Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008
CE N'EST PAS LA PREMIERE FOIS que le monde se trouve à un âge de grandes migrations. Et de nouveau, les États-Unis sont confrontés au défi de devoir absorber un nombre élevé de nouveaux arrivants.
On compte approximativement 200 millions de migrants et de réfugiés dans le monde, le triple de l'estimation donnée par l'ONU il y a seulement dix-sept ans. Pour les seuls États-Unis, environ un million de nouveaux immigrés sont entrés chaque année depuis 1990, portant le total de la population immigrée à plus de 35 millions, le plus grand chiffre jamais atteint dans l'histoire de la nation. Bien que les Américains se revendiquent justement dans leur histoire comme la " nation des immigrants ", les défis d'aujourd'hui sont plus complexes que ceux que la nation a dû surmonter par le passé. Qu'il s'agisse des pays de départ ou d'accueil, nous sommes dans un temps de tension extrême — et pourtant, c'est aussi une époque qui offre de véritables perspectives.
Trop souvent, ces défis et ces perspectives sont discutés en termes étroitement économiques, alors qu'une compréhension convenable des modèles de migration contemporains devrait également intégrer leur relation à " l'hiver démographique " qui touche les riches sociétés d'Europe et d'Amérique du Nord. En dépit des prévisions des partisans du contrôle des naissances dans les années soixante et soixante-dix, le principal problème démographique d'aujourd'hui auquel doivent faire face la plupart des pays n'est pas la surpopulation, mais son contraire. Partout dans le monde, même dans les pays en voie de développement, les populations vieillissent. Dans les nations plus riches, là où le processus est le plus avancé, la baisse du taux de natalité et l'allongement de la durée de vie signifient que nos populations contiennent en proportion beaucoup moins d'enfants et beaucoup plus de personnes dépendantes et âgées que jamais auparavant.
Démographie et crise de la protection sociale
La combinaison de la baisse du taux de natalité et d'une plus grande longévité est à l'origine de la crise des politiques de santé et de sécurité sociale des États providence. Les systèmes de protection sociale ont été conçus vers la fin du XIXe et le début du XXe siècle sur la base d'un rapport de neuf, ou dans certains cas, sept travailleurs actifs pour un retraité. Aujourd'hui, l'Europe approche trois actifs pour un retraité, et ces retraités vivent beaucoup plus longtemps. (Quand les créateurs des premiers systèmes de sécurité sociale ont choisi l'âge de soixante-cinq ans comme seuil d'éligibilité, ils comptaient sur le fait que relativement peu de gens deviendraient un fardeau pour l'État en vivant au-delà.) À l'allongement de la durée de vie, est venue s'ajouter une augmentation de la demande de soins médicaux, dont le coût a dépassé ce que personne ne pouvait imaginer quand les premiers systèmes d'assurance-maladie ont été créés.
Bien que l'Europe fut la première à subir les premiers craquements démographiques, les États-Unis ne sont pas loin derrière. Nos 78,2 millions de baby-boomers s'approchent rapidement de l'âge de la retraite. Au cours des vingt-cinq prochaines années, la structure par âge de l'ensemble du pays ressemblera à celle d'un " État retraité " comme la Floride, là où un cinquième de la population a déjà plus de soixante-cinq ans. Le Président Bush a souligné l'urgence de la situation dans son Discours sur l'état de l'Union 2006, avertissant que " la retraite de la génération du baby-boom imposera des contraintes sans précédent au gouvernement fédéral. D'ici 2030, les seules dépenses de sécurité sociale, d'assurance-maladie, et d'aide médicale représenteront presque 60 % du budget fédéral. Et cela signifiera pour les futurs Congrès des choix impossibles — augmentations d'impôts, déficits considérables, ou coupes claires dans chaque catégorie de dépenses. "
Une crise plus profonde
Bien que la prise de conscience de cette tempête démographique imminente commence à progresser, les dirigeants européens et américains tendent à la considérer seulement comme une " crise de l'aide sociale " (Welfare crisis). Or la chute de la natalité qui alimente la crise de la protection sociale est symptomatique d'une crise plus profonde, qui touche les croyances et les comportements — une crise qui a bouleversé le sens et les valeurs, et que les gens attribuent au vieillissement et à la mort, à la sexualité et à la procréation, au mariage, à l'altérité sexuelle, à la condition parentale, aux relations entre les générations, et à la vie elle-même. Cette crise plus profonde fait partie des retombées de ce que Francis Fukuyama a appelé " la grande rupture ", la révolution des comportements et des idées qui s'est abattue sur nous si soudainement à la fin du XXe siècle et qu'aucun démographe n'avait prévue. Depuis le milieu des années soixante, et en seulement vingt ans, les principaux indicateurs démographiques des États-Unis et de l'Europe du Nord ont varié à hauteur de 50 % ou plus. Les taux de natalité et de mariage ont dégringolé, tandis que l'augmentation des divorces, des couples et des naissances hors-mariage s'est brutalement accélérée.
