Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008
LA DOCTRINE SOCIALE DE L'ÉGLISE, qui a pris sa forme moderne à partir de l'encyclique Rerum novarum de Léon XIII (1891) avait connu une éclipse à partir des années 60. C'est Jean Paul II qui lui a redonné sa place essentielle, avec trois encycliques de premier plan, Laborem exercens, Sollicitudo rei socialis, et Centesimus annus.
L'importance de sa pensée économique et sociale est quantitativement et qualitativement considérable. Au centre de son analyse est la revitalisation par le personnalisme de la pensée traditionnelle, notamment thomiste, qu'il revendique avec force. Cela aboutit d'une part à donner un sens renouvelé, plus riche mais toujours cohérent, à des notions traditionnelles comme le principe de subsidiarité ou le droit de propriété. Et en outre, à enrichir considérablement certains enseignements, comme la conception du travail ou la notion d'entreprise. On est donc devant un cas remarquable de développement de la doctrine traditionnelle, au sens de Newman : ce sont les mêmes vérités, mais elles sont " désenveloppées " de façon magistrale .
Des vérités accessibles par la raison, mais inspirées par la Révélation
On sait que la présentation traditionnelle de la doctrine sociale de l'Église, jusqu'à une époque récente, prenait la forme d'une reconnaissance par l'Église de vérités accessibles par la raison, sans fondement scripturaire explicite. Ceci a été critiqué à l'époque post-conciliaire et la doctrine a été décrite par certains comme étant un rajout rationnel, indépendant de la Révélation, sans justification dans un contexte d'Église. Face à ce dilemme, la mise au point de Jean Paul II est très importante. D'un côté il a insisté sur le fondement scripturaire de la doctrine. D'un autre côté, le pape a réhabilité énergiquement la notion même, tout en la positionnant clairement en la rattachant au genre de la théologie morale, et en soulignant son enracinement dans la Parole divine. Écoutons-le :
La doctrine sociale de l'Église n'est pas une " troisième voie " entre le capitalisme libéral et le collectivisme marxiste, ni une autre possibilité parmi les solutions moins radicalement marquées : elle constitue une catégorie en soi. Elle n'est pas non plus une idéologie, mais la formulation précise des résultats d'une réflexion attentive sur les réalités complexes de l'existence de l'homme dans la société et dans le contexte international, à la lumière de la foi et de la tradition ecclésiale. Son but principal est d'interpréter ces réalités, en examinant leur conformité ou leurs divergences avec les orientations de l'enseignement de l'Évangile sur l'homme et sur sa vocation à la fois terrestre et transcendante ; elle a donc pour but d'orienter le comportement chrétien. C'est pourquoi elle n'entre pas dans le domaine de l'idéologie mais dans celui de la théologie et particulièrement de la théologie morale (Sollicitudo rei socialis, 41).
Et il précise dans Centesimus annus (n. 54) :
La doctrine sociale a par elle-même la valeur d'un instrument d'évangélisation : en tant que telle, à tout homme elle annonce Dieu et le mystère du salut dans le Christ, et, pour la même raison, elle révèle l'homme à lui-même. Sous cet éclairage, et seulement sous cet éclairage, elle s'occupe du reste : les droits humains de chacun et en particulier du " prolétariat ", la famille et l'éducation, les devoirs de l'État, l'organisation de la société nationale et internationale, la vie économique, la culture, la guerre et la paix, le respect de la vie depuis le moment de la conception jusqu'à la mort.
La propriété
Au départ de toute réflexion économique se trouve la notion de propriété. Elle a été réaffirmée très clairement par Léon XIII, et Jean Paul II s'en réclame. Mais ses limites sont non moins réelles. Dans Centesimus annus, il le rappelait clairement au n. 30 :
Les successeurs de Léon XIII ont repris cette double affirmation : la nécessité et donc la licéité de la propriété privée, et aussi les limites dont elle est grevée. Le concile Vatican II a également proposé la doctrine traditionnelle dans des termes qui méritent d'être cités littéralement : " L'homme, dans l'usage qu'il fait de ses biens, ne doit jamais tenir les choses qu'il possède légitimement comme n'appartenant qu'à lui, mais les regarder aussi comme communes, en ce sens qu'elles puissent profiter non seulement à lui, mais aussi aux autres. "
Et un peu plus loin :
La propriété privée ou un certain pouvoir sur les biens extérieurs assurent à chacun une zone indispensable d'autonomie personnelle et familiale ; il faut les regarder comme un prolongement de la liberté humaine [...]. De par sa nature même, la propriété privée a aussi un caractère social, fondé dans la loi de commune destination des biens (cf. Gaudium et Spes 69, 71).
Ces principes vont très loin. Il s'en déduit que la propriété est " grevée d'une hypothèque sociale " comme l'a dit Jean Paul II à Puebla. Ce qui ne veut pas dire qu'elle doit être gérée par la collectivité. Mais pas non plus qu'on peut l'utiliser à volonté sous réserve d'un prélèvement de solidarité. Le point central est l'ordonnancement au bien commun. Qui dit " hypothèque " dit qu'il y a une dette, et que si cette dette n'est pas honorée, la propriété peut être retirée. Donc il y a liberté d'usage de la propriété, mais devoir d'usage en vue du bien commun, lequel n'est pas déterminé principalement par l'État. Ces devoirs sont explicités par la doctrine sociale de l'Église, et notamment, outre le devoir implicite de gérer au mieux les biens pour ne pas les gaspiller mais les faire fructifier, ce sont le souci du travail des autres, le partage avec ceux qui sont dans le besoin, et la vertu de munificence.
En même temps l'État a une mission spécifique, qui peut légitimement le conduire à intervenir dans le marché. On note dans Centesimus annus au n. 40 que :
L'État a le devoir d'assurer la défense et la protection des biens collectifs que sont le milieu naturel et le milieu humain dont la sauvegarde ne peut être obtenue par les seuls mécanismes du marché. Comme, aux temps de l'ancien capitalisme, l'État avait le devoir de défendre les droits fondamentaux du travail, de même, avec le nouveau capitalisme, il doit, ainsi que la société, défendre les biens collectifs qui, entre autres, constituent le cadre à l'intérieur duquel il est possible à chacun d'atteindre légitimement ses fins personnelles. On retrouve ici une limite du marché : il y a des besoins collectifs et qualitatifs qui ne peuvent être satisfaits par ses mécanismes ; il y a des nécessités humaines importantes qui échappent à sa logique ; il y a des biens qui, en raison de leur nature, ne peuvent ni ne doivent être vendus ou achetés. Certes, les mécanismes du marché présentent des avantages solides : entre autres, ils aident à mieux utiliser les ressources ; ils favorisent les échanges de produits ; et, surtout, ils placent au centre la volonté et les préférences de la personne, qui, dans un contrat, rencontrent celles d'une autre personne. Toutefois, ils comportent le risque d'une " idolâtrie " du marché qui ignore l'existence des biens qui, par leur nature, ne sont et ne peuvent être de simples marchandises.
