Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008
La vérité politique est une grande dame subtile et pleine de détours qui n'accorde ses faveurs qu'au prix d'une cour longue et assidue.
Gaston Fessard
Le père jésuite Gaston Fessard (1897-1978) compte parmi les grands penseurs catholiques de ce siècle.
Son œuvre s'est sans cesse confrontée à l'actualité historique : la question de la guerre, le nazisme, le communisme, le progressisme chrétien ont nourri sa réflexion qui n'a cessé de poursuivre un dialogue fécond avec les grands maîtres contemporains .
La publication du Journal de la conscience française douze ans après le recueil sur les écrits clandestins de l'Occupation constitue un événement . Le père Fessard n'avait publié après la guerre qu'une partie de cette étude pour que son ouvrage ne serve pas indûment d'argument politique contre les évêques. Après la déclaration de repentance des évêques de France du 30 septembre 1997, le père Sales nous livre ici la réflexion la plus complète du père Fessard sur Vichy et probablement l'interprétation la plus authentiquement chrétienne qui ait jamais été entreprise sur la France des années noires. Cette synthèse d'une philosophie dialectique et de la théologie morale traditionnelle n'a cessé de dérouter des familles de pensée politiquement opposées mais qui utilisaient souvent une rhétorique commune.
Il est important de rappeler que presque toute l'œuvre du père Fessard répond le plus souvent à des sollicitations extérieures, et, aux circonstances de l'actualité, elle naît véritablement d'un dialogue avec des personnes concrètes, d'un affrontement charitable dont l'enjeu est la vérité. Le Journal de la conscience française n'est pas un texte post eventum. Il est bien plutôt la récapitulation d'une pensée en acte dont nous pouvons vérifier les jalons avant comme pendant la guerre. Fessard s'explique très clairement sur la nature originale de ce travail. Il ne s'agit ni d'un livre d'histoire à proprement parler, bien que l'historien de cette période y trouve un immense profit en le lisant puisque le jésuite tente de suivre pas à pas le parcours de chacun comme un enquêteur qui revient sur les lieux de l'événement, ni d'un travail autobiographique, mais plutôt de l'auscultation progressive et chronologique de la conscience d'une personne morale qui est la France et dont nous sommes chacun les membres souverains à la recherche des principes de philosophie politique susceptibles d'éclairer ce cheminement. De quel droit parler au nom de la conscience française ? En vertu du " souci de la sauvegarde de l'existence nationale, l'anxieuse aspiration vers l'affranchissement. Voilà l'assise solide de l'unité véritable de la conscience française. Unité négative, en creux, bien sûr. Mais qui, justement, rendait en chacun de nous beaucoup plus réelle et beaucoup plus effetficace qu'elle ne l'était auparavant et qu'elle ne l'est maintenant, la présence de l'idéal national qui est le principe de notre unité " (jcf p. 28-29) . C'est donc à chacun qu'il revient pour sa part de reffetaire le chemin de la conscience nationale depuis les jours de la défaite jusqu'à la Libération. Pour vérifier l'authenticité vécue de cet " examen de conscience nationale ", il faut se rappeler le parcours intellectuel et spirituel du père Fessard avant 1940 et pendant l'Occupation .
D'un examen de conscience à l'autre
C'est un an avant que n'éclate la Première Guerre mondiale que Gaston Fessard entre au noviciat de la compagnie de Jésus où il aura pour ami le père de Lubac. Il va connaître l'épreuve terrible du Chemin-des-Dames. Lecteur de l'Action (1893) , il s'imprègne de la méthode d'immanence du philosophe Maurice Blondel pour la mettre en pratique mais sans faire abstraction de l'histoire. C'est en 1926 qu'il découvre en Allemagne la Phénoménologie de l'esprit de Hegel et dans le même temps qu'il ébauche la dialectique du Juif et du Païen dans une étude sur saint Paul publiée quarante ans plus tard . Entre 1935 et 1939, il fréquente le séminaire de Kojève consacré à Hegel où il se lie d'amitié avec Raymond Aron.
C'est dans le contexte troublé de l'année 1936 qu'est publié Pax nostra, Examen de conscience internationale considérée encore aujourd'hui comme son œuvre maîtresse . Le spectre de la guerre apparaît à nouveau. Le conflit italo-éthiopien qui divise les catholiques est le premier coup de force d'un régime totalitaire européen sur un théâtre extérieur mais aussi l'occasion d'un premier examen de conscience de l'héritage colonial . Il importe de souligner que cette œuvre maîtresse du père Fessard est d'essence christocentrique. Le Christ est " notre Paix, Lui qui de deux réalités (le Juif et le Païen) n'a fait qu'une (Éph. 2,14) ". C'est ce fondement qui va structurer toute sa pensée philosophique et qui permet de rendre compte de sa cohérence . C'est au cœur du mystère d'Israël à travers la dialectique du Juif et du Païen que Fessard va trouver la clé de compréhension des conflits contemporains. Dans le peuple d'Israël sont contenus de façon unique ces deux extrêmes : particularisme et universalisme. " D'un côté l'individu subordonné à la destinée de la race à un point extrême, parce que celle ci est Élue de Dieu. De l'autre, ce peuple en vertu même de cette élection prétend à une domination universelle, ce qui le fait détester de tous les autres " (PN p. 40) . Dans l'expérience d'Israël, nationalisme et prosélytisme trouvent leur solution dans le Christ. En termes pauliniens, le Christ a détruit par la Croix l'opposition Juif-Païen. Il s'en suit que l'amour disjoint de la patrie et de la paix conduit à un nationalisme contre la nation et à un pacifisme contre la paix dont l'histoire devait donner un exemple éloquent. La dialectique du Païen et du Juif est pour Fessard la source de compréhension des idéologies. C'est en effet à cette dialectique que Fessard rattache " le nationalisme païen d'aujourd'hui [...] tendant à reffetaire le péché du judaïsme d'avant le Christ ", tandis qu'il voit " l'internationalisme rationaliste comme la persévérance et l'endurcissement dans le péché commis du juif rejeté " (PN p. 222-223).
Pour Fessard en effet, le nazi est le païen idolâtre par son culte du sang et de la race mais il est aussi le juif charnel par son appartenance au peuple de maîtres élu par la Nature tandis que le communiste est le païen par son matérialisme et le juif rejeté par son appartenance au peuple des prolétaires esclaves. Mais " en moi s'opposent toujours un païen qu'anime la convoitise et un juif qui se retranche derrière une loi confiant en sa justice, et cette antinomie a toujours le même sens : permettre au chrétien de naître, fondant en lui-même les deux dans un seul homme nouveau " (PN p. 42-43).
Mais pacifisme et nationalisme ne sont que des idoles issues du rationalisme libéral qui les a enfantées. Sans le Christ qui est le moi de l'humanité et le Moi de Dieu, " Notre Paix ", le rationalisme se trouve dans l'impossibilité d'unir la famille et la patrie : " Il revendique une fraternité au détriment des patries et de la paternité ". Ou à l'inverse, il nie la fraternité au nom de la race (PN p. 342-343). De plus, il forge ce que Raymond Aron devait appeler plus tard des " religions séculières " de remplacement . Face au mythe de la patrie humaine chère au pacifiste, Fessard prône le mythe (vrai) de la chrétienté dans la mesure où cette chrétienté a connu au moins une première réalisation historique ce qui me garantit " que d'autres sont possibles " (PN p. 328).
