Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008
Les États-Unis connaissent depuis 1992 une formidable période d'expansion économique. Selon le secrétaire américain au Commerce N. Daley, les technologies de l'information auraient contribué pour plus du tiers à la croissance économique des États-Unis.
Elles seraient en train de faire éclater les modèles classiques expliquant les relations entre la croissance, l'inflation et le chômage au bénéfice d'un nouveau type d'économie plus productif.
Nous devons nous interroger sur ce succès. Il est inconcevable, dans la situation socio-économique actuelle de l'Europe et de la France, avec les taux de chômage qui sont les nôtres, que nous n'essayions pas de tirer de la situation américaine des enseignements en vue de nous améliorer. Non qu'il faille sombrer dans le pro-américanisme le plus simpliste, mais parce qu'il faut savoir tirer de l'opportunité actuelle le maximum de bénéfices pour notre société en analysant, en critiquant et surtout en capitalisant sur les forces et les richesses qui nous sont spécifiques.
Les nouvelles technologies au cœur d'un nouveau modèle économique américain ?
Cette affirmation repose à la fois sur un constat et une explication, et doit s'accompagner de lucidité sur les faiblesses du modèle. Le constat est celui d'une profonde remise en cause de la courbe de Phillips, les États-Unis réunissant ce qui semblait autrefois impossible : une croissance forte, une inflation maîtrisée, un déficit budgétaire nul et un chômage des plus bas. L'explication est celle des tenants d'un nouveau modèle économique, où les nouvelles technologies de l'information permettraient un renouveau des règles de comportement inflationnistes et productives. Les faiblesses sont celles des déséquilibres non résorbés de l'économie américaine.
Quelles sont réellement les performances de l'économie américaine ? Longtemps les économistes ont affirmé qu'un pays ne pouvait vivre une période de croissance durable sans connaître une augmentation de l'inflation. En effet, l'accroissement de l'activité devait entraîner une baisse du chômage et des revendications salariales de plus en plus importantes (courbe de Phillips). Depuis 1992, les États-Unis connaissent pourtant une phase ininterrompue de croissance sans inflation. Certains économistes n'hésitent pas à parler de New Paradigm ou de Nouvelle Économie.
Entre 1993 et 1998, la croissance moyenne a été de près de 3,5 % par an et au dernier trimestre de 1998, elle accélérait encore pour atteindre 6 % annualisés. Les prévisions de la communauté des économistes sont sans cesse en deçà des performances réelles de l'activité. Ainsi, sur la période 1993-1998, le consensus des économistes a été de 2,3 % par an ! Second indice, un taux de chômage pour l'ensemble du pays au-dessous de la barre des 5 % et qui atteint même aujourd'hui les 4,2 %. Entre 1993 et 1998, plus de 12 millions d'emplois ont été créés avec surtout (et contre toute attente) une plus forte croissance des emplois qualifiés par rapport aux emplois non qualifiés (22,4 % contre 10,2 % entre 1989 et 1998). Troisième point notable, malgré cette bonne tenue de la croissance et du chômage, l'inflation reste très faible et tourne autour des 2 ou 3 % sur les trois ou quatre dernières années !
Comment expliquer ces performances ? Deux théories s'affrontent : certains défendent l'idée que des facteurs exogènes ont momentanément interdit un fonctionnement normal de l'économie, d'autres sont partisans de la Nouvelle Économie.
Pour les premiers, la faiblesse de l'inflation s'explique notamment par la faiblesse des cours des matières premières, en particulier du pétrole, ces dernières années. Elle serait aussi liée à la spéculation boursière, qui crée une illusion de richesse suffisante pour diminuer les revendications salariales de la population active. Pour les seconds, les nouvelles technologies de l'information sont les piliers de ce bouleversement. Nous serions au début d'une nouvelle révolution, mais cette fois-ci post-industrielle ! Cette affirmation est confortée par la hausse de la productivité, par les théories sur la diffusion des technologies dans l'appareil économique de P. David et par l'abaissement du seuil minimal du chômage. Entre 1996 et 1998, la croissance de la productivité était déjà de plus de 2,3 % l'an ; depuis la mi-1998, le rythme annuel atteint même 4 % !
