Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008
POUR POUVOIR ENTRER EN VIGUEUR, en principe le 1er novembre 2006, le Traité instituant une Constitution pour l'Europe , adopté par le Conseil européen de Bruxelles (17 et 18 juin 2004) et solennellement signé à Rome par les chefs d'État et de gouvernement le 29 octobre 2004, devra obligatoirement être ratifié par l'ensemble des États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives (art.
IV-447).
Contrairement aux traités internationaux qui, pour s'appliquer, ne nécessitent qu'un nombre minimum de ratifications , les traités communautaires doivent en effet toujours être ratifiés par tous les États membres . Ainsi le parlement français ayant refusé, le 30 août 1954, de délibérer sur le projet de loi de ratification du Traité de Paris du 27 mai 1952, la Communauté européenne de défense (CED), qu'il se proposait de mettre en place, n'aura-t-elle jamais vu le jour.
Conformément au principe de l'autonomie institutionnelle et procédurale qui leur est reconnu par le droit communautaire , les États membres conservent par ailleurs le choix des modalités de sa ratification, qui pourra donc emprunter soit la voie parlementaire, soit celle d'une consultation populaire. Il eut sans doute été préférable, bien que totalement irréaliste compte tenu de la grande diversité des traditions constitutionnelles, qu'un référendum d'approbation fut organisé le même jour dans les vingt-cinq États membres... Soumettre en effet ce texte directement à l'ensemble des peuples européens aurait permis de lui donner la légitimité, qui risque autrement de lui faire cruellement défaut . Mais si une assez large majorité des citoyens européens se déclarait en juin 2004 favorable à la tenue d'un référendum européen, seul un tiers des partis politiques présents aux élections européennes du 13 juin 2004 affirmait de son côté soutenir un tel choix . Toujours est-il qu'à l'heure actuelle, seuls douze ou peut-être treize, voire quatorze pays sur vingt-cinq ont, semble-t-il, définitivement choisi d'avoir recours au référendum .
Si douze États (et peut-être plus ) devaient effectivement opter pour un référendum, ce serait près de la moitié de la population européenne (210 millions sur 453 millions d'habitants ) qui devrait être directement appelée à se prononcer sur le traité constitutionnel, ce qui constituerait sans aucun doute un " changement sismique dans la politique de l'Union européenne ", mais ne serait pas sans risques quant aux chances de son adoption. Bien que selon les sondages, les deux tiers des citoyens se déclarent actuellement favorables à la Constitution européenne , il n'est toutefois pas impossible que des préoccupations de politique intérieure ou que les craintes suscitées dans certains pays comme la France par l'adhésion de la Turquie puissent progressivement contribuer à inverser la tendance. Il ne faut pas non plus oublier que si les Italiens (83 %), comme d'ailleurs les Hongrois (79 % ) ont toujours nettement plébiscité ce projet, la plupart des autres peuples européens sont beaucoup plus partagés, qu'il s'agisse des Finlandais (56 % pour et 36 % contre) où la décision appartiendra certes au Parlement, des Danois (48 % pour et 31 % contre) ou encore des Anglais (47 % pour et 37 % contre), qui seront directement consultés. Des incertitudes demeurent également en France , en Irlande, en Pologne et en République tchèque , où devrait également avoir lieu un référendum...
Une issue positive, plus facile à obtenir par la voie parlementaire que dans le cadre d'un vote populaire, dépendra donc de plusieurs facteurs, dont il est encore bien difficile de prévoir l'évolution. En cas de référendum, la formulation même de la question a également toute son importance. Pour prendre le minimum de risques, elle devrait donc se limiter à seulement demander comme en Espagne (référendum du 27 février 2005) : " Approuvez-vous le traité par lequel s'institue une Constitution pour l'Union européenne ? "
À noter que les gouvernements allemand (le 3 novembre 2004), et italien (le 4 novembre 2004 ), ont été les premiers en engager la procédure de ratification et que le Parlement lituanien a été, le 11 novembre 2004, le premier à se prononcer en faveur de la Constitution européenne (par 84 voix contre 3, et 4 abstentions) .
