Article rédigé par , le 11 septembre 2008
S'efforçant de dépasser les idées simples sur une Russie compliquée, le Défi russe de Victor Loupan présente une analyse " de l'intérieur " des grandes facettes de la politique et de la société russes contemporaines.
Journaliste originaire de l'ex-URSS, l'auteur s'attache à décrypter les grands problèmes russes d'aujourd'hui : stabilisation de la vie publique, réforme de l'armée, politique caucasienne, crise sociale, mutation économique... La matière traitée est vaste. Deux thèmes retiennent l'attention : la politique étrangère et le rôle de l'orthodoxie.Selon Victor Loupan, " le problème fondamental qui se pose actuellement à la diplomatie russe est celui de la définition des principes et des priorités ", après une période de recul sur la scène internationale. Plusieurs axes peuvent cependant être esquissés, quoiqu'avec prudence, compte tenu de l'obligation de réserve des diplomates russes. L'auteur explique que certains stratèges russes envisageraient la création d'un espace regroupant les nations orthodoxes. Cette union " post-byzantine " inclurait la Russie, la Biélorussie, l'Ukraine, la Bulgarie, la Moldavie et la Roumanie, mais aussi la Géorgie, la Serbie, l'Arménie et ... la Grèce (pourtant membre de l'OTAN). Soudée par des références religieuses communes, cette zone pourrait devenir " une puissance commerciale maritime que ses gigantesques ressources naturelles, énergétiques et humaines rendraient à la fois invincible et pleine de perspectives de développement " (p. 185). En faveur de la réalisation d'un tel projet, militeraient les " mauvais traitements " dont seraient victimes certains pays orthodoxes (investissements occidentaux plus faibles en Roumanie et en Bulgarie qu'en Pologne, Hongrie ou République tchèque ; guerre de l'OTAN contre la Serbie...).D'autre part, la Russie envisagerait à plus long terme " l'établissement de relations privilégiées avec les grands pays qui ne cherchent pas la domination mondiale et dont les relations internationales ne sont pas régies par les manœuvres d'accaparement " (p. 187).Outre le MID, le ministère russe des Affaires étrangères, Victor Loupan ausculte également l'Église orthodoxe et l'influence que celle-ci exerce. Bien que " divisée au sommet de sa hiérarchie entre modernistes et conservateurs, entre affairistes et pieux ", cette Église apparaît aujourd'hui en pleine renaissance. Elle se livre à une vive critique de la modernité occidentale, thème qui rencontre un certain écho dans la population. Pus largement, l'Église russe semble développer des relations de confiance avec le peuple. Elle se trouve de surcroît en synergie avec le pouvoir temporel, comme le montre le soutien qu'elle accorde à l'intervention fédérale en Tchétchénie. Cette convergence entre autorités spirituelles et politiques constitue, selon Victor Loupan, " la grande nouveauté de la vie politique russe ". Les relations cordiales entre l'orthodoxie russe et Vladimir Poutine, qui se déclare chrétien, devraient perdurer, " aussi longtemps du moins que ce dernier fera du recouvrement par la Russie de sa grandeur passée, une priorité, et des principes moraux, un instrument d'assainissement du pouvoir central " (p. 155).Victor Loupan livre une radiographie de la Russie actuelle d'autant plus vivante qu'elle s'appuie sur de multiples entretiens avec des acteurs importants et qu'elle accorde une place prépondérante au point de vue russe. On peut toutefois s'interroger sur certaines thèses défendues par l'auteur. En matière historique, il paraît discutable de présenter le sac de Constantinople en 1204 par les croisés latins comme la cause directe de la chute de l'empire byzantin en 1453 (p. 121). Quoique classique chez une certaine historiographie orthodoxe, cette thèse est peu convaincante dans la mesure où près de 250 années séparent les deux événements et où l'empire byzantin souffrait de facteurs endogènes de fragilisation. Sur un autre registre, la présentation faite de l'actuel président russe comme un chrétien et un démocrate convaincu paraît excessivement favorable si l'on songe au passé de Vladimir Poutine (ancien responsable du FSB, l'un des services secrets russes) et aux méthodes employées dans la guerre de Tchétchénie.ARNAUD LIZE
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