Mais l'État aussi rencontre très vite ses limites. Il le précise au n. 48 :
L'État a aussi le droit d'intervenir lorsque des situations particulières de monopole pourraient freiner ou empêcher le développement. Mais, à part ces rôles d'harmonisation et d'orientation du développement, il peut remplir des fonctions de suppléance dans des situations exceptionnelles, lorsque des groupes sociaux ou des ensembles d'entreprises trop faibles ou en cours de constitution ne sont pas à la hauteur de leurs tâches. Ces interventions de suppléance, que justifie l'urgence d'agir pour le bien commun, doivent être limitées dans le temps, autant que possible, pour ne pas enlever de manière stable à ces groupes ou à ces entreprises les compétences qui leur appartiennent et pour ne pas étendre à l'excès le cadre de l'action de l'État, en portant atteinte à la liberté économique ou civile [...].
Cependant, au cours de ces dernières années en particulier, des excès ou des abus assez nombreux ont provoqué des critiques sévères de l'État du bien-être, que l'on a appelé " l'État de l'assistance ". Les dysfonctionnements et les défauts des soutiens publics proviennent d'une conception inappropriée des devoirs spécifiques de l'État. Dans ce cadre, il convient de respecter également le principe de subsidiarité : une société d'ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d'une société d'un ordre inférieur, en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l'aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société, en vue du bien commun (Quadragesimo anno I).
En intervenant directement et en privant la société de ses responsabilités, l'État de l'assistance provoque la déperdition des forces humaines, l'hypertrophie des appareils publics, animés par une logique bureaucratique plus que par la préoccupation d'être au service des usagers, avec une croissance énorme des dépenses. En effet, il semble que les besoins soient mieux connus par ceux qui en sont plus proches ou qui savent s'en rapprocher, et que ceux-ci soient plus à même d'y répondre. On ajoutera que souvent certains types de besoins appellent une réponse qui ne soit pas seulement d'ordre matériel mais qui sache percevoir la requête humaine plus profonde. Que l'on pense aussi aux conditions que connaissent les réfugiés, les immigrés, les personnes âgées ou malades, et aux diverses conditions qui requièrent une assistance, comme dans le cas des toxicomanes, toutes personnes qui ne peuvent être efficacement aidées que par ceux qui leur apportent non seulement les soins nécessaires, mais aussi un soutien sincèrement fraternel.
Car le point central est l'initiative personnelle, économique ou sociale. Il est rappelé dans Sollicitudo rei socialis, au n. 15 :
Il faut remarquer que, dans le monde d'aujourd'hui, parmi d'autres droits, le droit à l'initiative économique est souvent étouffé. Il s'agit pourtant d'un droit important, non seulement pour les individus mais aussi pour le bien commun. L'expérience nous montre que la négation de ce droit ou sa limitation au nom d'une prétendue " égalité " de tous dans la société réduit, quand elle ne le détruit pas en fait, l'esprit d'initiative, c'est-à-dire la personnalité créative du citoyen. Ce qu'il en ressort, ce n'est pas une véritable égalité mais un " nivellement par le bas ". À la place de l'initiative créatrice prévalent la passivité, la dépendance et la soumission à l'appareil bureaucratique, lequel, comme unique organe " d'organisation " et de " décision " - sinon même de " possession " - de la totalité des biens et des moyens de production, met tout le monde dans une position de sujétion quasi absolue, semblable à la dépendance traditionnelle de l'ouvrier prolétaire par rapport au capitalisme [...].
Ce qui débouche sur un éloge de l'entreprise et ses devoirs. L'entreprise, reconnue tardivement par la doctrine sociale de l'Église, se relie à la propriété, elle aussi fondée sur le développement de la personne et son initiative, mais subordonnée à l'objectif de bien commun. Jean Paul II disait à des patrons :
Il est juste que vous rendiez grâce à Dieu pour la fertilité de vos champs, [...] et pour tant d'autres richesses [...] et surtout pour l'esprit d'entreprise et la capacité de travail dont il vous a dotés afin que [...] vous serviez le bien commun dans le secteur vaste et complexe de la production des biens et services.
Le niveau de bien-être dont bénéficie aujourd'hui la société serait impossible sans la figure dynamique de l'entrepreneur [...].
La mission de l'entreprise peut être très bien comparée à celle de cet administrateur dont nous parle l'Évangile, à qui son maître demande des comptes de son travail [...]. Pensez que tous ces biens représentent le lieu de travail de tant d'hommes et de femmes, sont l'avenir de nombreuses familles, sont les talents que vous devez faire fructifier pour le bien de la communauté.
Ainsi comprises les entreprises sont des expressions légitimes de la liberté. Elles correspondent à la vocation d'entreprise de l'homme, à son initiative créatrice, aux nécessités de la communauté et aux possibilités qu'offrent les richesses de la création confiées à l'être humain.
Et il précisait clairement le rôle respectif de l'initiative, et des vertus morales :
N'oubliez pas que ce qui est vraiment dangereux, ce sont les tentations qui peuvent miner votre activité : la soif insatiable du lucre, le gain facile et immoral ; le gaspillage, la tentation du pouvoir et du plaisir ; les ambitions démesurées ; l'égoïsme effréné ; le manque d'honnêteté dans les affaires et les injustices envers vos ouvriers [...]. Soyez des hommes et des femmes d'idées dynamiques, d'initiatives géniales, de sacrifices généreux, d'espérance sûre et ferme. Que vous stimule à cela l'exemple des pionniers [...].
Le travail, centré sur l'homme
C'est avec ce pape que la mise en forme théorique de la question du travail a atteint son plein développement. La contribution principale de Jean Paul II porte sur la nature même du travail. Le travail est pour lui fondamentalement religieux et moral. Dans le travail, la personne change et l'objet et soi-même. Elle se forme elle-même, dans une activité intentionnelle, tournée vers une création, et qui lui donne en outre les moyens de vivre. Il s'agit pour les travailleurs de suivre le programme de la Genèse : " dominer " la Terre en participant à la création comme les images de Dieu que nous sommes, et en être les bons intendants. En d'autres termes, l'homme a été créé à l'image de Dieu ; il a reçu mission de dominer la terre, ce qui se réalise par le travail ; le travail fait participer l'homme à la créativité de Dieu, ce qui se traduit par le progrès et l'exploration, et doit s'accomplir dans un rôle de bon intendant de la nature. Dieu n'a donc pas créé une fois pour toutes, mais en continuité, et l'homme participe à cette création. Le travail permet donc à l'homme d'être ce qu'il doit être, plus proche de Dieu.
Le travail est en outre spécifique à l'homme, il a un caractère social. Il lui donne sa liberté de choix, et lui permet de se réaliser. Et c'est en communauté : le développement personnel et le développement collectif sont étroitement liés. De ce fait, la dignité de l'homme réside en lui-même, comme sujet agissant, et non dans ce qu'il produit ; ce qui conduit à égaliser en dignité le rôle de tous les hommes, quels qu'ils soient, aux yeux de Dieu.
Inversement la tendance de notre société est à tout obscurcir par l'objet : on n'a, selon Jean Paul II, jamais autant parlé de l'homme, et méprisé autant les valeurs humaines. Notamment par oubli de la dimension spirituelle de l'homme au travail, soulignée par la Genèse. La société actuelle n'est pas construite dans ce sens, et notamment pour nous donner le sens de ce qu'est l'accomplissement de la personne et sa vocation. Cet appel à la Genèse lui permet en outre d'incorporer toute la tradition de la loi naturelle, développée antérieurement par la doctrine sociale de l'Église, en lui donnant un fondement biblique. Mais à partir du moment où il relie travail et création, il implique que la signification spirituelle pleine du travail n'est accessible que par la Révélation ; d'où ses propres développements.