Mais s'agissant d'un texte très imparfait, qu'il sera pratiquement impossible de modifier, dans la mesure où toute révision nécessiterait l'accord unanime de la " Conférence des représentants des gouvernements des États membres " et devrait ensuite être approuvée par tous les États membres (art. IV-443 §3) , il convient, avant de se prononcer pour ou contre sa ratification, d'être particulièrement prudent.
Il est par conséquent totalement inadmissible de jeter l'anathème sur tous ceux qui, à droite comme à gauche, ont d'excellentes raisons de rejeter cette Constitution, en les qualifiant d'" anti-européens " ou en les accusant de risquer plonger ainsi l'Europe dans le chaos ...
Il convient plutôt de se demander quelles seraient les conséquences réelles d'un rejet de ce projet, faute d'un nombre suffisant de ratifications. En cas d'échec dans un seul au moins des vingt-cinq pays membres, la Constitution ne pourrait pas en principe entrer en vigueur et le Traité de Nice resterait la règle commune (I), mais il serait toujours possible aux États membres de décider de ne l'appliquer qu'à ceux d'entre eux qui l'auraient approuvée (II).
I- LE PRINCIPE DE L'INAPPLICABILITE DE LA " CONSTITUTION "
À s'en tenir à la lettre même de son texte, qui veut que pour qu'il puisse entrer en vigueur tous les instruments de ratification aient été préalablement déposés (art. IV-447 §2), il est clair que faute d'avoir été approuvé dans tous les États membres, le Traité constitutionnel serait donc définitivement rejeté et que les traités antérieurs continueraient normalement à s'appliquer (A). Certains États pourraient toutefois être tentés de demander à leurs électeurs de voter à nouveau (B).
A/ Le retour à la situation antérieure
Il ne s'agirait pourtant en aucun cas de la catastrophe annoncée par certains, dans la mesure où l'Europe à vingt cinq resterait gouvernée conformément aux règles fixées par le Traité de Nice du 26 février 2001 et qui sont d'ailleurs entrées en vigueur depuis le 1er février 2003.
Il resterait alors aux États membres à prendre le temps de renégocier méthodiquement l'ensemble de cette " Constitution ", dont seule la première partie, la plus générale (art. I-1 à I-60) , a d'ailleurs été réellement rédigée par la Convention pour l'avenir de l'Europe (28 février 2002-10 juillet 2003) . Il leur faudrait alors tenir compte des critiques formulées contre un certain nombre de ses dispositions .
Il conviendrait d'abord de proposer un texte beaucoup plus court et plus équilibré , qui serait par conséquent plus facilement compréhensible pour une grande majorité de citoyens ; il est clair que, comme l'a justement fait remarquer Dusan Sidjanski , la longueur, la complexité et la difficile lecture de ce document pourtant essentiel pour leur avenir fait peser un risque certain pour son adoption.
La Constitution de l'Union devrait en effet strictement se limiter à définir l'organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics communautaires, ainsi que leurs relations avec les États membres et gagnerait à laisser de côté tout ce qui concerne la politique économique de l'Union. Pourquoi consacrer en outre de si longs développements au marché intérieur, à la politique économique et monétaire ou aux politiques communes ? Pourquoi ne pas également regrouper l'ensemble des dispositions relatives aux institutions, dont il est en effet question dans la première (art. I-19 à 32) et beaucoup plus longuement dans la troisième partie (art. III-330 à 415) ?
Il serait sans doute également nécessaire de refondre la structure de ce " traité constitutionnel ", qui comporte en effet deux préambules qui se recoupent très largement, et dans lequel la Charte des droits fondamentaux de l'Union est placée en deuxième partie, alors qu'elle aurait normalement dû se trouver, comme toutes les " déclarations de droits " en introduction ou alors en annexe avec évidemment la même valeur que le reste des dispositions.
Il serait enfin utile de revoir attentivement les points qui font encore débat et divisent les peuples (modalités relatives à la procédure de révision, poids de la démographie au Conseil et au Parlement , double présidence du Conseil et de la Commission, rôle de l'OTAN dans la défense européenne, question de la laïcité...).
Contrairement à ce que prétendent certains responsables politiques, particulièrement en France, l'Europe, qui depuis maintenant plus de cinquante ans a déjà connu bien des crises, ne pourrait dans ces conditions que sortir renforcée d'un rejet de cette Constitution.
