Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008
Doit-on recevoir l'enseignement de l'Église de manière uniforme ? Autrement dit, peut-on doser sa docilité aux instructions du magistère selon la nature et l'objet de son intervention ? Question difficile — souvent malmenée par les publicistes — que je vais essayer de simplifier.
Il s'agit d'aborder les différentes catégories de vérités religieuses enseignées par l'Église. Nous allons essayer de comprendre quelle est la différence entre vérité révélée, vérité prochainement connexe à la Révélation et vérité connexe à la Révélation de manière plus distante. Nous montrerons le passage possible de ces dernières à la catégorie suprême de vérité révélée et ainsi nous verrons comment, dans tous les cas, s'exerce la vertu de la foi.
Ce que j'expose se base surtout sur ce qui est contenu dans la Documentation catholique du 19 juillet 1998, n° 2186 ; et puis je m'appuierai sur certains articles du Catéchisme de l'Église catholique.
Je note que le Nouveau Testament rend témoignage à la première profession de foi des disciples après Pâques quand Paul écrit (aux Corinthiens, 15) : " Je vous ai donc transmis en premier lieu ce que j'avais moi-même reçu à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu'il a été mis au tombeau et ressuscité le troisième jour selon les Écritures, qu'il est apparu a Céphas puis aux Douze " ; et c'est à partir de cette proclamation centrale du mystère du Christ que la communauté des disciples, c'est-à-dire l'Église, a formulé différents symboles. Aucun d'entre eux ne supprime les précédents ; nous faisons nôtres tous les symboles de la foi au cours des siècles ; ces différents symboles, provoqués par autant de situations historiques expriment tous ensemble les richesses de la foi de l'Église sans toutefois l'épuiser. Déjà en adhérant aux vérités révélées et en excluant les affirmations superstitieuses que nous sommes tentés quelquefois de formuler, nous les fidèles, nous exerçons non seulement la foi mais aussi la raison ; il est très important de souligner ceci parce que beaucoup de gens ne sont pas conscients du caractère rationnel de l'acte de foi ; la raison humaine s'est déjà exercée quand on en vient à poser l'acte de foi, parce que pour poser l'acte de foi il faut résister aux tentations de la crédulité ou de l'incrédulité.
Les vérités révélées
En premier lieu, nous croyons fermement les vérités contenues dans la parole de Dieu et proposées par l'Église comme divinement révélées et donc irréformables. Ici je voudrais faire remarquer (ceci n'est pas évident pour tout le monde ), qu'il y a une grande différence entre vérité révélée et dogme ; la plupart des vérités révélées dans les Saintes Écritures ne font pas explicitement l'objet d'un dogme. Les Écritures en effet disent des quantités de choses à propos desquelles l'Église, elle, ne dit pas grand-chose. Elle n'a pas transformé en dogmes toutes les vérités révélées. Nous pouvons remarquer avec le Catéchisme de l'Église catholique (n° 2033) que le magistère des pasteurs de l'Église s'exerce ordinairement dans la catéchèse et dans la prédication avec l'aide des œuvres des théologiens et des auteurs spirituels. Ainsi s'est transmis de génération en génération le dépôt de la foi et de la morale chrétienne, composé d'un ensemble caractéristique de vérités, de commandements et de vertus, procédant de la foi au Christ et vivifié par la charité. Ces vérités peuvent être contenues dans la Révélation, de manière implicite, enveloppées, non encore explicitées. Par exemple dans le Nouveau Testament, nous trouvons la réalité de l'affirmation de l'Immaculée Conception et de l'Assomption, mais de manière implicite, pas encore explicite ; et le rôle de l'Église consistera à expliciter ces affirmations.
