Article rédigé par , le 11 septembre 2008
Quelle est la mission de l'enseignement public ? , se demandait le principal du collège. Nous sommes dans une banlieue archétypique, imaginaire mais ô combien réelle : la Narragonie. Comme dans celles dont nous entendons parler quand les journaux montrent un commissariat en flamme et des voitures désossées, Narragone est un champ de ruines.
L'État de droit y est remplacé depuis longtemps par la juridiction de bandes rivales. Et les gosses de douze ou quinze ans incendient chaque soir des mobylettes volées pour attirer l'attention quand que leurs aînés trafiquent tranquillement un peu plus loin. Comment, ici, peut-on enseigner quelque chose ? Le problème ne réside pas dans la pauvreté. Jusque dans les années quatre-vingt, jamais les pauvres, les enfants d'ouvriers ou d'agriculteurs n'ont à ce point refusé l'enseignement. Non, le problème, c'est qu'ici, en Narragonie, l'adhésion à un idéal social n'existe pas. L'intégration n'est plus un objectif. Parce qu'on peut gagner en une journée de trafic, quatre fois le salaire de ses parents, et environ deux fois celui de ses professeurs. Que sont les aînés dans un tel rapport ? Des minables, des moins que rien. Il y a bien sûr des aînés, mais ce sont les caïds ! Eux, sont les modèles, et plus encore les mafieux du Bronx, et les sportifs qui sont sortis de la banlieue pour s'imposer sur les stades." On n'est pas des balances "Posons à nouveau la question du Principal. Comment se faire accepter ici, nous qui représentons un certain ordre social, au cœur d'un microcosme humain construit sur le refus de l'État ? Réponse apparemment lumineuse : contentons-nous d'enseigner, sans nous occuper des activités " parascolaires " que couvre l'enceinte de l'établissement. Fermons les yeux sur tout ce qui ne nous empêche pas directement d'enseigner. Peut-être qu'au terme de ce contrat implicite, les caïds consentirons à une paix relative. Telle était la réponse du Principal. Sûrement, quelques démagogues et autres syndicalistes l'avaient conforté dans cette attitude, soutenus par une rancune tenace de soixante-huitard n'ayant toujours pas digéré une nuit au poste. Résultat, il fallait être du côté des " jeunes " et surtout contre les " flics " : on n'est pas des " balances ", répétaient en chœur enseignants et surveillants.C'est cette ambiance que va découvrir Marie, l'héroïne de la Chronique de la nef des fous. Marie retourne à l'enseignement après quelques années passées dans l'univers raffiné des compositeurs et des critiques d'art. Le souvenir de leur idéalisme, de leur culte du beau va accompagner ses pas hésitants en Narragonie, servant de contrepoint à la description du néant culturel dans lequel se noie le collège. Dès lors, rien ne la prépare à ce qui l'attend. Surtout pas le Principal, qui ne s'inquiétera jamais réellement du sort de Marie. Comment s'en sortira-t-elle ? Sa pédagogie et sa conception de la citoyenneté peuvent-elles s'intégrer dans une réalité sociale ancrée dans le refus positif de tout ce qui définit la France ? Ce témoignage fait comprendre combien sont fausses les idées, pourtant communément répandues, qui réduisent le fameux " problème des banlieues " à des questions d'effectif et de construction de stades de football. On ne nourrit pas celui qui n'a pas faim. Or en Narragonie comme ailleurs, la culture générale est dans sa forme classique anéantie. Les générations montantes ne parlent pas la même langue. Une seule chose importe : " rejoindre l'enfant là où il en est " au point de le laisser croupir là où il se trouve. Dans les banlieues, cela prend la forme d'une acceptation de la délinquance et du multiculturalisme. Ailleurs, c'est l'acceptation de l'illettrisme planifié dans les écoles maternelles (voir Liliane Lurçat, la Destruction de l'enseignement élémentaire, éd. F.-X. de Guibert).La pédagogie du métissageComment expliquer cette politique hallucinante ? Y a-t-il un point commun entre des réalités aussi diverses que l'explosion des banlieues, la nullité de l'éducation nationale et plus généralement la faillite du principe social ? Oui, car ce fait trouve sa cause dans le principe selon lequel sont " gérées " toutes les situations nécessitant une décision politique. Voici ce principe : au lieu de décider ce que doit devenir le corps social, on se contente d'organiser une réalité à laquelle, dès le départ on avoue ne rien pouvoir changer. On donne systématiquement un droit au fait. Cela permet de prétendre à une absolue neutralité idéologique — neutralité qui évidemment n'existe pas, on va le voir : la neutralité du gestionnaire.La cause générale de notre faillite sociale, c'est en somme de définir l'action à partir du principe d'identité : ce qui est est et il faut faire avec. Ainsi, la délinquance règne dans les banlieues. Que faire ? Réponse du Principal de Narragonie : faisons avec, en espérant que cet arrangement nous permette de survivre. Autre réalité : la maîtrise du français (et notamment à l'écrit) est en net recul. Même réponse : adoptons notre pédagogie à cette baisse de niveau. Nul n'ira remettre en cause les innovations pédagogiques catastrophiques qui sévissent depuis vingt ans. Resterait à mettre à jour l'arrière-pensée qui se cache derrière cette politique apparemment démissionnaire. Pourquoi appliquer le principe d'identité à certains faits plutôt qu'à d'autres ? Les banlieues sont aujourd'hui, en plus de la délinquance qui y règne, une zone d'expérimentation culturelle, un laboratoire sociologique où apparaissent des expressions artistiques et sociales nouvelles que l'on s'empresse d'ériger en modèle pour toute une génération : le rap et le verlan ne sont pas les symptômes d'un malaise localisé, ils deviennent le signe de ralliement de toute une jeunesse. La non intégration des banlieues est, pour la France entière, une cause positive de métissage. Souvenons-nous du slogan : " La France, c'est comme une mobylette, ça marche au mélange. " Leitmotiv du show biz ! Et si nous comprenions enfin que ce " mélange " n'est pas une conséquence mais un but ? Parlant de la Serbie (sur CNN), le général (américain) Westley Clark annonçait : " Il n'est plus concevable aujourd'hui qu'il existe en Europe, des peuples non métissés. " Dans le processus de l'universel métissage des cultures, des langues et des religions, l'Éducation nationale joue un rôle double. D'une part, elle participe à une non intégration qui est positivement " métissante ". D'autre part, elle organise la déroute dans l'enseignement de la culture française qui devient ainsi un matériau à métisser. Une question se pose alors : l'Enseignement catholique offre-t-il une véritable alternative à cette déroute du public ? Affaire à suivre.PIERRE LABROUSSEArticle paru dans "Liberté Politique" N°2
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