Les travaux de P. A. Straussmann sur près de 500 sociétés, publiés au début de l'année 1997, montraient pourtant qu'il ne semble pas exister de corrélation entre les investissements en informatique et la rentabilité ou la croissance du revenu. C'est à cette critique et au fait que l'invention des premières puces ou transistors remonte déjà à quarante ans que peuvent répondre les observations de P. David et de F. Brandel. Selon P. David, les révolutions technologiques mettent un certain temps à se diffuser dans l'économie, ce fut ainsi le cas de la découverte de l'électricité. F. Brandel avait fait le même type de remarque sur l'invention des machines à vapeur. Nous serions donc au début de la phase où les effets bénéfiques d'une invention majeure commencent à se faire sentir. Cela permettrait aussi d'expliquer que le taux de chômage soit passé au-dessous de 6 %, seuil en deçà duquel, selon l'économiste P. Krugman, l'inflation devrait augmenter (non-accelerating inflation rate of unemployment). Ce seuil existerait toujours, mais aurait baissé sous l'influence des technologies de l'information.
Quelle position tenir ? Nous ne pouvons pas nier les résultats indiscutables de l'économie américaine, mais il est salutaire de tenter une critique de la situation et de rappeler quelques vérités avant de vouloir tirer des enseignements. Premier point : tous les déséquilibres de l'économie américaine n'ont pas été résorbés. La balance des paiements courants est toujours déficitaire, la hausse boursière a été si importante que l'on peut craindre une correction sévère et l'endettement des ménages, comme celui des entreprises, reste très élevé. Les effets d'une correction boursière ne doivent pas être sous-estimés, une des explications les plus plausibles de l'absence d'inflation (en dehors de la théorie de la Nouvelle Économie) restant bien l'effet de richesse créé par la fructification des investissements boursiers des ménages !
Seconde remarque : même si la majorité des emplois créés sont qualifiés et bien rémunérés, la société américaine n'a pas totalement résolu le problème de sa population pauvre et mal formée, exclue du secteur moderne et compétitif axé sur le binôme innover-vendre. D'autre part, de nombreux patrons, comme Lou Gestner d'IBM, craignent que le manque de formation adéquate d'une partie importante de la population ne l'empêche d'acquérir les compétences nécessaires pour appréhender la technologie du monde d'aujourd'hui. Troisième indice : cette période de huit ans de croissance ininterrompue n'a pas été la seule de l'économie américaine moderne. En effet, deux autres phases d'expansion ont déjà duré plus de huit ans : celle de l'administration Kennedy, de la guerre du Vietnam et des projets de " grande société " entre 1961 et 1968 et celle de la politique Reagan-Volker entre 1982 et 1990.
L'impact de la révolution des technologies de l'information a tout de même été sous-estimé dans le passé récent. Nous devrions nous mettre en position d'en bénéficier le plus largement possible : qu'elle soit structurelle ou conjoncturelle, une telle performance économique est une réponse très enviable aux problèmes de notre société (faiblesse de la croissance, déficits publics et surtout chômage).