Il y a des vérités que nous croyons en vertu du don de la foi et qui doivent être crues de cette manière, et ce serait un péché de ne pas y croire parce ce que serait une faute contre la vertu de foi : la divinité du Christ par exemple et toutes les autres vérités révélées de la foi catholique. Il y a donc déjà une différence entre vérité révélée et dogme ; il y a en plus une différence entre vérité implicitement révélée et vérité explicitement révélée ; notre langage imparfait nous permet cependant de connaître et de dire Dieu ; nous pouvons observer que le Catéchisme de l'Église catholique (n° 35-36) enseigne que Dieu, principe et fin de toute chose, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées. Sans cette capacité, l'homme ne pourrait pas accueillir la Révélation de Dieu. L'homme a cette capacité parce il est créé à l'image de Dieu. Ceci nous invite aussi à constater une autre différence dont peu de gens aujourd'hui paraissent conscients (en France du moins) : celle qui existe entre connaître Dieu par la raison et croire en Dieu. Non seulement nous croyons en Dieu comme à une vérité révélée, mais nous le connaissons par la raison.
Ceux qui se bornent à dire " nous croyons en Dieu " sont ceux qui en fait renoncent à l'exercice de la raison pour connaître Dieu à partir du monde créé ; les facultés de l'homme le rendent capable de connaître l'existence d'un Dieu personnel, connaissance qui nous est commune avec les non-chrétiens, juifs et musulmans. La foi chrétienne, elle, va au-delà de cette simple affirmation de Dieu ; l'une des choses les plus lamentables dans la culture contemporaine, c'est d'avoir oublié ce progrès de la foi chrétienne par rapport à la simple connaissance de Dieu. Dieu a voulu se révéler à l'homme et lui donner la grâce de pouvoir accueillir la Révélation dans la foi, et néanmoins les preuves de l'existence de Dieu peuvent disposer à la foi et aider à saisir que la foi ne s'oppose pas à la raison.
Les vérités connexes à la révélation, bien que non toujours révélées
Nous passons à la seconde catégorie de vérités religieuses enseignées par l'Église. C'est ici que probablement je vais surprendre. Dans ce numéro de la Documentation catholique du 6 juillet 1998, après un document du pape sur le sujet, le cardinal Ratzinger explique longuement (§ 6 à 9) en quoi nous tenons et retenons définitivement, avec une certitude absolue, des vérités connexes à la Révélation bien que non toujours révélées, autrement dit des vérités d'une connexion logique ou historique. Le Catéchisme de l'Église catholique (n° 88) montre que tous ces enseignements du Magistère ne sont pas étrangers à la tradition catholique, comme certains voudraient nous le faire croire ; le paragraphe 88 indique que le magistère de l'Église engage pleinement l'autorité reçue du Christ quand il définit des dogmes, c'est-à-dire quand il propose, sous une forme obligeant le peuple chrétien, à une adhésion irrévocable de foi les vérités contenues dans la révélation ou des vérités ayant avec elles un lien nécessaire ; ces vérités sont des vérités qui prolongent, soit de manière logique, soit de manière historique, des vérités révélées.
Le pape et le cardinal Ratzinger donnent des exemples : ainsi, l'ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes est une vérité qui est présentée comme étant en connexion avec la Révélation. On ne dit pas qu'elle est révélée, on ne dit pas non plus qu'elle n'est pas révélée ; tout le progrès doctrinal de l'Église réside dans le passage des convictions de l'Église sur tel ou tel point à des certitudes dogmatiques sur le caractère révélé de ces vérités. Autre exemple très actuel : l'euthanasie, jugée illicite ; l'Église ne dit pas encore qu'il y a une contradiction entre euthanasie et vérités révélées, elle ne l'exclut pas, mais elle affirme que l'euthanasie est interdite. Troisième exemple : la défense de la fornication. Cela signifie qu'est notamment proscrite l'association sexuelle en dehors du mariage ou avant le mariage, même quand le mariage est prévu et désiré. Dernier exemple, à propos de la légitimité de l'élection du pape, pour répondre aux " sédévacantistes ", ceux qui estiment que Jean-Paul Il n'est pas vraiment pape (le siège serait vacant) ; l'Église considère que l'élection du pape Jean-Paul Il est légitime, c'est-à-dire que le pape est vraiment le successeur de Pierre et non pas un intrus comme Mgr Guérard des Lauriers le pensait, car il y a ici connexion historique avec une vérité révélée : l'institution divine de la papauté.
