Article rédigé par , le 11 septembre 2008
La Nouvelle histoire militaire de la France constitue sans doute un des meilleurs ouvrages de référence publié ces dernières années. Ses quelques huit cent pages exposent, en vingt-trois chapitres tous introduits par de synthétiques et utiles résumés, les guerres, mais aussi les défis de tous genres qu'ont connus les armées françaises au cours des cent trente dernières années.
Quatre-vingt cartes très claires aident le lecteur à acquérir l'indispensable sens de l'espace sans lequel l'intelligence stratégique n'est rien. Il n'est pas une seule phase de notre histoire militaire sur laquelle le livre de William Servan et Jean-Paul Bertaud n'apporte d'intéressants compléments d'information, même pour le spécialiste. Aussi bien, la culture historique et la prospective y trouvent leur compte. Cette histoire adopte délibérément le bon ton pédagogique. L'ordre des événements est chronologique, les continuités et les ruptures sont bien mises en perspective. Les deux constantes de notre histoire militaire que constituent le contrôle et la défense du territoire national d'une part et ce que nous appelons aujourd'hui les " projections " d'autre part (les opérations extérieures), sont bien distinguées. Mais malgré une présentation très classique l'œuvre reste originale. En premier lieu elle cherche à constituer " une histoire globale ". Entendons par là qu'elle ne se limite pas à des aspects purement militaires, avec récits des guerres, campagnes et batailles, mais qu'elle accorde une assez large place aux mouvements d'opinion et aux croyances, aux organisations politiques, plus généralement à l'état social et aux relations économiques, aux problèmes budgétaires, règlements, statuts, et bien entendu à la situation des militaires dans la nation. Un regret : la faible importance donnée aux problèmes de renseignement. Un bon point : l'intégration des tous derniers travaux de recherche historique menées ar les meilleurs spécialistes. L'orientation bibliographique, qui comporte 14 pages, sera utile pour le lecteur qui veut approfondir ou recouper certains des sujets abordés. Mais la précision universitaire ne nuit pas au plaisir de la lecture. Une grande place est laissée aux acteurs historiques, et pas seulement aux gradés notoirement connus. Ces acteurs anonymes que l'on retrouve dans toutes les familles de France, tombèrent sur des champs de bataille répartis sur tous les continents. Pour la plupart hommes jeunes et inconnus, ils furent nombreux à mourir dans d'obscurs hôpitaux de campagne ou " de l'arrière ", dans des tranchées ou dans la brousse. Cette peinture du soldat en guerre au quotidien est très convaincante. Tout comme les problèmes de discipline, de trahisons, de punitions qui constituent souvent la trame des servitudes militaires. Les rappeler ne masque en rien la réalité de l'héroïsme ni le sacrifice des morts des armées françaises, qui forcent le respect. Serman et Bertaud donnent des chiffres qui parlent d'eux-mêmes : les effectifs en période de guerre totale, comme durant la campagne de Russie ou la Grande Guerre sont effarantes. Sait-on, par exemple, que les effectifs des armées en Vendée sont comparables aux troupes mobilisées en Algérie ou en Indochine durant les guerres coloniales ?Habilement composée, la présentation chronologique des faits met bien en évidence des problèmes généraux et récurrents posés par l'histoire militaire de la France. Première question, essentielle en France, celle du rapport entre pouvoir civil et pouvoir militaire. Il est astucieusement traité, de manière indirecte, à travers la description que donnent les auteurs des rapports entre les organes de presse et l'opinion publique. Deuxième question, l'adaptation des armées aux contraintes budgétaires et aux données techniques du moment ; une mine de chiffres et de renseignements actualisés sont proposés. Troisième difficulté, la complémentarité entre l'élément professionnel des armées, avec ses ombres et ses lumières — qui ne sont ni les unes ni les autres occultées —, et les besoins de force vives continuellement fournies par la nation. L'impression dominante laissée par l'analyse historique des auteurs est la nécessité de l'équilibre : le cadre professionnel donne à l'ensemble sa continuité et ses règles du jeu, mais aussi sa sclérose alors que la conscription apporte un sang neuf et la fraîcheur d'une continuelle remise en question. Le dernier problème des armées françaises, enfin, tient aux causes des ruptures qui périodiquement ont entraîné l'effondrement des appareils de défense. Pour la seule période couverte par l'ouvrage, on assiste à trois échecs retentissants : celui du magnifique outil militaire mis au point par Louis XVI (et notamment de son artillerie et de sa marine), celui de la Grande Armée et celui du Second Empire après le désastre de Sedan. En 130 ans, cela fait tout de même beaucoup. Surtout, et c'est là l'essentiel, l'histoire militaire montre que ces désastres tiennent autant à la performance des appareils ennemis qu'aux vices structurels de nos armées. Un bon sujet de méditation qu'on espère traité plus à fond dans le prochain tome à paraître. On dit que la France a toujours été très douée pour préparer la guerre précédente. Or le dernier conflit — la guerre du Golfe — a consisté à déplacer deux divisions intégrées dans une coalition contrôlée de l'extérieur. L'armée professionnelle qui se met en place n'est-elle pas uniquement en mesure de répondre à ce type de conflit ? Subsidiairement, pense-t-on qu'avec sept régiments et trois bataillons d'infanterie métropolitaine, il soit possible de protéger les éléments techniques des armées et de contrôler l'espace national ? Plus subsidiairement encore, le concept même de défense nationale peut-il perdurer alors que l'armée paraît désormais exclusivement consacrée à des opérations extérieures ? Des questions sur lesquelles les historiens ont leur mot à dire.RAMU DE BELLESCIZE Article paru dans "Liberté Politique" N°7
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