Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008
CHEZ UN AMI DE VASTE CULTURE, nous parlons d'histoire. Je déclare que la façon dont la République la présente aux élèves (quand elle est présentée) rappelle ce que Lounatcharski faisait enseigner aux petits Russes dont il entendait faire d'eux de petits Soviétiques.
Un des hôtes oppose que les historiens de la IIIe République reconnaissent les mérites de l'Ancien Régime. Ma mémoire ne me trompe pas : l'obscurantisme médiéval, on me l'a enseigné quand j'avais huit ans et je n'ai pas souvenir que l'on fût revenu dessus. J'étais en cinquième, dans les années 1950, quand on me parla des grenouilles que le serf faisait taire pour que son suzerain pût dormir. Adémaï au Moyen Âge ! Il est des schémas qu'il convient d'adopter. Charlemagne a inventé l'école, Saint Louis a passé son temps sous le chêne de Vincennes ; Louis XI narguait ses ennemis enfermés dans des cages et Henri III jouait au bilboquet. Ces légendes répondent à la volonté de montrer que l'histoire légitime la République, sa laïcité et sa défiance à l'endroit de l'Église romaine ennemie de la liberté. Quand on s'enflamme à la vue de ces falsifications et que l'on découvre le livre de Jean Sévillia, Historiquement correct (Perrin), on éprouve un bonheur.
Identité faussée
Jean Sévillia dont le lecteur du Fig' Mag sait la modération, s'insurge contre " le passé unique ", comme on parle de " pensée unique ", réducteur de l'histoire à une caricature. Ce " passé unique " est entonné à la jeunesse sur ordre ministériel. " Voir cette circulaire : "Le programme... s'inspire... de la même volonté d'organiser les connaissances autour d'axes problématiques ne retenant que les faits significatifs des grandes évolutions, à l'exclusion de toute approche événementielle". Exclure l'"approche événementielle" permet d'écarter ce qui perturbe la légende officielle. " Cette soupe sophistiquée est un vrai poison. Mais la jeunesse scolarisée n'est pas seule à être intoxiquée. La masse des citoyens vit sous l'autorité de faiseurs d'opinion " historiquement corrects ".
Sévillia se réfère à dix-huit événements ou périodes qui, du Xe siècle à nos jours, ont en commun de jouir ou de souffrir d'une réputation de mauvais aloi : féodalité, croisades, cathares et Inquisition ; Rois Catholiques ; guerres de religion ; Ancien Régime ; Lumières ; Révolution et Terreur ; Commune de 1871 ; catholiques et ouvriers ; abolition de l'esclavage ; 1900 : antisémitistes, antimilitaristes et anticléricaux ; pacifisme des années 1930 ; Résistance et Collaboration ; " affaire " Pie XII ; décolonisation ; guerre d'Algérie. Il examine les faits en homme de bon sens et de saine culture, redresse les torts, rappelant ce constat d'Alain Besançon : " Le débat public en France navigue en se repérant sur des blocs historiques massivement ignorés ou falsifiés. " Si nous avons besoin de l'histoire pour savoir qui nous sommes, celle qui guide aujourd'hui nos jugements est souvent un tissu de préjugés. Nous épousons la démarche de l'idéologue qui se fixe un but et en montre le bien fondé, au lieu de tâtonner jusqu'à la découverte. Notre identité s'en trouve faussée.
Moyen Âge !, crie l'ignare qui entend dénoncer l'obscurantisme. L' " âge intermédiaire ", entre Antiquité et Renaissance, a sombre réputation : guerres, famines, servage, épidémies, droit de cuissage accablent ce millénaire qui 1/ est loin d'être homogène ; 2/ n'a pas été pire pour le commun que l'Antiquité gréco-latine d'économie servile. Mais, qu'on le veuille ou non, le serf demeure la victime de l'arbitraire " féodal " ; la femme, celle d'une religion qui lui refuse une âme. Tant pis pour les reines Aliénor ou Blanche, les saintes, abbesses, poétesses, pour la Mère de Dieu et pour la vérité ! Qui a inventé ces sornettes ? Le XIXe siècle " progressiste " donc suffisant ! Or, dit Sévillia, " le Moyen Âge, c'est le moment où s'esquisse une aventure française qui dure depuis mille ans. Caricaturer l'époque médiévale, c'est mutiler sa propre histoire ".
