1980-2004, La question catholique en Chine
Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008

LA CHINE n'est plus la terre des grandes persécutions antireligieuses. Quand arrive " le IIIe Plénum du XIe Congrès du Parti communiste chinois de décembre 1978 ", tournant de l'histoire chinoise récente, les choses évoluent.

" Bien lentement ", disent certains, même s'ils connaissent le monde chinois. En 1982, le Document 19 publié par Deng Xiaoping pose les bases d'une liberté religieuse. Encore la Constitution de 1975 stipule-t-elle déjà que " les citoyens chinois ont la liberté de pratiquer une religion, la liberté de ne pas pratiquer de religion et de propager l'athéisme ". De même la Constitution de 1954. Si Deng lui permet de revivre " officiellement " (avec la conviction qu'elle disparaîtra un jour d'elle-même ?), la religion demeure sous le contrôle du Parti par le biais d'associations émanant du pouvoir. L'ordre chinois commande " l'intégration codifiée de la religion à la vie politique du pays ".

Dans les années 1980, Pékin voit d'un très mauvais œil l'enthousiasme que Khomeiny l'Iranien soulève chez les musulmans du Qinhai et Xinjiang. En 2003, la montée du fondamentalisme musulman incite les autorités à expulser du Xinjiang sept cents commerçants pakistanais ; en 2004, à restreindre les autorisations données aux Ouïgours de se rendre en pèlerinage à La Mecque.

En ce qui concerne l'Église catholique, particulièrement suspecte au pouvoir chinois en raison de son obédience romaine, il est courant de dire que pour les Chinois, ses missionnaires sont arrivés dans les fourgons des armées qui occupent la Chine à la suite de la guerre de l'Opium (1840-1842), que les convertis sont des suppôts de l'étranger. C'est vrai. Mais c'est une vision partielle, réduite à des critères occidentaux. Pour le Chinois, le lettré notamment et surtout s'il est en fonction, le missionnaire entré clandestinement en Chine (ce qui est le cas de tous ceux qui sont dans les provinces entre la fin du XVIe siècle et le traité de Nankin, de 1842) est, selon la terminologie même des édits impériaux, " comme un esprit malin en quête d'un mauvais coup ". Le peuple n'est pas en reste, qui l'appelle fangui — " diable étranger ". Il incarne le mal et ceux qui le suivent " empruntent un chemin gauche " — ce sont des hérétiques à l'orthodoxie que représente l'ordre chinois. Être " hérétique " dans la Chine impériale, c'est comme être " lèse-majesté " dans la France royale et relèverait aujourd'hui de la haute trahison.

Cette vision des choses n'est pas morte, elle fait fi de " l'universalité salvifique du Christ par-delà les cultures " proclamée par le cardinal Ratzinger dans Dominus Iesu. Hier, livrer à l'étranger une information sur l'Empire était passible de mort ; le vieux réflexe politique subsiste.

Un texte précise les conditions de l'existence légale de l'Église catholique en Chine : la règle des Trois Autonomies de 1950. En substance, elle prône que " l'Église catholique en Chine doit observer une politique d'autonomie et d'indépendance par laquelle les catholiques chinois, clercs et laïcs, prennent en charge leurs propres affaires ". Le catholique chinois " patriote " prend cet engagement civique :

 

Ayant en vue surtout l'indépendance et la dignité de notre pays, nous maintiendrons avec le Vatican des relations purement religieuses. Nous obéirons au Pape seulement dans les domaines qui appartiennent à la foi catholique et à la loi de l'Église. Cependant, nous couperons toutes relations politiques et économiques avec le Vatican et nous nous opposerons résolument à l'usage par celui-ci du prétexte religieux pour intervenir dans les affaires intérieures de notre pays, violer sa souveraineté et détruire notre juste cause qui est de combattre l'impérialisme et de promouvoir le patriotisme.

 

Non au chemin gauche !

 

Fin 1980, dans les sanctuaires peu à peu rouverts, la messe dominicale est dite dans une quinzaine de villes du pays. En 1983, les séminaires reprennent leur mission. En 1984, Alain Peyrefitte constate : " Aujourd'hui, nombre d'églises, de temples protestants, de mosquées, de pagodes sont rouverts et fonctionnent. Sur le seul territoire de Shanghai dix-sept églises seraient offertes aux fidèles. J'y ai assisté à une messe (en latin, les prêtres sont censés n'avoir pas de contact avec Rome et ignorer le concile Vatican II). Dans l'assistance, beaucoup de jeunes, les vieilles générations ont passé le flambeau . " Comme en 1990, la Compagnie de Jésus : " Des cent trente-huit jésuites chinois présents en Chine en 1956, à peine cinquante vivent encore. À l'exception d'un prêtre et de trois frères, ils ont tous plus de soixante-dix ans. La Compagnie aura-t-elle cessé d'exister en l'an 2000 ? Telle était sans doute le souhait des communistes. [...] Or, en Chine, de jeunes jésuites sont aujourd'hui à l'ouvrage. Et il semble que la volonté de Dieu soit que la Compagnie de Jésus demeure présente en Chine . " En 1995, à l'invitation du cardinal Sin, archevêque de Manille, une délégation de prêtres " officiels " chinois participe aux JMJ et concélèbre la messe avec Jean-Paul II, en compagnie de milliers de prêtres d'Asie.

En 1997, Pékin publie un Livre blanc sur la liberté religieuse et le père Chang, de Hongkong, éditorialiste de Yi China Message, juge " positive " l'attitude du gouvernement chinois, qui " reconnaît que les diverses religions sont devenues parties prenantes de la pensée et de la culture traditionnelles chinoises et qu'elles veulent servir la société et promouvoir son bien-être ". On lit dans Églises d'Asie , que l'évêque " non officiel " de Fengxiang (Shenxi), Mgr Li Jingfeng, malgré le manque d'argent, de professeurs, de matériel et de lieux sûrs à l'écart de la surveillance policière assure jouir d'une liberté certaine. Il utilise la cathédrale de Fengxiang, a ouvert un petit séminaire, un couvent et déclare : " Nous entretenons de bonnes relations avec le gouvernement provincial et pouvons nous occuper de nos affaires. Avec 20 000 catholiques, nous pouvons dire que nous sommes la plus "visible" des Églises "clandestines" ". Selon un évêque catholique " officiel ", Mgr Li " jouit d'une position privilégiée du fait que, tout en n'étant pas reconnu comme évêque de son diocèse par l'autorité, il est reconnu comme administrateur de celui-ci : cette position lui a permis notamment d'envoyer vingt-et-un jeunes gens étudier au séminaire officiel de Xian où il a été assuré que ses séminaristes recevraient les sacrements séparément et des mains de prêtres "clandestins" ". Église " patriotique ", Église " clandestine " : au plan doctrinal, les guillemets ne sont-ils pas de rigueur ? En 1998, Mgr Fu, évêque " officiel " de Pékin et président de l'Association patriotique , déclare à propos des Églises " clandestines " : " Les divergences n'ont pas pour cause la foi mais les positions politiques. L'Église souterraine partage la même foi, mais ne soutient pas le régime socialiste de Chine. "

