Article rédigé par , le 11 septembre 2008
Les possibles évolutions du régime sous lequel vit la France ne peuvent être indifférentes à toute réflexion politique ouverte. Il y a vingt ans, il n'eût guère paru sérieux d'envisager la " question du régime " : un retour du roi en France ? et pourquoi pas un acteur de série B à la Maison Blanche ? En 2001, devant la déliquescence des institutions et la dérive d'une République de plus en plus corrompue, quand sept des quinze pays de la Communauté européenne sont des monarchies, les chances d'un arbitre héréditaire sont-elles plus grandes qu'en 1981 ? L'examen de l'hypothèse ne fait certainement pas partie des priorités absolues, mais pourquoi pas, en effet, se poser la question ? En théorie, celle-ci renvoie au problème de la légitimité politique, mais cela nous entraînerait trop loin.
Simplifions en posant qu'il n'y a pas de légitimité sans service rendu et que les services rendus par une famille dynastique peuvent ouvrir un droit. Ce faisant, la question de la monarchie en France se double-t-elle d'une question dynastique ? C'est ce que se demandait l'historien Marie-Madeleine Martin, dans le livre que François-Xavier de Guibert vient de republier, vingt ans après sa première édition : les Français auront-ils un roi espagnol ?En 1981, soucieuse de l'audience que prenait en France Alfonso duc de Cadix, du fait de ses talents personnels et de ses partisans " légitimistes " ou " blancs d'Espagne ", Marie-Madeleine Martin avait conçu un petit livre hérissé de citations, de notes, de caractères gras, d'italiques et de majuscules, pour défendre la légitimité des princes d'Orléans (dits de Bourbon-Orléans), contre les prétentions du descendant de Philippe V d'Espagne. L'ouvrage documenté se fondait sur deux arguments auxquels l'auteur accordait une inégale importance : les renonciations de 1712, sanctionnées par le traité d'Utrecht, et le " vice de pérégrinité ", insuffisamment développé. Le vice de pérégrinitéSa thèse est la suivante : la " pérégrinité " ou qualité d'étranger " vicie " la prétention des princes espagnols. Suivait une proclamation quasi incantatoire des espoirs que la France devait mettre dans l'avènement du comte de Paris, alors âgé de soixante-treize ans ou de l'un de ses petits-fils. Le tout était précédé d'un tableau historique fort imagé du développement des nations sœurs, française et espagnole, dont il était aisé de conclure qu'il s'agissait de deux civilisations différentes. Le comte de Paris n'avait pas réagi. La " question espagnole ", pour lui, n'existait pas. Même cause, même effet, aujourd'hui : on parle de Luis-Alfonso, duc de Cadix, certains lui donnent du duc d'Anjou, voire du Louis XX ; on n'entend guère les princes de Bourbon-Orléans qui, depuis 1883, prétendent à la Couronne du chef de Louis XIII, après l'extinction de la branche aînée, issue de Louis XIV. François-Xavier de Guibert a estimé qu'il devait donner une seconde chance au livre de Marie-Madeleine Martin, mais qu'il fallait l'amender. Il confia le travail à Xavier Walter, auteur chez lui de Conversations avec Henri comte de Paris pour un testament politique, et certes peu suspect de légitimisme " espagnol ".Xavier Walter a peigné le texte qui devient clair, et renversé la disposition du livre, présentant à la fin le parallèle entre les deux civilisations française et espagnole. Il insiste, dans une introduction et un chapitre inséré dans le cours du livre, sur le " vice de pérégrinité ", montrant que la " qualité d'étranger " s'applique immédiatement au prince qui, né français, passe au service d'un autre peuple, réside chez celui-ci et assume ses intérêts. Il y a des précédents à la renonciation de Philippe V : ainsi, parlant de Louis d'Anjou, issu de Jean II, Juvénal des Ursins écrit-il Louis, roi de Sicile, jadis fils du roi de France. S'ensuit que dès l'instant où Louis XIV désigna son petit-fils Philippe, devant la Cour, disant : " Messieurs, voici le roi d'Espagne ", celui-ci cessait d'être prince français et dynaste en France ; que ses descendants régnant et résidant en Espagne au cours des siècles suivants — le jeune duc de Cadix réside toujours de son plein gré en Espagne — ne sauraient être des princes français.La présente édition souligne le lien direct qu'il convient d'établir entre " vice de pérégrinité " et loi salique. Le danger que l'époux d'une princesse française, reine de plein droit, la détourne de ses devoirs régaliens envers ses sujets français au bénéfice d'intérêts " pérégrins " — " Ton pays sera mon pays " —, fonda la règle de dévolution de la couronne par primogéniture et par les mâles — dès avant l'instauration formelle de la loi, en 1316. La communion du rex francorum avec son peuple, condition de la stabilité du pays par la continuité dynastique, procède de la communauté des usages, mais participe aussi de l'amour. Un prince issu d'une civilisation " allogène " peut-il connaître cette communion ? A priori, non, et un prince espagnol ne saurait être rex francorum. Le livre s'achève sur une invitation (ou un vœu ?) : dans la perspective de l'instauration d'une monarchie moderne, que les d'Orléans se fassent connaître et aimer ; et sur une mise en garde : droit et communauté des usages ne suffiront jamais à créer la communion des cœurs, et rien n'interdit à un " pérégrin " de la conquérir. C'est toute la question de la légitimité qui est ainsi reposée.YVES RENCOURTArticle paru dans "Liberté Politique" N°15
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