L'existence de cette catégorie de vérités tient à la mobilisation de l'intelligence rationnelle déductive ou de la connaissance historique au service de la certitude absolue de la foi. Il ne faut pas oublier que l'Église ne considère pas du tout la foi comme une opinion religieuse. L'" opinion ", c'est ce que l'on pense lorsque l'on craint de se tromper ; tandis que l'Église nous enseigne que la foi est une certitude absolue versée dans l'âme immortelle par Dieu. Ceci a pour conséquence l'existence de vérités non pas crues mais que nous tenons et retenons comme connexes à la Révélation. Nous admettons que l'Église, le pape en particulier, puisse définir infailliblement une vérité connexe à la Révélation, même si autour de nous, dans l'Église, d'autres ne perçoivent pas la connexion logique ou historique de ces vérités avec la Révélation.
Autrement dit, il y a une différence entre le charisme propre de chaque fidèle qui a reçu le don de la foi et le charisme du souverain pontife. Le charisme du cardinal Ratzinger, préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi, et des théologiens, n'est pas le même que le charisme du pape ; le cardinal Ratzinger et ses conseillers ne jouissent pas de l'infaillibilité personnelle dont, pour le bien de toute l'Église, le pape jouit personnellement.
Nous rappelons au passage qu'un charisme est un don gratuit accordé à un fidèle pour le bénéfice des autres. Ainsi, par exemple, l'un des deux époux reçoit au bénéfice de l'autre le
charisme de la fidélité conjugale et reçoit en même temps ce charisme pour le bien commun de toute l'Église.
Nous admettons que des fidèles puissent, à la différence du pape, ne pas voir la connexion
logique et historique de vérités (en un sens secondaires) avec les vérités primordiales de la Révélation ; nous admettons par conséquent que nous-mêmes nous puissions ne pas voir cette
connexion, mais en vertu de la foi catholique et de notre conviction sur l'assistance de
l'Esprit à l'Église, nous tenons et retenons ces vérités — que nous ne voyons pas mais que nous pensons grâce au souverain pontife ou à la hiérarchie de l'Église — connexes à la Révélation.
Cette hypothèse consonne avec ce que disait déjà, le 11 juillet 1870, Mgr Gassert au premier concile du Vatican, dans son rapport sur la doctrine de l'infaillibilité pontificale. Il exposait que ces vérités — tenues et retenues par les fidèles — conservent le dépôt de la foi, même si elles ne sont pas révélées ; ce sont ce que certains appellent des " faits dogmatiques ", titre d'un remarquable article du cardinal Congar dans l'encyclopédie Catholicisme . Ce point est également examiné par le cardinal Journet, dans son livre très connu sur l'Église du Verbe Incarné (t. 1er).
Au concile Vatican I, on a désigné ces vérités connexes à la Révélation et l'attitude par laquelle on y adhérait par les expressions " tenir " et " retenir ". II y a des vérités que nous tenons définitivement sans y croire comme à des vérités divinement révélées. Le Catéchisme de l'Église catholique nous donne une explication aux numéros 888 (sqq.) : " La mission du Magistère est liée au caractère définitif de l'Alliance instaurée par Dieu dans le Christ avec son peuple. ". Il doit protéger ce peuple des déviations et des défaillances et lui garantir la possibilité objective de professer sans erreur la foi authentique. La charge pastorale du Magistère est ainsi ordonnée à veiller à ce que le peuple de Dieu demeure dans la vérité qui libère (allusion à Jean, 8 : " Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libre. "). Pour accomplir ce service le Christ a doté les pasteurs du charisme d'infaillibilité en matière de foi et de mœurs, autrement dit, c'est pour notre bénéfice à tous et pour l'amour de chacun de nous que le Christ a donné à la hiérarchie de l'Eglise l'infaillibilité.