Jean Paul II a donc développé une véritable théorie chrétienne du travail, notamment dans Laborem exercens, dont nous allons tirer à titre illustratif les citations suivantes, qu'il faut relire dans l'original.
Le travail créatif, caractéristique essentielle de l'homme comme personne
Fait à l'image, à la ressemblance de Dieu lui-même dans l'univers visible et établi dans celui-ci pour dominer la terre, l'homme est donc dès le commencement appelé au travail. Le travail est l'une des caractéristiques qui distinguent l'homme du reste des créatures dont l'activité, liée à la subsistance, ne peut être appelée travail ; seul l'homme est capable de travail, seul l'homme l'accomplit et par le fait même remplit de son travail son existence sur la terre. Ainsi, le travail porte la marque particulière de l'homme et de l'humanité, la marque d'une personne qui agit dans une communauté de personnes ; et cette marque détermine sa qualification intérieure, elle constitue en un certain sens sa nature même (LE, introduction).
Ce que précise le n. 9 : " Le travail est un bien de l'homme [...] car, par le travail, non seulement l'homme transforme la nature en l'adaptant à ses propres besoins, mais encore il se réalise lui-même comme homme et même, en un certain sens, "il devient plus homme". " En conséquence l'homme ne peut être traité comme un instrument de production. Ainsi au n. 7 :
Survient une confusion, ou même une inversion de l'ordre établi depuis le commencement par [...] la Genèse : l'homme est alors traité comme un instrument de production [...] alors que lui — lui seul, quel que soit le travail qu'il accomplit — devrait être traité comme son sujet efficient, son véritable artisan et son créateur [...]. L'erreur du capitalisme primitif peut se répéter partout où l'homme est en quelque sorte traité de la même façon que l'ensemble des moyens matériels de production, comme un instrument et non selon la vraie dignité de son travail, c'est-à-dire comme sujet et auteur, et par là même comme véritable but de tout le processus de production.
Son rôle décisif dans la construction de la société
On le voit au n. 10 :
Le travail et l'ardeur au travail conditionnent aussi tout le processus d'éducation dans la famille, précisément pour la raison que chacun ‘devient homme', entre autres, par le travail, et que ce fait de devenir homme exprime justement le but principal de tout le processus éducatif. [...] Le résultat de tout cela est que l'homme lie son identité humaine la plus profonde à l'appartenance à sa nation, et qu'il voit aussi dans son travail un moyen d'accroître le bien commun élaboré avec ses compatriotes, en se rendant compte ainsi que, par ce moyen, le travail sert à multiplier le patrimoine de toute la famille humaine, de tous les hommes vivant dans le monde. Saint Joseph est notre protecteur à la fois pour la famille, et pour le travail, ce qui souligne le lien étroit qui existe entre les deux termes.
Droit fondamental, le travail est aussi naturellement un devoir, comme le rappelle le n. 16 :
Le travail est, comme on l'a dit, une obligation, c'est-à-dire un devoir de l'homme, et ceci à plusieurs titres. L'homme doit travailler parce que le Créateur le lui a ordonné, et aussi du fait de son humanité même dont la subsistance et le développement exigent le travail. L'homme doit travailler par égard pour le prochain, spécialement pour sa famille, mais aussi pour la société à laquelle il appartient, pour la nation dont il est fils ou fille, pour toute la famille humaine dont il est membre, étant héritier du travail des générations qui l'ont précédé et en même temps co-artisan de l'avenir de ceux qui viendront après lui dans la suite de l'histoire .
Importance de la signification religieuse du travail et de la peine
Le fondement scripturaire est ici essentiel ; ainsi au n. 26 :
Cette vérité d'après laquelle l'homme participe par son travail à l'œuvre de Dieu lui-même, son Créateur, a été particulièrement mise en relief par Jésus [...] dont beaucoup de ses premiers auditeurs à Nazareth " demeuraient frappés de stupéfaction et disaient : quelle est cette sagesse qui lui a été donnée ? [...]. N'est-ce pas là le charpentier ? ". En effet, Jésus proclamait et surtout mettait [...] en pratique " l'Évangile " qui lui avait été confié, les paroles de la Sagesse éternelle. Pour cette raison, il s'agissait vraiment de " l'évangile du travail " parce que celui qui le proclamait était lui-même un travailleur, un artisan comme Joseph. [...]. Dans les livres de l'Ancien Testament, les références au travail ne manquent pas... Dans ses paraboles sur le Royaume de Dieu, Jésus-Christ se réfère constamment au travail [...].
On se situe ici dans le cadre du plan de salut de Dieu ; comme dit le n. 27 :
En supportant la peine du travail en union avec le Christ crucifié pour nous, l'homme collabore en quelque manière avec le Fils de Dieu à la rédemption de l'humanité. Il se montre le véritable disciple de Jésus en portant à son tour la croix chaque jour dans l'activité qui est la sienne[...]. Ce bien nouveau, fruit du travail humain, est-il déjà une petite part de cette " terre nouvelle " où habite la justice ? Dans quel rapport est-il avec la résurrection du Christ, s'il est vrai que les multiples peines du travail de l'homme sont une petite part de la croix du Christ ? Le Concile cherche à répondre aussi à cette question en puisant la lumière aux sources mêmes de la parole révélée : " Certes, nous savons bien qu'il ne sert à rien à l'homme de gagner l'univers s'il vient à se perdre lui-même (cf. Lc 9, 25). Cependant, l'attente de la terre nouvelle, loin d'affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller : le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du siècle à venir. C'est pourquoi, s'il faut soigneusement distinguer le progrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d'importance pour le Royaume de Dieu " (Gaudium et Spes 39).
Propriété et travail
Pour Jean Paul II, la propriété doit servir au Bien commun, ce qui s'impose même à la propriété détenue par les travailleurs. En d'autres termes il dépasse sans la supprimer la question de savoir qui doit être propriétaire, et met l'accent sur la question de savoir comment il faut être propriétaire, donc sur l'articulation du capital et du travail. Allant au bout de l'idée que tout capital est du travail accumulé, la priorité du travail est clairement affirmée au n. 12 :
[Il y a] un principe toujours enseigné par l'Église. C'est le principe de la priorité du " travail " par rapport au " capital ". Ce principe concerne directement le processus même de la production dont le travail est toujours une cause efficiente première, tandis que le " capital ", comme ensemble des moyens de production, demeure seulement un instrument ou la cause instrumentale [...]. En toute phase du développement de son travail, l'homme rencontre le fait que tout lui est principalement donné par la " nature ", autrement dit, en définitive, par le Créateur. Au début du travail humain, il y a le mystère de la création, [...] ce que, avec le temps, on a pris l'habitude d'appeler " capital ". Si en effet, dans le cadre de ce dernier concept, on fait entrer, outre les ressources de la nature mises à la disposition de l'homme, l'ensemble des moyens par lesquels l'homme se les approprie en les transformant à la mesure de ses besoins (et ainsi, en un sens, en les " humanisant "), on doit alors constater dès maintenant que cet ensemble de moyens est le fruit du patrimoine historique du travail humain. Tous les moyens de production, des plus primitifs aux plus modernes, c'est l'homme qui les a progressivement élaborés[...]. Il faut souligner et mettre en relief le primat de l'homme dans le processus de production, le primat de l'homme par rapport aux choses. Tout ce qui est contenu dans le concept de " capital ", au sens restreint du terme, est seulement un ensemble de choses. Comme sujet du travail, et quel que soit le travail qu'il accomplit, l'homme, et lui seul, est une personne.
