Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008
Incorrigibles Français ! Chaque année électorale est prétexte au réveil des vieux réflexes : chaque camp s'échine à montrer qu'il fait mieux que celui d'en face quand il était " aux affaires ", lequel rétorque qu'il avait hérité d'une situation déplorable mais qu'il a courageusement remis le train sur les rails de l'emploi et de la croissance, de la justice sociale et de l'efficacité économique... Que les professionnels de la vie politique ne s'appliquent-ils à eux-mêmes ce qu'ils attendent des entrepreneurs, des chercheurs, des travailleurs pour rester dans la course : faire mieux qu'ailleurs, et pas seulement mieux qu'avant... C'est la loi d'airain du progrès économique et social en ce début du XXIe siècle, avec l'euro, l'internet et la mondialisation, le champ de la compétition s'est élargi aux espaces nationaux et aux systèmes publics.
À trop regarder en arrière, la France en oublie de regarder ailleurs. Et ne voit pas que les autres s'adaptent... et ne l'attendent pas !
Alors que le nouveau gouvernement dispose d'une large majorité et du temps pour affronter les défis économiques dans toute leur amplitude, la minceur de ses marges de manœuvre l'oblige, et les retards s'accumulent : il grand temps de s'attaquer à une vaste réforme structurelle de l'économie française. Plus encore, il s'agit de réformer les esprits. Voici notre diagnostic sur l'état de notre économie et nos propositions pour retrouver la culture active qui relancera le " site France " et la prospérité de tous.
Premier constat : une économie moins efficace que la moyenne européenne depuis 10 ans
La France s'est largement transformée dans les années 90. Sa production nationale a crû de près de 20 % et ses exportations de 90 %. Son emploi a augmenté de plus d'un million et demi de personnes. Ses entreprises se sont modernisées, ont investi à l'étranger, et sont devenues pour certaines — moyennes et grandes — des leaders mondiaux. Le pouvoir d'achat des Français a crû de 18 %. Ces bonnes performances sont dues à la situation exceptionnelle de la période 1997-2000, qui contraste avec la grisaille des premières années 90 : croissance de plus de 3 % l'an, création de plus de 1000 emplois par jour dans les entreprises (du jamais vu dans notre histoire)... qui ne doivent rien à la réduction du temps de travail.
Assoupie sur son petit nuage rose, la France n'a pas vu que son efficacité économique s'est pourtant affaiblie entre 1990 et 2000 relativement à celle des autres pays européens, et sur tous les fronts. Elle n'a pas fait plus de croissance (22 % contre 24 % pour la zone euro), pour un coût beaucoup plus élevé : ses dépenses publiques excédaient de 2,1 points de PIB la moyenne européenne en 1990, et de 5,7 points en 2000 ! Autrement dit, la France a accru ses dépenses de 350 milliards d'euros de plus que les autres pays sur la période, mais produit 300 milliards de moins de valeur ajoutée.
Elle n'a pas créé plus d'emplois (5,3 %, contre 5,4 % dans la zone euro), malgré la multiplication des mécanismes publics (CES, emplois-jeunes). Elle a même fait plutôt moins bien depuis 1997... malgré les 35 heures (7 % contre 7,5 %) ! Elle a perdu des parts de marché, malgré la vigueur des exportations en 1998-2000, les autres ayant fait encore mieux qu'elle. Voir reculer sa part dans le commerce mondial est normal, compte tenu de la montée en puissance des économies émergentes. Ce l'est moins quand il s'agit d'un recul dans les exportations européennes... Une partie de ces pertes est bien entendu liée aux crises monétaires du milieu de la décennie. Mais l'érosion s'est poursuivie, malgré la création de l'euro. Elle s'est même accentuée depuis deux ans, du fait de coûts de production de moins en moins compétitifs. Elle a moins investi (+ 20 %, contre 30 % dans l'Union européenne et... 120 % aux États-Unis), et perdu du terrain dans le domaine technologique, comme le montre l'érosion de sa part dans les brevets d'origine européenne.
Le constat est donc sans appel. Les performances de la France sont plutôt moins bonnes qu'ailleurs en Europe. Surtout, elle ne parvient pas à relever son potentiel de croissance au niveau atteint dans les années 90 par plusieurs autres pays européens, sans parler des Etats-Unis (3 % ou plus).
