalentes. "
Le même esprit prévaut sans aucun doute à l'écriture de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, à laquelle s'oppose radicalement l'instauration d'un droit du plus fort. Article 1er : les êtres humains " sont doués de raison et de conscience, et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité " ; article 7 : " Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une protection égale de la loi. " Ces deux articles sont fort utilement complétés par l'article 22, fondement de mon présent argument, et dont je vous donne lecture : " Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction de ses droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité. " Et que dire de l'article 25 de la même déclaration, qui précise : " Toute personne a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. "
Enfin, je souhaite rappeler que l'instauration de la répudiation est également contraire au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux, et culturels, adopté par l'Assemblée générale des Nations unies en 1966, auquel la France est évidemment liée. Le troisième alinéa du préambule de ce pacte dit ceci : " L'idéal de l'être humain libre, libéré de la crainte et de la misère, ne peut être réalisé que si des conditions permettant à chacun de jouir de ses droits économiques, sociaux et culturels, aussi bien que de ses droits civils et politiques, sont créés. " On comprendra pourquoi je préfère de loin ce pacte-ci à celui qui nous est proposé aujourd'hui.
Il est tout à fait évident qu'en refusant de prévoir des modalités de réparation satisfaisantes pour les pactisants qui subissent la rupture, le Pacs est contraire tant au préambule de la Constitution de 1946 qu'à la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, ainsi qu'au Pacte de 1966. Cette méconnaissance du préambule de la Constitution de 1946 et d'autres déclarations internationales constitue un premier motif d'inconstitutionnalité.
4.8.2- Deuxième raison : la concurrence au mariage introduite par le Pacs méconnaît les droits de la famille à être protégée
L'article premier de la proposition de loi sur le Pacs dispose qu'un certain nombre d'empêchements rendent impossible la signature d'un tel contrat à cause de nullité. Je cite le rapport de la commission des lois : " Il en résulte que ce type de contrat n'est pas ouvert, d'une part, à deux personnes dont l'une au moins est mariée ou déjà liée par un Pacs et, d'autre part, à un ascendant et un descendant en ligne directe et à deux collatéraux jusqu'au troisième degré. " Ces empêchements reprennent presque exactement les empêchements faits au mariage, tels qu'ils apparaissent dans le Code civil, à ceci près que le Pacs peut être contracté par deux personnes de même sexe, ce que l'on peut constater à la lecture des articles afférents du Code civil :
Article 144 : " L'homme avant 18 ans révolus, la femme avant 15 ans révolus, ne peuvent contracter mariage. "
Article 147 : " On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier. "
Article 148 : " Les mineurs ne peuvent contracter mariage sans le consentement de leurs père et mère. "
Article 161 : " En ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants légitimes ou naturels et les alliés dans la même ligne. "
Article 162 : " En ligne collatérale, le mariage est prohibé entre le frère et la sœur légitimes ou naturels. "
Article 163 : " Le mariage est encore prohibé entre l'oncle et la tante, la tante et le neveu, que la parenté soit légitime ou naturelle. "
Voudrait-on objecter que l'amendement dit " des fratries " fait tomber cette identité des empêchements du mariage d'avec ceux du Pacs ? L'objection ne tient pas : la proposition de loi dit en effet, dans son article 10, que les dispositions du Pacs " sont applicables " aux frères et sœurs. Ceci indique suffisamment que les frères et sœurs sont dans l'interdiction de signer un Pacs, mais qu'ils sont seulement éligibles à certains des droits ouverts par ce contrat. Ceci n'est pas la même chose, et l'amendement fratries n'empêche pas que les empêchements du Pacs demeurent identiques à ceux du mariage. C'est d'ailleurs une autre bizarrerie de ce texte que d'ouvrir des droits sans qu'aucune démarche contractuelle d'aucune sorte ne soit accomplie, ce qui contrevient gravement, là encore, à l'esprit de notre droit civil, mais c'est une autre affaire que nos collègues ne manqueront pas de relever.
On constate par ailleurs que le Pacs ouvre aux contractants tous les droits du mariage sans obliger à ses devoirs. Je ne reprendrai pas la lecture mot à mot des articles du Code civil qui fixent les devoirs des époux, mais seulement leur contenu : les époux s'engagent à entretenir les enfants, ils se doivent secours, fidélité et assistance, ils assument la direction de la famille et l'éducation des enfants, ils contribuent aux charges de la famille, et s'obligent à une communauté de vie. Ces obligations faites aux époux ne se retrouvent en rien dans le régime du Pacs. Celui-ci, en donnant aux " pactisants " des droits familiaux sans obliger aux devoirs de cette charge, constitue évidemment une concurrence déloyale à l'institution qui, dans nos traditions, a la responsabilité de porter la famille, ainsi que l'indiquent les articles 203 et 213 du Code civil.
Ces obligations acceptées dans le cadre du mariage est le seul fondement des droits accordés aux familles, notamment au plan de la succession et au plan fiscal. Mais ces droits ne sont que la contrepartie donnée par l'État au fait que, par le mariage, les époux s'engagent à prendre à sa charge celui des deux qui n'aurait pas de ressources, que ce soit de manière choisie ou de manière subie.