Le pape poursuit au n. 13 :
On peut et on doit rappeler cette erreur fondamentale de la pensée, l'erreur du matérialisme en ce sens que " l'économisme " comporte, directement ou indirectement, la conviction du primat et de la supériorité de ce qui est matériel, tandis qu'il place, directement ou indirectement, ce qui est spirituel et personnel (l'agir de l'homme, les valeurs morales et similaires) dans une position subordonnée à la réalité matérielle. Cela ne constitue pas encore le matérialisme théorique au sens plénier du mot ; mais c'est déjà certainement un matérialisme pratique.
La même encyclique Laborem exercens prend soin de rappeler la cohérence profonde de ces idées avec la propriété privée, ainsi au n. 14 :
L'encyclique Rerum novarum, qui a pour thème la question sociale, met aussi l'accent sur ce problème, en rappelant et en confirmant la doctrine de l'Église sur la propriété, sur le droit à la propriété privée, même lorsqu'il s'agit des moyens de production [...]. Ce principe, rappelé alors par l'Église et qu'elle enseigne toujours, diverge radicalement d'avec le programme du collectivisme, proclamé par le marxisme et réalisé dans divers pays du monde au cours des décennies qui ont suivi l'encyclique de Léon XIII. Il diffère encore du programme du capitalisme, pratiqué par le libéralisme et les systèmes politiques qui se réclament de lui. Dans ce second cas, la différence réside dans la manière de comprendre le droit de propriété. La tradition chrétienne n'a jamais soutenu ce droit comme un droit absolu et intangible. Au contraire, elle l'a toujours entendu dans le contexte plus vaste du droit commun de tous à utiliser les biens de la création entière : le droit à la propriété privée est subordonné à celui de l'usage commun, à la destination universelle des biens [...] la propriété s'acquiert avant tout par le travail et pour servir au travail. Cela concerne de façon particulière la propriété des moyens de production. Les considérer séparément comme un ensemble de propriétés à part dans le but de les opposer, sous forme de " capital ", au " travail " et, qui plus est, dans le but d'exploiter ce travail, est contraire à la nature de ces moyens et à celle de leur possession .
Et il poursuit par une suggestion originale (peu développée par ailleurs) :
Ainsi donc, le fait que les moyens de production deviennent la propriété de l'État dans le système collectiviste ne signifie pas par lui-même que cette propriété est " socialisée ". On ne peut parler de socialisation que si la subjectivité de la société est assurée, c'est-à-dire si chacun, du fait de son travail, a un titre plénier à se considérer en même temps comme co-propriétaire du grand chantier de travail dans lequel il s'engage avec tous. Une des voies pour parvenir à cet objectif pourrait être d'associer le travail, dans la mesure du possible, à la propriété du capital, et de donner vie à une série de corps intermédiaires à finalités économiques, sociales et culturelles : ces corps jouiraient d'une autonomie effective vis-à-vis des pouvoirs publics ; ils poursuivraient leurs objectifs spécifiques en entretenant entre eux des rapports de loyale collaboration et, en se soumettant aux exigences du bien commun, il revêtiraient la forme et la substance d'une communauté vivante. Ainsi leurs membres respectifs seraient-ils considérés et traités comme des personnes et stimulés à prendre une part active à leur vie.
Car comme le dit encore Centesimus annus, au n. 43 :
[...] L'entreprise ne peut être considérée seulement comme une " société de capital " ; elle est en même temps une " société de personnes " dans laquelle entrent de différentes manières et avec des responsabilités spécifiques ceux qui fournissent le capital nécessaire à son activité et ceux qui y collaborent par leur travail. Pour atteindre ces objectifs, un vaste mouvement associatif des travailleurs est encore nécessaire, dont le but est la libération et la promotion intégrale de la personne [...]. La propriété des moyens de production, tant dans le domaine industriel qu'agricole, est juste et légitime, si elle permet un travail utile ; au contraire, elle devient illégitime quand elle n'est pas valorisée ou quand elle sert à empêcher le travail des autres pour obtenir un gain qui ne provient pas du développement d'ensemble du travail et de la richesse sociale, mais plutôt de leur limitation, de l'exploitation illicite, de la spéculation et de la rupture de la solidarité dans le monde du travail. Ce type de propriété n'a aucune justification et constitue un abus devant Dieu et devant les hommes. L'obligation de gagner son pain à la sueur de son front suppose en même temps un droit. Une société dans laquelle ce droit serait systématiquement nié, dans laquelle les mesures de politique économique ne permettraient pas aux travailleurs d'atteindre un niveau satisfaisant d'emploi, ne peut ni obtenir sa légitimation éthique ni assurer la paix sociale. De même que la personne se réalise pleinement dans le libre don de soi, de même la propriété se justifie moralement dans la création, suivant les modalités et les rythmes appropriés, de possibilités d'emploi et de développement humain pour tous.
En pratique donc, la conception du pape ne conduit pas à opposer le capital au travail comme deux classes ; elle conduit plutôt à rappeler aux propriétaires comment ils doivent utiliser leurs biens ; et à plaider pour une diffusion plus large de la propriété, y compris sous des formes nouvelles. Ce n'est pas tant une redistribution des biens ou une propriété collective, mais une règle morale présidant au bon usage des biens, fondée sur la primauté de l'homme et donc du travail. Une redistribution des cartes qui ne changerait pas cet usage n'aurait pas de sens, comme l'expérience du socialisme l'a montré.
Évolution du travail
On peut se demander incidemment si la notion de travail ainsi comprise recouvre la même réalité chez ce pape et chez ses prédécesseurs : elle inclut pour lui toute l'activité humaine, y compris celle de l'entrepreneur. Quand les précédents papes parlaient de capital, ils visaient les patrons. Maintenant on oppose le capital pur, matériel, éventuellement son propriétaire, pur détenteur, à l'homme agissant, entrepreneur compris. On retrouve ici un écho de thèmes modernes sur l'entrepreneur. Comme il le note : " La capacité d'initiative et de création devient une part essentielle du travail humain " et " il faut regarder ce processus de façon favorable ".
La grande difficulté est la capacité à intégrer les hommes. La question du chômage prend dans ce contexte un sens qui dépasse la question de la misère, puisque le travail est essentiel à l'homme pour qu'il se réalise. Il ne suffit pas d'aider financièrement les chômeurs. Les hommes dans le besoin doivent être aidés " à acquérir des connaissances, entrer dans des réseaux de relations, développer des aptitudes pour que soient mises en valeur leurs capacités et leurs ressources personnelles ".