Là-dessus, intervient, en 2000, la canonisation de cent vingt martyrs de Chine, missionnaires et Chinois. Tollé à Pékin, alors même que le cardinal Etchegaray (froidement accueilli, il est vrai) vient d'y faire une visite " officieuse " ! Pourquoi, le tollé ? Ces martyrs chrétiens, témoins d'une foi étrangère, sont des " hérétiques " au regard de l'ordre chinois. Les sanctifier, c'est sanctifier la révolte. Le Saint-Siège a-t-il heurté Pékin ? Politiquement, sans doute . Plus intimement, heurté la Chine et les Chinois ? Peut-être. Pékin suggère prudemment des excuses. Affaire de face ! Jean-Paul II ne peut accéder à une telle démarche. Pourtant... En octobre 2001, à l'occasion de la commémoration, à Pékin, du quatrième centenaire de l'arrivée de Matteo Ricci à la cour des Ming, le Saint-Père fait, de Rome, une allocution dans laquelle il rappelle le rôle précurseur du jésuite italien dans les rapports sino-européens et dit son regret " pour la façon dont l'histoire missionnaire a été trop dépendante, notamment au XIXe siècle de l'aventure coloniale des puissances occidentales en terre chinoise ". Le heurt est, semble-t-il, sans lendemain. Finesse romaine et souplesse chinoise ? Il faut être positif. Pékin considère le crédit que le Saint-Siège conserve au sein de nombreuses populations du monde et entend bien " normaliser " ses rapports avec Rome. Un document interne du PCC en date du 17 août 1999 n'exprime-t-il pas l'intention de procéder dans ce sens, lors du voyage que Jiang Zemin va faire en Europe à l'automne suivant ? Cette intention est contrariée par l'Association patriotique qui redoute d'être marginalisée, alors même que le document évoque le " renforcement de son emprise sur l'Église de Chine " . Jiang remit à plus tard son " petit pas " ad limina...

 

Les religions refleurissent en Chine

 

Quelle est la situation des chrétiens, dans leur ensemble, en l'an 2000 ? Le père Arotçarena, des Missions étrangères de Paris, déclare alors : " Catholiques et protestants sont soumis au même déchirement entre structures "officielles" et structures "clandestines". Beaucoup d'Églises protestantes dites "domestiques" refusent l'enregistrement et toute forme d'affiliation au Parti. Entre les fidèles la frontière n'est pas étanche. Il y a une circulation, même si beaucoup de clandestins n'imagineraient pas se confesser à des prêtres de l'Église officielle. Le phénomène n'est pas uniforme. Dans le Hebei, près de Pékin, dans le Fujian, les séparations sont sans doute plus hermétiques qu'ailleurs. " Dans le Gansu, en revanche, Mgr Han, l'évêque " clandestin " de Lanzhou peut s'en féliciter, " les prêtres "officiels" et "non-officiels" ont concélébré ensemble l'eucharistie, car ils ont entendu les encouragements donnés par le Saint-Siège. Ils font avancer activement la réconciliation de l'Église en Chine et reconstruisent son unité ".

En Chine, en temps normal, rien n'est jamais radical et définitif . Le père Arotçarena poursuit : " À l'heure actuelle, un grand nombre d'évêques "officiels" sont reconnus par Rome. " Il précisait à propos du " contentieux existant entre Pékin et Rome :

 

Il concerne la relation du chrétien au pouvoir. En Chine, l'empereur reçoit un mandat du Ciel (tianming ). Il est le lien entre la Terre et le Ciel. Le christianisme introduit un élément perturbateur dans ce schéma. Il est potentiellement subversif. Cette question est capitale, car le clivage persiste dans la Chine contemporaine – l'Église " clandestine " s'obstinant à refuser l'intrusion du Parti dans la vie de l'Église. La question reste finalement identique du côté du pouvoir : comment les chrétiens peuvent-ils être fidèles à l'empereur ?

 

La liberté de culte, pour les chrétiens, n'a jamais existé tant que la Chine était souveraine. On ne la trouve qu'entre 1860 et 1949, quand l'Empire est sous l'emprise des " Puissances ". La population ne l'a pas admise pour autant : voir les émeutes de Tianjin en 1870, la révolte des Boxers en 1899-1900. On ne saurait négliger le poids de cette longue tradition culturelle. N'en reste pas moins que le président Jiang Zemin, en juillet 2001, dans le cadre de la politique d'ouverture préconise " une orientation nouvelle et positive en matière de politique religieuse " ; qu'en décembre 2001, les autorités suprêmes du PCC tiennent sur le sujet une réunion de trois jours. À l'issue, Jiang dresse ce constat tout pragmatique dans la ligne du Document 19 : " La religion est encore là pour longtemps. On peut en tirer profit dans le développement de la société et lui laisser une influence stabilisatrice importante " – jusqu'au triomphe de la science positive.

Les religions refleurissent en Chine. En 1990, le pouvoir estime que 10 % de la population adhèrent de façon active à l'une des cinq religions reconnues par les autorités : taoïsme, bouddhisme , islam, catholicisme et protestantisme (ces derniers " officiels ") – sans parler des " formes souterraines de religiosité infiniment plus nombreuses ", avec " longs rituels symboliques menés dans des temples fraîchement reconstruits, bousculades autour de statues ou de fontaines miraculeuses, séances médiumniques d'exorcisme et de guérison magique, processions et célébrations dispendieuses, rumeurs d'apparitions divines et autres messages venus de l'au-delà ".

