Les " lois de mémoire " : aspects juridiques d'une pratique contestable
Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008

L'ARTICLE 4 DE LA LOI du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des rapatriés a été l'occasion d'un débat plus général sur les rapports de la loi et de l'histoire.

Initiée en 1990 par le vote de la loi du 13 juillet 1990 dite " loi Gayssot " tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe , et relancée en 2001 à la suite de la loi reconnaissant le génocide arménien , cette polémique s'est achevée le 25 février 2005 avec l'annonce par le président de la République de sa décision de supprimer l'article litigieux au moyen de la procédure de l'article 37 alinéa 2 de la Constitution de 1958.

M. Chirac avait confié quelques semaines auparavant une mission à M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, pour évaluer l'action du Parlement dans le domaine de l'histoire alors que dans le même temps, le ministre de l'Intérieur, M. Nicolas Sarkozy, demandait à Me Arno Klarsfeld de mener un " travail approfondi sur la loi, l'histoire et le devoir de mémoire ".

Cet article vise donc à analyser, au travers de ces trois exemples, le processus qui mène à l'adoption de textes juridiquement discutables et qui suscitent en outre de multiples interrogations dans l'opinion publique : l'examen de ce processus amène également à comprendre comment le Parlement se trouve conduit pour des raisons conjoncturelles à sortir du domaine qui lui est assigné par l'article 34 de la Constitution et à adopter de plus en plus de textes non normatifs .

Ces derniers suscitent aujourd'hui deux types de questions : la première, d'ordre théorique, qui concerne les violations éventuelles de certaines libertés publiques par ces lois, et notamment de la liberté d'expression, revêt un intérêt d'autant plus important que le Conseil constitutionnel n'a jamais été mis en mesure de se prononcer sur la constitutionnalité de telles dispositions (I). La seconde, d'ordre davantage politique, amène à s'interroger sur l'utilité pratique de ces textes et sur leur contribution réelle à la lutte contre les pratiques qu'ils entendent sanctionner (II).

 

I- LES OBJECTIFS ET FONDEMENTS JURIDIQUES DES LOIS NON NORMATIVES

 

L'examen des trois lois sus-mentionnées montre que leur adoption a constitué à chaque fois une réponse à une situation jugée inacceptable soit par l'opinion publique en général, soit par les représentants de communautés particulières. Ces situations revêtaient cependant une nature différente et résidaient soit dans une impunité juridictionnelle accordée à des personnes abusant de leur liberté d'expression, soit dans l'absence de reconnaissance des souffrances vécues par certaines catégories de la population (a).

L'étude des réactions provoquées par le vote de ces textes laisse cependant apparaître des divergences quant à leur mode de réception par l'opinion et quant aux origines des polémiques qu'ils ont pu susciter (b).

 

a/ La genèse des lois de mémoire

 

Le processus d'élaboration des trois lois choisies démontre l'absence de consensus sur la légitimité du Parlement pour aborder des questions historiques. Dans le cas de la loi Gayssot, l'une des deux Assemblées, le Sénat, ne donna jamais son accord à l'entrée en vigueur du texte et il fallut même deux propositions de loi différentes pour aboutir à la reconnaissance législative du génocide arménien. L'adoption sans difficulté de la loi du 23 février 2005 ne s'explique quant à elle que par l'absence de perception du caractère " historique " de son article 4.

 

La loi Gayssot comme réponse à un arsenal répressif insuffisant

 

Premier de ces trois textes, la loi Gayssot a trouvé son origine immédiate dans la profanation le 10 mai 1990 du cimetière israélite de Carpentras : l'événement suscita en France une intense émotion et mit en avant la nécessité de renforcer une législation anti-raciste également mise à mal par la montée des théories révisionnistes visant à nier ou à minimiser le génocide subi par la communauté juive pendant la Seconde Guerre mondiale .

Jusqu'à cette date, les infractions raciales tombaient en effet sous le coup de la loi du 1er juillet 1972 qui visait elle-même à revenir sur les imperfections de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Si l'article 1er de la loi de 1972 créa un nouveau délit de provocation à la haine raciale , les tribunaux se montrèrent extrêmement réticents à faire application de cette disposition. Selon Mme France Jeannin, auteur d'une thèse consacrée au révisionnisme , la Cour de cassation se prononça à une seule reprise sur cet article en condamnant sur son fondement le directeur d'une revue ayant publié un article à caractère révisionniste .