Les premiers croisés étaient des pénitents
Ces périodes dont on médit en France, je ne peux les examiner toutes. Voyons-en quelques-unes. Les croisades, d'abord, considérées, selon les avis, comme une entreprise coloniale : États latins d'Orient ; commerciale : ah ! les marchés d'Alexandrie et du Caire ! de pur banditisme : massacres à Antioche, à Jérusalem, sac de Constantinople. Les barbares d'Occident ont fait une intrusion cupide dans les domaines raffinés de l'Empire byzantin et du Califat des Abbassides. On ignore que les Seldjoukides, dès le XIe siècle, y exerçaient leur tyrannie ! Honte et repentance pour les croisades dont on conteste l'origine religieuse. Or, Sévillia le montre, " ce n'est pas la soif de biens matériels qui a poussé les premiers croisés : c'est la dévotion... "Dieu le veut", ce cri est un acte de foi. Les premiers croisés étaient des pénitents " – gens du peuple et barons ! On ne niera pas leurs excès ; il y en eut de part et d'autre. Les temps étaient brutaux. Mais les croisades ne furent pas deux siècles d'affrontements sans merci ; il y eut de longues trêves. Musulmans et chrétiens n'hésitent pas à s'entendre, quand les circonstances le commandent : les derniers chevaliers chrétiens et les mameluks du Caire joignent leurs efforts pour repousser les Mongols.
Des publications pseudo-savantes
Autre légende au passif de l'Église, celle des cathares née au XIXe siècle encore. " On ne compte plus les publications pseudo-savantes détaillant la religion des fidèles de Montségur. " Que ne leur préfère-t-on le Montaillou d'Emmanuel Le Roy Ladurie qui présente la vie d'une petite communauté " catharisée " ? Sévillia fait l'historique du mouvement manichéen qui se développe à la fin du XIe siècle et durant le XIIe ; explique que les " Amis de Dieu ", les " Bons Hommes " voient dans la création l'œuvre de Satan, principe du Mal, Dieu, principe du Bien, n'ayant enfanté que " les esprits ". " À leurs yeux, Jésus est un ange dont la vie terrestre n'a été qu'une illusion. Le Christ n'a donc pas souffert pendant sa passion, il n'est pas mort et n'a pas eu à ressusciter. La Vierge était un pur esprit aux apparences humaines. " Hérésie et formation d'une " contre-Église " clandestine avec ses rites : consolamentum qui transformant un " croyant " en " parfait ", lui vaut absolution plénière ; endura : véritable suicide par renoncement sublime à assimiler toute nourriture. Par ailleurs, si, au nom du caractère satanique de la matière, les cathares condamnent mariage et procréation, si les " parfaits " semblent avoir fait vœu de chasteté, les simples " croyants " se voient accorder toute liberté sexuelle. Elle est peccamineuse, certes, mais la rédime le consolamentum in articulo mortis – porte ouverte à toutes les licences et au mépris de la femme.
Rome réagit. Pendant un siècle, les papes cherchent avec patience à ramener au bercail les brebis égarées. Des conciles se penchent sur la question. Des personnalités tel Bernard de Clairvaux viennent prêcher : sans succès. En 1200, Innocent III confie aux cisterciens de Fontfroide, Pierre et Raoul de Castelneau, de parcourir le pays, d'y prêcher, d'accepter la controverse. Raymond VI, comte de Toulouse est favorable à l'hérésie. En 1207, le pape en appelle à son suzerain, Philippe II qui sera Auguste après Bouvines. Le Capétien n'est guère empressé ; il guerroie contre l'Anglais. Le drame éclate en 1208, Pierre de Castelneau est assassiné, Rome lance la croisade. Le Capétien n'y participe pas. La mène Simon de Montfort, qu'entourent barons du Nord et nobles languedociens. Après la prise de Béziers, de Carcassonne et la victoire de Muret, Montfort est tué devant Toulouse, en 1218. Son fils assure la relève. Je passe sur les péripéties qui suivent. En 1242, Louis IX somme Raymond VII de réduire Montségur. Ce village fortifié fait figure de sanctuaire hérétique. Toulouse se dérobe. En 1244, l'armée royale s'en empare. 225 " parfaits " refusent d'abjurer et sont brûlés vifs. De l'affaire, il semble qu'on n'ait retenu que Montségur, dont certains font une sorte d'Auschwitz : " Montségur symbolise la cruauté absolue des adversaires des cathares, catholiques ou gens du Nord. " À ceux qui voient dans le bûcher de Montségur une " solution finale " (sic), Sévillia oppose l'avis autorisé de Michel Roquebert : " La croisade n'a pas été un génocide ; économiquement et socialement, elle n'a pas mis le pays à genou. "