En rappelant que la source du droit est " la puissance créatrice au service de l'ordre à établir ", Fessard soulignait que ni la force ni la justice ne suffisent à fonder une véritable communauté humaine. La pensée juridique se montre impuissante en elle-même à garantir le lien entre personne et personnalité morale, sans cet Ipse du Christ auquel je dois m'identifier. Dès lors peut s'éclairer la signification de l'examen de conscience que Fessard entend appliquer à la personne comme à la dimension internationale. C'est enfin dans Pax nostra que Fessard rappelle que " membre du souverain ", l'homme moderne l'est toujours à quelque degré, " non seulement dans une démocratie mais sous tous les régimes " (PN p. 72).
En pratiquant la vigilance évangélique face à la double illusion de la force et du droit, en s'entraînant à identifier la révolution sous les apparences d'un régime établi, le Bien commun à établir au-delà de la force impuissante à elle seule à fonder le droit, Fessard avait compris cette symétrie inversée de Versailles à Hitler qui devait marquer les deux décennies de l'entre-deux guerres : les alliés pratiquant le rapport du fort au faible au nom d'un juridisme pharisaïque tandis que l'Allemagne hitlérienne faisait sentir à nouveau sa force sous prétexte de droits.
D'une main tendue à l'autre
La première expérience d'une politique de collaboration lui est offerte par le retournement tactique du Parti communiste. Au lendemain du 6 février 34 le Parti communiste passe d'une logique " classe contre classe " au front antifasciste puis finalement au front populaire. Dans son discours radiodiffusé du 17 avril 36, Maurice Thorez tendait la main aux catholiques mais un an plus tard Pie XI publiait Divini Redemptoris sur le communisme athée, une semaine après l'encyclique Mit Brennender sorge sur le nazisme. Pie XI évoquait " la main tendue " quand " sans rien abandonner de leurs principes pervers (les communistes) invitent les catholiques à collaborer avec eux sur le terrain humanitaire et charitable comme on dit, en proposant même parfois des choses entièrement conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Eglise ". Le communiste Paul Vaillant-Couturier qui va rentrer en dialogue avec Fessard appelle à une collaboration afin de créer l'" Homme nouveau ", expression paulinienne, séduisante pour le catholique mais qui renvoie à l'homme sans Dieu que Fessard assimile de son côté au vieil homme. Mais les communistes entendent conserver toute l'initiative d'un monologue strictement politique en repoussant une discussion d'ordre théologique qui selon Paul Vaillant Couturier " n'avait rien à faire avec nos préoccupations sociales " (DCC p. 34). Or, au moment où le théologien Henri de Lubac réfléchit sur les Aspects sociaux du dogme , c'est justement " sur un plan humain et spirituel " et " parce qu'il implique aussi les préoccupations sociales " que Fessard invite au dialogue. " Seulement, ajoute-t-il en retournant l'invitation, à cette hauteur, ce n'est plus le communiste qui tend la main aux catholiques ! C'est le catholique qui offre sa main tendue au communiste [...] pourvu que soit en celui-ci un minimum de loyauté qui est la pierre fondamentale de toute union " (DCC p. 49-50) .
Fessard s'attache à montrer l'inanité de la doctrine athée comme principe et comme fin du communisme, le marxisme qui se présente comme doctrine révolutionnaire et concrète deviendra " une philosophie figée, abstraite et conservatrice " (DCC p. 140). En effet, " puisque (pour le communiste) Dieu n'existe pas, prendre pour point de départ la négation de qui n'est pas, c'est accepter comme principe l'affirmation la plus abstraite qu'on puisse rêver [...]. Si la religion est "vide en soi" et "réalité absurde", dit-on quoi que ce soit de positif en disant que l'Humanité nouvelle sera la négation du vide en soi et de la réalité absurde ? " (DCC p.141.).
Fessard nous fait découvrir l'immoralité des méthodes chez Marx lui-même puis chez Lénine qui déclare que " notre moralité est entièrement subordonnée aux intérêts de la lutte des classes du prolétariat [...]. Il faut user de tous les stratagèmes, de ruse, être décidé à taire, à celer la vérité à la seule fin d'accomplir malgré tout de la tâche communiste (DCC p. 92). Il est clair dans ces conditions que c'est l'intérêt du parti qui dicte le droit.
Il est aussi l'un des premiers à expliquer à partir de la critique marxiste des droits de l'homme pourquoi l'article 124 de la constitution soviétique reconnaissant la liberté religieuse est le seul à ne pas être garanti par des libertés réelles. En reconnaissant que " la religion est affaire privée ", Lénine ne cachait pas que c'était pour lui une simple phrase de " tactique politique qui n'exclut pas le rejet, en principe de toutes les religions, au contraire " .
Sur le plan de la moralité des moyens, Fessard souligne qu'entre l'idéal du parti, [...] qui permet tous les stratagèmes à l'égard de la vérité, et le Bien de la Race qui réduit tous les traités en chiffons de papier, il n'y a — faut-il le répéter ? — aucune différence " (DCC p. 174). Dans ces conditions on comprend pourquoi Fessard était averti quant à la politique de collaboration telle que pouvaient l'entendre le peuple de maître et la dictature du parti. Après la défaite de 1940, alors que le pacte germano-soviétique était toujours en vigueur, Fessard faisait encore référence à la politique communiste de la " main tendue " pour mettre en garde sur l'autre politique de collaboration à l'Ordre nouveau inaugurée deux mois plus tôt à Montoire .
Ouvrage pionnier dans l'étude du marxisme, le Dialogue contient aussi pour la première fois une étude des manuscrits de 1844. Il montre que ce qui a manqué à Marx pour dépasser la lutte à mort est la dialectique de l'homme et de la femme, lutte amoureuse qui suppose la reconnaissance et le triomphe de la vie dans l'enfantement.
Épreuve de force, épreuve de vérité
Le père Fessard a clairement vu avant la défaite les perspectives tragiques d'une Europe sous domination hitlérienne. Il publie chez Bloud et Gay Épreuve de force, recueil de ses articles d'abord publiés dans Études depuis la crise de Munich, complété de ses commentaires après l'annexion de la Tchécoslovaquie en mars 39 . Dans Pax nostra, Fessard évoquait succinctement pour la première fois les catégories de fait du Maître et de l'Esclave et le dénouement chrétien du conflit à partir d'une lecture de l'Épître de Paul à Philémon (PN p. 402). Dans Épreuve de force, Fessard expose avec précision la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave reprise par Nietzsche en y lisant presque en filigrane la lutte engagée entre le peuple de maîtres — entendez l'Allemagne nazie — et les démocraties :
Hegel a expliqué comment la rencontre entre deux hommes [...] s'effetfectuait nécessairement sous la forme d'une lutte à mort où chacun des deux combat à la fois pour sauver son existence et affirmer sa liberté.[...] Or [...] le combat ne peut avoir d'issue véritable que lorsque l'un des adversaires, saisi d'angoisse devant la mort, préfère la vie à la liberté : du coup, il devient esclave. Au contraire, celui qui a eu assez de force et de courage pour mépriser la mort devient le Maître. Et c'est justice car le risque qu'il a surmonté fait la preuve de sa plus grande valeur (EF p. 78) .