Des enseignements utiles à l'Europe et à la France
Un constat simple permet de mettre en exergue l'intérêt qu'auraient l'Europe et la France à étudier de près les résultats économiques des États-Unis. Les taux de chômage de pays comme l'Allemagne, la France ou l'Italie oscillent entre 11 et 13 % de la population active en 1998. De la même manière, les taux de croissance de l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Angleterre réunis atteignent seulement 2,4 % du PIB en 1998, et celui de l'ensemble de la zone euro en l'an 2000 devrait être de 2,5 % selon le président de la BCE, M. Duisenberg. Sans parler de nos autres problèmes structurels, comme le financement des déficits publics, des retraites ou des systèmes de soin, il semble que nous aurions beaucoup à gagner à encourager le développement des nouvelles technologies dans nos sociétés. La possibilité d'évoluer vers une " nouvelle économie " aux performances améliorées ne doit pas être sous-estimée ! De la même manière que Pascal, nous devons faire le pari qu'il y a beaucoup à gagner et très peu à perdre : si l'économie américaine est entrée dans un nouveau type d'économie, nous devons sans tarder nous donner les moyens de la rejoindre ; dans le cas contraire, si ses performances ne sont que conjoncturelles, nous avons toujours devant nous un cycle d'expansion déjà vieux de huit ans aux États-Unis. Pour être encore plus compétitifs et aborder le millénaire à venir, nous ne devons pas avoir peur de l'innovation et du progrès technologique. Nous devons prendre conscience que nous sommes dans une économie du savoir qui repose sur le développement des technologies de l'information et nous devons, leaders économiques et politiques, donner les moyens à l'Europe de bénéficier de ces changements.
Pour parvenir à bénéficier des technologies de l'information, nous ne devons pas avoir peur de l'innovation et du progrès technologique. Certes, le lien entre innovation et croissance est distendu en période de faible croissance. L'innovation accélère alors le déclassement du capital physique et humain, elle freine les investissements et l'accumulation de ce capital humain, et cela au détriment des salariés les moins qualifiés. Cependant, l'innovation stimule aussi la demande et favorise la croissance des facteurs de production en donnant un avantage aux entreprises exportatrices. Ainsi, si à court terme les gains de productivité jouent immédiatement et négativement sur l'emploi alors que l'accroissement de la demande peut-être plus long à se manifester, à long terme, ces gains conduisent à un enrichissement de la population et à une amélioration substantielle de la qualité de la vie. Pour preuve, remarquons que la hausse de la productivité depuis le début de la première révolution industrielle n'a pas conduit à une montée inexorable du chômage. Aux États-Unis, le développement des technologies de l'information s'inscrit parfaitement dans cette perspective.
Nous allons vers une économie fondée sur le savoir et les nouvelles technologies de l'information. Ce mouvement se traduit par des transformations structurelles (croissance des services, des industries de hautes technologies) et une recherche constante de qualité et de différenciation. Il repose sur la diffusion du savoir et son acquisition : investissements immatériels en R&D ou en actifs innovants, amélioration du capital humain par la formation. L'essor des technologies de l'Internet, après celle des client-serveurs, accélère la vitesse de diffusion du savoir et le met à la disposition de tous. Ces technologies agissent à tous les niveaux, de l'État aux particuliers en passant par les entreprises. L'État, les collectivités publiques ou les organismes publics y gagnent en efficacité dans le traitement des informations, mais peuvent surtout accroître la transparence et l'accessibilité de ces informations vis-à-vis des citoyens.
Les entreprises intègrent de plus en plus dans leurs systèmes informatiques leurs fournisseurs et leurs clients (supply chain management, customer relationship management) pour gagner en réactivité, en différenciation et, in fine, offrir des produits ou services améliorés et moins coûteux. Les grandes entreprises, soumises à une concurrence mondiale de plus en plus forte et handicapées par leurs frais de structure importants, encouragent le changement. Mais les petites et moyennes entreprises peuvent aussi se lancer dans cette mutation, et cela à un double titre. Premièrement, les entreprises les plus innovantes en matière de nouvelles technologies ont été le plus souvent les petites entreprises. Le modèle des start-ups, qui repose sur le triplé gagnant innovation technologique, entrepreneurs motivés et financement assuré par des fonds de capital-risque, a permis le lancement fulgurant de sociétés comme Yahoo !, Amazone.com ou Netscape. Deuxièmement, l'essor d'Internet permet, avec une stratégie adéquate, aux petites et moyennes entreprises d'atteindre plus facilement de nombreux marchés autrefois difficiles d'accès car géographiquement éloignés.