Comment comprendre cette expression du Catéchisme : " La mission du Magistère est liée au caractère définitif de l'Alliance entre Dieu et son peuple " ? L'ancienne Alliance n'est pas une alliance définitive, elle est une alliance provisoire, ordonnée, finalisée par l'alliance définitive dans le Christ, l'alliance nouvelle et éternelle. L'Église considère qu'en vertu de la fidélité à cette alliance, elle croit d'une manière définitive aux vérités révélées et tient définitivement les vérités connexes à ces vérités révélées. Ainsi, on comprend mieux que
le pape, en parlant de la " non-ordinabilité " des femmes, insiste sur le fait que tout le peuple de Dieu doit adhérer à cette vérité, doit la tenir comme connexe à la Révélation ; c'est précisément ce qui agace certains théologiens ; ils voudraient encore pouvoir réfléchir sur ce
sujet comme sur un sujet librement discutable et controversé. Le pape souhaite que les
théologiens y réfléchissent à la lumière de ces certitudes de l'Église.
L'encyclique Fides et ratio vient nous aider à approfondir ces thèmes. Paradoxalement cette encyclique qui concerne les relations entre la foi et la raison ne dit rien sur cette seconde catégorie de vérités, tenues par l'Église et non pas nécessairement crues. Dans les paragraphes 42 et 43, l'encyclique dit que " la foi demande l'aide de la raison pour comprendre son objet " : la foi suppose donc la raison ; au paragraphe 66, elle dit que " l'intelligence de la foi saisit les structures logiques et conceptuelles ", sur lesquelles s'articulent les enseignements salvifiques de l'Église : la foi parfait donc aussi la raison ; dans le paragraphe 73, le pape rappelle que la raison du croyant réfléchit en cherchant le vrai à l'intérieur d'un mouvement qui part de la parole de Dieu pour finalement y aboutir en la comprenant mieux. Nous voyons qu'il y a une fois de plus un exercice de la raison inséparable de l'amour de Dieu aimé par dessus tout. Si on croit aux vérités révélées par amour pour nous, alors on veut mettre toute sa raison au service de cette foi et de l'approfondissement de cette foi ; ainsi on souligne que les fidèles, en adhérant à ces vérités tenues et connexes, exercent leur raison en même temps qu'ils approfondissent leur fidélité à l'Église ; ils progressent dans la foi et dans la raison, notamment quand ces vérités connexes sont définies comme telles par l'Église.
Face aux vérités révélées proprement dites et aux vérités tenues par la fidélité à la foi dans l'infaillibilité de l'Église, l'adhésion est également définitive, et c'est là que se situe la réponse au chroniqueur religieux du Monde, Henri Tincq, qui dans un article du 5 août 1998, semble trouver extravagantes certaines déclarations de l'Église : on peut adhérer définitivement et absolument à des vérités tenues et non pas révélées, tenues comme solidaires des vérités révélées, on peut y adhérer définitivement sans que ces vérités secondaires aient la même importance que la vérité centrale de la résurrection du Christ .
1. [...] La vérité et le caractère irréformable d'une doctrine dépendent du depositum fidei, transmis par l'Écriture et la Tradition, alors que l'infaillibilité ne se réfère qu'au degré de certitude de l'acte d'enseignement magistériel. Dans les diverses attitudes critiques qui se sont manifestées à l'égard des récents Documents du Magistère, on oublie de plus que le caractère infaillible de l'enseignement, et le caractère définitif et irrévocable de l'assentiment qui lui est dû, ne sont pas une prérogative qui appartient seulement à ce qui a été défini solennellement par le pontife romain ou le concile œcuménique. Quand les évêques dispersés dans leurs diocèses respectifs, en communion avec le Successeur de Pierre, enseignent qu'une doctrine doit être tenue d'une manière définitive (cf. Lumen gentium, 25 § 2), ils jouissent de la même infaillibilité que celle du Magistère du pape s'exprimant ex cathedra ou du concile.