L'échec de la CED (30 août 1954), avait en effet directement été à l'origine des accords de Paris (23 octobre 1954) qui ont abouti à la création de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) et avait surtout encouragé les Six à décider (lors du Conseil spécial des ministres qui s'était tenu à Messine du 1er au 3 juin 1955), d'élargir le marché commun à l'ensemble de l'économie en instaurant moins de deux ans plus tard la CEE et l'Euratom. Plus près de nous, le rejet par le Conseil européen de Fontainebleau (25 et 26 juin 1984) du Traité d'Union européenne (ou " projet Spinelli ") préparé et adopté à une très large majorité par le Parlement européen (par 237 voix contre 31 et 43 abstentions), a très rapidement conduit les Douze à l'adoption de l'Acte unique européen (17 et 28 février 1986), qui a été la première révision multilatérale des traités originaires et a marqué un tournant dans le processus d'intégration. L'abandon par les États membres d'un premier projet de Constitution européenne pourtant voté par les députés européens, le 9 février 1994, sous forme de résolution d'initiative parlementaire (sans valeur juridique contraignante), n'a pas empêché non plus l'Europe de progresser . La Communauté aura même survécu à la politique de la " chaise vide ", unilatéralement imposée par la France du général de Gaulle à l'ensemble de ses partenaires (du 1er juillet 1965 au 29 janvier 1966) et qui constitue sans conteste l'épreuve la plus grave de toute son existence.
B/ La possibilité d'organiser un nouveau référendum
Les Vingt-cinq pourraient également demander aux autorités du pays, voire des pays qui auraient dit " non " d'organiser un nouveau référendum. Une telle option ne pourrait toutefois être ouverte que pour ceux qui y auraient eu recours suffisamment tôt, à savoir dans le délai des deux ans, théoriquement imparti pour la ratification de ce traité constitutionnel . Les électeurs pourraient donc être appelés aux urnes pour la seconde fois un an après la première consultation par le ou les gouvernements concernés, qui pourraient alors utiliser de nouveaux arguments en faveur du " oui " et peut-être leur fournir des explications plus claires et plus précises.
Cette nouvelle conception européenne de la " démocratie ", qui n'entend accepter le verdict des électeurs que lorsqu'il correspond exactement à ce que l'on attendait d'eux et les conduit donc à voter à nouveau, jusqu'à ce qu'ils finissent par répondre " oui ", nous semble totalement inacceptable. Elle n'est pourtant pas nouvelle.
Les électeurs danois, qui s'étaient prononcés lors du référendum du 2 juin 1992 contre la ratification du traité de Maastricht (50,7 % de non contre 49,3 % de oui), avaient en effet été appelés à se rendre à nouveau aux urnes le 18 mai 1993, où ils avaient cette fois voté assez largement en faveur de ce texte (56,8 % de oui contre 43,2 % de non). Même si les quelque quarante six mille opposants danois qui avaient choisi de dire " non " en 1992 représentaient un peu moins de 2 % de l'ensemble de la population des Quinze et avaient plutôt entendu censurer à cette occasion une Europe dans laquelle ils ne se reconnaissaient pas vraiment , il n'était pas conforme à la démocratie d'organiser une nouvelle consultation. Si le " oui " avait obtenu un score aussi faible, aurait-on en effet décidé de procéder à de nouvelles élections ? Il ne faut pas non plus oublier que les Danois, qui avaient déjà refusé de participer à la troisième phase de l'Union économique et monétaire , n'ont accepté d'infléchir leur position, qu'après que le Conseil européen d'Edimbourg du 12 décembre 1992 ait accepté de les dispenser des obligations découlant des dispositions du traité relatives à la citoyenneté de l'Union et à la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures , ainsi qu'aux questions concernant la politique sociale, la protection des consommateurs, la répartition des richesses, l'environnement et la défense... Peut-on imaginer un État qui pour accepter de ratifier ce qui doit devenir la " Loi fondamentale " de l'Union se verrait dispenser d'être lié par certaines de ses dispositions ?
Certains préféreraient, plutôt qu'un nouveau référendum, limiter l'application de la Constitution aux seuls États qui l'auraient ratifiée.