Cette situation donne la raison pour laquelle le plus fort de l'avantage fiscal de la déclaration commune est atteint dans le cas où l'un des deux conjoints n'a précisément pas de ressources. L'État reconnaît donc l'avantage qu'il trouve lui-même au fait que des personnes sans ressources soient prises en charge par quelqu'un d'autre que lui, ce que l'on peut aisément comprendre. Par conséquent, cette absence de contrepartie obligatoire face aux droits accordés aux pactisants ne constitue rien d'autre qu'une fragilisation de la famille, dont le Pacs est le concurrent. On admettra facilement en effet que de deux situations qui procurent les mêmes avantages, celle qui demande le moins d'obligations est évidemment plus couramment choisie.
Attaquant ainsi frontalement l'institution familiale, le Pacs est encore la cause de deux motifs d'inconstitutionnalité. Le premier est en tout état de cause une rupture du principe d'égalité, dont j'ai rappelé plus haut comment il était attaqué par ailleurs par le Pacs. Ce motif supplémentaire est fondé sur le fait que, une fois encore, il est contraire au principe d'égalité que des personnes évoluant dans le même type de situation, se voient procurer des avantages sans subir les contraintes attachées à cette situation. Les mêmes arguments que ceux que j'ai développés tout à l'heure se retrouvent ici. Le second, tout aussi inconstitutionnel, est fondé sur la méconnaissance par le Pacs de l'obligation faite à notre République de protéger l'institution familiale, ainsi que l'y contraint le préambule de la Constitution de 1946, en ces termes : " La nation assure à l'individu et à la famille les conditions de son développement. "
Dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, on peut également lire à l'article 16, alinéa 3 : " La famille est l'élément naturel et fondamental de la société, et a droit à la protection de la société et de l'État. " Il est impossible de défendre que l'instauration d'une concurrence à l'égard de quoi ou qui que ce soit constitue une mesure protectrice de celui à qui l'on fait concurrence. En conséquence, il est établi que le Pacs, en tant que concurrent direct et déloyal de la famille, porte atteinte à l'obligation constitutionnelle de sa protection.
4.8.3- Troisième raison : la construction du Pacs ignore la nécessité de protéger l'enfant
De ces deux motifs d'inconstitutionnalité liés aux dispositions du préambule de la Constitution de 1946 naît un troisième motif, qui concerne l'enfant.
On a beaucoup entendu dire que le Pacs ne concernait pas l'enfant, et que la crainte exprimée par beaucoup d'entre nous sur ces bancs, dont je fais partie, était parfaitement infondée. J'ai rappelé au début de mon propos ce qu'il en était en réalité. J'ajouterai que, à la lecture des propositions de lois sur le CUCS, en 1997, les deux propositions de MM. Ayrault et Michel comportaient respectivement un article 4 et un article 3 qui mentionnait à l'identique que " les contractants disposent de tous les droits ouverts aux couples mariés, vivant maritalement et aux concubins ". Tous ces droits incluent bien évidemment le droit à l'adoption et le droit au bénéfice de la procréation médicalement assistée, dans les limites fixées par la loi, cela va sans dire.
Les déclarations plus récentes dont j'ai donné lecture tout à l'heure montrent à l'évidence que l'intention de donner la possibilité d'adopter des enfants aux couples homosexuels est toujours d'actualité. Mme le Garde des sceaux a tenté de rassurer l'opinion en proclamant qu'il ne saurait être question de telles dispositions, et que la possibilité d'adopter comme celle de profiter des procréations médicalement assistées ne pourrait être proposée aux membres d'une union homosexuelle. Mme le ministre, nous pourrons en juger lors de nos débats, et je ne doute pas que votre souci de cohérence ira jusqu'à soutenir deux amendements déposés par mes collègues de l'opposition et moi-même. Le premier proscrit l'adoption pour un enfant qui serait accueilli dans le foyer d'une personne unie par le Pacs à une personne de même sexe, et le second interdit à une personne ayant garde d'enfants de signer un Pacs avec une personne de même sexe. Nous verrons alors quelle est la réelle volonté du gouvernement en regard des propos que le Premier ministre avait également tenus le soir du 8 octobre dernier sur une chaîne de télévision publique.
