Article rédigé par , le 11 septembre 2008
Le dernier essai de Dominique Schnapper tente de montrer l'ambiguïté, la fragilité mais également la richesse de la notion de citoyenneté. Le succès que connaît le mot " citoyen " a conduit à une dilution de son sens (" On parle sans sourire de rencontre citoyenne, d'action citoyenne, ou même de café citoyen ").
Or, pour l'auteur, le citoyen est tout simplement " le sujet abstrait des droits civils et politiques ". La citoyenneté est également un principe qui fonde les société " modernes ". Elle repose sur l'idée que, par delà les différences entre les individus concrets, il est possible de " fabriquer " une communauté politique transcendant les particularismes. La communauté ainsi créée rassemble des citoyens juridiquement et politiquement égaux. Les institutions liées à la citoyenneté (école, conscription, État-providence etc.) sont chargées de faire naître le lien social et d'intégrer les nouveaux membres.La fiction sur laquelle repose cette idée a historiquement donné lieu à une double critique. Les marxistes mettent en cause le caractère formel de la citoyenneté. Pour eux, l'égalité juridique masque les inégalités économiques flagrantes. La pensée contre-révolutionnaire, quant à elle, s'insurge contre la volonté de reconstruire rationnellement une communauté. En effet, il est illusoire et même dangereux de faire tabula rasa des conditions réelles de la vie des hommes dans des sociétés déjà constituées. Ces critiques trouvent un écho dans des problèmes actuels. Par exemple, le débat sur la discrimination positive (la politique des " quotas ") aux États-Unis naît de la tension entre égalité juridique et inégalités réelles, caractéristique des sociétés fondées sur la citoyenneté. À ces difficultés interne à la notion, viennent s'ajouter des chocs " externes ". Le premier facteur de crise identifié par Dominique Schnapper touche la nation, cadre traditionnel de la citoyenneté. La construction de l'Europe politique et plus généralement l'affaiblissement du sentiment national sapent le socle sur lequel repose la société de citoyens. Dès lors, comment imaginer les relations entre la citoyenneté nationale et une forme de citoyenneté européenne ou même universelle ? Y a-t-il une différence de nature entre ces deux dimensions ? Le deuxième choc est causé par la " diversification " croissante des sociétés occidentales. L'ouverture des frontières des pays développés a conduit à l'apparition de minorités importantes. Or ces groupes demandent de plus en plus la reconnaissance de leur spécificité culturelle. Leurs revendications sont relayées par les philosophes américains " communautariens " (par ex. M. Sandel, C. Taylor, etc.). Ces penseurs soutiennent en substance que les hommes ne peuvent pas être considérés dans la sphère politique comme des citoyens abstraits. Ils sont porteurs d'une culture qui doit être reconnue. Cependant, Dominique Schnapper montre que la reconnaissance publique des identités culturelles pose le problème de l'unité de la communauté politique. Une diversification des statuts, qui jusqu'ici se résumait à la citoyenneté, pourrait entraîner une implosion de la société.Au delà de ces difficultés D. Schnapper insiste sur la nécessité de maintenir vivante la citoyenneté : " Comme toutes les inventions de l'homme qui font appel à la raison plutôt qu'au passions, elle est essentiellement fragile. C'est qu'elle affirme contre toute expérience l'égalité civile juridique et politique d'individus divers et inégaux. " Le langage de D. Schnapper est simple et clair. Sa démonstration est concise, ce qui lui permet d'inclure dans son essai de nombreux documents (déclarations de droits, articles, etc.). Au delà du sujet traité, il constitue une bonne introduction aux débats sur les démocraties modernes.Y. CH.
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