Le bouddhisme est connu des Chinois depuis vingt siècles ; certains sanctuaires, comme Ling yin si, à Hangzhou, sont à peine moins fréquentés que Lourdes. Dans les hauts lieux touristiques bouddhiques, comme le Temple des lamas à Pékin, les temples du Palais d'Été, les gestes de piété et autres prosternements sont de tous les instants. Il y aurait aujourd'hui de 150 à 200 millions de bouddhistes pratiquants .

L'islam est vivant aussi : la Chine compte une dizaine de " minorités " musulmanes non han. Elles regroupent quelque vingt millions d'âmes, les Hui sont les plus nombreux. Une région autonome leur est attribuée, le Ningxia, entre Shenxi et Gansu, où de même qu'au Henan, vit aussi une communauté importante. Ils y sont minoritaires, mais l'islam y est en plein essor. Les mosquées sortent de terre, y figurent les portraits des dirigeants chinois, preuve d'une soumission de l'islam " officiel " au PCC. " La liberté religieuse est plus grande qu'il y a dix ans, dit un imam, mais il y a encore du chemin à faire. " La Chine compte aujourd'hui 40 000 imams, 30 000 mosquées. Le Parti s'accommode de ce regain d'influence musulmane.

Les chrétiens sont une trentaine de millions. Le père Charbonnier remarque : " Un développement considérable de l'activité chrétienne s'est fait jour depuis vingt-cinq ans . " Cette " activité " est catholique et protestante. Les protestants, extrêmement actifs, ont (comme il y a cent ans !) un excellent contact avec la population. Un observateur notait en 1997 : " L'Église protestante a, dit-on, multiplié par quinze le nombre de ses adeptes . "

J'ai souvenir de la messe de Pâques 2001 à la cathédrale Saint-Ignace de Shanghai qui appartient à l'Église " patriotique ". Contrairement à ce qu'Alain Peyrefitte avait constaté en 1984, l'office obéissait au rite post-conciliaire . En avril 2002, dans une petite ville du Shanxi, une jeune femme est venue vers nous, mon épouse et moi, a fait son signe de croix, l'a répété pour nous faire comprendre qu'elle était chrétienne et nous a signifié que si nous avions besoin de manger ou de trouver un gîte, elle pouvait nous aider. Voilà deux images que je conserve de l'actuelle liberté de culte, dans le dernier empire " communiste ". Le père Charbonnier encore :

 

Étant affaire intérieure de l'Église, le culte n'est pas soumis aux ingérences gouvernementales. Il suffit que le prêtre n'enfreigne pas les tabous politiques dans ses homélies. Autour du culte, il est possible d'organiser des chorales, des équipes de servants de messe, des groupes d'étude biblique. Ces groupes de jeunes aiment organiser des visites en d'autres diocèses, surtout dans les grands lieux de pèlerinage à Marie la Sainte Mère .

 

La religion toutefois est encore poursuivie en Chine occasionnellement et avec rigueur. Les Églises " clandestines ", catholique et protestante, voient arrêter évêques, prêtres et pasteurs, détruire leurs sanctuaires " non autorisés ". De même en va-t-il pour le mouvement Falungong qui " combine les pratiques du qigong et des croyances religieuses empruntées au fonds commun des religions chinoises – bouddhisme et taoïsme " ; il est considéré comme une secte. Ces groupements non reconnus ne peuvent être que subversifs, ils suivent un " chemin gauche ". La position du gouvernement est claire : " La loi protège les Églises reconnues ; les autres sont illégales et doivent répondre de leur action devant la justice. "

 

Réévaluer le rôle de la religion

 

Mais la religion fait l'objet d'une réflexion inédite dans les milieux communistes officiels – réflexion sociologique, non théologique. Réflexe confucéen : " On respecte les esprits et on s'en tient éloigné " ! En 2002, le père Benoît Vermander écrit : " Le réveil religieux va au-delà de la simple curiosité ou de l'adhésion individuelle. Il se traduit par la recherche d'une articulation nouvelle entre croyances et société, par la création d'un espace public ou semi-public dans lequel des expressions collectives de la foi peuvent se produire. " Le jésuite est prudent : ce " réveil religieux ne s'est pas encore matérialisé tant les contraintes de toutes sortes sont nombreuses : politique gouvernementale, manque de formation des dirigeants religieux, doctrine théologique à développer, à actualiser ". N'en est pas moins vrai qu'en juin 2002, la Compagnie de Jésus a transféré de Taipei à Macao, foyer des missions pendant deux siècles et demi, la " maison " de sa " province " chinoise.

À l'automne précédent, Pan Yue, responsable communiste " de moyenne importance ", a publié un article dans lequel il préconise " un changement de politique religieuse et l'ouverture du Parti communiste aux croyants ". Les deux journaux dans lesquels son avis paraît ne sont ni le Quotidien du Peuple ni même l'organe important d'une ville importante. Il est toutefois publié à Shenzhen, ville-phare du développement chinois, entre Hongkong et Canton. Pan Yue est membre d'un brain-trust qui aurait alors l'oreille du gouvernement. L'article mérite qu'on s'y arrête. L'auteur estime que " le point de vue marxiste sur la religion doit évoluer avec le temps ", que l'accès au parti ne doit plus être lié à la profession d'athéisme. Il convient de " réévaluer le rôle de la religion et d'aborder cette question rationnellement, afin de résoudre les problèmes des relations entre les Églises et l'État " et de " trouver un mode de relation entre la religion et l'État qui soit raisonnable et scientifique ". Au sein des communautés chrétiennes chinoises et chez les Chinawatchers, les uns voient dans la démarche de Pan Yue " la poursuite de la politique d'ouverture énoncée par le président Jiang Zemin en juillet 2001 ". D'autres sont plus réservés : " Les responsables des affaires religieuses, disent-ils, n'accepteront pas ses vues et continueront à insister pour le maintien d'un contrôle étroit des religions . " L'un n'empêche pas l'autre.