Deuxième constat : une économie basse de plafond
C'est le paradoxe français. Nous avons besoin d'une croissance plus forte qu'avant pour espérer atteindre un jour le plein emploi, et rejoindre ainsi la situation que connaissaient jusqu'à une date récente des pays aussi différents que les Pays-Bas, le Portugal ou le Royaume-Uni. Mais aussi d'une croissance plus forte que la moyenne européenne pour arrêter la baisse relative de notre niveau de vie, compte tenu d'une démographie en France moins défavorable : nous sommes aujourd'hui à la douzième place dans le classement européen pour le PIB par tête... Et pourtant, la France n'est pas en mesure de trouver par elle-même ce rythme de croissance nécessaire. Et lorsque elle l'atteint grâce à des facteurs extérieurs, comme la " locomotive " américaine en 1999-2000, son économie trop basse de plafond l'empêche d'en profiter pleinement. Et les 10 dernières années n'ont guère contribué à débrider la machine économique.
Malgré la vigueur des investissements en fin de période, la croissance bute sur une insuffisance de capacités physiques de production, ombre portée du sous-investissement de toute une partie de la décennie (niveau de 1990 retrouvé seulement en 1997, et en 2000 pour l'investissement industriel). Simultanément, le tissu d'entreprises s'effrite dans une France depuis toujours terre d'entrepreneurs : les créations reculent (10 % de moins qu'il y a 10 ans) et, à l'autre bout du cycle de vie, les difficultés de transmission persistent, et 1/3 des entreprises disparaissent faute de repreneurs... Le financement des activités productives est de plus en plus contraint. Contrairement à une idée reçue, le partage de la valeur ajoutée s'est déformé depuis dix ans au détriment des marges. Si la part des salaires versés s'est maintenue, celle de l'épargne brute s'est réduite d'environ deux points, en raison notamment d'une augmentation de 47 % (en francs constants) des impôts directs et indirects pesant sur les sociétés. Plus récemment, le taux d'autofinancement s'est littéralement effondré, de 100 % en 1998 à environ 70 % aujourd'hui, malgré le retournement des investissements. Simultanément, la dette s'est alourdie de 110 à 140 % de la valeur ajoutée. Ces quelques données concrétisent le durcissement des contraintes de financement qui pèsent aujourd'hui sur les entreprises en France.
Deuxième facteur négatif, rien n'a été fait pour accroître le volume de travail. D'abord, le taux d'emploi est parmi les plus bas (61 % en 2000, et moins d'un actif sur deux dans le secteur productif), tant au début de la vie active (23,3 % des 15-24 ans seulement ont un emploi), qu' à la fin (34 % des 55-64 ans). Ensuite, la durée du travail est parmi les plus basses (semaine, année, vie active)... avant même le passage aux 35 heures ! Enfin, l'inefficience du marché du travail fait coexister difficultés de recrutements (voire pénuries de main d'œuvre dans certains secteurs et métiers, même aujourd'hui où la croissance est arrêtée) et chômage massif (8 % au plus haut de la conjoncture), en dépit — ou à cause ? — d'une des législations les plus " protectrices de l'emploi ", des pays de l'OCDE.
Triste bilan qui résulte d'un pilotage public à rebours de tout ce qu'il faut faire : primat d'une gestion administrée sur un management stratégique, primat du dogme du transfert de travail (âgés/jeunes, hommes/femmes, temps pleins/temps partiels) sur l'aptitude à générer un volume d'activité économique pour relever le taux d'emploi de tous, primat de la fiction de l'emploi à vie sur l'ambition de l'employabilité à vie... Pourtant des pays voisins montrent qu'il n'y a pas contradiction, au contraire, entre taux élevé d'emploi des hommes et des femmes, des jeunes et des plus âgés, en temps partiel et en temps plein...
Le troisième facteur négatif est culturel et sociologique, sinon idéologique. C'est la réticence à se mettre au diapason du monde nouveau : interpénétration des économies européennes avec le Marché unique, espaces économiques régionaux plus vastes (Union européenne, ALENA, ASEAN), tendance à l'agrandissement des systèmes, à l'augmentation des risques et au raccourcissement des délais d'adaptation et d'ajustement avec la mondialisation et les bouleversements de la société de l'information et de la communication. La révolution industrielle au XIXe siècle, le décollage américain au XXe siècle, l'émergence des pays asiatiques dans les années 90 montrent qu'il n'y a pas de grande vague de croissance ni de révolution technologique possibles sans un humus libéral, hors du jeu du marché.
Plutôt que choisir d'entrer de plain pied dans ce monde pour en être à la fois plein bénéficiaire et acteur de premier rang, la France s'échine à sauvegarder l'exception d'un " capitalisme à la française ", avatar de la toujours très active économie administrée, à la déclinaison " plurielle " : multiplication des interventions, suspicions, réglementations, taxations, intrusions ; éviction des entreprises par la sphère non marchande dans des activités productives concurrentielles (emplois jeunes, CES, paracommercialisme,) ; distorsions de concurrence entre secteur public et secteur privé (services financiers, transports...).