En clair, les pacifistes de droite résignés à se soumettre à l'Allemagne hitlérienne avant de la combattre par les armes doivent logiquement assumer leur rang d'esclave .
Il dresse lucidement après Munich le tableau d'une Europe déjà hitlérienne et à la lecture de Mein Kampf, les sombres perspectives d'une France devenant vassale du Reich :
Dès lors commencera le règne de mille ans, promis par Hitler à la pax germanica. À l'Allemagne serait, en ce cas, réservée la tâche d'unifier l'Europe de force, autrement dit de faire l'éducation des nationalismes égoïstes qui se sont montrés, ces vingt dernières années, incapables de s'imposer librement les règles d'une organisation internationale (EF p.126-127).
Vichy, l'armistice, la collaboration et le Prince esclave
De prime abord, un fait demeure et apparaît d'emblée dès les premiers moments : les valeurs pour lesquelles la France est entrée en guerre ne sont pas abolies par la défaite et l'armistice. " La justice de cette cause n'est point modifiée substantiellement par une défaite. Surtout quand cette défaite n'est pas consommée sur le plan international et que des alliés continuent de lutter pour la même cause " (jcf p. 291). Si je meurs en m'interposant entre l'agresseur et l'agressé, ma mort n'annule pas la valeur morale de l'acte posé. Le père Fessard le déclarait dans sa conférence du 15 décembre 1940 : " Notre plus noble consolation et notre plus sûr espoir dans notre détresse doit être au contraire de n'avoir point acheté le retard d'un inévitable effetfondrement au prix d'une nouvelle trahison qui eût mis le sceau aux lâchetés qui la préparaient "(AH p. 80). Mais il l'avait déjà dit avant la défaite en mars 39 face au pacifiste soumis à la loi du plus fort en déclarant que " l'héroïsme déployé dans la lutte malheureuse sauve encore l'honneur et l'essentiel des forces morales dont nul pays comme nul homme ne peut se passer " (EF p. 97).
Il n'est pas tout à fait seul à la rappeler en ces heures face au discours culpabiliste de Vichy qui commence à se répandre à mesure que les difficultés de l'Occupation exercent leur emprise . Puis vient France prends garde de perdre ton âme qui devait constituer le premier numéro clandestin du Témoignage chrétien paru en novembre 1941 et qui est devenu le texte le plus célèbre du jésuite.
On notera un point capital qui le différencie des thèses " légitimistes " : Fessard ne considère pas que le choix de l'armistice détermine la légitimité ou l'illégitimité en soi de Vichy. Au début du texte, il le dit en opérant une distinction importante sur laquelle nous reviendrons : " Il y a un an, la France était à son tour submergée et elle perdait la liberté. Non seulement la liberté politique, à laquelle elle devait renoncer en raison de sa défaite. Mais aussi sa liberté spirituelle qu'elle entendait cependant sauvegarder par un armistice conclu dans l'honneur. " Dans son Journal il reconnaissait que " signer un armistice pouvait être prudent. Plus prudent qu'une simple capitulation qui eût augmenté encore le nombre de prisonniers, livré l'administration du pays à la discrétion de l'ennemi, exposé enfin le meilleur de l'Empire à l'invasion. Encore qu'il eût été plus généreux assurément de courir tous ces risques pour rester fidèle à notre cause et à notre alliance " (jcf p. 49-50).
Le concept rassurant de collaboration ne pouvait non plus faire illusion. En 1939, il avait déjà émis " de graves raisons (qui) peuvent nous faire douter d'une entente avec l'Allemagne tant qu'elle sera dominée par le nazisme [...]. L'entente en effet suppose deux volontés ; qu'une seule la reffetuse ou ne l'accepte qu'à la condition d'avoir l'autre à sa merci, c'est assez pour que la solution pacifique du conflit soit impossible " (EF p.71). Dans France prends garde de perdre ton âme, Fessard aborde pour la première fois l'équivoque de la collaboration qui masque la dialectique du maître et de l'esclave : " un esclavage que le vainqueur exerce sur le vaincu, dosant sa contrainte, sa "générosité" et ses punitions, suivant que l'esclave rend plus ou moins et accepte de plus ou moins bon cœur sa situation de fait ", c'est-à-dire son adhésion à l' " Ordre nouveau " (APE p. 84). Dans chacun des cas, celui de l'industriel ou celui du gouvernement, il s'agit de savoir si collaboration consiste à adoucir le sort des personnes, ou si le mot n'est qu'un mensonge pour renoncer aux valeurs de la patrie et servir l'Ordre nouveau.
Fessard dénonce le machiavélisme nazi qui veut faire croire aux Français que le racisme de Rosenberg reste une " opinion privée " n'inspirant nullement les actes de Hitler, " cheffet qui se place uniquement sur le plan politique ". Cet argument de propagande avait déjà été utilisé par les nazis au moment de la nomination de Rosenberg à la culture et de la mise à l'index du Mythe du xxe siècle, moins d'un an après la signature du concordat. Mais il démasque aussi la politique antisémite de Vichy d'inspiration maurrassienne qui sert les intérêts de l'idéologie nazie (APE p85-88).
Le tract dit du " Prince esclave " de 1942 est la réponse aux conclusions d'une petite brochure du sulpicien Maurice Lesaunier (1883-1950) intitulée la Conscience catholique face au devoir civique actuel parue en novembre 41 avec le nihil obstat et l'imprimatur de l'archevêché . Publié dans le contexte des attentats communistes contre des officiers allemands entraînant livraison et fusillades d'otages, le texte qui se présente sous la forme d'une lettre à un ami pour éclairer sa conscience prétend appuyer toute son argumentation sur les enseignements de Léon XIII, la constitution chrétienne des États du 1er novembre 1885 et l'encyclique Inter sollicitudines adressée aux catholiques de France le 16 janvier 1892 dans le contexte du Ralliement. Lesaunier s'appuie sur le passage de l'épître aux Romains : " Non est potestas nisi a Deo (Rm 13,1) " en omettant le verset 4 qui rappelle que " le ministre est serviteur de Dieu pour ton bien — Dei enim minister est tibi in bonum ". En se rebellant contre le pouvoir légal " de Gaulle s'oppose à l'ordre même voulu par Dieu et mérite châtiment " (p. 15). Lesaunier omettait dans le cas présent toute possibilité de résistance à un pouvoir ou à des lois injustes. C'était faire l'impasse sur l'ampleur renouvelée des débats théologiques sur le droit de résistance avant la guerre . Cette publication suscite beaucoup d'émoi dans le milieu ecclésiastique au point que le cardinal Suhard en interdit une deuxième publication . En effet, la non distinction des devoirs envers la puissance occupante et envers Vichy était une véritable régression par rapport à la convention de la Haye de 1899 et aux écrits du cardinal Mercier.