Pour Pan Yue, pas question d'accorder leur indépendance aux différentes Églises, chrétiennes ou non. Mais, quand la société chinoise connaît des mutations rapides, douloureuses, le PCC qui la dirige aurait tort de faire fi de l'espérance consubstantielle des convictions religieuses. Un gouvernement, non plus " révolutionnaire " mais en charge de " gérer la construction du socialisme ", se doit de réexaminer, en fonction des textes marxistes, ce qu'est une religion. Elle est, dit Marx, " une vision du monde spontanée et naturelle ". " Raisonnable dans un sens historique, elle n'est pas forcément réactionnaire ni nécessairement aliénante de la société socialiste. " C'est pour avoir ignoré ces notions positives, qu'obsédé par l'idée tronquée " de la religion opium du peuple " (opium, poison, non analgésique), le PCC a mené une politique religieuse inadéquate. " Il en paie aujourd'hui le prix. "

Parti de gouvernement, le PCC doit en prendre conscience : " La religion répond à la question fondamentale du sens de la vie, à quoi l'homme ne peut trouver de réponse par la seule raison. Si la science étudie le monde des faits, elle étudie le monde du sens. Elle n'est pas identique à la philosophie non plus. La philosophie étudie le sens du monde avec une logique rationnelle. La religion l'explique de façon supra-logique ". Ce constat, le communiste Pan Yue ne le taxe plus de " superstition ". Pour Marx, " la religion est le soupir de l'âme opprimée, elle est " réconfort du peuple dans ses souffrances " ; il ne porte sur cet état de fait ni appréciation positive ni appréciation négative. Ce sont ses héritiers qui réduisent son analyse à un constat négatif induisant que la classe possédante use de la religion pour engourdir le peuple et lui dénier ses droits. " La phrase : "La religion est l'opium que la classe au pouvoir utilise pour anesthésier le peuple", est devenue l'explication standard de la conception marxiste de la religion. " Or Marx considère que " le recours à la religion est aussi la dénonciation des souffrances du monde réel ".

Ce retour aux sources de l'orthodoxie marxiste légitime le Document 19 de 1982, " la poursuite de l'ouverture " de 2001. Pour Marx, " une fois que le prolétariat a pris le pouvoir, il ne doit plus considérer la religion comme une ennemie, mais comme un miroir où se lit ce qu'il convient d'améliorer ". Le retour à une voie marxiste correcte invite à remplacer le concept de " l'opium anesthésiant " par " la théorie du reflet " d'Engels. À savoir que " se lit dans la religion le reflet des luttes contre les souffrances du monde réel. Poursuite de la vérité, de la bonté, de la beauté, elle est une grande compensation spirituelle aux déficiences de la vie réelle. Aucune société n'évite ces déficiences de la vie réelle. Rien, jusqu'à nos jours, n'a remplacé cette compensation religieuse ". Pan Yue précise :

 

La religion ne se définit ni comme féodale ni comme capitaliste ni comme socialiste. Elle ne prospère ni ne meurt à cause du succès ou de la mort d'un système social. Aussi s'étend-elle de l'Antiquité à nos jours. Sa pérennité, son indépendance à l'endroit des systèmes, sa capacité d'adaptation font qu'elle peut s'accorder avec une société socialiste.

 

Aucune religion étrangère en Chine n'a échappé à la sinisation

 

Suit une rétrospective sans mea culpa du passé anti-religieux du PCC au solde négatif. " Lors de la première époque révolutionnaire, les communistes ont fait de l'opposition à la foi une grande affaire. Ils se sont beaucoup dépensés à montrer que la classe des propriétaires terriens et des bourgeois usait de la religion pour droguer le peuple. Ce leur était dicté par la lutte des classes. " Le PCC doit se pencher à nouveau sur la question religieuse. " Elle est un phénomène de culture sociale. Si le cœur en est la foi, elle comporte foule d'éléments culturels. Outre une fonction politique, elle en remplit d'autres " dont la fonction normative. Lénine la vouait aux " poubelles de l'histoire ". Or, malgré le développement accéléré des sciences, de l'économie socialiste ou non, la religion " n'est pas morte ". Pourquoi ?

 

Elle joue dans la vie sociale un rôle qu'aucune science ou richesse matérielle ne peut occuper. L'homme n'est pas seulement un être rationnel. Peine et joie sont des réactions subjectives à la réalité. Face au malheur nombre de gens trouvent le réconfort en empruntant un dao religieux. Athéisme et science sont impuissants à vaincre la peur de la mort, la religion y parvient. Le révolutionnaire affrontera la mort pour sa conviction communiste ; le commun des mortels veut croire à la transmigration et à une rétribution .

 

À partir de ce constat, Pan Yue invite le PCC à adopter une démarche " fonctionnelle ", à considérer la nécessaire coexistence, dans le pays, des religions dont " l'autodiscipline et l'intégrité sont de solides atouts à mettre au service du socialisme ". Deng prônait un " développement spirituel " – allusion au renyi confucéen . Pan Yue : " Face au recul de l'idéalisme, à l'utilitarisme qui l'emporte, la religion offre une éthique qui préserve une foi morale. La société ne peut se passer de morale. L'homme, simple animal évolué, a une nature sauvage, égoïste. S'appuyer sur ses seuls réflexes naturels est insuffisant à maîtriser son comportement. L'homme religieux révère et redoute l'autorité d'un Esprit qui lui impose des limites. "

Pan Yue, en confucéen, parle de religion, mais pas de Dieu, n'en considère que les effets moraux sans lesquels il n'y voit qu'une " coquille vide " : " égalité dans la paix, rejet du mal, poursuite du bien, etc. " Il précise : " Le socialisme doit englober les éléments rationnels représentatifs de courants de pensée différents. La pureté d'une couleur unique est dictature spirituelle, ce n'est pas le socialisme. " Outre son rôle moral, la religion a une " fonction culturelle ". " Dans de nombreux pays, elle s'identifie à la tradition culturelle. Aucune culture n'ignore la religion. Le christianisme moule la civilisation européenne et américaine : littérature, peinture, sculpture, musique, philosophie s'y manifestent sous une forme chrétienne. " Ainsi de la culture chinoise marquée par le bouddhisme. Sur ces bases, " croyants, chercheurs et politiques peuvent coopérer ". Et il invite ses camarades à " ne plus simplement regarder les fonctions religieuses sous l'angle de l'athéisme ". " Sinon les fonctions religieuses seront toujours négatives à nos yeux. Il convient de ne pas schématiser brutalement un système exprimant la quintessence de milliers d'années de pensée humaine. "

Connaître les fonctions sociales de la religion relève certes de l'épistémologie, mais aussi de la sociologie, de la psychologie, de la politique. L'athéisme requis d'un membre du Parti est critère de pureté idéologique ; on ne peut le requérir du public. La religion est trop riche pour qu'on la " regarde comme un outil de la lutte des classes ", " l'oppose de façon simpliste à la science ". Pour un athée, la religion répond aux questions que la science n'a pas encore résolues. Or cette réponse ne saurait être sous-estimée, car, religion et science, " toutes deux, sont nécessaires à la vie sociale des hommes ". Pan Yue se penche sur l'histoire des sciences en Europe. S'il rappelle que Copernic et Galilée ont connu des problèmes, il constate que c'est à l'Église que nous devons non seulement la conservation du savoir antique, mais encore la promotion de nombre de découvertes. Il cite Vésale , les théories de Kepler, Newton chez qui " l'éthique religieuse était repère d'action et moteur de recherche ".