La France manque d'un capitalisme à capitaux privés suffisants, permettant aux entreprises de se développer aux mêmes conditions que leurs concurrentes. Le bilan des privatisations depuis 1993 est très positif, même si elles ont été tardives. Mais il faut aller plus loin, renoncer au mythe des participations majoritaires de l'État et, plutôt que continuer de faire cavalier seul comme à Barcelone, engager au plus vite la libéralisation de certains services publics, entamée dès les années 80 dans d'autres pays européens. Enfin, paradoxale France qui fait coexister un taux d'épargne des ménages parmi les plus hauts (plus de 16 % actuellement), et des besoins de fonds propres des entreprises également parmi les plus hauts : les besoins de financement publics captent de plus en plus de ressources au détriment de l'épargne productive et du capital risque...
Et que dire de la suspicion quasi dogmatique à l'égard de l'épargne salariale ? Le succès du capitalisme moderne passe par le marché, par des capitaux, par les entreprises, mais tout autant par les hommes et les femmes qui en assurent le succès, et qu'il faut associer aux risques et aux bénéfices. Et les modalités sont variées (participation, intéressement, épargne salariale, stock-options, fonds de pension). Formule ancienne dans son expression, l'" association capital-travail " est nouvelle dans son exigence. Il ne s'agit plus de surmonter la lutte des classes comme il y a 50 ans, ou même 30 ans. Il s'agit de prendre en compte un contexte économique radicalement nouveau, où les salariés sont de plus en plus ouverts sur le monde, de plus en plus liés à la vie de l'entreprise, de plus en plus engagés dans de formidables mouvements d'adaptation, de plus en plus acteurs de la valorisation de leur entreprise. Cette valorisation représente pour elle une source de richesses dont les salariés ne veulent pas — et ne doivent pas — être écartés. Beaucoup reste à faire en ce sens. Encore faut-il qu'entreprises et salariés y soient encouragés.
Une économie efficace étouffée par un organisme à bout de souffle
Naturellement, la croissance et l'emploi en France sont de plus en plus tributaires de l'économie mondiale ; naturellement, ils sont de plus en plus tributaires de la situation et des initiatives de l'Union européenne. Mais il reste de la responsabilité propre de la France de traiter ses problèmes de chômage, de secteur public, d'école, de retraites, de compétitivité juridique et fiscale. Et tout n'est pas qu'affaire de dépenses et de répartition. L'efficacité d'une politique publique ne se mesure pas à l'aune des enveloppes budgétaires : plus de dépenses et de prélèvements qu'ailleurs n'a pas évité plus de pauvreté, plus de délitement du tissu social, plus de chômage...
Or aujourd'hui, toute erreur de gestion et tout retard d'adaptation sont immédiatement sanctionnés non plus par une attaque contre la monnaie, mais par une décision de non localisation ou de délocalisation. La France a des atouts connus, et reconnus dans le monde : situation exceptionnelle en Europe, infrastructures de qualité, niveau élevé d'éducation, main d'œuvre qualifiée et à forte productivité, qualité de la vie, haut potentiel de recherche et de technologie, énergie abondante et fiable, efficacité du réseau de PMI et de sous-traitance, management de qualité... Bref, un vrai savoir faire français, avec des entreprises leaders. Mais ces atouts ne suffisent plus. Faute d'avoir compris que la compétition a pris une dimension nouvelle, la France voit son image et celle de son attractivité se dégrader sérieusement.
Les entreprises étrangères (30 % de l'activité industrielle) prennent leur distance : pour les 2/3 de celles installées en France, leur prochain investissement se fera hors de France, et 4 sur 10 envisagent de délocaliser une partie de leurs activités sises en France. Les spécialistes de marché préfèrent Londres à Paris, les quartiers généraux Bruxelles, les holdings Amsterdam (cf. Renault-Nissan), les centres d'appel Dublin...
De fait, contrairement à une légende tenace, la situation n'est guère favorable au territoire français depuis quelques années. Entre 1991-95 et 1996-2000, les investissements étrangers en France ont augmenté de 60 %, c'est-à-dire 4 fois moins que la moyenne européenne, et 6 fois moins qu'au Royaume-Uni. En 2000, les investissements français à l'étranger ont été 4 fois plus importants que les investissements étrangers en France. Comment ne pas se réjouir de cette vitalité des entreprises françaises pour bénéficier des opportunités que peut offrir le remodelage du paysage industriel et financier qui s'intensifie en Europe et dans le monde ? Encore faut-il que la France soit aussi un ailleurs recherché par leurs concurrentes étrangères ! Et que les investissements étrangers sur son sol correspondent à des capacités nouvelles de production. Or, ils correspondent trop souvent à des rachats de clientèle, de savoir-faire, de potentiel d'innovation, de marques, par des entreprises étrangères dans le cadre d'une stratégie globale qui peut les conduire rapidement à des décisions de restructuration et de délocalisation.