Il faut donc réaffirmer que, dans ses encycliques Veritatis splendor, Evangelium vitae, et dans la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis, le pontife romain a voulu — même si ce n'est pas sous une forme solennelle — confirmer et réaffirmer des doctrines qui appartiennent à l'enseignement du Magistère ordinaire et universel, et que l'on doit donc tenir d'une manière définitive et irrévocable.
De plus, on doit aussi se souvenir que si l'autorité des enseignements du Magistère connaît des degrés différents entre eux, cela ne signifie pas que l'autorité exercée à un degré mineur puisse être considérée comme une opinion théologique, ou bien que, en dehors du cadre de l'infaillibilité, seule l'argumentation compterait et qu'alors une certitude commune de l'Église en matière doctrinale s'avérerait impossible.
2. En second lieu, ces considérations apparaissent très importantes en ce qui concerne l'adhésion à l'enseignement de Veritatis splendor et d'Evangelium vitae, d'Ordinatio sacerdotalis et aussi du Responsum et de la lettre de la congrégation pour la Doctrine de la foi sur la réception de la communion eucharistique par les fidèles divorcés remariés : s'agissant d'enseignements proposés ou confirmés par le Magistère sans recourir au " mode définitoire " (jugement solennel), l'idée s'est répandue que ces enseignements peuvent être révisés ou réformés par la suite, peut-être sous un autre pontificat. Cette idée est totalement privée de fondement et manifeste une compréhension erronée de la doctrine de l'Église catholique sur le Magistère.
En effet, considérant l'acte de l'enseignement, le magistère peut enseigner une doctrine comme définitive soit par un acte définitoire soit par un acte non définitoire. Tout d'abord, le Magistère peut proclamer une doctrine comme définitive, et donc croire de foi divine ou tenir d'une manière définitive, par une déclaration solennelle du pape ex cathedra, ou d'un concile œcuménique. Mais le Magistère pontifical ordinaire peut enseigner comme définitive une doctrine en tant qu'elle est constamment conservée et tenue par la Tradition et transmise par le Magistère ordinaire et universel. En l'espèce, l'exercice du charisme de l'infaillibilité ne se présente pas comme un acte définitoire du pape, mais concerne le Magistère ordinaire et universel, que le pape reprend par sa déclaration formelle de confirmation et de réaffirmation (généralement dans une encyclique ou une lettre apostolique). Si l'on soutenait que le pape doit intervenir nécessairement par une définition ex cathedra chaque fois qu'il entend déclarer comme définitive une doctrine en tant qu'elle appartient au dépôt de la foi, cela entraînerait implicitement une dévaluation du Magistère ordinaire et universel, et l'infaillibilité ne serait réservée qu'aux définitions solennelles du pape ou d'un concile, donc dans une perspective autre que celle donnée par l'enseignement de Vatican I et de Vatican II, qui attribuent un caractère infaillible également aux enseignements du Magistère ordinaire et universel.
En ce qui concerne l'enseignement du Magistère pontifical qui entend simplement confirmer ou réaffirmer une certitude de foi déjà vécue de manière consciente par l'Église ou affirmée par l'enseignement universel de tout le corps épiscopal, on peut le voir, non pas en soi dans l'enseignement de la doctrine elle-même, mais dans le fait que le pontife romain déclare formellement qu'il s'agit d'une doctrine qui appartient déjà à la foi de l'Église et est enseignée infailliblement par le Magistère ordinaire et universel comme divinement révélée ou qui doit être tenue d'une manière définitive.
À la lumière de ces considérations, il semble que ce soit un faux problème que de se demander si tel acte pontifical de confirmation de l'enseignement du Magistère ordinaire et universel est infaillible ou non. En effet, tout en n'étant pas par elle-même une définition dogmatique (comme le dogme trinitaire de Nicée, ou le dogme christologique de Chalcédoine, ou les dogmes marials), la déclaration pontificale de confirmation jouit de la même infaillibilité dont jouit l'enseignement du Magistère ordinaire et universel, qui inclut le pape non pas comme simple évêque mais comme chef du collège épiscopal. À cet égard, il est important de préciser que le Responsum ad dubium de la congrégation pour la Doctrine de la foi sur la doctrine enseignée dans la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis, tout en mentionnant le caractère infaillible de cette doctrine déjà en possession de l'Église, a voulu simplement réaffirmer qu'elle n'est pas proposée de manière infaillible seulement à partir de ce document pontifical, mais que celui-ci confirmait ce qui partout, toujours et par tous, a été tenu comme appartenant au dépôt de la foi. Il est donc essentiel de conserver le principe qu'un enseignement peut être proposé infailliblement par le Magistère ordinaire et universel, même par un acte qui n'a pas la forme solennelle d'une définition .