La conclusion peut-elle être source d'espérance pour les chrétiens chinois ? " Dirigé par une conception marxiste correcte de la religion, notre parti nouera certainement une relation scientifique et raisonnable avec la religion. "

Ne nourrissons pas un excès d'optimisme. Pan Yue le rappelle, songeant d'abord au bouddhisme : " Quelle que soit la prépondérance obtenue par les religions étrangères, toutes celles qui sont entrées en Chine ont dû s'assimiler à la culture de la grande Chine. " Il est vraisemblable que le catholicisme en Chine connaîtra la paix civile, quand seulement Rome et Pékin s'accorderont sur une structure ecclésiale sinisée conformément à la règle des Trois autonomies. Il n'en est pas moins évident que les choses évoluent à l'intérieur et de l'intérieur. Des universitaires reconnaissent " le besoin d'une nouvelle approche de la question religieuse " et Zhu Muzhi, président honoraire du Comité pour l'étude des droits de l'homme salue, à côté de la liberté d'entreprendre qui s'étend, des efforts de scolarisation et des progrès dans le domaine de la santé, le souci que les autorités chinoises montrent pour la liberté religieuse perçue, par lui et par elles, comme un des droits fondamentaux de l'homme . Un droit qui, il est vrai, ne souffre ni la fantaisie ni l'indélicatesse et ressemble assez à une liberté surveillée – comme depuis toujours en Chine.

 

Lutte contre les atteintes à l'ordre chinois : un exemple

 

Les autorités chinoises finiront-elles par baisser leur garde ? Sauf négligence, elles veillent. Elles connaissent bien les Églises et autres groupes clandestins ; les dépeignent avec sévérité. Le montre un document réputé secret publié avant la venue de George Bush à Pékin, en 2002, par l'américain Committee for Investigation on Persecution of Religion in China. Arrivé au Committee grâce à l'indélicatesse d'un fonctionnaire de la Sûreté, il détaille délits et crimes imputables à ces " mouvements religieux non reconnus officiellement, tels Falungong ou les Églises chrétiennes clandestines " et les mesures à prendre par les autorités locales " pour les réprimer ". La rédaction de ces pièces s'étale d'avril 1999 à décembre 2001 .

Arrêtons-nous à ce qui est dit de l'Église de la Chine du Sud, protestante, dont le chef, Gong Shengliang, a été condamné à mort à la fin de 2001 .

 

Les autorités de la Sûreté du Hubei, ont arrêté quatorze personnes, dont Li Ying, numéro 2 de l'organisation. Elles ont saisi 50 000 exemplaires d'une dizaine de publications de propagande, 350 000 yuan en liquide et autres matériels utilisés à des fins illégales. Poursuivant leurs investigations les autorités de Zhongxiang ont percé à jour l'organisation de ladite Église et acquis la preuve de l'activité criminelle de ses principaux membres. Ces découvertes permettent d'inculper et punir ces criminels et de réduire à néant leur organisation.

 

Suit l'historique de l'Église de la Chine du Sud, fondée par Gong membre dissident de l'organisation cultuelle dite l'Église planétaire. Gong, originaire de Zaoyang dans le Hubei, a défini, en 1993,

 

les Treize règles de l'Église de la Chine du Sud, au nombre desquelles on trouve : 1/ l'évangélisation de tout le pays, 2/ la christianisation de toute culture, 3/ l'avènement politique de son Église, et invité ses adeptes à "ceindre la cuirasse que leur confiait le Seigneur", à "mener une lutte à mort contre le démon (i.e. le gouvernement) jusqu'à la destruction finale de Satan (i.e. le PCC)" et à "instaurer le Royaume éternel de Dieu" [...].

Les chefs de ladite Église sont Gong et sa nièce Li Ying, trente-six ans. [...] Afin d'étendre son influence, ladite organisation a créé en mai 1998 un groupe éditorial de cinq membres, dont Li Ying était le chef. Dès août de la même année, ceux-ci publiaient le magazine Chine du Sud et en ont diffusé 480 000 exemplaires en quarante-huit livraisons. [...] Ils ont contraint leurs adeptes à acheter ce journal, au prix de 3 yuan l'exemplaire, faisant un profit de plus de 100 000 yuan. Durant la même période, l'Église de la Chine du Sud a imprimé et vendu calendriers et autres images superstitieuses, à plus de 10 000 exemplaires chacun. "

 

Parallèlement à cette activité éditoriale, ladite Église a, " en usant de coercition ou de tromperie ", détourné des fonds importants. Gong a fondé une dénommée Banque du Ciel et " répandu auprès de ses adeptes le bruit que le pays allait connaître la guerre, qu'ils ne reverraient pas un sou de leurs dépôts, s'ils les laissaient dans les banques officielles. Il disait : "Le seul moyen de préserver vos économies, c'est de les déposer à la Banque du Ciel. Si vous ne les y mettez pas, vous n'êtes pas de loyaux serviteurs du Seigneur." Les adeptes eurent si peur qu'ils se précipitèrent pour déposer leur argent comme Gong le leur commandait. Ce dernier selon l'enquête en cours n'y gagna pas moins de 320 000 yuan. " Les méfaits de Gong ne s'arrêtent pas là. Suit la liste des crimes imputés un peu partout à un gourou abusif : coups, blessures, viols... " Malheur à ceux de ses adeptes qui seraient allés s'en plaindre à la police ! " Le document détaille dix cas avérés de vengeance perpétrés par Gong et ses acolytes. Il s'achève par un appel aux autorités locales de la Sûreté.

 

Le ministère vous invite à tout mettre en œuvre à travers le pays, dès réception de cette circulaire, pour découvrir si l'Église de la Chine du Sud n'a pas tenu des réunions et distribué sa propagande. Si oui, il convient de la surveiller avec la plus grande attention, dans l'attente d'une occasion d'intervenir dans le cadre de la loi. Il convient d'accorder le plus grand soin à l'éventuelle capture de Gong et de ses principaux acolytes, toujours en fuite. Pour tout suspect interpellé et dont l'identité aura été vérifiée, téléphonez à xxx.