L'Inquisition, un progrès
Après 1213, année où l'Inquisition est instituée, la tentative de conversion par la persuasion se poursuit. Inquisition, persuasion ? " L'Inquisition est une justice plus tempérée que la justice civile. Détenu en prison préventive ou restant libre, l'accusé a le droit de produire des témoins à décharge, de récuser ses juges. Au cours de son procès, il bénéficie d'un défenseur. " Sévillia le souligne : " L'Inquisition a présenté un progrès. Là où l'hérésie déclenchait des réactions incontrôlées : émeutes, justice expéditive, elle a introduit une procédure fondée sur l'enquête, la recherche de preuves. " L'Inquisition use de torture ? " Toutes les justices de l'époque y recourent. " Le bûcher ? Selon Emmanuel Le Roy Ladurie, " l'Inquisition en use fort peu ". On emprisonne modérément et " le pouvoir d'atténuer les sentences est fréquemment exercé ". Nos contemporains ont la fâcheuse tendance de juger les siècles passés à la lumière de notre temps, cultivant, avec le même succès, indignation et anachronisme !
Voici une princesse qui, au regard de " l'historiquement correct ", a le tort d'être dite Isabelle la Catholique. En janvier 1492 Grenade tombe aux mains des Espagnols : fini, l'Espagne musulmane. Le 31 mars, un décret donne quatre mois aux Juifs pour se convertir ou quitter le pays. Dans l'Espagne médiévale, les religions catholique, musulmane et juive cohabitaient mal : en terre d'islam, chrétiens et juifs payaient le dhimmi ; en terre chrétienne, musulmans et juifs faisaient l'objet de l'hostilité populaire et étaient poussés à se convertir. Des juifs le firent, conservant secrètement la pratique du judaïsme, les marranes . Isabelle se soucie de la sincérité des convertis. En 1478, à sa demande, le Pape crée l'Inquisition espagnole qui d'abord ne s'intéresse qu'aux marranos. À propos des inquisiteurs, Bartolomé Bennassar parle " d'hommes d'une qualité intellectuelle remarquable ". Pourquoi, alors, le décret de mars 1492 ? Parce que la chute de Grenade permet d'envisager l'unité religieuse de l'Espagne. Isabelle commence avec les juifs, viendra le tour des musulmans. La règle Cujus regio ejus religio se généralisera au XVIe siècle. Criminelle, Isabelle ? Sévillia cite Braudel : 1/ " L'Inquisition incarnait "le désir profond de la multitude" " ; 2/ " Parler à propos de l'Espagne du XVIe siècle de "pays totalitaire", voire de racisme, ce n'est pas raisonnable. "
L'Édit de Nantes et la laïcité républicaine
En 1998, à l'UNESCO, le président de la République écoute avec complaisance un discours sur l'Édit de Nantes, lequel prétend voir dans ce compromis d'Henri IV un préliminaire à la " laïcité " républicaine réputée tolérante. Absurde ! Sévillia le montre : les " guerres de religion " ne méritent pas leur nom. La religion est un prétexte. Il s'interroge : " Pourquoi quarante années de lutte armée ? ", et répond : " Au-delà de l'antagonisme religieux, le drame qui s'est joué de 1562 à 1598, est une tragédie politique. " Au fil des conflits, " un véritable État protestant se forme. Ses limites géographiques sont mouvantes, mais il possède outre ses armées son organisation politique... Selon Jacques Auguste de Thou, il s'agissait d'une "nouvelle espèce de république séparée du reste de l'État qui avait ses lois pour la religion, le gouvernement civil, la justice, la discipline militaire, la liberté du commerce, la levée de l'impôt et l'administration des finances". Cet État huguenot négocie avec les puissances passées à la Réforme. " Tel comportement est lèse-majesté. L'édit de Nantes visait à réconcilier les Français au sein d'un État solidarisé à nouveau autour de son roi ; sa validité était circonstancielle ; Henri espérait bien ramener les " religionnaires " dans le sein de l'Église. N'en déplaise à M. Chirac.