Certains théologiens qui méconnaissent tout cela semblent ignorer que ces documents du pape, du cardinal Ratzinger, ne sont rédigés qu'après consultation des membres de la congrégation pour la Doctrine de la foi ; le pape lui-même, pratiquement, ne prononce pas de discours sans le soumettre auparavant à l'appréciation de la congrégation pour la Doctrine de la foi ou au moins d'un censeur. Autrement dit, il ne se fie pas aveuglément à son jugement propre (tandis que ceux qui le critiquent ne soumettent manifestement pas leurs critiques à l'appréciation d'un censeur). Il y a là pour nous une sécurité supplémentaire, s'il en était besoin, dans ce qui concerne l'adhésion à ces vérités connexes à la Révélation. Celles-ci ne résultent pas de fantaisies, de lubies déversées sur le monde par des hommes d'Église à l'imagination créatrice, mais sont le fruit des travaux de théologiens qui ont une longue connaissance de toute la tradition de l'Église et qui appréhendent les conséquences logiques ou historiques des affirmations dogmatiques.
La déclaration Dominus Iesus du 6 août 2000 rappelle plusieurs vérités de foi à croire fermement, et une vérité connexe à la foi à tenir fermement. Le Christ est un, Il est le centre de l'économie du salut. L'Église est une seule, unique et nécessaire au salut (§ 10, 13, 16,2 et 20). Toutes ces vérités sont des vérités de la première catégorie. La déclaration rappelle aussi (16,3) une vérité connexe que les fidèles doivent aussi professer et tenir, quant à la continuité historique, enracinée dans la succession apostolique, entre Église fondée par Jésus-Christ et Église catholique, vérité de seconde catégorie.
Les vérités reçues par adhésion à l'Esprit-Saint
Nous parvenons ainsi à la troisième catégorie ; il y a un certain nombre de vérités auxquelles l'esprit de foi du croyant adhère par suite de sa conviction en l'assistance de l'Esprit-Saint à la hiérarchie de l'Église, même quand ladite hiérarchie ne prétend pas engager tout le poids de son autorité et quand elle ne présente pas les vérités qu'elle enseigne comme définitives et absolues. L'assistance divine est donnée au pontife romain lorsqu'il propose, dans l'exercice du magistère ordinaire, un enseignement qui conduit à une meilleure intelligence de la Révélation (Donum Veritatis, § 17, 1). Il serait contraire à la vérité de conclure, à partir de cas déterminés, que le magistère de l'Église puisse se tromper habituellement dans ses jugements prudentiels, ou qui ne jouissent pas de l'assistance divine dans l'exercice intégral de sa mission. Le théologien sait que certains jugements du Magistère ont pu être justifiés à l'époque parce que les affirmations visées mêlaient inextricablement les assertions vraies et d'autres non sûres. Seul le temps a permis d'opérer le discernement et d'aboutir à un vrai progrès doctrinal.
Sur ce sujet très délicat, le cardinal Ratzinger ne cite aucun exemple. Non seulement (dans certains cas) les théologiens discutent (toujours) entre eux sur le degré de certitude avec lequel l'Église enseigne ces vérités, mais le cardinal nous fait réfléchir très justement sur le passage possible de la troisième catégorie à la seconde et de la seconde à la première. Il admet par exemple que l'infaillibilité du pontife romain a d'abord été reconnue comme vraie — et on pourrait dire même d'abord implicitement, puis explicitement, puis tenue pour définitive, puis accueillie comme divinement révélée. Autrement dit, la même vérité se révèle successivement à l'esprit observateur sous des visages différents : d'abord simplement comme vérité à laquelle on adhère par suite de l'adhésion en l'Esprit-Saint qui assiste l'Église, puis on y adhère comme une vérité tenue comme connexe logiquement ou historiquement à une vérité révélée, puis enfin, par suite d'un nouveau progrès dans la conscience ecclésiale, comme une vérité révélée pour notre salut.
