Article rédigé par , le 11 septembre 2008
Voici un livre qui a soulevé pas mal de remous à sa parution. On y trouve la signature de quelques grands tenants de l'ouverture au monde et de la sécularisation nécessaire : Jean Delumeau, historien contestable du christianisme médiéval, qui avec le Christianisme va-t-il mourir ? déjà ancien (Hachette, 1977), s'était posé en prophète de la modernisation de l'Église, René Rémond le politologue et l'historien de l'Église contemporaine, Marcel Gauchet, l'inventeur (génial par certains côtés) du " désenchantement du monde ", Danièle Hervieu-Léger sociologue et journaliste et surtout, le père Paul Valadier, le spécialiste de la pensée nietzschéenne et critique sévère du " retour du religieux ".
On est heureux de se trouver en face de ces hommes, même si on pressent qu'on ne sera pas forcément d'accord avec eux, car, dans la médiocrité générale et le consensus mou, ils tranchent par la netteté de leurs convictions et une prise en considération courageuse de la situation historique de l'Église catholique en ce début de XXIe siècle.
L'argumentaire développé jusque là est connu dans ses grandes lignes :
1/ la déchristianisation n'est pas le drame que d'aucuns déplorent : la " chrétienté " de jadis n'était pas si chrétienne que cela, nous vivons certes une mutation de la place du christianisme dans la société mais, dans ce déplacement, d'autres valeurs, jadis occultées et non moins évangéliques, prennent le relais de celles qui constituaient jadis le fond de commerce des Églises ;
2/ il ne sert à rien de prôner un resserrement autour d'un noyau pur et dur du christianisme (son dogme, sa morale, sa liturgie, son principe d'autorité) pour tenter d'enrayer la crise ; cela ne fera que l'aggraver, et on perdra, dans ce repli identitaire, le contact avec la raison commune qui permet à la pensée chrétienne de rejoindre tout homme en quête de sens ;
3/ la croyance en un renouveau spirituel censé venir au secours d'une institution exsangue est une douce illusion, la piété sentimentale et la recherche du merveilleux ne sont que des concessions à une religiosité superficielle qui ne prend pas la mesure du défi plus particulièrement intellectuel jeté à l'Eglise. Par ailleurs, elle risque d'éloigner les chrétiens des tâches urgentes que leur dessine leur foi : l'écologie, le dialogue interreligieux, la construction d'une économie mondiale à visage humain, etc.
La nouveauté de ce livre est que le bel enthousiasme affiché pour la " modernité " (mot vague dont plusieurs auteurs essaient de cerner les contours) laisse place à quelques questions. Le recul de l'influence du christianisme sur la société pourrait n'avoir pas que des avantages, purification certes, rappel à l'humilité d'une Église trop tentée de régenter les consciences, sans doute, mais, à la fin, quand la transmission de la mémoire ne fonctionne plus et que le personnel s'amenuise, on peut se demander s'il y aura encore demain des croyants et des militants pour porter l'annonce évangélique, quelle que soit la façon dont on la conçoive. On est en train de s'aviser que la pérennité de l'Église dans nos sociétés n'est pas assurée automatiquement.
Bien sûr, s'il en est ainsi, pour nos auteurs, c'est de la faute des autres, de l'institution, de la curie romaine, de l'encyclique Humanæ vitæ, de l'absence de démocratie dans l'Église, etc. Jamais ils ne se demandent si la désaffection ne viendrait pas aussi de l'inconsistance de la catéchèse et de la désacralisation de la liturgie, ce que pourtant des études sérieuses ont largement montré. On nous répète que la crise n'est pas propre à l'Église catholique, mais qu'elle atteint tous les groupes fondés sur une appartenance héritée du passé et formée sur une certaine cohérence de pensée et de comportement, c'est vrai, mais la question n'est-elle pas : Comment se fait-il que l'Église n'ait pas eu en elle-même les moyens d'échapper à cette fatalité ? Comme l'écrit le cardinal Lustiger dans sa récente intervention sur l'évangélisation : " Le bouleversement n'explique pas pourquoi notre antique civilisation catholique s'est exténuée elle-même au point d'être aussi fragile que n'importe quel autre aspect de la société à laquelle elle s'était identifiée. "
Devant la modernité, n'y-t-il d'autre échappatoire pour les chrétiens que se soumettre ou se démettre ? Peut-être pas, et c'est là que la réflexion de Paul Valadier dépasse les autres contributions, en osant contester ce qu'il appelle " le nouvel ordre libertaire ". Le monde soi-disant libéré est plus chargé de contraintes que jamais et la raison qui érode toutes les certitudes et conteste tous les absolus se sait elle aussi en crise. Nos auteurs reconnaissent que les croyants ont un rôle à jouer dans cette nouvelle donne, qui n'est pas de se soumettre à leur disparition inéluctable, mais d'offrir le visage d'une " sagesse " inédite et bienfaisante, qui permettrait à l'homme post-moderne de vivre dans un monde sans repaire, sans l'enchaîner aux systèmes du passé.
Il y a peut-être là le pressentiment de ce qui serait vraiment une " nouvelle " évangélisation dont le père Valadier et ses amis ne font qu'entrevoir l'aurore : une sorte de jeunesse du monde qui aurait oublié les fantômes du passé et les luttes séculaires, pour qui l'Église ne serait que la fragile réalisation de la promesse du Christ, et qui entendrait pour la première fois l'appel des Béatitudes...
Nous ne sommes pas loin de lui donner raison. Quand les chrétiens évangélisent, c'est-à-dire qu'ils sortent des sentiers battus et des querelles de pouvoir pour partager leur trésor, il y a soudain un tel souffle de fraîcheur qui passe ! Le monde incroyant, au lieu d'être l'antagoniste dont il faut se protéger à tout prix, apparaît comme ce blessé sur le bord de la route qu'il s'agit d'aider à vivre. Loin de lui reprocher son endurcissement, on voudrait plutôt se " faire anathème " comme saint Paul pour ses frères de race.
Mais peut-on séparer cette ouverture d'un retour à l'essentiel ?
+ Michel Gitton
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