Article rédigé par , le 30 janvier 2009
CORYPHEE d'un chœur où beaucoup manquent à l'appel – 96 % des enfants trisomiques dépistés sont systématiquement éliminés – , Jean-Marie Le Méné signe un texte fulgurant qui bouleverse nos consciences assoupies. Le décor nous semble bien connu : le retournement de la découverte géniale de la trisomie 21 par le professeur Jérôme Lejeune contre les enfants porteurs du chromosome surnuméraire.
Mais d'où provient le sentiment de nous trouver devant un ouvrage capital alors que nous pensions déjà connaître les tenants et les aboutissants du drame qui se joue devant nous, au moins dans ses grandes lignes ?
C'est que l'auteur, avec les armes de la raison, fait tomber nombre de masques grimaçants : il démonte méthodiquement les ressorts d'un système eugéniste impitoyable qui s'appuie tout à la fois sur des croyances collectives irrationnelles et une organisation technocratique imposée froidement par la puissance publique. Avec au bout la destruction sacrificielle d'un groupe d'êtres humains dont nous ne soupçonnions pas l'ampleur. La machine du dépistage généralisé, démontre l'auteur, est fondée sur le fait qu'il est plus rentable de supprimer avant la naissance des personnes handicapées plutôt que de les laisser vivre (p. 61). Or, cet objectif n'a de sens que parce que l'Etat fait l'hypothèse que l'avortement sera la solution individuelle et collective consciencieusement appliquée.
L'ordre établi est tellement implacable que le fait même d'en révéler les mécanismes secrets recèle une force explosive immense. Cette force, c'est celle de l'indignation morale – n'est-ce pas la vocation de la tragédie antique que de nous la faire éprouver pour nous dire quelque chose d'essentiel sur nous-mêmes ? – qui nous saisit à la lecture de La trisomie 21 est une tragédie grecque. En nous indignant du mal dont il parvient à nous faire éprouver toute la perversité, le président de la Fondation Lejeune nous rend le pouvoir de nous incliner devant la dignité intangible de tout être humain. Ce qu'il fait magistralement au fil des pages avec des considérations profondes et riches d'humanité sur l'embryon, l'homme malade ou fragile, la vocation du médecin et du scientifique, la sollicitude envers l'autre vulnérable...
Parce que l'indignation s'enracine dans la vérité et bien, elle permet une prise de distance morale qui ouvre la voie à l'engagement. Jean-Marie Le Méné, qui est aussi un homme d'action, trace dans le dernier acte de son livre des perspectives qui frappent par leur réalisme pour terrasser l'hydre monstrueuse. N'est-ce pas en définitive son Espérance et sa confiance en l'homme qui explique l'universalité et la puissance de son discours ? De l'indignation partagée ne peut fleurir qu'une envie de progrès, de réforme, et donc de dépassement (p. 116). L'auteur nous invite à faire preuve de résistance intérieure pour venir à bout du mensonge institutionnalisé et du meurtre d'Etat. Jean-Marie Le Méné en est certain : le dénouement de la tragédie de la trisomie, entre nos mains, reste à écrire [...]. Pour connaître un épilogue heureux, elle doit trouver ses héros (p. 137).
Pierre-Olivier Arduin
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