Le père Fessard devait rencontrer le cardinal Suhard et rédiger à sa demande un long travail d'une centaine de pages. Cette œuvre non encore publiée jusqu'à ce jour allait rester sans réponse du côté de l'archevêché. Fessard réfutait aisément certaines thèses de l'abbé Lesaunier en s'appuyant sur un corpus de textes traditionnels et aussi sur l'ouvrage du père Riquet Sa Majesté la Loi dans lequel il rappelait la juste résistance aux lois injustes de la République à l'époque des dernières offensives anticléricales du Cartel des gauches . Mais son argumentation allait plus loin.
Certes, dans son Journal, Fessard semble insister sur les différences entre la neutralité initiale de la Belgique et la France de 40 qui a pris la responsabilité de déclarer la guerre même si " nous l'avons dit et répété, la France devait déclarer cette guerre qui n'était point agression injuste, mais secours porté à l'opprimé " (jcf p.144). Fessard tend ainsi à expliquer la " modération de ton " des évêques de France par rapport à ceux de Belgique et des Pays-Bas dont les déclarations avaient été publiées par le Témoignage chrétien. Mais cette différence dans la forme ne l'est pas sur le fond. Dans sa réponse à Lesaunier, Fessard citait Mercier qui déclarait que " si les auteurs de la convention de la Haye n'ont pas attribué de devoirs vis-à-vis de l'occupant, n'est-ce pas qu'ils obéissaient, au fond, à ce sentiment qu'il ne peut y avoir de devoirs juridiques — les seuls qui fussent en cause — sans droits corrélatifs ? Un pays occupé n'ayant plus de droits qu'il soit en son pouvoir d'imposer au respect de l'occupant, n'a pas davantage de devoirs à son égard " (AV p. 24).
Si bien qu'en définitive, pour la conscience morale, le Français (comme le Belge) " doit contester à l'Allemagne que sa victoire lui ait donné le moindre droit de "juste vindicte" que les théologiens reconnaissent à l'offensé. " Ainsi, contrairement à ce que laissait penser Lesaunier, " l'armistice et l'Occupation ne suffisent point à créer pour la conscience du Français le moindre devoir à l'égard de l'autorité occupante qui reste un pouvoir de fait " (AV p. 27-28) . Conformément à ce que Fessard écrivait au sujet du proverbe bismarckien, la force ne suffit donc pas à créer le droit.
En vérité, le fond de la question n'est pas tellement celui de la puissance occupante mais de la légitimité de Vichy . Fessard avait déjà réfléchi avant la guerre sur l'autorité et le " pouvoir brut " dans le cadre de la revue Esprit . C'est sur ce point que le père Fessard apporte un éclairage irremplaçable d'un gouvernement " à la fois légitime par rapport à l'illégitimité du pouvoir occupant et non légitime en face de l'autorité légitime au sens traditionnel du mot " (jcf p. 87).
La naissance de Vichy a donné lieu à une double méprise que Fessard explique de façon magistrale. D'une part le caractère révolutionnaire du régime de Vichy aux prises avec l'influence perverse du nazisme a échappé aux Français . D'autre part la légitimité a été pensée comme une chose en soi séparée du Bien commun et de son discernement dans les faits. Il écrit que " les évêques français avaient le sentiment d'avoir échappé comme miracle à un désastre " (jcf p. 149) si bien que la légitimité partielle du régime n'a pas été discernée. Vichy semble bénéficier dans ses premières heures d'une caution patriotique qui devait être abusée par une politique de plus en plus servile envers la puissance nazie.
Dans son tract du Prince esclave paru en 1942, Fessard reprend à son tour le texte de Léon XIII du 3 mai 1892 mais en soulignant le criterium fondamental du Bien commun sur lequel Lesaunier ne dit mot. Lesaunier prétendait appliquer le contexte du Ralliement de1892 à celui de 1940. Dans son manuscrit, Fessard fait remarquer que Léon XIII demandait aux catholiques de reconnaître dans la République " un pouvoir de fait comme autorité de droit " mais plus de vingt ans après les bouleversements de 1870 (AV p. 4) ! En somme, tout pouvoir se doit d'être légitimé avec le temps sous une forme ou sous un autre pourvu qu'il tende vers le Bien commun.
Dans son tract, Fessard explique que Vichy n'a pu sauvegarder l'existence et la sécurité du peuple (Bien commun inférieur) en signant l'armistice qu'en renonçant au moins momentanément à la juste cause où se déterminaient la Valeur et la mission historique du peuple (Bien commun supérieur). Le régime se trouve donc dans l'impossibilité de procurer le Bien commun supérieur qui seul peut le légitimer. Gouvernement de fait, il ne peut le devenir de droit. Dès lors une vigilance particulière s'impose quant aux actes du gouvernement. De plus, le Maréchal ayant lui-même déclaré ne disposer que d'une " demi liberté " en janvier 1942 , il faut savoir discerner ce qui relève du Prince et ce qui relève de l'esclave.
Par ailleurs, sur le plan de la personne, de même qu'en moi demeure le païen et le juif, de même, chacun d'entre nous étant membre du souverain chacun de nous était à ce moment prince et esclave : prince par sa volonté de redonner au pays sa liberté et sa grandeur, esclave par les conditions au milieu desquelles il lui fallait tendre à cette fin " (APE p.115). Le but de la direction de conscience n'étant [...] pas de " supprimer pour le dirigé la liberté de son choix ; mais au contraire d'écarter les fausses barrières de l'opinion aussi bien que les mirages de l'égoïsme " (AV p. 8), le discernement doit toujours établir ce lien entre la personne concrète et la situation qu'elle doit affronter.
Croisade antibolchévique ou guerre juste ?
La propagande nazie en faveur de la croisade antibolchevique ne pouvait davantage tromper le père Fessard. Paru après le pacte germano-soviétique, les conclusions sont tirées :
En septembre 1938, alors que l'Urss la faisait apparaître aux yeux de nos communistes comme le champion des démocraties [...], Hitler, par contre, était considéré par nos anticommunistes comme le principal rempart à la révolution communiste [...]. Les uns et les autres peuvent apprécier aujourd'hui le résultat de cette double duperie [...]. Nazisme et communisme s'avèrent désormais pour ce qu'ils sont en réalité : des produits de décomposition de l'ordre social et politique .
En 1941, l'affrontement des deux totalitarismes conduit le père Fessard à une analyse dialectique où la somme des oppositions fait mentir les idéologies au profit du droit naturel. Car en agressant l'Urss, " Hitler devait donner à l'iniquité l'occasion de se mentir à elle-même puisque [...] le peuple russe combat contre le principe même de ses propres erreurs " (APE p. 208) en raison de la guerre juste et de la légitime défense qui s'imposent à l'Urss et des valeurs patriotiques que Staline n'a pas manqué d'invoquer en s'adressant onze jours après l'agression aux " frères et sœurs " de Russie. La prière de Pie XII à la Vierge de Fatima le 31 octobre 1942 condamnant l'agression hitlérienne contre la Russie tout en déjouant l'attention de la censure n'a pas échappé à la sagacité du père Fessard qui lui consacre un long commentaire dès mars 43 (APE p. 206-210) .