II- L'EVENTUALITE D'UNE APPLICATION LIMITEE DE LA CONSTITUTION
Faute d'une ratification par tous les pays membres, il serait peut-être enfin envisageable de considérer que seuls ceux qui l'auraient formellement approuvée, soient effectivement liés par la " Constitution ", les autres restant toujours placés sous le régime des traités actuels aménagés par le traité de Nice du 26 février 2001. Il s'agirait d'un choix essentiellement politique, qui ne serait pas conforme au texte de ce projet (A) et qui poserait le problème de l'existence d'une Europe à deux vitesses (B).
A/ Le caractère essentiellement politique d'un tel choix
Une telle décision, contraire à la lettre même de la Constitution , ne pourrait naturellement pas s'appliquer aux États fondateurs de l'Union et ne concerner éventuellement que les nouveaux adhérents (comme la Pologne où les sondages sont encore incertains), ainsi peut-être que certains pays qui, comme le Royaume-Uni, l'Irlande ou le Danemark, bénéficient déjà de clauses dérogatoires qui les excluent de certains engagements ou de certains accords . L'Union européenne devrait alors aussitôt renégocier les termes de ses engagements avec ces quelques États, qui auraient choisi d'eux-mêmes de se placer en marge de la construction européenne .
Lors des discussions de la " Convention ", certains de ses membres avaient ainsi suggéré que l'entrée en vigueur de la Constitution puisse avoir lieu à partir du moment où un nombre minimum d'États, qui aurait pu être fixé aux trois quart d'entre eux, l'aurait effectivement ratifiée. Un statut particulier pouvant alors être négocié avec ceux qui n'auraient pas approuvé ce texte. Cette solution n'ayant pas été retenue, une " Déclaration concernant la ratification du traité établissant la Constitution " prévoit que si à l'issue d'un délai de deux ans à compter de la signature du traité établissant une Constitution pour l'Europe, les quatre cinquièmes des États membres ont procédé à la ratification et qu'un ou plusieurs d'entre eux ont rencontré des difficultés pour y parvenir, le Conseil européen se saisisse de la question. Il nous semble toutefois difficilement admissible que les chefs d'État et de gouvernement, ainsi que le président de la Commission , puissent ainsi décider en dernier ressort des conditions d'application de ce qui devra tout de même constituer la Loi suprême pour des centaines de millions d'Européens !
Cette solution, qui nous semble donc très contestable parce que fort peu démocratique et contraire à l'indispensable unité de l'Union européenne, avait pourtant été préconisée lors des débats de la " Convention " par la France et l'Allemagne, qui avaient proposé un assouplissement de l'exigence d'un vote unanime des États. Ils avaient en effet demandé que la Constitution soit applicable à l'issue d'un délai de deux ans après son adoption par les chefs d'État et de gouvernement (29 octobre 2004), dès lors qu'au moins vingt États membres l'auraient ratifiée. Ainsi le ministre français des Affaires étrangères et ancien commissaire européen, Michel Barnier, tout en refusant nettement de se placer dans l'hypothèse d'un échec, envisage-t-il que si un, voire deux pays rejetaient la Constitution européenne, " ceux qui veulent aller plus loin dans l'affirmation d'une Europe politique " puissent avoir la possibilité de placer leur action " hors des traités de l'Union dans une construction nouvelle " .
Cette proposition, qui reprenait l'idée visant à mettre en place un " groupe pionnier ", selon l'expression utilisée par le Président Chirac, et qui s'inspirait également de la notion d'" avant-garde ", chère à Jacques Delors, avait toutefois nettement été repoussée par le Premier ministre anglais Tony Blair, qui, contrairement à la tradition britannique , a décidé de soumettre au référendum le traité constitutionnel.
B/ L'hypothèse d'une Europe " à deux vitesses "
S'agirait-il alors simplement d'un exemple de plus de l'Europe " à deux vitesses " ou d'une fracture beaucoup plus profonde ?