C'est bien la manifestation la plus criante d'un système avec un cœur de l'économie extrêmement efficace, mais de plus en plus étouffé par un organisme à bout de souffle. La France a gardé l'habitude de se glorifier de son système public, qui a été performant à une époque où il fallait reconstruire et où les économies restaient très nationales. Mais il n'est plus adapté. Il est temps que la France qui a adopté l'euro s'adapte à l'euro. Il est temps qu'elle passe des rapports aux réformes. Simplement pour retendre les ressorts de sa croissance et s'approcher du plein emploi.
Retendre les ressorts de l'expansion
De nombreux groupes sociaux, mais aussi les gouvernants, se comportent encore à l'égard des entreprises comme les tribus des premiers temps, subvenant à leurs besoins par la cueillette au jour le jour au gré des urgences. Il est temps de passer de cette conception paléolithique de l'économie à une conception néolithique, de passer de la phase de la cueillette passive et prédatrice, à celle de la culture active. Mot vrai que celui de " jeunes pousses " pour désigner les entreprises nouvelles de croissance qui précisément demandent patience, attention, encouragements, écosystème stable et favorable – qu'il soit fiscal, réglementaire ou culturel. Il en va de l'emploi de demain, et pas seulement sous l'aspect de lutte contre le chômage. Ce qui est en cause, c'est la pérennisation de notre système de protection sociale par répartition. L'énorme socialisation opérée depuis 25 ans et les profondes modifications démographiques exigent de relever vite et fort l'assiette des cotisations, c'est-à-dire le volume de travail.
C'est tout l'enjeu du retour à une croissance plus élevée et plus autonome, dramatiquement absent des débats. On n'y parviendra sûrement pas en augmentant les frais fixes de la Nation sous prétexte de relancer la demande, mais en passant, comme disent les économistes, d'un management par la demande à un management par l'offre. Ce qui impose de renoncer enfin à la duplicité d'un discours plus empreint d'apriorisme idéologique que de réalisme économique : comment conjuguer soutien à l'entreprise et méfiance à l'égard de l'entrepreneur et du marché, engagement dans l'euro et encaquement dans l'exception française, incantation à la liberté et recours à toujours plus de régulations... dans une économie déjà la plus régulée du monde industrialisé ! La France a perdu 10 ans pour avoir mis son énergie à tenir debout malgré ces grands écarts plutôt qu'à retendre les ressorts de son expansion.
Moyennant quoi, la comparaison de la croissance par tête est défavorable à la France. Au delà du débat sur la validité de ce type de statistique, la tendance est incontestable. Surtout, il est d'autres sujets de préoccupation, peut être plus importants : notre position sur les marchés mondiaux ne s'améliore pas, notre taux d'emploi privé est le plus bas avec celui de l'Italie, le nombre d'heures travaillées est aussi le plus bas – que ce soit par semaine, par an ou sur une vie active-, le poids de nos dépenses publique dans le revenu national est parmi les plus élevées. N'y a-t-il pas cohérence entre le fait de travailler peu, de prélever beaucoup et de perdre des places sur le terrain économique ?
Premier ressort : l'innovation
Pour la première fois de son histoire, la France n'a pas été acteur de premier rang dans la nouvelle vague technologique. Et elle a crû son retard dans ce domaine clé pour la croissance et la compétitivité. Révolution manquée ? Rien n'est perdu, sous réserve d'une mobilisation massive autour des entreprises : c'est l'industrialisation et non l'invention qui fait le cycle économique. D'autant que seules, les technologies s'appliquant à tous les secteurs ont véritablement des effets d'entraînement sur la croissance, ce qui est le cas aujourd'hui avec le microprocesseur et la mise en réseau, comme jadis la machine à vapeur puis l'électricité. Le cycle " high tech " est bien au cœur du processus de la croissance mondiale que nous avons connue en 1995-2000 puis du processus récessif de 2001, venu corriger les excès antérieurs. Mais il n'y a pas d'innovations sans un effort massif d'investissements, sans restructurations et réallocations des ressources, sans créations d'entreprise.