Nous sommes invités à réfléchir sur ce développement doctrinal qui a constitué la grande préoccupation du cardinal Newman et qui lui a fait quitter l'anglicanisme pour rejoindre l'Église catholique. Le cardinal Ratzinger souligne la progression de la conscience de l'Église : une doctrine initialement vue comme connexe à la Révélation peut être perçue plus tard comme révélée. C'est le cas de l'ordination réservée aux hommes ; initialement considérée comme une vérité tenue pendant des siècles sans être contredite, l'Église la reçoit désormais comme vérité connexe à la Révélation, état actuel de son statut ; demain, elle pourrait l'admettre comme une vérité révélée. Nous pouvons dire que la proposition fréquente d'une même doctrine peut être un élément de progression de la conscience de l'Église.
L'infaillibilité de consentement
En adhérant aux doctrines de l'Église, nous nous laissons conduire par l'Esprit de
vérité de Jésus, vers la vérité tout entière que nous espérons voir face à face au Ciel, suivant la promesse du Christ (Jean, 16, 13). Par la foi nous nous préparons à la vision béatifique du Ciel, à la vision que nous méritons par la foi empreinte de charité et que nous anticipons. Par
la foi nous participons à la mystérieuse connaissance que Dieu a de Lui-même, connaissance infaillible de Dieu, vérité absolue.
Les fidèles participent à la foi infaillible de l'Église comme le souligne le paragraphe 92 du Catéchisme de l'Église catholique : " l'ensemble des fidèles ne peut se tromper dans la foi " ; ils manifestent cette qualité par le moyen du sens surnaturel de la foi qui est celui du peuple tout entier. Lorsque, depuis les évêques jusqu'au dernier des fidèles laïcs, le peuple de Dieu apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel, les fidèles sont collectivement infaillibles dans la mesure de leur communion à l'Église universelle. La parole de Dieu est confiée à l'Église tout entière, à l'ensemble de l'Église, non seulement au Magistère, mais à chacun d'entre nous.
Le Magistère de l'Église lui, est l'interprète authentique de la Révélation, il jouit d'une infaillibilité d'interprétation et nous tous collectivement — si nous le voulons bien individuellement —, nous jouissons d'une infaillibilité de consentement. Devant les tentations
contre la foi ou contre une vérité particulière soit de foi, soit en connexion avec la
Révélation, nous cultivons la certitude absolue de la foi et de ses connexions. Nier, mettre en
doute obstinément la vérité révélée, ce serait un péché d'hérésie. Croître dans la foi, c'est
mériter la vision béatifique si cette croissance dans la foi est informée par la charité.
En somme, l'Église, en théologie, ne pratique pas la révolution, contrairement à ce que M. Tincq a écrit dans le Monde. Elle n'enseigne pas aujourd'hui le contraire de ce
qu'elle enseignait hier. Mais elle vit sous l'action de l'Esprit Saint dans un perpétuel développement — lequel est d'ailleurs favorisé par les hérésies. Comme disait saint Paul, " il faut qu'il y ait des hérésies " parce que, de même que les tentations nous permettent individuellement de croître dans la foi en exerçant l'acte de foi, de même les hérésies obligent l'Église à approfondir le donné révélé et ses connexions historiques. Autrement dit, l'Église ne pratique ni la révolution théologique ni non plus la dictature théologique, parce que toutes ces vérités elle les enseigne avec beaucoup d'humilité comme venant de Dieu, comme nous dépassant tous et, d'un certain point de vue, comme la dépassant elle-même.
b. m.