L'entrée en vigueur de la loi Gayssot s'effectua dans des conditions beaucoup plus difficiles que celle de la loi de 1972, adoptée à l'unanimité. La proposition du député communiste et futur ministre des Transports, Jean-Claude Gayssot, visait à renforcer le dispositif de lutte contre le racisme en diversifiant les sanctions et, surtout, en créant à l'article 9 de la loi un nouvel article 24 bis ajouté à la loi de 1881 et mettant en place dans les termes suivants le délit de contestation de l'existence des crimes contre l'humanité :

 

Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ou qui auront porté atteinte à la mémoire ou à l'honneur des victimes de l'holocauste nazi en tentant de le nier ou d'en minimiser la portée, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 2 000 à 300 000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement, et à la publication à leurs frais du jugement par voie de presse.

 

Adoptée une première fois le 2 mai 1990 par l'Assemblée nationale, le texte fut alors rejeté à deux reprises par le Sénat . Après la saisine de la commission mixte paritaire qui n'aboutit à aucun résultat positif, la proposition rejetée en deuxième lecture par le Sénat fut adoptée avec quelques modifications le 29 juin 1990 par les députés. Rejeté une troisième fois par le Sénat, le nouveau texte fut adopté en dernière lecture le 30 juin par l'Assemblée nationale avec la version suivante de l'article 24 bis :

 

Seront punis de peines prévues par le 6e alinéa de l'article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énumérés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l‘humanité, tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international de Nuremberg annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.

 

 

 

Les lois de 2001 et 2005 ou la reconnaissance de la souffrance de certaines minorités

 

Les lois de 2001 et 2005 n'avaient pas pour objet de mettre fin à l'impunité de personnes dont les raisonnements défiaient la morale et la logique mais de marquer la reconnaissance de la nation à des communautés dont les souffrances ne semblaient pas avoir été appréciées à leur juste mesure.

La promulgation de la loi du 29 janvier 2001 fut cependant le résultat d'un processus complexe. Dès 1998, en effet, une proposition de loi visant à la reconnaissance du génocide arménien était adoptée à l'unanimité le 28 mai par l'Assemblée nationale et laissait préfigurer l'adoption rapide d'un texte définitif. Cependant, à deux reprises, le 23 mai 1999 et le 22 février 1990, la Conférence des présidents du Sénat refusait d'inscrire cette question à l'ordre du jour. Il fallut attendre le 27 octobre 2000 pour voir six sénateurs , représentant l'ensemble des partis politiques, déposer une nouvelle proposition. Celle-ci fut examinée en discussion immédiate le 7 novembre puis le 10 janvier 2001 à l'Assemblée nationale. Le texte fut voté à l'unanimité deux semaines et demi plus tard.

Contrairement à ses deux devancières, la loi du 23 février 2005 n'avait pas pour objectif principal de se prononcer sur un fait historique et visait principalement à montrer aux rapatriés et aux harkis que la France n'oubliait pas leur rôle à la fin de la période coloniale et les préjudices qu'ils avaient alors subis. L'article 4 de ce texte a ainsi résulté d'un sous-amendement proposé par le député UMP du Nord, M. Christian Vanneste , qui n'a curieusement soulevé aucune objection et a même été voté par les députés du groupe socialiste.

L'article 1er de cette loi énonce que

 

la Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous souveraineté française. Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d'indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu'à leurs familles, solennellement hommage.

 

Lors de la discussion relative à l'amendement ayant donné lieu à l'article 4, le gouvernement se déclara très favorable à cet ajout et aucun des parlementaires qui s'exprimèrent alors n'exprima la moindre réserve quant à son opportunité. En conséquence, l'article 4 dispose aujourd'hui que

 

les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. La coopération permettant la relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

b/ Les réactions face à la promulgation des lois de mémoire

 

Contrairement aux deux autres textes, la loi Gayssot fit l'objet de débats très animés au Parlement et, lors de sa défense du texte au cours de sa troisième lecture à l'Assemblée nationale, Pierre Arpaillange déclara regretter ne pas retrouver " l'unanimité de 1972 ".