 

Arrêté en août 2001, Gong, sans qu'il ait pu recourir à un avocat (suite, dit le document, à " d'énormes pressions venues d'en-haut "), a été condamné à mort, le 5 décembre, aux chefs : 1/ d'atteinte aux lois de l'État, 2/ de viol, 3/ de (dit le texte américain) " assault with a cult ". Peut-on traduire par " attentat au moyen d'un culte " ? Sa nièce Li a été condamnée à mort aux mêmes chefs, moins le viol ; son exécution, " différée de deux ans ". De même la nommée Sun Minghua, responsable de la Banque du Ciel. Leurs complices ont été condamnés à des peines de prison, pour avoir " used a cultic organization to prevent the carry out of state laws and to do harm to people " – " abusé d'une organisation cultuelle pour entraver l'application des lois de l'État et léser autrui ". N'était le grief de nature politique qui peut choquer les Occidentaux, mais rappelle la position intransigeante des empereurs à l'endroit des " chemins gauches ", les autres griefs : viols, escroqueries, manipulations mentales, se rapprochent de ce qui est imputé chez nous aux sectes réputées attenter à la dignité humaine. Selon l'organisation américaine Freedom House, " ces documents fournissent la preuve que la Chine reste déterminée à éradiquer toute forme de pratique religieuse qu'elle ne peut contrôler et n'hésite pas, à cette fin, à recourir aux moyens extrêmes ". Rapprochant cette détermination du dialogue, en 2002, entre Bush et Jiang sur la libéralisation du régime en matière religieuse, Freedom House parle du " double langage " des autorités chinoises. Inexact. Les autorités chinoises entendent accorder la liberté de culte dans le cadre des lois existantes, hors de toute influence étrangère présumée hostile à la Chine et au PCC.

 

Ombres chinoises

 

À vue humaine, un progrès de la liberté religieuse n'est accessible à l'Église catholique de Chine que dans le cadre des Trois Autonomies. Il n'est pas sûr que l'ordre de l'Empire demeure solidaire de l'ordre cosmique. Il est sûr qu'ordre politique et ordre national demeurent intimement liés. Or, aujourd'hui et – sauf séisme politique – pour quelque temps encore, le PCC détient le tianming. Désobéir au PCC, fût-ce en se réunissant dans des catacombes, c'est nuire à l'harmonie du pays. Le confirment deux témoins. Jean-Luc Domenach dont les sympathies ne vont pas particulièrement au PCC : " La crainte du désordre est séculaire chez les responsables d'un pays immense et divers dont la population se méfie traditionnellement du pouvoir, et qui sont obsédés par l'idéal d'un ordre parfait . " Ce souci doit moins à Marx qu'aux néo-confucéens des Song . L'évêque auxiliaire de Hongkong, Mgr Tong Hon, raconte :

 

Les empereurs, des Han au IIIe siècle avant J.-C. à la fin des Qing au XXe, ont toujours pris une part active à la réglementation de la religion. Les religions entrent normalement dans trois catégories : le confucianisme , culte orthodoxe et légal ; les religions légales non orthodoxes : bouddhisme, taoïsme et islam ; les religions hérétiques : sectes, sociétés secrètes, christianisme qui n'a connu qu'une courte période de tolérance sous l'empereur Kangxi .

 

Depuis le Document 19, le christianisme est entré, sous sa forme " patriotique ", dans la deuxième catégorie ; l'évolution est positive. En mai 2003, le père Ma déclare au nom de l'évêque de Pékin : " Depuis l'ouverture du pays et la réforme, toutes sortes de religions se sont développées avec rapidité. La question religieuse est entrée dans son âge d'or. " Des dirigeants bouddhistes et musulmans tiennent des propos similaires. Mais à la même date le Rapport du Congrès américain sur la liberté religieuse décompte trente-trois prêtres et évêques emprisonnés ou sous étroite surveillance. Et le père Angelo Lazzarotto, de l'Institut pontifical des Missions étrangères, vieil observateur de l'Église chinoise, relève, dans les documents de la Conférence conjointe des présidents de l'Association patriotique et de la Conférence épiscopale , " les limites préoccupantes de l'autorité de l'évêque toujours conditionnée par l'Association patriotique ". Réserve fondée ? Voyez l'objet reformulé de l'Association patriotique des catholiques de Chine :

 

Soutenir le rôle dirigeant du PCC, hisser haut les couleurs de l'amour du pays et de l'Église, unir tout le clergé et tous les catholiques pour la défense de la dignité de la loi, des intérêts du peuple, de l'unité entre les groupes ethniques, soutenir la réunification du pays, appliquer le principe de l'administration indépendante de l'Église et de sa gestion démocratique, promouvoir l'adaptation de l'Église catholique au socialisme.

 

L'article Ier aussi du Système de la conférence conjointe qui commence par ces mots : " Le système a vocation d'intensifier l'entreprise d'indépendance des catholiques chinois selon les principes démocratiques de l'administration de l'Église, nommément, la direction collective, le contrôle démocratique et la prise de décision commune. " Malheur à qui ne s'y plierait pas : elle tourne, la machine à réduire les " hérétiques " !

En juin 2003, ÉDA fait état de l'arrestation de protestants " clandestins " au Yunnan, accusés de " propagation de superstitions féodales ". En juillet, cinq prêtres catholiques " clandestins " sont arrêtés au Hebei. Au Guangxi, trois villageois font l'objet d'une " peine administrative " qui les astreint, sans procès, à dix-huit mois de rééducation par le travail au chef de participation à des activités religieuses chrétiennes " illégales ". Des actions semblables sont signalées au Hebei, au Henan, au Shandong, au Zhejiang et au Jiangsu : dans tous les cas les contrevenants ont refusé d'être " éduqués ", c'est-à-dire " comprendre l'intérêt qu'il y a à rejoindre une communauté "reconnue" ". En septembre deux évêques " clandestins " du Hebei, âgés respectivement de quatre-vingts et quatre-vingt-trois ans sont interpellés par la police et pressés d'adhérer à l'Association patriotique. Le bureau des Affaires religieuses du Hebei, où la part " clandestine " de l'Église est importante, avait émis une circulaire en juillet invitant le personnel religieux à s'affilier aux organismes reconnus par le gouvernement pour la gestion des affaires religieuses. En octobre, douze prêtres et séminaristes sont arrêtés au Hebei, une église " clandestine " détruite " au motif qu'elle n'a sollicité ni autorisation d'abriter des activités religieuses ni permis de construire ". Au Shandong, une chrétienne " arrêtée pour activités religieuses illégales " est battue à mort après le refus de sa famille de verser l'amende requise pour sa libération – amende qui s'apparenterait à une tentative d'extorsion de fonds. Au Henan, le responsable d'une " église domestique " est condamné à deux ans de rééducation par le travail ; il aurait été arrêté en même temps qu'un membre de l'Église de la Chine du Sud inculpé de " tentative de subversion de l'État " pour avoir rédigé un projet d'organisation d'" églises domestiques ".