À propos de l'Ancien Régime, Jean Sévillia montre aujourd'hui, comme Tocqueville en 1856, qu'avant 1789, " il régnait plus de liberté que de nos jours " ! L'Ancien Régime est déconsidéré : si les manuels scolaires consacrent vingt pages à sa chute, une suffit à couvrir les règnes des Bourbons de 1589 à 1789. Est-il " historiquement incorrect ", de citer François Bluche ? Il ose dire : " Le monarque absolu n'est ni un tyran ni un despote. Son pouvoir obéit à des règles codifiées. Et si les juristes ont pris soin de les définir, c'est précisément parce que le roi n'a pas tous les droits. Les bornes de sa puissance sont d'abord inscrites dans la morale commune. À l'instar du plus humble de ses sujets, le monarque est tenu d'obéir aux commandements de Dieu. Si le roi les violait, le royaume, délié de son devoir d'obéissance, pourrait se révolter. " Allez expliquer à un obsédé de la laïcité au nom du progrès dans la liberté que le Capétien, mandaté par le Ciel, craint Dieu et respecte ses peuples, garantissant du même coup leur liberté !
Une vache sacrée
Après les damnés, une vache sacrée : les Lumières ! J'aime dire que le XVIIIe siècle, en France, est merveilleux : architecture, musique, peinture, orfèvrerie, mobilier, jardins, vins, cuisine... et regrette qu'il ait écrit. On me demande ce que je fais de Voltaire, de Rousseau et de tel et tel. Absents, ils n'eussent pas manqué au génie de la France. Même Montesquieu est creux et tire des plans sur la comète. Ils ont inventé la liberté, nous dit-on. Sévillia a l'humour de leur opposer une phrase de Malesherbes, défenseur de Louis XVI devant la Convention : " Qui eût cru que la tolérance aurait ses fanatiques ? " Tolérance : le maître mot des Lumières. Lisez Helvetius : " Il est des cas où la tolérance peut devenir funeste à une nation, c'est lorsqu'elle tolère une religion intolérante, telle la catholique. " Là est le ressort du XVIIIe siècle, celui de la République française : " Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ", dira cette petite crapule de Saint-Just. On pense à Brecht proposant, s'il n'est pas d'accord avec le parti dominant, de " dissoudre le peuple ". Plus sérieusement, lisez Tocqueville et Taine.
En 1970, quand je suis rentré de coopération en Afrique, j'ai appris avec surprise que des collègues préparaient la commémoration de la Commune. Trente ans plus tard, un maire réputé de droite inaugurait à Paris une Place de la Commune-de-1871. Ignorance ? Démagogie ? Jean Sévillia le dit : la Commune de Paris, ce sont " les enragés au pouvoir ". Avec quelle idéologie ! L'anticléricalisme du XVIIIe enrichi d'élucubrations marxiennes et de tentations libertaires : " La fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l'exploitation, des monopoles et des privilèges auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses désastres. " Infantile, mais criminel. Voilà ce qu'aime une certaine France qui sait se faire entendre et, comme les modèles auxquels elle se réfère, couvre les voix de la sagesse. Les communards, dignes enfants d'indignes pères, tuent, incendient. Au scandale de qui jouit de bon sens. Je savais que Flaubert avait voué " aux galères toute la Commune " et parlé de " sanglants imbéciles ". J'ignorais que Zola, récupéré depuis par toutes les gauches, avait dit des Versaillais : " C'est la partie saine du pays, la raisonnable, la pondérée, la paysanne qui supprimait la partie folle " et ajouté : " Le bain de sang était nécessaire. "
Plutôt la servitude que la guerre