Les opposants à la loi axèrent leur argumentation sur deux éléments : d'une part, ce texte remettrait en cause des libertés fondamentales, au premier rang desquelles la liberté d'expression consacrée au niveau constitutionnel par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 . D'autre part, le vote d'une loi ne représenterait pas la solution adéquate pour faire taire les propagateurs des thèses révisionnistes qui bénéficieraient même de ce fait d'une publicité lors des procès organisés à cette occasion.

Plusieurs parlementaires dénoncèrent ainsi l'instauration d'une vérité d'État et citèrent à l'appui de leur théorie sur les dangers de l'établissement d'une histoire officielle l'exemple du massacre de Katyn, attribué pendant de longues années au régime nazi et non pas à l'URSS . La presse quotidienne se fit l'écho de cette polémique en consacrant de nombreuses tribunes à ce sujet qui permirent de constater l'opposition au projet de plusieurs auteurs pourtant très impliqués dans le combat contre le racisme. Pierre Vidal-Naquet , Madeleine Rébérioux et la Ligue des droits de l'homme estimèrent ainsi cette loi dangereuse car susceptible de porter atteinte aux libertés fondamentales des historiens.

Les débats sur la loi reconnaissant le génocide arménien furent nettement moins houleux car les principales oppositions au vote de ce texte s'étaient manifestées lors de l'examen de la première proposition de loi. Les arguments des opposants à cette dernière revêtaient un caractère politique et se fondaient principalement sur la nécessité de ne pas détériorer les relations de la France avec la Turquie au moment où celle-ci manifestait une sérieuse volonté d'adhésion à l'Union européenne. Le gouvernement ne souhaita pas ainsi demander l'inscription de cette proposition à l'ordre du jour, expliquant qu'un tel vote ne servirait pas les intérêts de la France de voir cesser " les antagonismes entre la Méditerranée et la Caspienne ". Au moment du vote définitif, la position gouvernementale n'avait d'ailleurs pas varié puisque le président de la République et le Premier ministre éprouvèrent le besoin de préciser dans un communiqué que " ce vote, intervenu à l'initiative des pouvoirs parlementaires, ne constitu[ait] pas une appréciation sur la Turquie d'aujourd'hui ".

En dehors de cet enjeu diplomatique, les reproches principaux adressés au texte concernaient sa forme, notamment, son caractère déclaratif et l'absence de toute sanction en cas de violation de son article unique. Enfin, certains auraient préféré aboutir au même résultat en étendant le champ d'application de la loi Gayssot et faisaient valoir que cette solution aurait justement permis de réprimer les négateurs de la réalité du génocide arménien .

Quant à l'article 4 de la loi de 2005, la lecture des débats parlementaires montre l'absence de tout réel débat sur son bien-fondé. Cette situation ne manque d'ailleurs pas d'étonner lorsqu'elle est remise en perspective avec la vivacité de la polémique consécutive non à la promulgation de la loi mais à sa " découverte " par l'opinion.

Une synthèse des conditions d'élaboration de ces trois textes montre donc que ces derniers ont pour fonction de proposer une réponse immédiate à un problème qui ne concerne à chaque fois qu'une part réduite de la population. Si la " bonne volonté " à l'origine de ces textes n'est pas soupçonnable, elle masque pourtant d'importantes questions juridiques : si la loi constitue bien l'expression de la volonté générale, sa vocation à aborder des questions historiques très particulières sans réflexion sérieuse sur la constitutionnalité de ce procédé a pu sembler douteuse.

 

 

 

II- LES PROBLEMES CONSTITUTIONNELS SOULEVES PAR LES LOIS DE MEMOIRE

 

La nature particulière des lois de mémoire qui, par définition, affectent spécialement une partie de la communauté nationale, a longtemps empêché un débat serein sur leur constitutionnalité qui aujourd'hui semble admise par la majorité de la doctrine (a). Ce " satisfecit " théorique ne doit pourtant pas masquer la persistance des doutes sur leur efficacité pratique, confortés par l'existence de plusieurs initiatives visant à modifier ou à étendre leur champ d'application (b).