Faute d'avoir compris que l'ancienne croissance était à bout de souffle et qu'il fallait tout miser sur l'offre nouvelle, la politique économique française a préféré relancer la demande et alourdir la dette publique plutôt que consacrer les ressources à l'investissement, à la recherche, à la formation des hommes, à l'innovation. Beaucoup reste à faire pour valoriser et protéger la propriété intellectuelle, alors que la France dépose presque trois fois moins de brevets que l'Allemagne, et que l'État choisit de siphonner l'INPI à hauteur de 400 millions de francs (moitié des réserves destinées à promouvoir la propriété industrielle).
L'urgence est aussi à mieux exploiter notre potentiel scientifique et technique, le meilleur du monde. La réputation de nos grandes écoles, de notre recherche publique, de nos ingénieurs et techniciens n'est plus à faire. Mais la France est mal placée dans le classement européen des publications scientifiques pour les disciplines à application industrielles, au premier rang desquelles les nouvelles technologies qui feront la croissance des prochaines années – NTIC, mais aussi biologie appliquée ou recherche médicale. C'est moins une question budgétaire que statutaire, une question de gouvernance, pour définir les priorités de la recherche publique, et favoriser les passerelles entre recherche publique et secteur privé, la mobilité des chercheurs publics dans une France " qui est l'un des seuls pays où il y a des fonctionnaires chercheurs à vie " (Cl. Allègre), le développement du capital-risque, la production (et pas seulement la diffusion) en France des nouvelles technologies de l'information et de la communication, la possibilité pour les chercheurs et les innovateurs à chercher et innover en France, en évitant qu'ils ne soient contraints de s'expatrier au seul motif que la pression fiscale est trop lourde ou l'âge de la retraite atteint.
Deuxième ressort : valoriser le travail
Progrès économique et progrès social, même combat ! La tendance française très ancienne à inverser les priorités s'est accentuée ces dernières années, comme si le progrès social, dans sa composante quantitative — emploi, solidarité, pouvoir d'achat — n'était pas second (non secondaire) par rapport aux performances d'une économie, à sa capacité de développer le entreprises et de mobiliser son potentiel humain. Redisons-le une fois encore : la France cumule l'un des systèmes collectifs les plus coûteux (53 % du revenu national, dont plus de 30 % au titre des dépenses sociales), un tissu social qui se délite (plus de précarité, plus de pauvreté, plus de 9 % de chômeurs et bien davantage pour les jeunes), des déficits récurrents malgré l'alourdissement des prélèvements (45,5 % du PIB pour le total des PO, et 16,5 % en cotisations sociales), et malgré la réduction des prestations aux familles, aux malades, aux chômeurs...
C'est une faute de (laisser) croire qu'il serait possible de relever notre croissance sans remobiliser le facteur humain et revaloriser le travail. Pendant longtemps, les entreprises ont maintenu leur compétitivité au prix d'une recherche permanente de gains de productivité du travail pour amortir l'alourdissement des charges collectives... au détriment de l'emploi productif. Pourtant, une économie très productive peut être très créatrice d'emploi. L'accélération des gains de productivité aux États-Unis après 1995 s'est accompagnée d'une vague d'embauches sans précédent. A contrario, une économie moins productive peut être destructrice d'emplois, comme ce fut le cas dans les années 70 en France et en Europe, où affaiblissement des gains de productivité et montée du chômage sont allés de paire.
Le retour à l'emploi, qui est au cœur de la convention d'assurance-chômage signée par les partenaires sociaux et en vigueur depuis le 1er juillet 2001, est d'autant plus prioritaire qu'il faudra pallier à partir de 2005 le déficit de quelque 100 000 actifs chaque année, conséquence du vieillissement démographique. Mais accroître le nombre de gens qui travaillent, à tous les âges de la vie active exige plusieurs conditions, pour corriger les désajustements entre offres et demandes d'emploi.
Ce qui suppose d'abord de baisser le coût du travail non qualifié. La question n'est pas celle du revenu minimum de la personne qui travaille, qu'il est naturel de déterminer en fonction du niveau de richesse de la société française, et de son exigence de dignité pour chacun. La question est celle de l'écart entre le coût de ce revenu minimum et la productivité de la personne concernée, jusqu'à présent imputé par la loi à l'employeur. Pour que le SMIC ne soit plus une machine à détruire de l'emploi, cet écart, qui doit relever de la solidarité nationale, doit être financé par la politique publique de redistribution, par exemple sous la forme d'un impôt négatif.