Le problème ici est la tendance du système à générer de l'exclusion, à la mesure même de son succès : le travail est central dans le processus de production, mais c'est un travail hors de portée de beaucoup de personnes. D'où le nombre élevé des marginalisés, notamment parmi les plus faibles. Le risque est de voir exclus ceux qui ne disposent pas des atouts nécessaires pour faire leur place dans un monde compétitif où l'importance toujours plus grande donnée au savoir conduit à éliminer ceux qui ne peuvent suivre. La responsabilité de tous est engagée pour les aider à en sortir, ce qui peut viser un effort en leur faveur évidemment, mais aussi l'élimination d'obstacles à leur emploi.
Dans l'optique du bien commun, il convient notamment d'organiser la collectivité pour que ce bien qu'est le travail soit accessible à tous, ce qui ne vise pas que les entreprises. La notion qu'il a développée d'" employeur indirect " inclut tous ceux qui ont une responsabilité dans l'emploi et le chômage (l'État, le système financier, etc.). Elle est développée au n. 17 :
Dans le concept d'employeur indirect entrent les personnes, les institutions de divers types, comme aussi les conventions collectives de travail et les principes de comportement, qui, établis par ces personnes et institutions, déterminent tout le système socio-économique ou en découlent. Le concept d'employeur indirect se réfère ainsi à des éléments nombreux et variés. La responsabilité de l'employeur indirect est différente de celle de l'employeur direct [...] mais elle demeure une véritable responsabilité : l'employeur indirect détermine substantiellement l'un ou l'autre aspect du rapport de travail et conditionne ainsi le comportement de l'employeur direct lorsque ce dernier détermine concrètement le contrat et les rapports de travail. Une constatation de ce genre n'a pas pour but de décharger ce dernier de la responsabilité qui lui appartient en propre, mais seulement d'attirer l'attention sur l'imbrication des conditionnements qui influent sur son comportement. Lorsqu'il s'agit d'instaurer une politique du travail correcte du point de vue éthique, il est nécessaire d'avoir tous ces conditionnements devant les yeux. Et cette politique est correcte lorsque les droits objectifs du travailleur sont pleinement respectés.
Le marché et les finalités de la personne humaine
Dans la doctrine sociale de l'Église le marché n'est jamais posé comme principe, bien qu'il soit reconnu expressément (depuis Jean Paul II) comme le moyen le plus efficace pour la production et la circulation des biens et l'exercice de la liberté. Le pape fait un éloge du marché " qui semble être l'instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins " ; mais il note :
Il ne vise que des besoins solvables et des ressources vendables. Ce qu'il a de positif se retrouve dans la notion de libre initiative, qui aboutit certes à la rencontre de deux volontés, et donc, s'il s'agit d'échanger des biens matériels, sur un marché. Mais alors que pour l'Église la libre initiative est un bien, le marché n'est qu'une technique, un moyen de mise en œuvre. L'idée, que défendent les libéraux humanistes, que le commerce a un rôle décisif pour mettre en relation les hommes, n'est pas présente dans la doctrine. La vie économique comme toute vie humaine est d'abord un fait social ; elle doit assurer la dignité de la personne, ce qui ne peut être acquis par le seul marché. La société à construire est une " société nouvelle, où les personnes puissent compter davantage, où la lutte soit remplacée par la liberté et la responsabilité, par l'alliance entre le marché libre et la solidarité, afin de promouvoir un type de développement qui protège la vie, défende l'homme, spécialement le pauvre et l'exclus .
Cela se voit sur le terrain économique lui-même, par exemple dans le choix des productions. Jean Paul II reconnaît que le travail, dont il a fait par ailleurs l'éloge et qui est sa préoccupation principale, doit s'ordonner au bien commun de la nation, et par suite au patrimoine de l'humanité. C'est dans cette perspective qu'il faut apprécier la pertinence ou la valeur du produit. L'objet doit avoir un sens pleinement humain, ce qui ne s'apprécie par sur le seul marché. Plus exactement ce qui fait le sens des produits est qu'ils doivent servir au développement moral de la personne humaine, conformément au plan divin qui inclut la production de biens et de services pour le bien commun de l'humanité. Or on peut aussi faire mauvais usage de notre capacité à produire : drogue, armes, destruction de l'environnement. Les mêmes considérations aboutissent à une appréciation également nuancée des notions de profit et de gestion financière de l'entreprise. Le profit est reconnu " comme indicateur du bon fonctionnement de l'entreprise ". Il révèle le bon usage des facteurs productifs et la satisfaction des besoins humains correspondants. Mais les buts de l'entreprise sont plus larges : ainsi son existence même comme " communauté de personnes [...] groupe particulier au service de la société entière ". En outre l'entreprise diffuse des valeurs économiques, politiques, culturelles, techniques ; elle en est reconnue responsable, comme de son rapport à l'environnement. Les considérations de rentabilité, de productivité, de concurrence et plus généralement d'efficacité, mesurées financièrement, ne sont donc pas exclusives ni même premières ; ce sont des outils au service d'autres buts. Dans Centesimus annus au n. 35 le pape nous dit par exemple que :
L'Église reconnaît le rôle pertinent du profit comme indicateur du bon fonctionnement de l'entreprise. Quand une entreprise génère du profit, cela signifie que les facteurs productifs ont été dûment utilisés et les besoins humains correspondants convenablement satisfaits. Cependant, le profit n'est pas le seul indicateur de l'état de l'entreprise. Il peut arriver que les comptes économiques soient satisfaisants et qu'en même temps les hommes qui constituent le patrimoine le plus précieux de l'entreprise soient humiliés et offensés dans leur dignité. Non seulement cela est moralement inadmissible, mais cela ne peut pas ne pas entraîner par la suite des conséquences négatives même pour l'efficacité économique de l'entreprise. En effet, le but de l'entreprise n'est pas uniquement la production du profit, mais l'existence même de l'entreprise comme communauté de personnes qui, de différentes manières, recherchent la satisfaction de leurs besoins fondamentaux et qui constituent un groupe particulier au service de la société tout entière. Le profit est un régulateur dans la vie de l'établissement mais il n'en est pas le seul ; il faut y ajouter la prise en compte d'autres facteurs humains et moraux qui, à long terme, sont au moins aussi essentiels pour la vie de l'entreprise.