Ces mêmes années, sans aucun doute, ont vu des avancées sociales impressionnantes pour beaucoup de femmes et de minorités. Mais toutes ces innovations n'ont pas été des progrès. Certaines ont contribué à miner les bases culturelles dont dépendent les sociétés libres, justes et égalitaires. Par exemple, s'est largement répandu le concept selon lequel le comportement dans les domaines très personnels de la sexualité et du mariage n'a de conséquence que sur les " adultes consentants ". Au fil du temps, cependant, il est devenu évident que l'addition des actes privés exerce une influence profonde sur d'autres individus et sur la société dans son ensemble. En fait, quand une masse critique d'individus agit principalement selon les lois de sa propre satisfaction, la culture entière est transformée. Les riches nations d'Occident se sont engagées dans une expérience sociale de masse — une expérience qui a apporté de nouvelles chances et de nouvelles libertés à beaucoup d'adultes, mais qui a exposé des mères, des enfants et des personnes dépendantes à des risques considérables.
L'effondrement de la famille a entraîné une onde de choc sur toutes les structures sociales dont dépendaient traditionnellement les familles pour vivre et faire face aux difficultés, depuis les écoles, les relations de voisinage, les groupes religieux jusqu'aux aux gouvernements locaux et aux syndicats. La loi a changé rapidement aussi, devenant moins un élément de stabilité qu'une arène où s'affrontent les idées de liberté individuelle, d'égalité entre hommes et femmes, de sexualité humaine, de mariage, et de vie familiale.
Maintenant que les populations pauvres des pays riches comptent la plus faible proportion d'enfants qu'on ait jamais connue, la pression sur les ressources sociales provoque un conflit de générations qui pèse sur l'ambition des politiques de protection sociale des États-providence d'Europe du Nord. Si la réflexion politique sur l'imminence de la crise de la protection sociale ne se pose qu'en termes d'arbitrage entre des ressources insuffisantes, les perspectives pour les personnes les plus vulnérables de la société sont effrayantes — comme en témoigne la normalisation croissante de la suppression des personnes devenant inopportunes et lourdes à entretenir aux instants fragiles du commencement et de la fin de la vie.
Natalité et immigration : avantage aux USA
Les leaders d'opinion dans les sociétés âgées d'Europe et des États-Unis ont généralement évité de faire le lien entre la pénurie de naissances et le besoin d'immigration. En conséquence, on a peu débattu sur ce qui devrait être évident : une société riche qui, pour n'importe quelle raison, n'accueille pas de bébés, va devoir apprendre à accueillir des immigrés si elle espère maintenir sa vitalité économique et ses engagements à l'égard de la santé et du bien-être de sa population. La question n'est pas de savoir qui fera le travail dont les Américains ne veulent pas. La question est : qui garnira les rangs d'une main d'œuvre que la génération vieillissante a échoué à remplir ?
Relever le défi de la baisse du rapport entre actifs et retraités exigera de nombreuses adaptations, mais la migration de remplacement devra prendre sa part dans la recherche des réponses efficaces. La bonne nouvelle est que l'Amérique a plusieurs avantages par rapport à l'Europe. Pour commencer, les États-Unis ont un taux de fertilité de 2,08 bébés par femme, tandis que dans l'Union européenne le taux de fertilité estimé en 2005 était de 1,47, bien au-dessous du taux de remplacement de 2,1. Mieux, les États-Unis ont une longue histoire d'expériences réussies d'absorption de nouveaux citoyens venant en grand nombre de nombreuses régions du monde. (Alors qu'en valeur absolue, le total de nouveaux immigrés est actuellement le plus haut dans l'histoire des États-Unis, il est proportionnellement moins grand que dans les périodes précédentes d'immigration à grande échelle.)