À Pékin, l'administration centrale émet une directive à l'endroit des vecteurs de médias audiovisuels les invitant à faire la promotion de l'athéisme et à dénoncer les " croyances déviantes ". Selon le Pr. Yang de l'Institut pour l'étude de la culture chrétienne, de l'université de Pékin, le document " ne vise pas les cinq grandes religions reconnues ; il enjoint aux diffuseurs de rappeler que "les religions ne peuvent organiser leurs activités que dans les lieux prévus à cet effet et que la promotion de leurs croyances doit être compatible avec le socialisme " ". Pour une observatrice catholique, de Hongkong, " le texte vise à relancer l'idéologie officielle communiste, alors même qu'elle est à bout de souffle et que le peuple, dans les campagnes surtout, n'hésite pas à se tourner vers n'importe quelle religion nouvelle pour combler ce vide. La directive ne saurait concerner le catholicisme, le gouvernement disposant à son encontre de moyens réglementaires autrement contraignants. " Un observateur catholique de Hongkong encore souligne qu'un des dix points de la directive " met directement en avant Falungong. L'athéisme doit être promu en utilisant Falungong comme repoussoir " !

En novembre, Mgr Su Zhimin, évêque " clandestin " de Baoding (Hebei), âgé de soixante-et-onze ans, au secret depuis 1997, reparaît quelques jours à l'hôpital de la ville, puis est " escamoté " à nouveau par les autorités. Il était sous la garde d'une vingtaine de policiers placés là pour empêcher la communauté catholique locale de " récupérer " son évêque. Au Henan, le pasteur d'une " église domestique " est arrêté la veille de Noël, relâché le lendemain. Dans le Hunan, les autorités diffusent une circulaire à tous les instituts de formation supérieure mettant en garde leurs étudiants contre " l'organisation d'activités religieuses illégales à l'occasion de Noël ". " Année après année, en dépit de la modernisation de la Chine et du desserrement du contrôle des autorités sur la société civile, les catholiques appartenant à la partie "clandestine" de l'Église continuent de vivre leur foi d'une manière sinon cachée, du moins très discrète. " Leur principal souci ? " Je n'ai pas peur d'être interpellé, dit l'un d'eux, la police ne me garderait au poste que trois jours tout au plus, mais je ne dois pas mettre en danger nos prêtres. Eux peuvent être arrêtés et emprisonnés pour des années. "

Février 2004 : deux chrétiens appartenant à une " église domestique " et arrêtés depuis plusieurs mois, sont inculpés de " divulgation de secret d'État " : ils auraient envoyé à l'étranger une cassette montrant la destruction d'un sanctuaire " clandestin ". Mars, le Vatican demande publiquement des explications aux autorités chinoises sur la récente arrestation de l'évêque " clandestin " du diocèse de Qiqihar, dans le Heilongjiang. Pékin fournit quelques explications et annonce la " libération prochaine " du prélat retenu " dans une résidence hôtelière du bureau des Affaires religieuses de Harbin ". Mgr Wei Jingyi sera libéré le 14. En avril, c'est l'arrestation de Mgr Jia Zhiguo, évêque " clandestin " de Zhengding, au Hebei, que Rome dénonce. Mgr Jia est libéré dans les dix jours. Selon Mgr Jia, le gouvernement chinois est " sensible à son image sur la scène internationale et le sera d'autant plus qu'approcheront les Jeux olympiques de 2008. "

Mai : un protestant emprisonné pour son appartenance à une Église interdite est sévèrement battu par ses gardiens au motif qu'il a fait du prosélytisme parmi ses codétenus. Deux prêtres catholiques " clandestins " sont arrêtés au Hebei ; ils sont libérés au bout de quatre jours. " On peut penser, observe ÉDA, que leur élargissement a été décidé pour répondre à la publicité donnée à l'étranger à leur arrestation. " Vivent les téléphones portables et l'Internet ! Le 23 juin, quand un troisième évêque " clandestin " est arrêté, Rome, usant de termes très fermes, dénonce " ces mesures incompatibles avec un état de droit " : " Elles contreviennent aux droits de l'homme, à celui, en particulier, de la liberté religieuse consigné dans de nombreux documents internationaux dont la République populaire de Chine est signataire. " Pékin répond que l'évêque n'a pas été arrêté, mais " invité à suivre des cours de politique religieuse qui se termineront fin juin ".

 

Œuvrer ensemble à la construction et à la modernisation de la Chine

 

Faits rapportés par ÉDA ; il peut y en avoir d'autres. Quelques dizaines d'hommes frappés parmi des millions. " Bats le mulet, le cheval aura peur. " La loi est dure ? " La loi est pour les méchants hommes, à l'homme de bien suffit l'observance des rites. " Jacques Guillermaz, grand connaisseur de la Chine disparu en 1998, estimait que naissait là-bas un " communisme confucéen ". De moins en moins communiste, la Chine redeviendrait de plus en plus confucéenne. Disons plutôt : " néo-confucéenne " et cela ne signifie nullement un avènement assuré de la liberté des cultes.

Me pardonnera-t-on de rêver ? Un Chinois déclarait en 1945 :

 

Le confucianisme dont les normes de vie sont si bienfaisantes, trouve dans la révélation chrétienne et dans l'Église catholique la justification la plus éclatante de tout ce qu'il possède d'humain et d'immortel. Il trouve en même temps le complément de lumière et de puissance morale qui résout les problèmes devant lesquels nos sages ont eu l'humilité de s'arrêter, comprenant qu'il ne revient pas à l'homme de trancher le mystère du Ciel et qu'il faut, en vénérant la Providence du Ciel, attendre que, s'Il daigne le faire, le Créateur Lui-même Se révèle.