Les finalités morales, divergence majeure avec le libéralisme
La divergence avec le libéralisme est particulièrement nette dans tout ce qui touche à la consommation, question nouvelle abordée par Jean Paul II, qui nous dit en résumé que ce qu'on appelle le style de vie ne peut être fondé sur le seul avoir. Il existe des styles de vie qualitativement inférieurs. Mais le système économique à lui seul ne permet pas de les hiérarchiser, car tout choix est moral et culturel. Il faut donc réaffirmer le primat de ces critères moraux et culturels et l'insuffisance des considérations purement économiques. Le gaspillage d'objets encore utilisables est jugé par lui choquant ; il note que des besoins artificiels sont trop souvent créés. Outre les consommateurs, les producteurs ont une responsabilité dans ce qu'ils produisent (au delà même des activités clairement immorales). En outre, les plus gros revenus ont le devoir de dépenser utilement, notamment en donnant du travail aux autres. La manière dont on dépense est aussi importante que celle de gagner l'argent. Ce qui débouche sur la question des décisions de consommation et d'investissement et sur leur finalité, et donc sur celle de la vie économique. On lit dans Centesimus annus au n. 36 :
Il est clair qu'aujourd'hui, le problème n'est pas seulement de lui offrir une quantité suffisante de biens, mais de répondre à une demande de qualité : qualité des marchandises à produire et à consommer ; qualité des services dont on doit disposer ; qualité du milieu et de la vie en général. La demande d'une existence plus satisfaisante qualitativement et plus riche est en soi légitime. Mais on ne peut que mettre l'accent sur les responsabilités nouvelles et sur les dangers liés à cette étape de l'histoire. Dans la manière dont surgissent les besoins nouveaux et dont ils sont définis, intervient toujours une conception plus ou moins juste de l'homme et de son véritable bien. Dans les choix de la production et de la consommation, se manifeste une culture déterminée qui présente une conception d'ensemble de la vie. C'est là qu'apparaît le phénomène de la consommation. Quand on définit de nouveaux besoins et de nouvelles méthodes pour les satisfaire, il est nécessaire qu'on s'inspire d'une image intégrale de l'homme qui respecte toutes les dimensions de son être et subordonne les dimensions physiques et instinctives aux dimensions intérieures et spirituelles.
Au contraire, si l'on se réfère directement à ses instincts et si l'on fait abstraction d'une façon ou de l'autre de sa réalité personnelle, consciente et libre, cela peut entraîner des habitudes de consommation et des styles de vie objectivement illégitimes, et souvent préjudiciables à sa santé physique et spirituelle.
Le système économique ne comporte pas dans son propre cadre des critères qui permettent de distinguer correctement les formes nouvelles et les plus élevées de satisfaction des besoins humains et les besoins nouveaux induits qui empêchent la personnalité de parvenir à sa maturité. La nécessité et l'urgence apparaissent donc d'un vaste travail éducatif et culturel qui comprenne l'éducation des consommateurs à un usage responsable de leur pouvoir de choisir, la formation d'un sens aigu des responsabilités chez les producteurs, et surtout chez les professionnels des moyens de communication sociale, sans compter l'intervention nécessaire des pouvoirs publics...Il n'est pas mauvais de vouloir vivre mieux, mais ce qui est mauvais, c'est le style de vie qui prétend être meilleur quand il est orienté vers l'avoir et non vers l'être, et quand on veut avoir plus, non pour être plus mais pour consommer l'existence avec une jouissance qui est, à elle-même, sa fin (Gaudium et Spes, 35).
D'où ce qu'il appelle surdéveloppement, ainsi dans Sollicitudo rei socialis au n. 28 :
Une constatation déconcertante de la période la plus récente devrait être hautement instructive : à côté des misères du sous-développement, qui ne peuvent être tolérées, nous nous trouvons devant une sorte de surdéveloppement, également inadmissible parce que, comme le premier, il est contraire au bien et au bonheur authentiques. En effet, ce surdéveloppement, qui consiste dans la disponibilité excessive de toutes sortes de biens matériels pour certaines couches de la société, rend facilement les hommes esclaves de la " possession " et de la jouissance immédiate, sans autre horizon que la multiplication des choses ou le remplacement continuel de celles que l'on possède déjà par d'autres encore plus perfectionnées. C'est ce qu'on appelle la civilisation de " consommation ", qui comporte tant de " déchets " et de " rebuts ". Un objet possédé et déjà dépassé par un autre plus perfectionné est mis au rebut, sans que l'on tienne compte de la valeur permanente qu'il peut avoir en soi ou pour un autre être humain plus pauvre.
Nous touchons tous de la main les tristes effets de cette soumission aveugle à la pure consommation : d'abord une forme de matérialisme grossier, et en même temps une insatisfaction radicale car on comprend tout de suite que — à moins d'être prémuni contre le déferlement des messages publicitaires et l'offre incessante et tentatrice des produits de consommation — plus on possède, plus aussi on désire, tandis que les aspirations les plus profondes restent insatisfaites, peut-être même étouffées [... ].
Certes, la différence entre " être " et " avoir ", le danger inhérent à une pure multiplication ou à une pure substitution de choses possédées face à la valeur de " l'être ", ne doit pas se transformer nécessairement en une antinomie. L'une des plus grandes injustices du monde contemporain consiste précisément dans le fait qu'il y a relativement peu de personnes qui possèdent beaucoup, tandis que beaucoup ne possèdent presque rien. C'est l'injustice de la mauvaise répartition des biens et des services originairement destinés à tous. [...] Le mal ne consiste pas dans " l'avoir " en tant que tel mais dans le fait de posséder d'une façon qui ne respecte pas la qualité ni l'ordre des valeurs des biens que l'on a, qualité et ordre des valeurs qui découlent de la subordination des biens et de leur mise à la disposition de " l'être " de l'homme et de sa vraie vocation.
Ainsi, il reste clair que si le développement a nécessairement une dimension économique puisqu'il doit fournir au plus grand nombre possible des habitants du monde la disponibilité de biens indispensables pour " être ", il ne se limite pas à cette dimension. S'il en était autrement, il se retournerait contre ceux que l'on voudrait favoriser. Les caractéristiques d'un développement intégral, " plus humain ", capable de se maintenir, sans nier les exigences économiques, à la hauteur de la vocation authentique de l'homme et de la femme, ont été décrites par Paul VI (Populorum progressio, n. 20-21).
Cette critique de notre société va loin, et touche des questions essentielles, comme on peut le voir plus encore dans Centesimus annus au n. 41 :
L'expérience historique de l'Occident, de son côté, montre que, même si l'analyse marxiste de l'aliénation et ses fondements sont faux, l'aliénation avec la perte du sens authentique de l'existence est également une réalité dans les sociétés occidentales. On le constate pour la consommation, lorsqu'elle engage l'homme dans un réseau de satisfactions superficielles et fausses, au lieu de l'aider à faire l'expérience authentique et concrète de sa personnalité. Elle se retrouve aussi dans le travail, lorsqu'il est organisé de manière à ne valoriser que ses productions et ses revenus sans se soucier de savoir si le travailleur, par son travail, s'épanouit plus ou moins en son humanité, selon qu'augmente l'intensité de sa participation à une véritable communauté solidaire, ou bien que s'aggrave son isolement au sein d'un ensemble de relations caractérisé par une compétitivité exaspérée et des exclusions réciproques, où il n'est considéré que comme un moyen, et non comme une fin.
Il est nécessaire de rapprocher le concept d'aliénation de la vision chrétienne des choses, pour y déceler l'inversion entre les moyens et les fins : quand il ne reconnaît pas la valeur et la grandeur de la personne en lui-même et dans l'autre, l'homme se prive de la possibilité de jouir convenablement de son humanité et d'entrer dans les relations de solidarité et de communion avec les autres hommes pour lesquelles Dieu l'a créé. En effet, c'est par le libre don de soi que l'homme devient authentiquement lui-même, et ce don est rendu possible parce que la personne humaine est essentiellement " capable de transcendance ". L'homme ne peut se donner à un projet seulement humain sur la réalité, à un idéal abstrait ou à de fausses utopies. En tant que personne, il peut se donner à une autre personne ou à d'autres personnes et, finalement, à Dieu qui est l'auteur de son être et qui, seul, peut accueillir pleinement ce don (Gaudium et Spes 41). L'homme est aliéné quand il refuse de se transcender et de vivre l'expérience du don de soi et de la formation d'une communauté humaine authentique orientée vers sa fin dernière qu'est Dieu. Une société est aliénée quand, dans les formes de son organisation sociale, de la production et de la consommation, elle rend plus difficile la réalisation de ce don et la constitution de cette solidarité entre hommes.
