Article rédigé par , le 20 mars 2009
Par Hélène Bodenez
Déroutant au premier abord. Titre pessimiste, jaquette kitsch pour un livre qui n'a de roman que le nom, auteur peu connu. Mais en se saisissant de l'ouvrage, un journal en réalité, une bonne impression vous prend, tout y est soigné et parfaitement pensé, de la couverture aux exergues et à l'explication du Noli tangere du Corrège, jusqu'au préambule brillant qui emportera la lecture sans coup férir. Les pages bien blanches font brûler des lignes ardentes et douloureuses que vous ne quitterez plus.
Le narrateur du même nom que l'auteur, Gaspard-Marie, s'est engagé pendant un an à participer à la messe du dimanche. Le roman est né de cette assiduité bouleversante, notes intimes d'un converti exigeant, fidélisé par le dimanche.
Tout commence par une faille, la faille sans laquelle la grâce n'aurait pas pu passer : la brisure d'un divorce. Gaspard-Marie est rendu à lui-même et à la solitude par décision de justice et au lieu de hanter le centre commercial aux dimanches fou fou fun et y faire ses courses, il va à la messe. Ainsi la rencontre avec un bon pasteur , le père Joris, est-elle devenu possible, prêtre dont les prêches vont droit au cœur, l'homme du dimanche, l'hôte qui reçoit . Bien sûr Jésus est le cœur de la rencontre et les méditations de la Parole de Dieu se suivent profondes signes d'un lien unique avec Dieu, loin de tout prêchi-prêcha. Mais c'est le père Joris le personnage principal de cette soi-disant fiction. C'est encore lui qui a fait accepter le rendez-vous dominical comme une soif plus grande chaque semaine à étancher, lui enfin qui a élargi le temps avec l'offre de l'heure hebdomadaire de calme, de recueillement de méditation, de contemplation, heure où [il se] retrouve avec d'autres ni pour commander, ni pour obéir, ni pour acheter, ni pour vendre, ni pour parler, ni pour se taire , heure de fermentation spirituelle .
Tout le livre jusqu'aux dernières lignes vit de cette présence fondamentale mais aussi sur ses absences, et enfin sur son dramatique départ. Le père Joris absent, voilà notre pauvre Gaspard, orphelin comme le lecteur, penché sur l'abîme au bord duquel vivent la plupart de [ses] contemporains , seul sur [s]on chemin de conversion , livré à [lui]-même errant d'un pasteur à l'autre de dimanche en dimanche . Quels accents de vérité pour qui a connu un peu ce chemin-là ! Le père Joris, c'est celui par qui la messe avait cessé de n'être qu'une distraction dominicale subtilement réactionnaire dans la vulgarité avilie de la marchandise ; elle était devenue l'événement dans l'histoire d'une rencontre, un séisme intérieur... L'envers de l'affaire c'est que les dimanches sans le père Joris sont éprouvants avec les topos de séminaire sur l'espérance , tels des suppositoires glycérinés , prononcés par un saint homme sans doute, mais qui n'appelle pas un chat un chat et qui ne parle pas du tentateur ni du péché. Particulièrement saisissantes, les notes consignées du 22e dimanche ordinaire, 2 septembre qui offrent de nos assemblées dominicales perverties un tableau hélas bien réel.
Entrecroisée dans ce récit diariste, fil rouge aussi pudique que délicat, l'histoire d'amour, poignante qu'on laissera le lecteur entièrement découvrir, avec la chère Marthe, sa divorcée, sa chère dissociée, chair désunie .
Si ce roman est un hymne au dimanche, la page du 31e dimanche, 4 novembre, laisse pourtant supposer que pour l'auteur le dimanche est quasiment mort. Il aligne dans une parodie cinglante de proposition de loi les douze articles qu'une très fictive Association des nouvelles théologies aurait prononcés sur le projet gouvernemental de banalisation du dimanche. Singeant le rituel ancien voici les répons insupportables de la liturgie nouvelle : la Croissance soit avec vous ! Et avec votre crédit ! Elevons notre compte ! Nous le tournons vers nos Valeurs ! Le dimanche mort, il faudra bien alors lui changer de nom : quoi de plus facile ? Avec le décadi en arrière-plan, il sera nommé totalitairement Eurodi !
Quel antidote alors ? Une seule réponse qui est la visée du livre, la poursuite de la sainteté coûte que coûte: Laissons éclater la sainteté, qu'elle prospère sur les décombres de la richesse indécente de ce monde, les prêtres foisonneront. Dans un style net, ce livre roboratif, à part, sans fard et sans concession livre la vérité d'une soif inextinguible et signe un diagnostic lucide de notre monde post-chrétien qui va joyeusement vers l'apostasie.
Hélène Bodenez
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