Je passe sur le chapitre qui traite des catholiques et des ouvriers, avant 1900, mais observe qu'Albert de Mun, catholique et monarchiste, est plus " social " que Jules Ferry et la majorité de la bourgeoisie voltairienne et anticléricale. Je passe sur l'" affaire Dreyfus " dont Sévillia dit : " L'historiographie de gauche a recomposée une affaire Dreyfus idéale, elle n'a que d'assez lointains rapports avec l'affaire elle-même. " J'en arrive, au-delà de la guerre de 14 au pacifisme de l'entre-deux-guerres. Sévillia met en exergue, cette phrase de Marc Bloch : " Nous prévoyions bien que le sursaut allemand viendrait un jour. Et pourtant, paresseusement, lâchement, nous avons laissé faire. " Qui, en France, détient le pouvoir entre 1919 et 1939 ? Qui ne fait rien, face aux différents plans américains, Dawes ou Young, qui réduisent à néant les indemnités que l'Allemagne devait payer ? Qui ne bronche pas quand Hitler accède au pouvoir, quand il réoccupe la Rhénanie, quand il annexe l'Autriche, quand il démantèle la Tchécoslovaquie, à Munich ? La gauche, radicale, radical-socialiste, socialiste ! En ordre dispersé ou sous l'étiquette commune de " Front populaire ". Qui a précipité Mussolini dans les bras de Hitler ? La gauche qui se refusait " de traiter avec l'assassin de Matteoti " ! Jean Sévillia le rappelle : " Le pacifique aime la paix, mais se tient prêt à la guerre pour préserver sa liberté. Le pacifiste aime la paix par-dessus tout et se montre prêt à tout pour éviter la guerre. " La gauche était pacifiste. Les renonciations de la période 1919-1939, elle en porte la responsabilité, à l'instar du syndicat des instituteurs qui déclarait : " Plutôt la servitude que la guerre. " En ces temps, quelle confusion dans les esprits ! On reproche à la droite de préférer Hitler à Blum ; à qui critique Staline d'être pour Hitler. Or, les Français et d'autres sombrent dans la propagande du Komintern que Willy Mützenberg promeut avec un génie qui, malgré sa mort en 1944, demeure fécond. Nos schémas, en 2003, sont fils de sa propagande. Ainsi quand nous mêlons sans nuance nazisme, fascisme et franquisme !
Vichy n'est pas un bloc
Comme avant-guerre, pour la période des hostilités et de l'Occupation, il y a bons et méchants, héros et traîtres. Le discours est récent : dans les années 1950-1960 on parlait librement de la guerre. C'est admis : Vichy a commis des erreurs, mais on s'y est surtout sali les mains pour " limiter les dégâts ". " La compréhension à l'endroit du Maréchal est tolérée. " L'Histoire de Vichy de Robert Aron (1956) est regardée comme une juste mise au point. Les guerres israélo-arabes (1967, 1973) rappellent la précarité de l'existence du peuple juif, elles ravivent dans la mémoire de certains les souffrances d'antan. Tout change : " Aujourd'hui, tout concourt à appréhender prioritairement l'étude de la Seconde Guerre mondiale par le récit du malheur juif. " Vision faussée, donc fausse ! Il y a encore ceci : " Le regard sur Vichy s'est également modifié pour une autre raison, la "généralisation contemporaine des droits de l'homme". " Point de griefs nouveaux, une requalification des griefs. A changé le regard que l'on porte sur les événements. Ne s'agit plus d'une guerre entre la France et l'Allemagne, puis entre l'Allemagne et le monde, avec les contraintes matérielles et morales qu'implique un conflit armé. On est passé à un affrontement entre le Bien et le Mal. Toute concession au Mal se fait acceptation absolue du Mal, et l'on a désormais, " d'un côté, le camp du Bien, celui de la Résistance, digne héritier de tous les engagements pour la liberté et les droits de l'homme ; de l'autre, le camp du Mal, celui de Vichy et de la collaboration, réunissant antirépublicains, antidreyfusards, cléricaux et fascistes ". Cinquante-huit ans après la fin des hostilités, on agite encore les spectres des années de guerre pour rejeter un adversaire dans les ténèbres extérieures ! Ces schémas renouvelés sont tout simplement controuvés, du fait que des concepts : " racisme, génocide, etc. ", aujourd'hui ultra-sensibles n'avaient alors pas cours.
