Article rédigé par , le 11 septembre 2008
Amartya Sen , prix Nobel d'économie en 1998, réunit dans cet ouvrage l'essentiel de ses travaux. L'idée principale, qu'il y expose et qui lui a valu le prix Nobel, est que le développement ne correspond pas à une augmentation des richesses mais à l'accroissement du niveau de liberté auquel peuvent accéder les individus.
Cet ouvrage élargit le débat sur le développement. L'auteur est à la fois économiste et philosophe. Il discute longuement les concepts les plus abstraits de Rawls, Nozic, etc. Son écriture reste pourtant claire. Il se réfère toujours à des situations concrètes.Amartya Sen part d'un constat simple : la croissance du PIB par tête ne peut constituer un indicateur du bien-être. Par exemple, en terme de revenu, les Noirs américains dépassent de loin les habitants du Kerala en Inde, une des régions les plus pauvres du monde. Cette richesse ne leur permet pourtant pas d'atteindre une espérance de vie équivalente à celle de ces Indiens. L'exemple montre que la question du bien-être ne se réduit pas à celle du PIB.Pour remettre l'économie sur ses pieds, Sen développe une idée forte : les libertés, et non la richesse, sont le but du développement (le titre anglais du livre est d'ailleurs Development as Freedom).L'économiste Bengali ne parle pourtant pas des libertés au sens des libertariens " qui oublient au passage d'examiner si certaines populations désavantagées souffrent d'une privation systématique d'opportunités réelles ". La liberté n'est pas pour Sen un droit formel. Il s'agit davantage d'une " capacité " réelle des individus à réaliser leurs choix. Par exemple, la pauvreté doit être appréhendée " comme une privation des capacités élémentaires ". Son analyse, désormais classique, des famines illustre cette affirmation. Il n'est pas rare (comme au Bangladesh en 1974), que des individus soient réduits à la famine alors que les ressources abondent autour d'eux. Si une pénurie de biens alimentaires se déclare, les prix s'envolent, entraînant une famine alors que le pays peut être par ailleurs en croissance économique.L'approche en terme de capacité ou de " possibilités " rejoint une deuxième idée centrale. Les individus, selon Sen, ne doivent pas être les bénéficiaires passifs de droits mais des agents capables de réaliser leurs choix. Le développement est un processus d'" autonomisation " (empowerment) des individus, qui permet de les rendre capable d'orienter leur vie selon leurs aspirations.La démarche de Sen a le mérite de remettre la liberté à se juste place. Paradoxalement pour un auteur " social ", la liberté a pour lui plus d'importance que chez certains économistes néolibéraux. En effet, elle n'a plus seulement une valeur instrumentale au service de l'efficacité dans la production de biens ; elle vaut par elle même. Le concept de liberté est en même temps élargi et approfondi. Sen identifie cinq classes de liberté : libertés politiques, libertés économiques, opportunités sociales (éducation, santé, ...) garanties de transparence et sécurité protectrice. Les idée de Sen exercent une influence certaines sur les politiques du développement. Elles sont en partie à l'origine de la création par les Nations unies de l'indicateur de développement humain (IDH) qui prend en compte, en plus du revenu des données comme l'espérance de vie, le taux de scolarisation des filles, etc. Même si elle donne une part importante à l'abstraction, la démarche de Sen, contribue réellement au renouvellement des approches du développement.YANN CHARETONArticle paru dans "Liberté Politique" N°15
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