 

a/ La compatibilité des lois de mémoire et de la liberté d'expression

 

Le débat sur la constitutionnalité des lois de mémoire n'a fait l'objet que de rares études sérieuses à l'occasion du vote de la loi Gayssot. En effet, malgré les oppositions à ce texte, le Conseil constitutionnel ne fut pas saisi pour des raisons qui demeurent aujourd'hui mystérieuses : cependant, la plupart des auteurs qui se sont penchés depuis sur la question ont conclu à la probable conformité de ce texte à la Loi fondamentale de notre pays.

France Jeannin se base notamment à cette fin sur la décision du Conseil constitutionnel du 17 janvier 1989 énonçant la nécessité de concilier la liberté d'expression avec d'autres objectifs à valeur constitutionnelle, tels que la sauvegarde de l'ordre public ou le respect de la liberté d'autrui . Elle affirme donc que la loi Gayssot, qui constitue selon elle une loi de police et de sûreté, trouve la justification de sa constitutionnalité dans la préservation nécessaire de l'ordre public .

Plus récemment, de nouveaux travaux ont été exclusivement consacrés à la question de la constitutionnalité de la loi Gayssot. Ainsi, le Professeur Michel Troper estime que toute limitation à la liberté d'expression n'est pas nécessairement illégitime et que cette dernière doit être réduite lorsqu'elle se place au service du mensonge ou lorsqu'elle est susceptible d'avoir des conséquences sociales néfastes. Selon lui, la cohésion d'un groupe social nécessite de présumer certaines thèses comme erronées : ainsi, la loi Gayssot n'aurait fait qu'établir une présomption de mensonge des théories négationnistes permettant d'éviter la propagation de ces dernières aux conséquences sociales néfastes .

Nicolas Bernard estime également, au terme d'une démonstration très argumentée, que la sanction de l'expression publique d'une rhétorique raciste rentre dans le cadre des limitations que le bloc de constitutionnalité permet d'accorder à la liberté d'expression .

Ces auteurs fondent également une part de leur analyse sur le droit comparé : de nombreuses législations étrangères contiennent en effet des dispositions similaires à celles de la loi Gayssot alors que l'examen des jurisprudences internationale et européenne en la matière milite également en faveur de la constitutionnalité de l'article 24 bis.

Les conclusions auxquelles ont abouti ces trois travaux peuvent logiquement être transposées au cas de la loi de 2001, même si la situation n'est pas strictement similaire puisque l'article unique de la loi ne prévoit pas de sanction en cas de non-respect. Le caractère strictement déclaratif de ce texte a d'ailleurs interpellé deux députés, MM. Christophe Masse et René Rouquet, qui ont de ce fait déposé en avril 2005 une proposition de loi visant à sanctionner pénalement la négation du génocide arménien .

Or la jurisprudence la plus récente du Conseil constitutionnel, qui rejetait auparavant comme inopérants les moyens tirés du caractère non normatif des lois , permet aujourd'hui de censurer les dispositions législatives sans contenu normatif . Cette évolution ainsi que la position très ferme du président de cette institution, Pierre Mazeaud, sur cette question , laissent penser que la reconnaissance du génocide arménien aurait pu faire l'objet d'une décision de non-conformité en cas de saisine du Conseil.

Le caractère non normatif des lois de mémoire a également été mis en avant à propos de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 par le professeur Thomas Le Bars , pour lequel ce texte empiétait en outre sur la compétence du pouvoir réglementaire dans la mesure où, en vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi ne peut déterminer que les principes fondamentaux de l'enseignement et non pas les programmes.

L'absence de saisine, qui laisse la porte ouverte à toutes les supputations sur la décision hypothétique du Conseil, rend nécessaire l'examen de l'efficacité pratique des lois de mémoire qui, malgré les incertitudes juridiques, rempliraient leur mission en mettant fin aux comportements qu'elles sont destinées à combattre.