 

Le confucianisme épanoui dans le catholicisme ? Le néo-confucianisme rigide et " pharisaïque ", certes non. Mais le confucianisme, avec " le culte du Très-Haut, la pratique de la piété filiale, le zèle à poser des actes de vertu en vue de progresser d'une manière pratique dans l'acquisition de la sagesse ", celui " qui fait l'âme chinoise ", pourquoi pas ? L'auteur de cet acte de foi , Lu Zeng Qiang, né en 1871, a été baptisé dans la religion protestante, a reçu une formation confucéenne de qualité, fut diplomate en Europe, ministre de la République chinoise entre 1912 et 1914, Premier ministre même quelques mois. Ayant épousé une Européenne catholique, il se convertit à la foi romaine. Veuf, il entra dans les ordres et mourut, en 1949, dom Pierre-Célestin, bénédictin à Bruges. Il a dit encore :

 

J'ose espérer pour nos peuples et pour moi-même la lumière et le bonheur du christianisme. Alors, mes chers compatriotes, croyez-en mon affection et mon expérience, nos familles seront heureuses, nos jeunes gens, tout au moins leur grande élite, recevront la force de se conquérir eux-mêmes et de progresser dans le travail, dans la grandeur morale et dans la joie, nos populations vivront dans la sécurité, et peu à peu dans l'abondance, et la Chine tout entière sera considérée au milieu des nations comme un peuple doux et fort, sachant, si c'est nécessaire, mettre à la raison ceux qui aiment la guerre, serviable envers tous et reconnaissant les services qui lui sont rendus, aimant les autres, aimé des autres, béni de Dieu.

 

Rêve ? Espérance ! Pour les " spécialistes des Églises chrétiennes du Continent ", réunis l'été 2004 à Hongkong, " les changements économiques et sociaux ménagent aux religions des espaces de liberté en Chine continentale. Le gouvernement chinois devient plus réaliste sur les questions religieuses ". Appréciation à nuancer : Anthony Lam, du Centre d'études du Saint-Esprit, de Hongkong, " sent chez certains responsables du Continent une plus grande ouverture d'esprit envers la religion que le gouvernement de Hongkong " qui prétend mettre la main sur l'enseignement catholique. Pour le pasteur Chan, de Hongkong aussi, l'ouverture " n'est pas désintéressée : le PCC cherche à utiliser à son profit l'essor actuel des religions en Chine ". In hoc signo vinces ? Et Mgr Zen, l'évêque de Hongkong, juge " que le contrôle du gouvernement chinois sur l'Église catholique tel qu'il est mis en œuvre est inacceptable ".

Il y a de bonnes nouvelles des " chrétientés ", comme on disait au XVIIIe siècle.

Au Fujian, un sanctuaire marial, " le village de la colline du Rosaire " fondé en 1993, attire des centaines de milliers de pèlerins, y compris non chrétiens. Dans le Hebei, un groupe d'étude de la Bible favorise les contacts entre catholiques et protestants. Au Zhejiang, à Shenzhen, des entrepreneurs catholiques prennent à cœur la mission d'évangélisation, témoignent de leur foi, embauchent des chrétiens, aident l'Église. L'un d'eux dit : " Si nous laissons le Saint-Esprit travailler à travers nous, nous pouvons commencer à prêcher l'Évangile. Notre apparence se fera plus attirante, nos paroles soulèveront les foules. " L'Église catholique de Chine prend des initiatives pour participer à l'effort national de lutte contre le Sida. À Xian, c'est une équipe de cinq religieuses, au Hebei, une cinquantaine de personnes, prêtres, religieuses et laïcs.

La canonisation du bienheureux père Freinademetz, missionnaire au Shandong à la fin du XIXe siècle, est accueillie avec satisfaction par l'Église du Shandong et ne fait l'objet d'aucune protestation des autorités chinoises. Un téléfilm sur le Fr. jésuite Castiglione, peintre à la cour des empereurs Qing, appelle ce commentaire du père Fernandez Sequeira, de l'Institut Matteo-Ricci, de Macao : " Les Chinois montrent un intérêt croissant pour le christianisme principalement sous l'angle de l'histoire et de la sociologie. " Au Yunnan, où onze prêtres seulement desservent trois diocèses regroupant 160 000 fidèles, neuf jeunes gens de seize à vingt-cinq ans ont rejoint le séminaire de Kunming .

Selon le Centre d'Études du Saint-Esprit, depuis 1982 le nombre des catholiques serait passé de trois à douze millions. Ils avaient dix lieux " autorisés " de culte et de réunion en 1980, 5400 en 2000. Selon le site Internet du Conseil chrétien de Chine, instance protestante reconnue par le gouvernement, les protestants seraient seize millions, 70 % d'entre eux vivant en zone rurale. À Pékin, le gouvernement envisage, dans le domaine des affaires religieuses de passer du règlement administratif à un cadre juridique fixé par la loi. Il s'agirait " d'empêcher les ingérences arbitraires dans le fonctionnement des organisations religieuses ". Un fonctionnaire du bureau des Affaires religieuses est fondé à le dire : " Limiter l'autorité de l'État sur la religion est une entreprise sans précédent dans l'histoire chinoise. "

À l'automne 2004, le rapport du VIIe Congrès national des représentants catholiques détaille le chemin parcouru par l'Église de Chine depuis 1998. Parlant de l'Église " clandestine ", il évoque " ces frères dans le Seigneur " qu'il dit " égarés ", et observe qu'ils " sont mieux éduqués, plus proches de ses défaire de leurs erreurs, plus près de retrouver la voie de l'amour de la patrie et de l'Église ". Espérance ? Un de ces " égarés ", Mgr Han, évêque " clandestin " déjà cité, répond à ses frères " officiels " : " Notre unité dans la foi renforcera notre amour pour notre pays et notre capacité à œuvrer à la construction et à la modernisation de la Chine. " À tous, chrétiens chinois et chinois non chrétiens, que leur reviennent ces quelques vers taoïstes, du Huainazi, vieux de vingt-deux siècles :

 

Changement des mœurs, modification des coutumes,

N'est-ce pas le cœur qui seul les réalise ?

Comment l'arsenal des lois et des châtiments

Suffirait-il à y parvenir ?

 

 

 

X. W.