Au delà, il faut un donner un nouveau souffle à la formation, " la " priorité des prochaines années. C'est-à-dire assurer aux jeunes une solide formation initiale, les préparant à des débouchés d'avenir, ce qui est loin d'être le cas (42 % des jeunes sortis de l'école sont sans emploi après un an). Et tout au long de la vie active, il faut entretenir l'" employabilité " de chacun, acquis social le plus précieux, que la loi ne peut donner mais qui se conquiert tous les jours par la formation professionnelle, reposant sur un apport partagé entre le salarié et l'employeur. Quant aux salariés les plus âgés, fini est le temps des départs anticipés pour favoriser l'embauche des jeunes. Il est à l'actualisation de leurs compétences pour qu'ils puissent continuer à travailler. C'est une révolution culturelle que les entreprises doivent assumer en mettant en œuvre une gestion prévisionnelle de leurs ressources humaines, indépendamment des systèmes collectifs mutualisés.
Mais pour que plus de gens travaillent, ils faut qu'ils soient incités à travailler, c'est-à-dire qu'ils voient reconnaître la valeur de ce qu'ils font et bénéficient pleinement des revenus correspondants, ce qui n'est pas le cas : l'accroissement du pouvoir d'achat distribué depuis 20 ans à travers les salaires bruts ont a été intégralement confisqué par l'alourdissement de la pression fiscale et sociale. Le montant de la seule CSG est passé de 38 à 380 milliards de francs en 10 ans, et dépasse maintenant celui de l'impôt sur le revenu. Simultanément, pour que plus de gens travaillent, il faut que les entreprises soient incitées à embaucher, en tout cas n'en soient pas dissuadées. Chacun se réjouit de la croissance " plus riche en emplois " que connaît la France depuis quelques années. Diverses dispositions pour alléger le coût du travail, notamment le moins qualifié, ont favorisé un partage salaire — emploi plus favorable à ce dernier. Mais le risque est grand d'un retour à un partage défavorable à l'emploi — la " préférence française pour le chômage " : les coûts de production s'accélèrent, sans gains de productivité correspondants. Pis, toute la croissance est allée à l'emploi en 2000 et 2001, situation qui ne peut évidemment pas durer. D'autant que le coût horaire dans l'industrie en France est parmi les plus élevés d'Europe, et surtout que l'écart s'est réduit avec les pays plus chers (Allemagne, Belgique), et creusé avec les pays moins chers (Italie, Espagne, Royaume-Uni).
C'est l'un des effets pervers de l'introduction autoritaire des 35 heures avec maintien de fait du salaire nominal. Elle a renchéri mécaniquement les coûts de l'heure travaillée, qui ont augmenté de 13 % en France sur les années 99-2001, contre 5 % en Allemagne ou 7 % en Espagne par exemple. Et l'essentiel de l'impact est devant nous : l'obligation imposée par la loi de faire correspondre en 2005 le SMIC horaire et la garantie mensuelle va se traduire par un alourdissement du SMIC de 20 %. Selon l'Insee, une hausse du SMIC de 10 % se traduit à terme par la destruction de 290.000 emplois... Et ces effets négatifs sur l'emploi seront aggravés par ceux de la loi dite de " modernisation sociale ", loi de circonstance lourde de blocages pour l'emploi : alourdissement des coûts, rallongement des délais, complexification des procédures, judiciarisation des relations sociales, multiplications des intervenants. On ne crée pas l'emploi en créant la peur de l'embauche... surtout quand l'entreprise a le choix entre développement du travail et développement du capital, quand ce n'est pas le choix entre la France et l'étranger ! Quelle autre alternative, dès lors qu'il s'agit de compenser les écarts de coûts par des écarts équivalents de gains de productivité au delà de ceux que les autres pays font déjà, c'est-à-dire à des rythmes de 5 à 10 % par an... difficiles à imaginer !
C'est le cœur du débat économique : la France va-t-elle choisir de retrouver des gains de productivité sur moyen terme en relevant suffisamment son taux de croissance pour continuer à créer des emplois, ou se contenter d'une croissance " moins riche en emplois " ?
Troisième ressort : un État levier de la croissance
Les Français ont l'habitude de se glorifier de leur système public, qui était performant à une époque ou il fallait reconstruire le pays et où les économies restaient très nationales. Mais il n'est plus adapté. Il est temps que la France qui a adopté l'euro s'adapte à l'euro. Il est temps de passer des rapports à la réforme. il est temps de passer d'un État au crochet de la croissance à un État au service de la croissance. On peut toujours décréter les 35 heures mais pas la réduction de moitié du taux de chômage, imposer des taxations mais pas éviter les délocalisations, promettre une croissance de 2,5 ou 3 % mais pas sa réalisation... Le temps n'est pas à la mort de l'État. Des attentats du 11 septembre à la crise de la vache folle en passant par les zones de non droit dans certains quartiers de nos villes, les demandes se font pressantes pour plus de sécurité qui rappellent à l'État son devoir de revenir à son " cœur de métier " (défense, police, justice, solidarité, santé publique). Mais il doit cesser de faire la politique sociale à la place des partenaires sociaux, de prendre des initiatives locales à la place des collectivités locales, de produire à la place du secteur productif.