Un troisième avantage intéressant à mentionner est celui-ci : tandis qu'il y a une énorme diversité parmi les habitants de l'hémisphère américain, la majorité des migrants vers les États-Unis partagent certaines des croyances principales de la majorité des habitants du pays. Qui plus est, dans le cas de l'Amérique latine, ces croyances sont de nature religieuse.
Selon une enquête menée en 2005 aux États-Unis et dans neuf de ses pays alliés les plus proches où l'on demandait aux gens l'importance du rôle de la religion dans leurs vies, le Mexique et les États-Unis se sont trouvés en première position, avec 86 % de Mexicains et 84 % d'Américains. Les pays européens, en revanche, s'inquiètent, et on les comprend, de l'évolution du fonctionnement de leurs démocraties si une proportion non négligeable d'immigrants en vient à ne pas adhérer au cœur des concepts sur lesquels leurs régimes sont fondés.
Les résistances
Aussi pourquoi les États-Unis ne se réjouissent-ils pas de l'immigration latino-américaine ? Une partie de la réponse est dans le coût économique global du phénomène. Les salariés américains craignent souvent que l'arrivée massive des migrants entraîne une réduction des salaires et n'occupe les emplois disponibles. Cette crainte est parfois exagérée, mais elle n'est pas infondée : il y a un consensus parmi les économistes pour affirmer que l'immigration a légèrement réduit les revenus des travailleurs les moins qualifiés et à bas salaire. Beaucoup d'Américains sont également préoccupés par les coûts que l'immigration illégale impose aux contribuables, et les contraintes qu'elle fait peser sur les écoles et les services sociaux, en particulier dans les États frontaliers. Le désir de protéger la sécurité nationale des États-Unis, particulièrement après le traumatisme du 11 Septembre, a joué aussi un rôle.
En outre, certains Américains veulent fermer la porte aux migrants simplement parce qu'ils sont des étrangers. Au XXe siècle, cette attitude a semblé s'éloigner, mais ces dernières années, des sentiments nationalistes en sommeil ont été enflammés de manière irresponsable par des courants anti-immigration. Il y a quelques années, j'ai écrit sur les connexions financières et idéologiques entre les groupes extrémistes anti-immigration, écologistes radicaux, et partisans agressifs du contrôle des naissances. Ce qui unit cette large coalition dans ce que j'ai appelé un " triangle de fer de l'exclusion ", c'est leur commune conviction que le contrôle des frontières et l'avortement sont les principales défenses contre l'extension, menaçante, dévoreuse de protection sociale, d'une population défavorisée non blanche. (Je n'ai jamais soupçonné quand j'ai écrit ces lignes qu'elles me coûteraient six mois de salaire. Mais sur la base d'une promesse de bourse d'études d'une fondation dont les objectifs comprenaient la protection de l'environnement, j'avais pris un congé sans solde de Harvard. Peu de temps après la publication de mon article, la fondation renonçait à sa promesse. J'ai découvert que sa conception de la protection de l'environnement consistait à préserver le pays d'avoir des migrants et à restreindre les naissances dans les milieux pauvres.)
Des inquiétudes de bonne foi au sujet de l'immigration à grande échelle portent parfois sur ses coûts sociaux, à travers un effet délétère possible sur la cohésion culturelle de la nation ou sur la stabilité des communautés locales. On aimerait se rassurer en se souvenant qu'on a connu de semblables inquiétudes à l'heure des grandes migrations, il y a un siècle. Pourtant, l'histoire de ces premiers immigrés, marquée par l'hostilité ambiante et de dures rivalités, est en grande partie une histoire d'intégration réussie.
Mais la culture américaine de l'époque se caractérisait par un large consensus sur les valeurs communes. La situation est plus compliquée aujourd'hui, à une époque où il est plus difficile d'identifier — et a fortiori de discerner pour un nouvel arrivant — une vision commune de ce que signifie être américain.
Pour aggraver la difficulté, les structures de la communauté et les groupes religieux qui ont par le passé joué un rôle crucial dans l'intégration des immigrés eux-mêmes se sont affaiblis. Les relais du old Democratic-party, qui avait su dans le passé introduire de nouveaux citoyens dans le processus politique local, ont disparu. À leur place, un nouvel immigré rencontre aujourd'hui des institutions politiques qui se sont développées en réponse au mouvement noir des droits civiques (civil-rights movement) des années 60. Le nouvel arrivant du Mexique, du Brésil, ou du Salvador devient un " Latino " générique, pris en main pour être initié au jeu de la politique des minorités qui sème la discorde entre les races.