Il faut savoir que le choix d'une " Constitution " pour remplacer les quelque 1045 pages de la quinzaine de traités actuellement en vigueur est loin d'être anodin. Il traduit en effet la volonté de ses promoteurs d'aller vers une Europe fédérale ou pour le moins vers une " fédération d'États-nations ", pour reprendre l'expression inventée par Jacques Delors dès 1991, puis reprise ensuite par Joschka Fischer ou Jean-Louis Quermonne . Il s'inscrit d'ailleurs dans la continuité des propositions des députés allemands Wolfgang Schäuble et Karl Lamers (CDU/CSU), qui estimaient en 1994 que le continent européen devait s'organiser autour de " deux Europe ", une " grande Europe assise sur les besoins de tous les pays, y compris des nouveaux adhérents, à la sécurité externe et interne et à la modernisation de leurs économies, et une autre pensant que c'est le seul moyen pour nos vieilles nations de préserver une marge d'autonomie, de protéger leurs niveaux de vie et de continuer à exercer leur influence dans le monde ".
Il est donc clair qu'une telle fédération ne saurait se concevoir sans une différenciation de plus en plus marquée entre les États qui voudront aller plus vite et plus loin que les autres (" l'avant-garde ") et ceux qui souhaiteront seulement former autour de ce " noyau dur " (axe franco-allemand), une sorte de " périphérie " plus souple et moins intégrée, formée de cercles concentriques (monnaie unique, politique sociale, politique étrangère...), auxquels pourraient toujours adhérer les pays désirant en faire partie. L'avènement d'une Europe " à plusieurs vitesses " est en effet progressivement devenu inévitable ne serait ce que pour tenir compte des disparités économiques, politiques ou culturelles résultant des élargissements successifs.
Ces " coopérations renforcées ", qui existent déjà dans de nombreux secteurs (Schengen, Union économique et monétaire, défense...) et ont été institutionnalisées par le traité d'Amsterdam , ont certes parfois permis d'obtenir des résultats encourageants (environnement, lutte contre l'immigration clandestine, sécurité intérieure... ), mais sont elles pour autant applicables dans tous les domaines ?
S'agissant d'une " Constitution ", qui a par nature vocation à devenir la norme juridique suprême, à laquelle les droits nationaux, qu'elle devra progressivement continuer à intégrer (monisme), seront subordonnés, il semble bien difficile d'admettre que certains États puissent y échapper. En achevant de " communautariser " les trois " piliers " instaurés par le traité de Maastricht en 1992 , en accordant la personnalité juridique à l'Union (art. I-7) et en consacrant pour la première fois aussi nettement dans un traité la primauté du droit communautaire sur le droit des États membres (art. I-6) , cette " Constitution ", malgré certaines concessions en faveur du maintien de quelques compétences nationales, s'apparente bien à celle d'un État fédéral qui n'oserait pas dire son nom... On voit donc mal comment certaines de ses composantes pourraient ne pas lui être soumises, à moins de considérer qu'autour d'une Europe fédérale dotée d'une " Constitution ", pourrait être appelée à coexister une sorte de confédération d'États européens, qui continuerait à s'appuyer sur les traités existants ! Cette hypothèse, qui supposerait d'abord nécessairement qu'au moins deux États aient refusé de ratifier le traité constitutionnel pour pouvoir conclure un accord de ce type, n'est évidemment pas conforme au droit communautaire qui s'est toujours fondé sur l'égalité de traitement entre les États membres. Il semble donc bien difficile d'imaginer l'éventualité d'une coexistence entre deux Europe institutionnelles.
Le rejet de la " Constitution " n'aurait donc rien de dramatique pour l'Union et pourrait même tout au contraire fournir à la construction européenne l'occasion d'un nouvel élan. Le recours au référendum dans un certain nombre de pays, en permettant d'instaurer un débat sur les conséquences de l'adoption de ce projet, aura en tout cas certainement contribué à conférer à l'Europe un peu de la dimension démocratique qui lui fait pourtant encore cruellement défaut. Le choix d'un traité constitutionnel représente, ne l'oublions pas, une étape essentielle vers une Europe fédérale, amorcée voici près de vingt ans avec l'adoption de l'Acte unique européen, et constitue désormais un réel point de désaccord, qui transcende les traditionnels clivages politiques. Il ne faudrait pas non plus perdre de vue que jusqu'à maintenant, aucune fédération imposée par la contrainte ou même seulement décidée sans l'aval des peuples concernés n'a réussi à exister durablement...
J.-L. CL.