 

2/ L'efficacité pratique des lois de mémoire

 

Longtemps avant la promulgation de la loi Gayssot, Jean-Paul Sartre estimait déjà inutile de s'illusionner sur l'efficacité des mesures législatives contre le racisme car " les décrets et les interdits [viennent] toujours de la France légale et l'antisémitisme prétend qu'il représente la France réelle " .

Plus de quinze ans après le vote de ce texte, les propos du philosophe français conservent une particulière acuité : certes, le nouvel article 24 bis de la loi de 1881 a permis à plusieurs reprises de condamner les auteurs de propos négationnistes . Cependant, l'existence même de ces jugements démontre la persistance de ces écrits dont les auteurs estiment certainement que la publicité due à la médiatisation de ces affaires justifie de subir des sanctions qui n'emportent pas pour eux de conséquences définitives. L'écho donné en 1996 aux propos tenus, avec le soutien de l'abbé Pierre par Roger Garaudy dans son ouvrage Les Mythes fondateurs de la politique israélienne en constitue une preuve flagrante .

Si la communauté arménienne a, quant à elle, pu retrouver une certaine sérénité grâce à l'adoption de la loi de 2001, elle continue à regretter l'impossibilité de poursuivre pénalement ceux qui remettent en cause l'existence ou l'ampleur des souffrances qu'elle a subies. Un arrêt de 1995 de la Cour de cassation a certes confirmé la condamnation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil de Bernard Lewis, universitaire américain qui avait mis en doute l'existence du génocide arménien mais cette décision reste isolée .

Le sort de la loi du 23 avril 2005 est longtemps demeuré incertain : la controverse notamment initiée par la parution d'un article dans Le Monde diplomatique du professeur d'histoire Claude Liauzu dénonçant le caractère historique de l‘article 4 a déclenché une polémique sur le bilan de la colonisation française qui empêchait en tout état de cause le texte d'atteindre son objectif puisque la reconnaissance du rôle des harkis, qui constituait sa raison d'être initiale, a été totalement occultée par cette querelle.

Après quelques semaines de discussion, une proposition de loi émanant du groupe socialiste et visant à retirer l'expression " rôle positif " a été examinée à l'Assemblée nationale le 29 novembre 2005, mais rejetée par 183 voix contre 94 . De même, le 15 décembre, un amendement déposé par des sénateurs du groupe communiste à l'occasion de l'examen du projet de loi " Programme pour la recherche " et visant à l'abrogation de l'article 4, était également rejeté.

Quelques jours plus tard, devant la montée de la contestation dans les DOM-TOM, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, renonçait à un déplacement en Martinique et le président de la République, Jacques Chirac intervenait même dans le débat en déclarant le 9 décembre que " dans la République, il n'y a pas d'histoire officielle ". Momentanément mise de côté lors des fêtes de fin d'année, cette polémique a rebondi le 4 janvier lorsque le président Chirac convînt, lors de ses vœux à la presse, de la nécessité d'une réécriture de l'article 4 . Le 25 janvier, suite à la remise du rapport de sa Commission par M. Jean-Louis Debré, le chef de l'État décidait d'aller plus loin en demandant à Dominique de Villepin de saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la Constitution . Ce dernier texte permet en effet au gouvernement, au terme d'une procédure dite de " déclassement ", de modifier par décret une loi promulguée lorsque le Conseil constitutionnel déclare que les mesures incriminées ont un caractère réglementaire et non législatif

Cette issue confirme le bilan négatif des lois de mémoire : quinze ans après le vote de la loi Gayssot, le révisionnisme n'a pas disparu , cinq ans après la reconnaissance du génocide qu'elle a subi, la communauté arménienne continue de réclamer un aménagement du dispositif législatif la concernant et, à quelques jours de son premier anniversaire, l'article 4 de la loi de 2005 semble voué à disparaître après avoir réveillé de vieilles fractures, pourtant en sommeil, issues du colonialisme.

L'article 4 de cette dernière a ainsi peut-être sonné le glas des lois sur la mémoire dont la constitutionnalité probable, quoique encore incertaine, ne masque pas un intérêt pratique limité et un danger sur la conception même du travail parlementaire.

 

CH. AM.