Éclipsant toutes les autres inquiétudes, on s'alarme des 11 ou 12 millions d'immigrés illégaux aux États-Unis. Pour comprendre la profondeur du sentiment lié à cette question, on doit garder à l'esprit qu'il n'y a aucun pays sur terre où la valeur de la loi joue un rôle aussi prééminent dans la conception de la nation elle-même que les États-Unis. C'était l'une des premières choses que Tocqueville avait notées ici lors de ses voyages dans les années 1830, et, comme le pays s'est largement développé et diversifié, la confiance des Américains dans les valeurs légales est devenue toujours plus aiguë. Au cours des batailles culturelles du XXe siècle, ils se sont appuyés plus que jamais sur la Déclaration d'indépendance, sur la Constitution, et sur l'autorité de la loi comme force d'unification. Les gens issus de sociétés liées par l'histoire et les histoires communes, les chansons, les images partagées, peuvent surestimer ou sous-estimer l'importance de cet aspect de la culture des États-Unis. Ceux qui viennent des sociétés où la loi formelle est associée au colonialisme peuvent trouver assez étrange l'attachement des États-Unis à la légalité. Mais aucune solution aux défis de l'immigration n'est susceptible de réussir sans en tenir compte.
Concevoir des stratégies efficaces
Si les États-Unis souhaitent développer des politiques d'immigration réalistes, sages, et humaines, ils auront besoin d'un débat public bien plus nourri et mieux informé. Actuellement, ce débat est trop souvent dominé par les alarmistes de l'immigration qui tendent à ignorer notre besoin de migration de remplacement et les situations humaines des hommes et des femmes qui cherchent des débouchés aux États-Unis. D'autre part, les avocats de l'immigration montrent insuffisamment d'attention aux inquiétudes légitimes des citoyens, alors que d'autres semblent ne chercher que les avantages économiques de l'immigration de main d'œuvre, fermant les yeux sur l'épreuve réelle de cette situation pour les migrants et leurs familles.
Dans le climat actuel, il est extrêmement difficile de distinguer les soucis légitimes de ces attitudes malsaines. Il y a donc un besoin urgent de sensibiliser le public à la fois sur les arguments justifiant certaines immigrations et sur le très probable coût social (chez les immigrants et chez les pays hôtes) d'une immigration de large ampleur qui n'est pas accompagnée d'une stratégie bien conçue pour intégrer les familles émigrantes dans la vie des communautés où elles s'installent.
Pour concevoir des stratégies efficaces, il sera nécessaire de se confronter directement à la question de la légalité. Comme l'a souligné le politologue Peter Skerry, " le débat sur l'immigration a été enfermé dans le cadre exigeant mais trompeur de la distinction entre immigration légale et illégale. Il a été presque impossible de résister à ce paradigme dominant qui attribue tous les résultats négatifs de l'immigration aux immigrés illégaux, et tous les résultats modestes ou positifs aux immigrés légaux. Or les effets de l'immigration sur l'ordre social ne découlent pas aussi facilement de ce paradigme aussi tranché légal-illégal. "
Néanmoins, étant donné l'importance de l'autorité de la loi pour la plupart des Américains, des solutions devront être trouvées pour éviter l'enrichissement affiché de ceux qui violent la loi, même s'il s'agit de cas individuels clairement en décalage avec la façon dont se comportent la plupart des immigrants vivants aux États-Unis. Des propositions ont été avancées autour de la notion traditionnelle de réhabilitation après paiement de sa dette à la société : elles semblent se diriger vers une voie moyenne entre l'amnistie et la sanction.
Nous devrons nous concentrer particulièrement sur l'éducation des enfants immigrés, parce que les écoles sont le premier point de contact avec une culture. Cependant, cette voie est remplie de pièges, dans la mesure où — et n'importe quel parent peut en témoigner — la culture contemporaine de la jeunesse peut poser des problèmes en soi.
Si les États-Unis sont à même de relever tous ces défis, les gouvernements devront s'appuyer fortement à tous les niveaux sur les communautés et les institutions locales, y compris les organismes religieux qui ont joué dans le passé un rôle important pour faciliter l'adaptation des migrants, quoique ces institutions soient aujourd'hui plus faibles qu'auparavant.