Le drame de la conscience catholique
Le contexte troublé de la libération, marqué par le projet Bidault d'épuration épiscopale et la parution aux Études du Journal de la conscience française suscite de nombreuses réactions qui donnent l'occasion à Fessard de s'expliquer. Les années noires ont suscité aussi des tiraillements au sein de la compagnie du fait de la politique de " présence " auprès du pouvoir établi assumée par les supérieurs et l'attitude résistante des jésuites de Lyon-Fourvière où est né Témoignage chrétien. C'est dans ce climat que le père d'Ouince se livre à un examen de conscience personnel. Directeur de la revue Études depuis 1935, c'est à lui que Fessard doit la vie lorsque la Gestapo est venue pour l'arrêter le 29 février 1944. Transféré à Fresnes, le père d'Ouince allait y passer quelques semaines avant d'être libéré. Dans une note à usage interne, celui-ci reconnaît que " face à un régime qui se trouvait bon gré mal gré contaminé par des infiltrations nazies ",
le fait de cette double tendance (temporisatrice et résistante) me paraît certain [...]. Je puis dire du moins que la plupart de nos communautés religieuses en ont été déchirées et généralement, ce sont les supérieurs chargés de responsabilités qui ont opté pour les solutions de prudence. Pour ma part, j'avoue avoir été dans ma maison un élément modérateur à l'égard de la Résistance. Le père Fessard avait composé pendant que j'étais en captivité le premier Cahier du Témoignage chrétien ; à mon retour j'ai cru devoir lui demander de ne plus écrire et ce n'est qu'après la guerre que j'ai regretté, non certes d'avoir voulu obéir, mais d'avoir interprété les ordres de mes supérieurs plus strictement qu'eux-mêmes ne le désiraient.
[...] Quant au maquis, dit-il, au moment où un maquisard ne pouvait aller trouver son curé de village sans mettre la vie de celui-ci en danger je me souviens de la pénurie extrême d'aumôniers et combien j'ai hésité moi-même à autoriser le père de Montcheuil ou à convier le père Klein à partir... J'avais beaucoup moins hésité, quand le père Rimaud malgré son âge m'avait demandé à s'engager comme aumônier dans l'armée régulière. Je m'excuse de rappeler ces faits qui sont douloureux à tous ; je ne le fais que pour m'assurer que je ne suis pas victime de mon imagination ou de la propagande anticléricale (av) .
C'est un bilan équitable que le père Fessard cherche à établir au sujet de l'épiscopat auquel il reconnaît le patriotisme mais tout en lui reprochant ses déclarations de loyalisme envers un gouvernement qualifié désormais de " légitime " après novembre 42 alors que son crédit s'effondrait après l'invasion de la zone libre. Mais l'explication qu'il donne est profonde et dépasse le préjugé politiste. Pour Fessard en effet, " toute la responsabilité de l'attitude prise dès le début par l'épiscopat [...] incombe à la théorie classique du pouvoir et de la révolution qui, sur ce point, en était restée à une analyse insuffisante " (jcf p.183) .
Fessard devait aussi s'expliquer et pour les mêmes raisons avec Joseph Vialatoux (1880-1970), philosophe lyonnais de formation thomiste, collaborateur de la Chronique sociale, rédacteur comme Fessard des cahiers clandestins du Témoignage chrétien. Cet ardent gaulliste nommé professeur aux faculté catholiques de Lyon après la guerre publie un livre qui défend la thèse de l'illégitimité originelle de Vichy (jcf p. 129-130) et qui paraît à la fin de l'année 1944. D'emblée Vialatoux observe que " nombre de Français ne se sont aperçus qu'en 1942 que Vichy était illégitime dès 1940 " (p. 14). En d'autres termes, l'illégitimité a priori est affirmée par l'auteur comme chose allant de soi.
Dans une recension de son livre, Fessard contestait que Vialatoux puisse parler d'une illégitimité de Vichy dès 1940 " comme si à cette époque nous pouvions prévoir le dénouement de la tragédie où nous étions engagés ". Surpris par cette critique, Vialatoux écrit au père Fessard et lui reproche à tort de défendre la thèse du bouclier et de l'épée avancée par Pétain lors de son procès et reprise plus tard par le colonel Rémy . Dans sa réponse, Fessard lui dit :
Toute votre difficulté, me semble-t-il, vient de ce que vous persistez à garder le fantôme d'une légitimité en soi alors que je ne connais plus pour ma part qu'une légitimité pour un être essentiellement historique, existant, donc, toujours relative au temps. [...] Pourquoi est-ce que je ne veux plus d'une légitimité en soi, fantôme scolastique ? Parce qu'ayant analysé le phénomène de la révolution en fonction de la dialectique du maître et de l'esclave, j'ai reconnu le fondement de l'existence d'une autorité ou son rapport au Bien commun dépendait étroitement de la reconnaissance qui termine la lutte. [...] En d'autres termes, en juin 40, la légitimité est, comme le Bien commun coupée en deux : une part à de Gaulle, qui maintient la fidélité aux valeurs ; une part à Pétain qui maintient l'existence et la sécurité. Quant au Bien commun, il est donc chez Pétain dans la mesure où il s'effetforce d'user de l'armistice pour tromper le Boche mais non dans la mesure où il collabore contre la nation ; il est également chez de Gaulle dans la mesure où il maintient la flamme patriotique, mais non dans la mesure où il se sert de son nom pour des fins non nationales (ex. les communistes à partir de juin 1941) . [...] Car enfin, si Pétain est illégitime simpliciter dès le début, vous n'auriez pu permettre — je vous suppose directeur de conscience — de servir Pétain en aucune manière... Alors que, pour ma part, autant je protestais contre ceux qui voulaient faire une obligation de conscience de n'être pas gaulliste [...] autant je reconnaissais la légitimité de servir Pétain, à condition de tenir compte de sa légitimité relative au Bien commun inférieur et de son illégitimité relative au Bien commun supérieur .
Face aux abstraction juridiques de la légitimité que partagent des idéologies politiques pourtant opposées, Fessard réalise une synthèse vivante et opératoire de la conception traditionnelle du Bien commun et des acquis de la philosophie contemporaine sans jamais faire abstraction de l'actualité historique dont la signification symbolique est toujours à déchiffrer pour le bien de la conscience morale. C'est dans ce sens et à ce prix que Fessard a pu parler d'une " politique chrétienne ". Mais le plus beau témoignage est le comportement exemplaire de l'homme lui-même qui n'a cessé de combattre parfois au péril de sa vie ou de sa réputation les séductions de l'idéologie tout en conservant une attitude filiale envers l'Église. Fidèle à son rôle de directeur spirituel, Fessard a toujours évité le rôle de censeur et les formes d'ostracisme rétroactif discréditant telle ou telle personne pour sa conduite jugée non conforme à la fin de l'histoire .
J. Ch.
. On se reportera au père Michel Sales sj, l'un des meilleurs spécialistes de la pensée du père Fessard et à son livre Gaston Fessard (1897-1978) Genèse d'une pensée, Louvain, Culture et Vérité, 1997, qui est une introduction à l'une des dernières grandes œuvres du jésuite publiée la même année et chez le même éditeur : le Mystère de la société. Recherches sur le sens de l'histoire. Pour un aperçu bibliographique de l'œuvre de Fessard, du même auteur voir Hegel, le Christianisme et l'Histoire, PUF, 1990, p. 300-317.