Les particuliers ne sont pas en reste ! Ils bénéficient déjà indirectement des technologies de l'information à travers les progrès réalisés par l'État et les entreprises. Mais ils en ressentent aussi directement les effets dans leur façon de communiquer (avec les téléphones portables, le courrier électronique) et dans leur manière d'acheter (avec le commerce électronique).
Les leaders politiques et économiques ont leur rôle à jouer
Les politiques publiques doivent prendre en considération la rigidité et les risques des grands projets trop souvent caractérisés par la concentration des moyens, l'unidirectionnalité de leurs effets et des succès certes techniques, mais rarement commerciaux. Il s'agit de favoriser la multiplication des projets, le partage des coûts et des risques, la confrontation avec le marché et l'adaptation aux besoins. Il nous faut promouvoir pour cela l'esprit d'entreprendre, les fonds d'amorçage, la diffusion (autour des partenariats et des centres techniques) et la réception de l'innovation par tous les agents économiques de la société (entreprises, salariés et consommateurs, État).
Les décisions de Bercy en 1998 et 1999 de mettre en place un observatoire pour mesurer l'impact des nouvelles technologies de l'information et des communications, de créer des bons de créateurs d'entreprises, d'aider au financement des start-ups et de modifier l'environnement législatif qui entoure Internet (cryptage, signature électronique) vont dans ce sens. Le plan d'action du Conseil européen à l'industrie du 29 avril 1999 sur la promotion de l'esprit d'entreprise et la compétitivité met lui aussi en avant la nécessité d'aider à aiguiller des capitaux et à diffuser l'innovation vers les petites et moyennes entreprises.
Les leaders économiques ne doivent pas être et ne sont d'ailleurs pas en reste. Des sociétés comme Vivendi, Ppr ou Lvmh financent des sociétés de capital-risque et de capital-développement dans les secteurs de la télécommunication, d'Internet et du commerce électronique. Cependant, comme le montre une étude du cabinet de conseil en stratégie AtKearney sur les préoccupations des P.-d.g., l'Europe affiche un certain retard par rapport aux États-Unis. Les patrons européens cherchent à utiliser l'informatique pour se rapprocher de leurs clients et leur offrir une meilleure qualité de service alors que leurs homologues américains ont dépassé ce stade. Ces derniers veulent surtout intégrer les différentes technologies et en faire un support de leur stratégie d'entreprise (autour de la distribution, de l'approvisionnement, du paiement, de la fidélisation des clients...) pour créer un modèle économique plus performant !
Le principal message est que nous devons prendre conscience de l'intérêt des nouvelles technologies, particulièrement celles de l'information et des télécommunications. Comme l'a récemment souligné l'ancien ministre français des Finances D. Strauss-Kahn à la réunion annuelle des ministres de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (Ocde) du 26 mai 1999, nous avons la possibilité d'entrer dans une " nouvelle dynamique de croissance non-inflationniste ". Il s'agit de nous donner les moyens d'aborder le XXe siècle en ayant une vision claire de la société dans laquelle nous voulons évoluer et d'avoir le courage d'affronter ces changements sans craindre de n'en subir que les aspects négatifs. Les travaux d'un groupe de jeunes patrons européens publiés lors du dernier World Economic Forum de Davos mettent l'accent sur la nécessité d'aller encore plus loin pour définir l'Europe des 50 prochaines années . L'objectif prioritaire est d'atteindre une société équitable, harmonieuse et en croissance durable ; objectif que les nouvelles technologies de l'information pourraient sans doute nous aider à atteindre plus rapidement.
y. st.
