Article rédigé par , le 11 septembre 2008
Notre époque est ingrate. Oublieuse et méprisante à l'égard du passé, convaincue de sa supériorité, elle pense avoir le dernier mot de l'histoire.Dans son essai, Alain Finkielkraut tente de réhabiliter le conservatisme, une idée honnie par la modernité qui ne jure que par le changement, à tel point qu'elle a fait du changement une tradition.
Il parle de "l'art d'hériter", de ce contact avec le passé essentiel à la compréhension du monde et que nient les valeurs contemporaines de démocratie et d'égalitarisme radicaux, le tout-est-pareil, tout-se-vaut auquel notre époque adhère.Le philosophe y évoque le sort des petites nations d'Europe, la question israélienne, l'école, la langue et ce qu'il advient de la mémoire lorsqu'elle n'est plus habitée par les grandes oeuvres du passé. Concevant la culture comme une conversation entre les vivants et les morts, il éclaire ces questions par une analyse dépourvue de toute compromission avec l'idéologie de la tolérance et du démocratisme.Quelques morceaux choisis :"Nous ne disons pas que notre époque est paradisiaque mais nous disons que nous savons mieux que toutes les périodes antérieures caractériser le mal. Quand nous convoquons le passé, c'est le plus souvent pour mettre l'accent sur ses lacunes, ses préjugés, ses crimes et ses tares. Nous nous enchantons de combattre toutes les formes d'ethnocentrisme mais nous succombons à sa modalité la plus bête, qui est précisément l'ethnocentrisme de l'actuel.""Je ne plaide pas pour la supériorité des périodes antérieures par rapport à la nôtre; je m'interroge sur notre rapport au passé, explique-t-il. Je constate que notre mémoire étant exclusivement accaparée par les crimes, il n'y a pas de place en nous pour l'humilité suffisante, pour les oeuvres. Les oeuvres demandent un peu d'humilité pour être reçues. Si nous pensons tout savoir, nous n'avons pas besoin de lire; or nous pensons tout savoir, donc nous ne lisons pas ou nous lisons mal.""Je ne me rabats pas sur le passé; je pense en termes de liens. Je pense aussi que des oeuvres présentes sont menacées. Les classiques et les modernes sont dans le même sac aujourd'hui. Ce qui me fait peur, c'est l'incapacité d'admirer caractéristique de l'égalitarisme radical.""La tolérance dont nous nous enorgueillissons, que nous applaudissons tous les jours, ce respect égal pour toutes les formes de vie et tous les individus, ce respect s'oppose en apparence au mépris, à l'exclusion, mais en fait, son ennemi intime, c'est aussi l'admiration. Je m'interroge sur la place du ressentiment dans notre société; je me demande si nos démocraties ne sont pas entrées dans l'âge du ressentiment, comme l'avait prévu Nietzsche.""Toutes les nations sont fondées à la fois sur la mémoire et sur l'oubli, répond Alain Finkielkraut. Le prix de la paix civile, souvent, c'est l'oubli. L'amnistie exige en tout cas une certaine forme d'amnésie: il faut tourner la page. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, je ne suis pas absolument sûr que l'arrestation et l'extradition du général Pinochet soit vraiment une idée géniale. Nous ne pouvons pas choisir à la place du Chili son propre destin. Si le Chili a décidé que la transition démocratique ne pouvait s'opérer que dans l'oubli, c'est son droit, et nulle instance n'est habilitée à lui refuser ce droit.""Donc, quand je plaide pour un rapport plus riche avec le passé, ce n'est pas du tout au nom du devoir de mémoire. C'est avec l'idée que le crime ne devrait pas exercer un monopole absolu sur notre mémoire. Il y a une mémoire incriminatrice, certes, mais il y a aussi toutes sortes de mémoires. Il y a la dette que nous avons contractée envers des institutions qui nous ont permis d'être ce que nous sommes. C'est de cette dette-là que je parle."Damien Theillier
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