À part cela, il est vrai que l'enfant est très clairement absent de la proposition de loi sur le Pacs. Ou plutôt, il n'est pas mentionné quand il devrait l'être et il ne l'est pas quand il le devrait. J'en veux pour preuve, entre autres, ce récent échange entre Mme Sullerot et Mme le ministre Guigou, au cours duquel Mme Sullerot a fait la remarque suivante : " Les concubins ne demandaient rien. Ils bénéficient des droits sociaux des couples mariés, et ils n'ont pas plus envie de se rendre chez le préfet que chez le maire ! En revanche, ces mêmes concubins hétérosexuels rencontrent des problèmes réels liés à la présence d'enfants, et j'aimerais savoir ce que leur offre le Pacs. " Vrai problème sans doute, mais puisque l'enfant est absent de nos considérations d'aujourd'hui, la réponse à Mme Sullerot est : " Rien. " Et Mme Sullerot continue : " Je note que, en l'état actuel du projet, un homme qui a signé un Pacs avec une femme peut, si celle-ci se trouve enceinte, rompre le Pacs sans autre forme de procès ; ou qu'une femme enceinte peut rompre un Pacs avec un premier homme pour en contracter un autre avec un second, durant le temps de sa grossesse. Vous allez créer des situations révoltantes qui ne peuvent que donner lieu à une énorme jurisprudence et des procès sans fin ! Je ne vois pas d'intérêt pour les hétérosexuels dans cette chimère qu'est le Pacs. En revanche, il semble évident que ce projet s'attaque à la symbolique du mariage, en lui suscitant un faux-semblant. "
Je ne sais si Madame Guigou a répondu clairement à cette remarque de Mme Sullerot, mais en tous cas le magazine n'en fait pas mention. Cette absence de réaction, sur laquelle nous aurons certainement des éclaircissements un peu plus tard, montre combien l'enfant peut être fragilisé dans le cadre du Pacs. En effet, par la conjugaison des deux premiers motifs d'inconstitutionnalité que je viens d'établir, c'est-à-dire l'instauration de la répudiation et l'absence de protection de la famille, l'enfant, pour peu que les contractants du Pacs en aient un ou plusieurs, se trouve frappé de plein fouet par la précarité instaurée du fait de la rupture, de même qu'il ne peut bénéficier de la protection que l'État doit aux familles. J'ajoute que le Pacs est contraire à tous les engagements internationaux de la France en regard des droits de l'enfant, dont je voudrais donner rapidement quelques exemples.
La Convention internationale des droits de l'enfant, stipule, dans son article 4, que " les États parties s'engagent à prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en oeuvre les droits reconnus dans la présente convention ", dont ceux qui sont prévus à l'article 3 et qui déclarent que " dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". D'autres articles de la même convention peuvent utilement être cités dans notre débat, notamment l'article 12, alinéa 2 : " On donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par intermédiaire. "
Je sais, si certains de ses articles sont considérés par le Conseil d'État comme directement applicables en droit français, que la présente Convention n'a pas de valeur constitutionnelle. Toutefois, le rattachement exprès de cette convention, dans son préambule, aux différentes déclarations des Nations unies et à la Déclaration des droits de l'homme de 1948 ne fait aucun doute. Le préambule de cette convention rappelle en effet textuellement ce que la Déclaration de 1948 dit en son article 25, alinéa 2 : " La maternité et l'enfance ont droit à une aide et une assistance spéciales. Tous les enfants, qu'ils soient nés dans le mariage ou hors du mariage, jouissent de la même protection sociale. "
Or il ne fait pas de doute que ce que nous abordions plus haut à propos de la répudiation concerne directement l'enfant dès qu'il est présent d'une manière ou d'une autre dans le Pacs. Et lorsqu'il s'agira de rompre ce Pacs unilatéralement, l'enfant ou les enfants concernés ne pourront avoir accès aux mêmes conditions de protection, contrairement à ce qui se produit en cas de divorce, par exemple. Cette raison, fondée sur l'instauration de la répudiation qui est contraire à l'obligation de protéger l'enfant, constitue un motif supplémentaire d'inconstitutionnalité.
4.9- La méconnaissance de la compétence du législateur
L'exposé du dernier motif d'inconstitutionnalité posé par ce texte sera bref.
" Si théoriquement la loi ne peut intervenir que dans ses domaines de compétence, elle doit en revanche les exercer complètement, déclare Guy Carcassonne. Rien que sa compétence, poursuit-il, mais toute sa compétence, puisque le Conseil constitutionnel rappelle qu'il est interdit au Parlement de s'en remettre à d'autres autorités pour prendre des décisions qui ne ressortissent que de lui. C'est ce qu'on dénomme l'incompétence négative, qui se rencontre chaque fois que le Parlement ne va pas lui-même au bout de son pouvoir, omet les garanties légales qu'il revient à lui seul de prévoir. " Cette jurisprudence du Conseil est attestée par deux arrêts au moins, notamment celui du 20 janvier 1984 portant sur l'enseignement universitaire privé et les libertés universitaires. Le Conseil avait alors estimé que le législateur avait méconnu sa compétence en laissant au pouvoir réglementaire le soin d'établir les dérogations aux règles constitutives des établissements publics universitaires.
Or, dans le texte qui nous est proposé, par le silence total sur l'âge des contractants, sur les motifs de résiliation unilatérale, sur les cas de rupture abusive, sur la rupture impossible pour cause d'exceptionnelle gravité, pour la non-précision des compensations pécuniaires des prestations compensatoires, et du sort des enfants, la proposition méconnaît la compétence du Parlement au regard de l'article 34 de la Constitution. Le Pacs est également inconstitutionnel pour ce motif.
c. b.