. Gaston Fessard, Journal de la conscience française (1940-1944) suivi de Qu'est-ce qu'un gouvernement légitime ? Texte établi et annoté par Michel Sales, préface de René Rémond, Plon, Commentaire 2001. Les références aux citations du journal sont indiquées dans le corps de cet article par l'abréviation JCF.
. Pour éclairer ce sentiment patriotique nous rapportons un souvenir de François Charles-Roux, ambassadeur de France près le Saint-Siège de 1932 à 1940 qui évoquait un discours de Pie XI aux Jeunesses patriotes en visite à Rome. " Ayant pris pour thème le patriotisme, il leur en fit sentir la complexité et la profondeur, en leur citant une parole de saint Augustin : "Si vous ne me demandez pas ce qu'est la patrie, je le sais ; si vous me le demandez, je ne le sais plus." Puis il leur montra dans ce sentiment instinctif "l'une des formes les plus élevées de la charité collective". Ce fut la définition qu'il leur donna du patriotisme. " Huit ans au Vatican 1932-1940, Flammarion, 1947, p 62. Fessard était un lecteur assidu de Pie XI qu'il citait souvent.
. Les principales œuvres du père Fessard sont citées dans le corps de cet article sous les sigles suivants : Pax Nostra, Examen de conscience internationale, Grasset, 1936 : PN ; Le Dialogue catholique-communiste est-il possible ? Grasset, 1937 : DCC ; Épreuve de force, Bloud et Gay, 1939 : EF ; De l'actualité historique, DDB, 1960, tome 1, À la recherche d'une méthode : AH ; Au temps du prince esclave, Écrits clandestins 1940-1945, Présentation et notes de Jacques Prévotat, Limoges, Critérion, 1989 : APE ; Correspondance Gabriel Marcel-Gaston Fessard, Beauchesne, 1985 : GMGF ; Archives du père Fessard à Vanves : AV.
. Gaston Fessard, Connaissance de Dieu et Foi au Christ selon saint Paul, Archivio di Filosofia, Rome, 1966.
. Pax nostra est étudié par les collaborateurs de la revue Esprit. Mais tout en saluant ce livre " remarquable de méditation et de courage ", Emmanuel Mounier manifestait déjà ses réserves annonciatrices de désaccords ultérieurs " sur la méthode [...] et sur les symétries un peu artificielles entre lesquelles il avance ". La Vie intellectuelle, 10 novembre, 1936, p. 443. C'est la valeur permanente de ce livre pour la formation du discernement qui explique qu'il était encore recommandé par le bulletin de la Jeunesse étudiante chrétienne en novembre 1938. Voir Alain-René Michel, la JEC face au nazisme et à Vichy, Lille, PUL 1988, p.114.
. D'un côté, le Manifeste pour la défense de l'Occident d'Henri Massis auquel se rallie le philosophe Gabriel Marcel ami du père Fessard, opposé aux sanctions contre l'Italie ; de l'autre, Maritain, François Mauriac, le père Bernadot signent un texte rédigé par le père Lebreton de la revue Études dénonçant la thèse de l'inégalité des races et de la force contre la justice.
. Le père Lebreton écrivait dans son texte que sans nier " l'importance de l'œuvre colonisatrice, [...] nous savons aussi qu'elle n'a pas été accomplie sans lourdes fautes ".
. Le père Tillette le dit clairement : " Il se définissait lui-même un critique de Hegel et du reste il estimait qu'il était plutôt théologien que philosophe " (GMGF p. 21). Le père Sales le dit aussi. Contrairement à la réputation équivoque de " jésuite hegelien ", c'est à l'approfondissement des études théologiques qu'il poursuivait qu'il doit d'avoir perçu, dès 1931, les limites de la Phénoménologie de l'esprit (Genèse d'une pensée, op. cit., p. 31-32).
. Fessard considérait clairement que résidait là l'explication profonde de l'antisémitisme " qui est un phénomène trop universel pour être dû à d'arbitraires mauvaises volontés ". " Si je parviens à l'expliquer, demandait-il, n'aurai-je pas fait plus pour le supprimer qu'en le passant pudiquement sous silence ? " (p. 216.) Mais c'est après avoir précisé qu'" en abordant un aussi difficile et délicat sujet, loin de moi l'idée de fournir le moindre aliment à l'antisémitisme actuel ! Dans chaque nation, je le sais, des juifs jouissent des droits de tous les citoyens, en accomplissent scrupuleusement tous les devoirs. Et dans le judaïsme traditionnel ou en dehors de toute religion, plus d'un recherche ardemment le progrès et l'union spirituelle de l'humanité. " (PN p. 215-216).
. Ce " nationalisme contre la nation ", Fessard devait le voir à l'œuvre en Espagne dans le contexte de la guerre civile. C'est cette même lucidité contre les mystifications cléricalo-nationalistes qui motive la recension par le père Fessard du livre de Mendizabal, ancien professeur de droit à l'université d'Oviedo exilé en France, qui plaidait pour un tiers parti de pacification auquel Gabriel Marcel adhéra avec François Mauriac et Maritain : Le Comité pour la paix civile et religieuse. Fessard salue la valeur du livre de ce grand professeur espagnol et la préface courageuse de Maritain " montrant l'anachronisme, pour ne pas dire la fausseté du concept de "guerre sainte" appliqué au conflit espagnol. " Études, 20 décembre 1937, p. 824-825.
Le père Sales inscrit le mondialisme ou l'humanitarisme actuels dans le prolongement de ce pacifisme dans Genèse d'une pensée, op. cit., p. 44.
. Fessard cite alors le Mythe du XXe siècle de l'idéologue nazi Alfred Rosenberg qui propose de " créer d'un mythe de la vie un nouveau type d'homme ". " On connaît assez la mystique raciste, l'idéologie païenne qui sévit actuellement outre Rhin et les résultats de tout genre auxquels elle aboutit. Mais aux antipodes politiques, le langage pour ne rien dire des actes n'est pas différent. Voici en quels termes, le comité central exécutif des Soviets annonçait au pays la mort de Lénine : "Lénine est mort, mais il vit dans l'âme de chacun des membres du parti. Chacun des membres du parti est une parcelle de Lénine. Toute notre famille communiste est l'incarnation collective de Lénine" " (PN p. 343). Le philosophe juif allemand P.-L. Landsberg, lecteur de Fessard et collaborateur de la revue Esprit, mort en déportation, écrivait en termes semblables au sujet de Rosenberg : " Quel changement depuis le jeu souverain de Platon et même depuis la tragédie de Nietzsche ! Ici le mythe n'est pas un remplaçant insuffisant de la vérité, il n'est pas introduit là où cette dernière est restée inaccessible, il est la forme de l'affirmation la plus fanatique et il se moque de l'idée de vérité. " Introduction à une critique du mythe ", conférence donnée à Bruxelles 17 décembre 1937, Esprit, 1er janvier 1938, p. 520.