Avec une immigration inévitable, la seule question utile semble être la suivante : Comment le processus peut-il être influencé pour en maximiser les avantages potentiels et en minimiser les inconvénients pour toutes les parties concernées ? Face à un tel enjeu pour les États-Unis et l'Amérique latine, il faut favoriser les conditions pour lancer des négociations intergouvernementales comme celles amorcées par les gouvernements du Mexique et des États-Unis en 2001. Ces négociations ont subi un recul grave avec les attaques du 11 septembre 2001. Mais les difficultés ne devraient pas empêcher les nombreuses opportunités de coopération, sur le principe de la responsabilité partagée. Une discussion honnête et exhaustive des inquiétudes et des objectifs légitimes de chaque nation pourrait mettre évidence les secteurs où nos intérêts convergent, clarifier les zones de conflit, et conduire à des arrangements raisonnables.
Principes
Les cinq principes identifiés en 2003 dans la lettre pastorale commune des évêques mexicains et américains, Strangers No Longer : Together on the Journey of Hope, pourraient être utiles dans la mise en œuvre d'une nouvelle approche qui pourrait profiter à toutes les parties, pays de départ ou d'accueil. La lettre des évêques affirme que 1/ les personnes ont le droit de travailler dans leur patrie ; 2/ quand le travail manque dans son pays natal, les personnes ont le droit d'émigrer pour trouver un emploi et soutenir leurs familles ; 3/ les nations souveraines ont le droit de contrôler leurs frontières, mais les nations économiquement les plus fortes ont l'obligation d'autant plus grande d'aménager les flux d'immigration ; 4/ les réfugiés et les demandeurs d'asile fuyant les guerres et les persécutions doivent être protégés ; et 5/ la dignité et les droits humains des migrants sans papiers doivent être respectés.
À ces cinq principes, un sixième devrait être ajouté : celui reconnaissant la nécessité pour une société régie par un État de droit d'être prudente dans les messages qu'elle adresse aux personnes qui souhaitent lui appartenir. Et les évêques pourraient avoir bien fait de noter, comme le pape Jean Paul II l'a fait dans Solicitudo Rei Socialis, que la solidarité impose des devoirs aussi bien à ceux qui sont désavantagés qu'à ceux qui sont avantagés : " Les personnes les plus influentes, disposant d'une part plus grande de biens et de services communs, devraient se sentir responsables des plus faibles et être prêtes à partager avec elles ce qu'elles possèdent. De leur côté, les plus faibles, dans la même ligne de la solidarité, ne devraient pas adopter une attitude purement passive ou destructrice du tissu social, mais, tout en défendant leurs droits légitimes, faire ce qui leur revient pour le bien de tous. "
Évidemment, ces principes généraux sont d'une certaine manière en tension. Aller des principes aux applications politiques concrètes nécessitera beaucoup d'engagement, d'intelligence, de créativité, et de bonne volonté de la part de tous les intéressés. Cela exigera un débat réaliste sur les coûts et les bénéfices humains et économiques. Mais une chose semble certaine : étant donné les avantages relatifs de l'Amérique à cette époque de grandes migrations, ce serait une tragédie si les pays de départ et d'accueil de notre continent n'unissaient pas leurs forces pour explorer comment ces avantages peuvent être maximisés de manière à bénéficier à tous. Désormais, que nous vivions dans des pays d'émigration ou d'immigration, les choix que nous faisons maintenant détermineront le type de société que nous construirons pour les Américains, du Nord et du Sud, qui viendront après nous.
M.-A. GL.
© Copyright 2006 First Things. Traduction Jean Choisy pour Liberté politique de Mary-Ann Glendon, "Principled Immigration", First Things A Journal o Religion and Public Life, n° 164, June/July 2006, 23-26, avec l'aimable autorisation de la revue.
© Traduction française Liberté politique.
* Mary Ann Glendon est professeur de droit à l'université de Harvard. Cet article s'inspire des études statistiques et de l'analyse de Marcelo M. Suárez-Orozco et de Peter Skerry.
Mère de famille, M.-A. Glendon a été le premier président de l'Académie pontificale des Sciences sociales, dont elle est toujours membre ; elle a conduit la délégation du Saint-Siège à la conférence de Pékin (1995) et à la session de la Commission de l'ONU sur le statut de la femme " Pékin + 10 ", en 2005.