Courteline est mort. Avec l'Internet, le Marché unique, la mondialisation des entreprises et des marchés, l'accélération du temps économique, tous les pays ont engagé la réforme pour un État moins dépensier et plus efficace. Tous les pays sauf la France, déjà sur-administrée avec 9,5 fonctionnaires pour 100 habitants, contre un peu plus de 6 pour la moyenne européenne, elle augmente toujours ses emplois publics. Faire mieux avec moins est possible, en mettant à profit les échéances démographiques (la moitié des fonctionnaires partiront en retraite d'ici dix ans) pour alléger et simplifier la fonction publique. En exploitant toutes les ressources de l'informatique et de l'Internet pour une exécution plus efficace et à effectifs réduits des tâches de gestion et de traitement des dossiers (impôts, sécurité sociale). En réservant le statut aux seuls emplois de puissance publique. En introduisant transparence et responsabilité dans la gestion des finances publiques sur la base de critères d'efficacité, avec des objectifs et des normes de performances pour les agents et les gestionnaires.
Dans le même temps, ayons le courage de tourner la page d'un État providence à bout de souffle pour ouvrir celle d'une protection sociale moderne : voilà vingt ans qu'on apporte les mêmes réponses, avec la même inefficacité. Soit des ajustements à la marge : le dessein initial de " construire " la Sécurité sociale est devenu celui de la " consolider " dans les années 70-80, et maintenant de la " sauver ". Soit des appels à la solidarité, qui font coexister Resto du cœur et augmentation continu de l'effort social de la nation qui dépasse aujourd'hui 3000 milliards de francs. Soit la multiplication des emplois publics subventionnés. Soit toujours plus de ponctions sur les agents économiques directement exposés à la concurrence (CSG, CSB, CRDS). Soit le dérapage continu des dépenses de l'assurance-maladie, l'un systèmes qui coûtent le plus cher en Europe, sans résultat meilleur. Soit en niant les problèmes sur le mode " on a le temps ", comme pour les retraites. La refondation de la protection sociale vise précisément à rassurer les Français, limiter les coûts collectifs et préserver l'avenir de notre système de répartition en respectant les principes fondateurs de notre sécurité sociale : solidarité et universalité, responsabilité des acteurs, liberté de choix d'affiliation, efficacité du système de soins, préparation des retraites, égalité de traitement. Les partenaires sociaux ont pris leur responsabilité. Il reste à l'État à prendre les siennes, notamment dans ce domaine crucial des retraites : réduire de 15 % le déficit des régimes spéciaux des fonctionnaires actuellement à la charge du Budget de l'État (210 milliards de francs en 2002), permettrait de doubler le budget du ministère d la Justice ?
Mettre la fiscalité au cœur de la stratégie de croissance, moyen autrement plus efficace de " lutter contre les inégalités " que la priorité exclusivement redistributrice de la fiscalité. Les années 80 et 90 ont été dans tous les grands pays concurrents des années de révolution fiscale de grande ampleur (allègement des prélèvements et des codes). Sauf la France où les prélèvements publics se sont alourdis. L'écart avec la moyenne européenne représente quelque 76 milliards d'euros, soit 1220 euros par Français. La compétition fiscale en Europe est en marche, et la France n'en est pas. Le Big bang de la réforme allemande dans le ciel fiscal européen ne permet plus d'attendre : quand son premier concurrent alors socialiste a décidé d'ordonner toute sa stratégie fiscale au développement de l'emploi, des investissements, et à l'encouragement du travail et de l'effort, notre pays a commis une faute grave de ne pas en tirer les conséquences vite et fort. Il ne peut y avoir de croissance durable de l'activité et de l'emploi en France sans une fiscalité eurocompatible dans toutes ses composantes.
Besoin d'épargne ? Alors pourquoi cette opposition d'un autre âge entre imposition du capital et imposition du travail,, comme si la grande majorité de l'épargne des Français n'était pas nourrie des revenus de leur travail déjà imposé, et pourquoi une double taxation des dividendes et de l'épargne retraite (entrée et sortie) ? Besoin d'emplois très qualifiés ? Alors pourquoi un euro net d'impôt et de charges pour un chercheur, un spécialiste de salle de marché ou un informaticien de haut niveau coûte-t-il à l'entreprise jusqu'à deux à trois fois plus cher en France que dans d'autres pays européens ? Besoin d'entreprises plus nombreuses, plus solides et plus grandes ? Alors pourquoi un taux marginal le plus élevé sur le revenu, sur les bénéfices, une taxation sur les salaires qui n'existe nulle part ailleurs, une triple imposition du patrimoine, une fiscalité dissuasive sur les plus-values ? Chaque euro de prélèvements restitué aux agents économiques, c'est plus de confiance des entrepreneurs, plus croissance du pouvoir d'achat, plus d'attractivité de notre sol, plus d'incitation au travail... et plus de manne à redistribuer !