Bibliographie
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11Encadré
Surtitre : Jean-Paul II (corps 12)
Titre : Globalisation économique : rester vigilants (corps 11)
Sous-titre :
Discours aux professeurs et aux étudiants de l'université " Luigi Bocconi " de Milan
1. [...] La science et l'activité économiques doivent aujourd'hui se confronter et au processus d'intégration européenne, toujours plus avancé en particulier à cause de l'introduction de la monnaie unique, et au phénomène plus large de la globalisation. Ces deux réalités intimement liées requièrent d'être correctement interprétées, assumées de façon critique et adéquatement gérées. Voici un défi qui interpelle chacun, mais qui réclame un soin plus particulier de la part des économistes.
Les risques de l'euro
2. Comme il l'a été relevé au cours de la IIe assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques, tenue récemment, l'introduction de la monnaie unique européenne, d'une part se révèle porteuse de grands espoirs (opportunità) en donnant une plus grande stabilité à l'Europe et à son développement économique, et en provoquant un saut qualitatif dans la convivialité (convivenza) à l'intérieur du continent européen ; d'autre part, cependant, elle n'est pas sans risques en tant qu'elle pourrait favoriser l'hégémonie de la finance et de la logique du marché au détriment des aspects sociaux et culturels.
On peut faire des considérations analogues au sujet du phénomène complexe de la globalisation. Il y a indubitablement des éléments positifs et des espoirs (opportunità), surtout en ce qui concerne tant l'efficience et l'accroissement de la production que le processus d'interdépendance et d'unité entre les peuples. Mais, en même temps, cependant, on ne peut pas sous-évaluer les risques qui résultent du fait que le phénomène de la globalisation, étant souvent gouverné seulement ou principalement par des logiques de type mercantile au profit et à l'avantage des puissants, peut être porteur d'inégalités, d'injustices et d'exclusion.
3. Il est donc d'autant plus important de rester vigilant et de tout mettre en œuvre pour que se développent les potentialités inscrites dans ces phénomènes et pour que soient toujours plus contrôlés et neutralisés les risques qui y sont malgré tout liés et qui, malheureusement, semblent souvent dominer. Face à cette tâche importante, grande est la responsabilité de ceux qui se consacrent à la recherche et à l'étude : ils peuvent et doivent en effet poser les bases scientifiques d'une activité économique qui créera des perspectives durables de croissance et d'emploi.
Les exigences propres de la politique
Pour que tout ceci, de simple projet puisse devenir réalité, il convient d'interpréter et d'organiser l'économie en en reconnaissant les valeurs et les limites. L'activité économique, en effet, du fait qu'elle est un aspect et une dimension essentielle de l'activité humaine, est non seulement nécessaire mais peut être aussi source de fraternité et signe de la Providence. C'est dans cette optique que l'encyclique Centesimus annus a affirmé la positivité d'un " système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l'entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qui en découle pour les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur de l'économie " (n° 42).
4. Il est nécessaire d'harmoniser les exigences de l'économie à celles de l'éthique. À un niveau plus profond et plus radical, il est urgent et nécessaire de reconnaître, de protéger et de promouvoir le primat indiscutable de la personne humaine. Une économie véritablement digne de ce nom doit être établie et réalisée dans le respect de la totalité des valeurs et des exigences de chaque personne humaine singulière et dans la perspective de la solidarité. En ce sens, comme je l'ai déjà plusieurs fois rappelé, il devient urgent d'agir afin que l'économie, même en sa légitime autonomie, s'accorde aux exigences propres de la politique, elle-même essentiellement ordonnée au bien commun. Ceci entraîne aussi la recherche des instruments juridiques adaptés à un " gouvernement " supranational effectif de l'économie : à une communauté économique internationale doit pouvoir correspondre une société civile internationale, capable d'exprimer des formes de subjectivité économique et politique orientées vers la solidarité et la recherche du bien commun en une vision toujours plus large, jusqu'à embrasser le monde entier.
Jean-Paul II, 20 novembre 1999
Traduction Éric Iborra. corps=10