L'affaire Pie XII
Jean Sévillia achève son livre sur les contre-vérités relatives à la décolonisation et à la guerre d'Algérie. Il dénonce cette croyance selon quoi nous serions frappés des inexpiables péchés " du colonialisme et de l'impérialisme ". Auparavant et en marge de la Seconde Guerre mondiale, il traite de " l'affaire Pie XII ". La manœuvre récurrente vise, à travers celui qui fut son chef, à déconsidérer l'Église romaine, cible privilégiée des agents de la haine. Comme tant d'autres volets de la guerre, l'attitude du pape pendant ces années a été " révisée ". Il s'agit " d'un fantastique exemple de retournement de l'opinion publique ". En 1945, Pie XII passe pour le pape de la paix ; en 2003, on veut le faire passer pour " le pape de Hitler ". Mentez, il en restera toujours quelque chose ! " Ce procès posthume ne repose sur aucun témoignage nouveau à mettre à charge de Pie XII. Tout au contraire. " L'auteur évoque la commission nommée par Paul VI qui, entre 1965 et 1982, a publié les Actes et documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale : 9600 pages. Toute l'attitude du cardinal Pacelli, bientôt pape Pie XII, montre son hostilité au national-socialisme. Quand les nazis au pouvoir s'en prennent brutalement à l'Église catholique allemande, la réaction vient du cardinal Pacelli ; les grandes lignes de l'encyclique Mit brennender Sorge qui condamne le nazisme sont du cardinal Pacelli. À l'automne 1939, l'encyclique Summi pontificatus de Pie XII dénonce racisme et totalitarisme. À Noël 1939, Pie XII stigmatise la barbarie dont la Wehrmacht fait montre en Pologne. En janvier 1940, il sert d'intermédiaire entre des généraux allemands désireux de se débarrasser de Hitler et l'ambassadeur britannique à Rome. En mai, il transmet à Paris la date de l'offensive allemande. " Le pape traversera les cinq années du conflit mondial enfermé dans la minuscule enclave du Vatican, au sein d'une Italie alliée au Reich. À partir du moment où les Allemands occuperont Rome, en septembre 1943, il vivra sous la menace permanente d'être enlevé et déporté en Allemagne. Pour être non sanglant, le combat qu'il mènera contre Hitler n'en sera pas moins réel. Ce sera également un combat spirituel. " Pie XII considérait le Führer " au sens propre, comme un possédé ". Léon Bérard, notre ambassadeur au Vatican, confie à Darlan en août 1941, que le Saint-Père lui a dit " redouter plus Hitler encore que Staline ".
Pierre Chaunu raconte volontiers : " Le Pape a fait donner asile à des dizaines et des dizaines de milliers de Juifs, cachés au Vatican, dans les Églises, les couvents, dans des caves sûres... Fin mai 1944, Berlin commande une rafle. Le Vatican en est informé, il sait tant de choses. Pie XII dépêche le cardinal Tardini auprès de l'ambassadeur allemand au Vatican von Weizsäcker – un catholique dont la famille est retenue en otage en Allemagne. Weizsäcker a compris le motif de la visite de Tardini, qui est catégorique : le Pape parlera au monde. L'un et l'autre savent que la menace pontificale aurait des effets inverses de ceux recherchés : une rafle gigantesque et impitoyable, Rome violée, le Saint-Père emmené en Allemagne sous couvert de le protéger des communistes... Le prélat quitte la place. Prenant les risques que l'on imagine, Weizsäcker contacte un des généraux qui commandent à Rome et doivent monter en ligne contre les troupes d'Alexander ; il le convainc d'annoncer à Berlin qu'il a besoin de toutes ses forces pour résister aux Anglo-américains, qu'il n'a pas de camions pour rafler des Juifs. Voilà l'efficacité subtile et silencieuse de Pie XII ... "
Plus d'ignorance que de mauvaise foi
La somme des témoignages rassemblée dans Historiquement correct ne convaincra que les hommes de bonne volonté. Nous entendrons répéter encore longtemps que le Moyen Âge ne fut que " ténèbres gothiques " ; que les croisades ont déchaîné une haine inexpiable d'un bout à l'autre de la Méditerranée ; que cathares et huguenots ont été victimes d'une Inquisition obscurantiste ; que les Rois Catholiques ont manifesté un antisémitisme coupable ; que l'Ancien Régime était une tyrannie ; que la Commune présageait " le temps des cerises "... Plus d'ignorance, que de mauvaise foi. Sauf chez les ennemis de ce que la France demeure au fond de beaucoup d'entre nous : une nation chrétienne depuis quinze siècles, riche et inventive ! Le livre de Jean Sévillia est une leçon brillante. Il faudra que d'autres, à son exemple, reprennent sans se lasser une démarche identique. En matière didactique, on ne se répète jamais trop : c'est à ce prix que l'on pourra, " dans ce foutu pays de France ", réenvisager une destinée commune.
X. W.