Bref, il faut penser l'action publique comme un levier de croissance, le contraire de ce qui a été fait ces dernières années ! Pourquoi toujours alourdir un maquis de textes qui encaquent déjà l'activité économique ? Pourquoi toujours sacrifier les budgets d'investissement pour laisser mieux filer d'autres dépenses totalement improductives, sinon contre-productives ? De 1997 à 2001, l'État a payé 60 milliards de plus pour les 35 heures et les régimes spéciaux — 2 fois le budget du ministère de la Justice ! — mais en même temps réduit ses dépenses d'infrastructure ? Pourquoi continuer de dépenser toujours plus pour un système éducatif aux performances qui stagnent depuis 20 ans, avec des effectifs scolaires en baisse, et au détriment de l'enseignement supérieur (la France est un cas rare sinon unique rare où un étudiant coûte moins cher qu'un élève) ? Pourquoi ne pas définir une stratégie globale pour entrer de plain pied dans la nouvelle économie, à l'instar des autres pays européens (mobilisation de la recherche publique, logistique, éducation et formation) ? La France a été déclassée du 1er au 5e rang européen dans l'étude consacrée au e-gouvernement par le cabinet Accenture. Et pourquoi attendre pour rompre avec le mythe des services publics " à la française ", incompatible avec le Marche unique et le développement même de ces entreprises, dont les performances conditionnent celles du système productif.
Le défi culturel du redressement économique
La France est à la croisée des chemin : retomber dans les errements de la fin des années 80, en continuant à légitimer la dépense (de fonctionnement) et différer les réformes de structure ? Ou sortir par le haut en acceptant d'affronter un ensemble de remises en cause économiques, sociales, sociétales qui sont salutaires pour la croissance et l'emploi à terme : restauration de la valeur du travail, amélioration de la gestion publique et privée, ouverture sur l'international et les nouvelles technologies, responsabilisation de tous...
Il n'y aura pas de croissance durable sans une base entrepreneuriale renforcée. Mais le plus grand défi pour la France est le défi culturel, consistant à en finir avec l'exception française devenu l'illusion française, qui privilégie la redistribution sur la production, qui répond au chômage par le rationnement du travail et la multiplication des emplois subventionnés, qui s'alarme de l'expatriation de chanteurs et de footballeurs mais pas de chercheurs, de créateurs de managers, ou d'ingénieurs également de classe internationale, qui fait de l'entreprise un enjeu politique, qui feint d'ignorer que la qualité du made in France dépend de la qualité " globale " de la sphère publique, base arrière de la sphère productive, qui confond obligations de moyen et obligations de résultat...
Notre stratégie doit être fondée sur la recherche d'une " excellence française " tous azimuts : excellence des hommes, des entreprises, des produits, des services publics... C'est la condition pour relever la croissance et l'emploi en France.
C'est un projet ambitieux : réussir la mutation de notre économie définitivement immergée dans la concurrence européenne et mondiale tout en répondant aux exigences de respect de nos valeurs de liberté, de responsabilité et de solidarité qui ont fait et doivent continuer de faire la cohésion et le progrès de notre société.
C'est un projet réaliste : des pays voisins l'ont mis en œuvre, les accords signés par les partenaires sociaux dans le cadre de la refondation sociale montrent que bouger est possible en France.
C'est un projet qui peut être engagé sans tarder : les solutions ont été clairement identifiées dans les rapports commandés par le gouvernement pour restaurer la compétitivité de la France, revenir au plein emploi, réformer l'État...
Et le temps n'est plus à " laisser du temps au temps ". Mais il y a quelques raisons d'espérer car les mentalités évoluent : réforme des retraites, formation tout au long de la vie, dialogue social rénové, baisse des impôts sont maintenant au cœur de la campagne électorale... parce que la réticence à la réforme en France est en train de s'estomper... dans l'opinion, davantage que dans certains appareils syndicaux ou politiques, comme nous l'avons constaté après l'échec de la réforme de Bercy en 2001 ! Peut être, les Français ont-ils enfin entendu la mise en garde du grand Alfred Sauvy : " En France, on regarde l'emploi qui se crée et l'emploi qui se perd, jamais l'emploi qui ne se crée pas. " Ou qui se crée ailleurs !
G. DE L.