Article rédigé par , le 25 février 2011
Le scoutisme français, c'est déjà un siècle d'aventures. Le dominicain Yves Combeau, scout et chartiste, s'attaque donc déjà à un gros morceau. Son angle est celui de la division du scoutisme catholique en France, ou plutôt des multiples divisions qui parcoururent son existence depuis sa naissance en 1909. C'est à ce titre que son travail est novateur, moins par le récit détaillé des fractures qui jalonnèrent la vie des mouvements scouts dans notre pays, que par la réflexion proposée sur leur sens, et sur leur intérêt.
Le frère Combeau a une thèse : contrairement aux apparences, la division du scoutisme français n'est pas contraire à l'esprit du scoutisme, l'intuition de son fondateur, le général anglais Lord Baden Powell était suffisamment large pour embrasser divers modèles.
C'est dans les années 1960 que se joue la dispersion. Le nœud de la division portera sur la pédagogie : unitaire ou pas. Comprendre : préserver ou non l'organisation de la branche maîtresse, c'est-à-dire entre l'âge louveteau et les aînés, autour de l'unité des enfants de 12 à 17 ans, les plus âgés devenant responsables des plus jeunes dans le cadre du système des patrouilles.
La souche institutionnelle, les Scouts de France (SdF), choisit de rompre avec le modèle traditionnel en séparant les plus jeunes (12-14) des moins jeunes (14-17). À travers bien des péripéties, deux grands mouvements unitaires naquirent pour préserver le modèle original : les Scouts d'Europe (FSE) et les Scouts unitaires de France (SUF). Pour Yves Combeau, chacun des mouvements, de volume aujourd'hui assez comparable, possède sa légitimité scoute.
Les Scouts de France voulurent renouer avec ce qu'ils considérèrent comme l'esprit social fondateur de Baden Powell (BP pour les initiés), avec la constitution de bandes de jeunes d'âge sensiblement voisin et socialement mixtes (comme on dit aujourd'hui). Avec les Scouts d'Europe, ils partagent une conception très hiérarchique de leur organisation, tandis que les SUF ont opté pour une sorte de système féodal décentralisé où chaque groupe vit dans son fief de manière autonome, l'unité se partageant par la seule pédagogie.
C'est ici que les choses se compliquent. L'évolution du scoutisme à la française ne se comprend que dans celle des diverses conceptions de sa place dans l'Église et dans la société. Dans l'Eglise, on le comprend : Il a plusieurs demeures dans la maison du Père. Dans la société, car toute éducation ambitieuse ne peut se bâtir sans une vision de l'homme et de sa responsabilité sociale. La véritable division du scoutisme en France trouve ici sa source profonde. Les SdF et la FSE n'ont clairement pas les mêmes modèles, ni sociaux, ni ecclésiaux. Les SUF se veulent scouts seulement (ils scoutent , dit joliment l'auteur), sans vision politique de l'ordre social, mais avec une anthropologie plus proche de celle des Scouts d'Europe.
À la lumière de ces distinctions, les différences d'identité prennent tout leur sens, et leur plus ou moins grande justification dans les orientations pédagogiques, comme le choix ou non de la mixité, la place accordée à l'apprentissage de l'engagement, des techniques, de la vie dans la nature ou... au rôle du chef et de la communauté.
L'une des questions clé dans ces mouvements qui se revendiquent tous catholiques, est évidemment leur manière de vivre leur place dans l'Église, et de vouloir l'Église dans la société. C'est sur ce critère que se vécurent, et souvent de manière douloureuse, à proportion de la passion de ses membres (on n'est rarement scout à moitié, c'est le génie de la formule), les plus cruelles divisions, y compris au sein des mouvements eux-mêmes. Les divisions scoutes épousèrent les crises sociales, politiques et religieuses du pays. La guerre d'Algérie par exemple, fut un marqueur déterminant, comme le concile Vatican II ou Mai 68.
Le résultat est parfois à fronts renversés : les SdF sont par exemple socialement et pédagogiquement progressistes, mais se sont arc-boutés pour défendre leur primauté dans une relation à la hiérarchie ecclésiale d'avant le concile, quand les Scouts d'Europe prirent leur essor dans la dynamique conciliaire de la nouvelle évangélisation qui s'est développée essentiellement hors des circuits conventionnels et des structures issues de l'Action catholique.
Plus récemment, la crise qui affecta ce mouvement ne s'explique pas autrement que par l'opposition entre deux visions de l'articulation entre pédagogie et vie chrétienne, avec ses conséquences sur la place du mouvement dans l'Église. Sous cet angle, un développement sur la théologie du laïcat eut apporté des éclaircissements qui manquent parfois à la compréhension profonde des événements.
Écrite par un historien rigoureux, parfois impertinent mais scout jusqu'au bout de la plume, l'enquête du frère Yves Combeau se lit comme un roman des passions françaises et de l'engagement chrétien des cent dernières années.
Philippe de Saint-Germain
Nota : ce livre n'est pas disponible chez notre partenaire Amazon.fr, mais sur le site de l'auteur : http://yvescombeau.fr/
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