. Pie XI, Nazisme et Communisme, deux encycliques de mars 1937, présentation et introduction de Michel Sales, François Rouleau et Michel Fourcade, Desclée, Paris 1991, collection " Essai ", p.176.
. Henri de Lubac, Catholicisme, les aspects sociaux du dogme, Aubier 1937, cité par Fessard in DCC p.132.
. C'est la force de ce renversement qui donne l'initiative au catholique que n'a pas compris Gaëtan Bernoville qui publie chez le même éditeur et la même année la Farce de la main tendue dans lequel il reproche à Fessard sa naïveté. Les mêmes conditions du dialogue sont posées en 1936-39 par Fessard dans ses relations avec le philosophe rationaliste Léon Brunschvicg auquel il formule des reproches similaires à ceux qu'il adressait à Vaillant Couturier : " Tous les sarcasmes de Marx et des communistes contre les chrétiens qui s'évadent et se satisfont d'un arôme spirituel me reviennent ici en mémoire ! Avouez que ce n'est pas le chrétien qui le mérite mais le rationaliste ! " Correspondance L. Brunschvicg-G. Fessard, Archives de Philosophie,1958, 2, p.176.
. L'instrumentalisation léniniste de l'individualisme libéral contre la religion avait déjà été entrevue par Waldemar Gurian (1902-1954) que Fessard cite à la p 167. Né à Saint-Petersbourg dans une famille de la bourgeoisie juive, fait ses études en Allemagne où il est converti au catholicisme. On lui doit sans doute le meilleur ouvrage qui ait été publié dans l'entre-deux-guerres sur le bolchevisme paru en Allemagne en 1931 : Der Bolschewismus, Fribourg, Herder traduit en français et publié chez Beauchesne en 1933 .Exilé en Suisse en 1933, il publie à Lucerne une étude pionnière sur nazisme et communisme qu'il désigne sous les termes de " bolchevisme rouge " et de " bolchevisme brun ". Bolchewismus as Weltgefahr, Lucerne 1935 traduit en français et publié par Alsatia en 1936. Exilé aux États-Unis en 37, il fait la connaissance d'Hannah Arendt. Mais influencé par Karl Schmitt, Gurian découplait marxisme et bolchevisme pour établir sa comparaison avec le nazisme tandis que Fessard montrait déjà le lien profond entre marxisme et communisme d'une part et entre nazisme et communisme d'autre part.
. Cette conférence donnée le 11 décembre 1940 à Saint-Louis de Vichy sur l'invitation de son confrère jésuite le père Dillard, a été publiée à l'époque dans la nouvelle revue jésuite Cité nouvelle mais les passages cités dans cet article ont évidemment été censurés par le régime (AH, tome I p. 85).
. Fessard avait déjà publié en 1938 chez le même éditeur, dans les cAHiers de la nouvelle journée d'inspiration blondélienne la Méthode de réflexion chez Maine de Biran. Georges Bidault devait publier un article élogieux sur ce livre dans l'Aube du dimanche 6 août 1939 en soulignant que la charité est plus dure que la polémique, dans " Les éditoriaux de Georges Bidault ", l'Aube 1939-1940, tome 4 publié à Paris par l'Association des amis du président Georges Bidault chez Bernard Billaud, 2001, p. 191.
. Le père Lebreton se fait l'écho de ces références dans un article paru en mars 1940 : " Certaines morales germaniques de Hegel ou de Nietzsche distinguent parmi les hommes deux races ; les maîtres et les esclaves. Hitler a transposé dans sa politique cette mythologie païenne ; c'est par là surtout qu'il s'oppose au christianisme et qu'il s'y brise. Jésus nous l'a dit : " Vous n'avez qu'un maître ici bas : le Christ ; vous êtes tous frères. " In " Le national-socialisme à la conquête du monde ", Études, 5 mars 1940, p. 511.
. Ses thèses sont bien reçues par la revue Esprit et par Jean Lacroix qui écrit : " Peut-être la plus grande erreur du pacifisme français depuis 1918 est d'avoir dissocié, parfois même opposé la paix et la force[...], le père Fessard nous a rappelé récemment que Hegel a poussé encore plus loin cette analyse dans sa dialectique du maître et de l'esclave. " Force, droit, charité, étude présentée au congrès de Jouy-en-Josas, juillet 1939, Esprit janvier 1940, p. 142-144.
. Parmi ceux qui le disent, mentionnons l'ami du père Fessard, Gabriel Marcel, dans un article paru en novembre 1940 dans la revue Esprit : " Note sur la condamnation de soi. " Le nonce apostolique, Mgr Valerio Valeri, dut recommander à la Croix de ne pas parler de " vengeance divine ", Henri de Lubac, Résistance chrétienne, l'antisémitisme. Souvenirs, Fayard 1988, p. 31-32.
. La Conscience catholique en face du devoir civique actuel. Lettre à un Français, Paris, Librairie Paillard, 1941, 24 pages.
. Pour ne citer qu'un exemple, mentionnons les articles de don Luigi Sturzo, fondateur du PPI, exilé en Angleterre après l'avènement de Mussolini qui publie leDroit de révolte et ses limites dans la Vie intellectuelle d'octobre 1937. Il y mentionne que pour la première fois, un pape (Pie XI) dans son encyclique Nos es muy conocida du 28 mars 1937 sur la situation de l'Église au Mexique fait une distinction entre " insurrection injuste et insurrection non injuste ", p. 179.
. Pour ne citer que quelques cas, les archives du père Fessard contiennent une lettre anonyme de protestation de deux pages adressée à l'abbé Lesaunier et au bas de laquelle le père Fessard a écrit de sa main le nom de son célèbre confrère jésuite, le père Michel Riquet. La lettre se termine ainsi : " Si vous désirez connaître mon nom, vous pourrez le demander à Son Éminence le cardinal archevêque de Paris à qui j'ai très respectueusement et filialement soumis ce texte. " Dans son journal de guerre, le père Merklen, rédacteur en chef de la Croix fait aussi état à plusieurs reprises de ce document et des réactions qu'il a suscitées, en particulier celle du chanoine théologien Tiberghien, professeur de théologie aux facultés de Lille qui, " dans une note dactylographiée a rejeté la brochure ridicule du sulpicien Lesaunier en expliquant qu'à l'encontre de ce qu'exigeait la théologie elle n'était ni conforme aux principes, ni exacte sur les faits ; [...] s'est vraiment acharné à lui expliquer qu'un régime tel que celui de Vichy n'a pas été sanctionné par le peuple français et surtout qu'étant sous la botte de l'ennemi il ne jouit pas de la liberté, n'est donc ni un régime établi, ni un pouvoir souverain " (Journal de guerre, J. 532, p. 26, Rome, Archives de l'Assomption).
. Michel Riquet, Sa Majesté la Loi, Spes, 1925.