Ceci nous renvoie en définitive à la question de la conversion. Ainsi dans Sollicitudo Rei Socialis n. 38 :
C'est pourquoi il faut espérer que ceux qui sont responsables envers leurs semblables, d'une manière ou d'une autre, d'une " vie plus humaine ", inspirés ou non par une foi religieuse, se rendent pleinement compte de l'urgente nécessité d'un changement des attitudes spirituelles qui caractérisent les rapports de tout homme avec lui-même, avec son prochain, avec les communautés humaines même les plus éloignées et avec la nature ; cela en vertu de valeurs supérieures comme le bien commun ou, pour reprendre Populorum progressio, " le développement intégral de tout l'homme et de tous les hommes ". Pour les chrétiens, comme pour tous ceux qui reconnaissent le sens théologique précis du mot " péché ", le changement de conduite, de mentalité ou de manière d'être s'appelle " conversion ", selon le langage biblique (cf. Mc 1, 15 ; Lc 13, 3. 5 ; Is 30, 15). Cette conversion désigne précisément une relation à Dieu, à la faute commise, à ses conséquences et donc au prochain, individu ou communauté. [...] Il s'agit, avant tout, du fait de l'interdépendance, ressentie comme un système nécessaire de relations dans le monde contemporain, avec ses composantes économiques, culturelles, politiques et religieuses, et élevé au rang de catégorie morale. Quand l'interdépendance est ainsi reconnue, la réponse correspondante, comme attitude morale et sociale et comme " vertu ", est la solidarité. Celle-ci n'est donc pas un sentiment de compassion vague ou d'attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c'est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun, c'est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous.
Profondément évangélique, ce terme de conversion s'adresse avant tout aux personnes. Toutefois, quelles que soient leurs responsabilités, il reste que les conceptions erronées qui ont été décrites dépassent le plan individuel et aboutissent à des phénomènes nouveaux, collectifs, analysés avec toujours plus de précision par l'Église, d'où la proposition du concept de " structures de péché " dans Sollicitudo rei socialis. Dans cette perspective nouvelle, la responsabilité de chaque personne subsiste, mais il est mis en évidence le fait que des effets collectifs nocifs puissent apparaître. Ceux-ci conduisent à répandre un comportement moralement répréhensible, à moins que l'organisation sociale se traduise par un traitement de telle ou telle catégorie de la population qui n'est pas moralement acceptable. On voit au n. 46 :
Il convient d'ajouter que l'aspiration à la libération par rapport à toute forme d'esclavage, pour l'homme et pour la société, est quelque chose de noble et de valable. C'est à cela que tend justement le développement, ou plutôt la libération et le développement, compte tenu de l'étroite relation existant entre ces deux réalités. Un développement purement économique ne parvient pas à libérer l'homme, au contraire, il finit par l'asservir davantage. Un développement qui n'intègre pas les dimensions culturelles, transcendantes et religieuses de l'homme et de la société contribue d'autant moins à la libération authentique qu'il ne reconnaît pas l'existence de ces dimensions et qu'il n'oriente pas vers elles ses propres objectifs. L'être humain n'est totalement libre que lorsqu'il est lui-même, dans la plénitude de ses droits et de ses devoirs : on doit en dire autant de la société tout entière. L'obstacle principal à surmonter pour une véritable libération, c'est le péché et les structures qui en résultent au fur et à mesure qu'il se multiplie et s'étend (cf. Exhort. apost. Reconciliatio et pænitentia du 2 décembre 1984, n. 16).
La doctrine sociale et les dimensions mondiales de l'économie
Après Paul VI c'est Jean Paul II qui s'est attaché particulièrement au sujet, qui après celui du travail sera son deuxième grand thème d'encyclique sociale avec Sollicitudo rei socialis (1987), où on relèvera les points suivants. La vue d'ensemble est à dominante pessimiste. Ainsi au n. 13 :
Mais, en général, compte tenu de divers facteurs, on ne peut nier que la situation actuelle du monde, du point de vue du développement, donne une impression plutôt négative... Sans entrer dans l'analyse des chiffres ou des statistiques, il suffit de regarder la réalité d'une multitude incalculable d'hommes et de femmes, d'enfants, d'adultes et de vieillards, en un mot de personnes humaines concrètes et uniques, qui souffrent sous le poids intolérable de la misère. Ils sont des millions à être privés d'espoir du fait que, dans de nombreuses parties de la terre, leur situation s'est sensiblement aggravée.
Avec une explication centrale : une conception trop étroite du développement ; ainsi au n. 15 :
En bref, de nos jours le sous-développement n'est pas seulement économique ; il est également culturel, politique et tout simplement humain, comme le relevait déjà, il y a vingt ans, l'encyclique Populorum progressio. Il faut donc ici se demander si la réalité si triste d'aujourd'hui n'est pas le résultat, au moins partiel, d'une conception trop étroite, à savoir surtout économique du développement.
Un développement foncièrement déséquilibré, même dans les pays riches ; ainsi au n. 17 :
Bien que la société mondiale se présente comme éclatée, et cela apparaît dans la façon conventionnelle de parler du premier, deuxième, tiers et même quart-monde, l'interdépendance de ses diverses parties reste toujours très étroite, et si elle est dissociée des exigences éthiques, elle entraîne des conséquences funestes pour les plus faibles. Bien plus, cette interdépendance, en vertu d'une espèce de dynamique interne et sous la poussée de mécanismes que l'on ne peut qualifier autrement que de pervers, provoque des effets négatifs jusque dans les pays riches. À l'intérieur même de ces pays, on trouve, à un degré moindre, il est vrai, les manifestations les plus caractéristiques du sous-développement. Ainsi, il devrait être évident que, ou bien le développement devient commun à toutes les parties du monde, ou bien il subit un processus de régression même dans les régions marquées par un progrès constant. Ce phénomène est particulièrement symptomatique de la nature du développement authentique : ou bien tous les pays du monde y participent, ou bien il ne sera pas authentique.
Situation qu'aucun n'est en mesure de redresser s'il ne se tourne pas vers tous ; comme le développe le n. 23. Ceci dit des facteurs d'espoir apparaissent. Ainsi au n. 26 :
La première note positive est que beaucoup d'hommes et de femmes ont pleinement conscience de leur dignité et de celle de chaque être humain. Cette prise de conscience s'exprime, par exemple, par la préoccupation partout plus vive pour le respect des droits humains et par le rejet le plus net de leurs violations. On en trouve un signe révélateur dans le nombre des associations privées instituées récemment, certaines ayant une dimension mondiale, et presque toutes ayant pour fin de suivre avec un grand soin et une louable objectivité les événements internationaux dans un domaine aussi délicat...
Simultanément, dans le monde divisé et bouleversé par toutes sortes de conflits, on voit se développer la conviction d'une interdépendance radicale et, par conséquent, la nécessité d'une solidarité qui l'assume et la traduise sur le plan moral. Aujourd'hui, plus peut-être que par le passé, les hommes se rendent compte qu'ils sont liés par un destin commun qu'il faut construire ensemble si l'on veut éviter la catastrophe pour tous... Ici s'inscrit aussi, comme signe du respect de la vie — malgré toutes les tentations de la détruire, depuis l'avortement jusqu'à l'euthanasie —, le souci concomitant de la paix ; et, de nouveau, la conscience que celle-ci est indivisible : c'est le fait de tous, ou de personne. Une paix qui exige toujours davantage le respect rigoureux de la justice et, par voie de conséquence, la distribution équitable des fruits du vrai développement...
Parmi les symptômes positifs du temps présent, il faut encore noter une plus grande prise de conscience des limites des ressources disponibles, la nécessité de respecter l'intégrité et les rythmes de la nature et d'en tenir compte dans la programmation du développement, au lieu de les sacrifier à certaines conceptions démagogiques de ce dernier. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui le souci de l'écologie.
C'est que le développement ne va pas de soi. C'est bien plutôt une ardente obligation de tous ; au n. 32 :
L'obligation de se consacrer au développement des peuples n'est pas seulement un devoir individuel, encore moins individualiste, comme s'il était possible de le réaliser uniquement par les efforts isolés de chacun. C'est un impératif pour tous et chacun des hommes et des femmes, et aussi pour les sociétés et les nations ; il oblige en particulier l'Église catholique [...].
Le système existant ne suffit pas ; comme il le dit dans Centesimus annus au n. 35 :
On a vu que l'on ne peut accepter l'affirmation selon laquelle la défaite du ‘socialisme réel', comme on l'appelle, fait place au seul modèle capitaliste d'organisation économique. Il faut rompre les barrières et les monopoles qui maintiennent de nombreux peuples en marge du développement, assurer à tous les individus et à toutes les nations les conditions élémentaires qui permettent de participer au développement. Cet objectif requiert des efforts concertés et responsables de la part de toute la communauté internationale. Il convient que les pays les plus puissants sachent donner aux plus pauvres des possibilités d'insertion dans la vie internationale et que les pays les plus démunis sachent saisir ces possibilités, en consentant les efforts et les sacrifices nécessaires, en assurant la stabilité de leur organisation politique et de leur économie, la sûreté dans leurs perspectives d'avenir, l'augmentation du niveau des compétences de leurs travailleurs, la formation de dirigeants d'entreprises efficaces et conscients de leurs responsabilités.
Au n. 52 :
C'est pourquoi l'autre nom de la paix est le développement (Populorum progressio 76-77). Il y a une responsabilité collective pour éviter la guerre, il y a de même une responsabilité collective pour promouvoir le développement. Sur le plan intérieur, il est possible, et c'est un devoir, de construire une économie sociale qui oriente son fonctionnement dans le sens du bien commun ; des interventions appropriées sont également nécessaires pour cela sur le plan international. Il faut donc consentir un vaste effort de compréhension mutuelle, de connaissance mutuelle et de sensibilisation des consciences.
Et au n. 58 :
En effet, il ne s'agit pas seulement de donner de son superflu mais d'apporter son aide pour faire entrer dans le cycle du développement économique et humain des peuples entiers qui en sont exclus ou marginalisés. Ce sera possible non seulement si l'on puise dans le superflu, produit en abondance par notre monde, mais surtout si l'on change les styles de vie, les modèles de production et de consommation, les structures de pouvoir établies qui régissent aujourd'hui les sociétés. Il ne s'agit pas non plus de détruire des instruments d'organisation sociale qui ont fait leurs preuves, mais de les orienter en fonction d'une juste conception du bien commun de la famille humaine tout entière. Aujourd'hui est en vigueur ce qu'on appelle la " mondialisation de l'économie ", phénomène qui ne doit pas être réprouvé car il peut créer des occasions extraordinaires de mieux-être. Mais on sent toujours davantage la nécessité qu'à cette internationalisation croissante de l'économie corresponde l'existence de bons organismes internationaux de contrôle et d'orientation, afin de guider l'économie elle-même vers le bien commun, ce qu'aucun État, fût-il le plus puissant de la terre, n'est plus en mesure de faire.
Et il poursuit :
Le monde prend toujours mieux conscience aujourd'hui de ce que la solution des graves problèmes nationaux et internationaux n'est pas seulement une question de production économique ou bien d'organisation juridique ou sociale, mais qu'elle requiert des valeurs précises d'ordre éthique et religieux, ainsi qu'un changement de mentalité, de comportement et de structures. L'Église se sent en particulier le devoir d'y apporter sa contribution et ... il y a un espoir fondé que même les nombreuses personnes qui ne professent pas une religion puissent contribuer à donner à la question sociale le fondement éthique qui s'impose.
On note l'importance donnée par le pape au rôle des facteurs moraux et éthiques dans le développement ; car " les causes morales de la prospérité sont bien connues dans le cours de l'histoire. Elles résident dans une constellation de vertus : goût du travail, compétence, ordre, honnêteté, initiative, sobriété et épargne, esprit de service, respect de la parole donnée, audace ; en somme l'amour du travail bien fait. Aucun système ni structure sociale ne peut résoudre comme par magie le problème de la pauvreté sans ces vertus ".
Le capitalisme
Que penser alors du capitalisme ? Le pape répond de façon nuancée. Ainsi dans Centesimus annus au n. 35 :
On peut parler à juste titre de lutte contre un système économique entendu comme méthode pour assurer la primauté absolue du capital, de la propriété des instruments de production et de la terre sur la liberté et la dignité du travail de l'homme. En luttant contre ce système, on ne peut lui opposer, comme modèle de substitution, le système socialiste, qui se trouve être en fait un capitalisme d'État, mais on peut opposer une société du travail libre, de l'entreprise et de la participation. Elle ne s'oppose pas au marché, mais demande qu'il soit dûment contrôlé par les forces sociales et par l'État, de manière à garantir la satisfaction des besoins fondamentaux de toute la société.
Et plus encore au n. 42 :
[...] peut-on dire que, après l'échec du communisme, le capitalisme est le système social qui l'emporte et que c'est vers lui que s'orientent les efforts des pays qui cherchent à reconstruire leur économie et leur société ?... La réponse est évidemment complexe. Si sous le nom de " capitalisme " on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l'entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu'elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est sûrement positive, même s'il serait peut-être plus approprié de parler " d'économie d'entreprise ", ou " d'économie de marché ", ou simplement " d'économie libre ". Mais si par " capitalisme " on entend un système où la liberté dans le domaine économique n'est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale et la considère comme une dimension particulière de cette dernière, dont l'axe est d'ordre éthique et religieux, alors la réponse est nettement négative.
Nous terminerons sur cette note nuancée, caractéristique de la pensée du pape. L'essentiel n'est pas dans les outils mais dans les finalités ; et ces finalités, seules les personnes peuvent les assumer. Leur liberté et leur responsabilité sont donc le fait essentiel.
P. DE L.