. Sur l'attitude du cardinal Mercier, voir Roger Aubert, les Deux Premiers Grands Conflits du cardinal Mercier avec les autorités allemandes d'occupation, Louvain, 1998. Les références au cardinal Mercier et notamment à Patriotisme et Endurance sont fréquentes pendant la Seconde Guerre, par exemple dans la revue Messages de la JEC ; cf. Alain-René Michel, op. cit. p. 203-204. Le général de Gaulle avait déclaré à Mgr Théas son regret qu'il n'y ait pas eu " à la tête de l'épiscopat en France un cardinal Mercier ", cité dans Jean Vinatier p. 212 et dans le journal de Mgr Théas publié par Sylvaine Guinle-Lorinet, Pierre-Marie Théas, un évêque à la rencontre du XXe siècle, Tarbes Toulouse, 1993, p. 488.
. C'est ce qui explique la déclaration du cardinal Suhard à l'abbé Bellanger : " Je pense souvent au cardinal Mercier [...]. Quelle belle attitude face aux Allemands pendant la guerre de 1914.[...] Mais les circonstances ne sont pas les mêmes. L'armistice a été signé. La France a un gouvernement légitime. " Cité par Jean Vinatier, le Cardinal Suhard, l'évêque du renouveau missionnaire (1874-1949), Paris, Le Centurion, 1983, p. 144-145.
. Cette réflexion devait aboutir à Autorité et Bien commun publié après la guerre chez Aubier en 1945. Voir aussi GMGF, p. 172.
. Après la guerre, dans France prends garde de perdre ta liberté, Éditions du Témoignage chrétien ,1946, p. 272, dans le contexte de la guerre froide naissante, et dans le souvenir de Vichy, Fessard mettait en garde contre un Parti communiste qui d'esclave de Moscou risquait de devenir Prince esclave : " Trop de gens se figurent que la révolution ne peut exister sans barricades et massacres, et qu'elle s'identifie à la guerre civile alors que celle-ci n'en est que le paroxysme. Que l'ordre règne dans la rue, et ils se persuadent que le gouvernement a droit au titre de "pouvoir établi". D'où ils arrivent insensiblement à le considérer et finalement à le proclamer "légitime" sans restriction ni distinction. Illusion qui n'a que trop bien servi Vichy et l'"hypocrisie" nazie. "
. Études, septembre 1939, p. 507.
. Dans sa préface René Rémond reproche à Pie XII le caractère elliptique de cette condamnation et se demande même s'il s'agit d'une condamnation. Or cette prière de Pie XII est en parfaite conformité avec l'attitude du Saint-Siège au sujet de l'alliance soviéto-américaine. Lorsque les évêques américains interrogent le cardinal Maglione au sujet des scrupules des catholiques américains devant l'alliance des États-Unis et de l'URSS, le secrétaire d'État au Saint-Siège déclare " qu'il n'y avait rien dans l'encyclique de Pie XI contre le peuple russe. Le pape a condamné le communisme, et la condamnation demeure, pour le peuple russe, le pape n'a eu et ne peut avoir que des sentiments paternels. " Autrement dit, ajoute le père Blet, " les catholiques n'avaient pas à avoir de scrupules en soutenant Roosevelt lorsqu'il apporterait son concours à Staline contre Hitler ". Pierre Blet, Pie XII et la Seconde Guerre mondiale d'après les archives du Vatican, Paris, Perrin, 1997, p. 142. De plus, Pie XII devait déclarer au sujet de cette période en février 1946,dans un contexte qui était déjà celui de la guerre froide naissante : " Nous nous sommes gardés, malgré certaines pressions tendancieuses, de laisser échapper de Nos lèvres ou de Notre plume une seule parole, un seul indice d'approbation ou d'encouragement en faveur de la guerre entreprise contre la Russie en 1941 " cité par René Coste, le Problème du droit de guerre dans la pensée de Pie XII, Paris, Aubier, 1962, p. 226. Mais qu'il suffise de se reporter à ce qu'écrivaient les théologiens dominicains avant la guerre au moment des tractations diplomatiques entre les Alliés, l'Allemagne et l'URSS : " La moralité de l'alliance ne dépend pas de la qualité du partenaire, mais seulement de la qualité de l'action entreprise ensemble[...]L'alliance qui se propose de défendre la justice, la paix, la sécurité des nations, à plus forte raison celle qui a pour but de défendre sa patrie et sa civilisation est une noble et belle alliance. Et si, pour cette entreprise, on fait alliance avec un État dont sous aucun prétexte, on ne tolérerait la propagande dans sa politique intérieure, non seulement ce n'est pas faire une alliance immorale, mais c'est, d'une certaine façon, mettre le diable au service de Dieu. " " Moralité des alliances, Billet de Civis ", Vie intellectuelle, 10 juin 1939, p. 218.
. André Latreille, De Gaulle, la Libération et l'Église catholique, Cerf, 1978.
. Il faut se rappeler que la hiérarchie épiscopale dans son ensemble avait rEFusé des postes d'aumôniers dans les maquis. C'est seulement en juin 44 que Rome demande de pourvoir aux besoins spirituels des maquisards. Le père Yves de Montcheuil, théologien, ami du père Fessard et du père de Lubac avait rejoint le Vercors pour apporter un soutien spirituel aux maquisards. Refusant d'abandonner les blessés, il est arrêté et fusillé à Grenoble en 1944. Dans son journal, le père Fessard rend un hommage à sa mémoire (p.198-200). Il parle au sujet de son action et de ses écrits d'un " martyr de la vérité et de la charité " (JCF p. 200).
. Dans une lettre à une lectrice des Études, il écrit : " L'épiscopat n'a pas manqué de courage mais de clairvoyance. Sur le terrain politique, il n'est pas infaillible ! " Lettre à Mlle Imbert, 8 décembre 1945 (AV).
. Christian Ponson, " Joseph Vialatoux (1880-1970), le philosophe lyonnais des Semaines sociales, Notes pour une biographie ", in Cent ans de catholicisme social à Lyon et en Rhône Alpes, Éditions ouvrières, Paris, 1992, p. 453-484.
. Joseph Vialatoux, le Problème de la légitimité du pouvoir, Vichy ou de Gaulle ? Paris, Éditions du Livre français, 1944.
. Études, décembre 1945, p. 432.
. " Il me semble que logiquement vous devriez applaudir au passage de la déclaration de Pétain à l'ouverture du procès du 23 juillet 1945, qui se vante d'avoir, lui, en France, maintenu la nation, pendant que le "général de Gaulle",celui qu'il avait quatre ans durant appelé l'ex-général, le félon, le traître) préparait hors du territoire la Libération. " Lettre du 7 janvier 1946, Fond Joseph Vialatoux 122, Archives de l'Institut catholique de Lyon.
. Précisons que pour Fessard, la participation des communistes au gouvernement de Gaulle ne fait pas de ce dernier un Prince esclave. Voir sur ce sujet la consultation rédigée par le jésuite à la demande de Mgr Théas : " Le prince et le jésuite, un inédit du père Fessard sur la légitimité du gouvernement provisoire du général de Gaulle ", Commentaire n° 67, 1994, p. 563-569.
. Lettre de GF à JV du 11 janvier 1946, Fond JV 122, Institut catholique de Lyon.
On rappellera que Raymond Queneau avait proposé au père Fessard d'entrer dans la commission d'épuration du Conseil national des écrivains de la Résistance. Fessard avait refusé en vertu de sa qualité de prêtre et de directeur de conscience (APE p.111).