A la recherche de la stratégie israélienne
A la recherche de la stratégie israélienne

Antoine de Lacoste pour Politique magazine

Depuis le 7 octobre 2023 et la stupéfiante attaque du Hamas contre Israël, chacun cherche à décrypter la stratégie de riposte de l’Etat hébreu.

Après une période de sidération absolue, la réponse militaire, logique et attendue, vint. Elle disposait en outre d’un paravent inattaquable : libérer les otages. Un déluge de feu s’abattit sur la bande de Gaza tandis qu’une vaste opération terrestre se déploya, à la recherche des tunnels et des combattants du Hamas, éventuellement des otages.

 

Gaza ravagé, et après ?

Un an après, le bilan laisse perplexe. Les sources médicales, proches du Hamas mais il n’y en a pas d’autre, font état de plus de 40 000 morts, le triple de blessés, et de la destruction de près des deux-tiers des immeubles d’habitation. Il est naturellement impossible de déterminer précisément le nombre de morts appartenant au Hamas. Certains observateurs les estiment à 10% mais c’est à invérifiable puisqu’aucune présence de journalistes ou d’observateurs neutres n’est tolérée par les Israéliens.

Gaza est aujourd’hui à peu près inhabitable et l’armée israélienne semble engagée dans une occupation durable. Le problème, c’est qu’il y 2,2 millions d’habitants dans l’enclave dont beaucoup ne peuvent plus se loger et ont le plus grand mal à se nourrir. Qu’en faire ? Le rêve du premier ministre Benjamin Netanyahou eût été de les voir s’enfuir en Egypte et de les regrouper dans des camps aménagés pour l’occasion dans le désert du Sinaï. Mais le maréchal Sissi, patron tout puissant de l’Egypte, a dit non. C’était prévisible : pourquoi gérer un problème d’une telle ampleur et d’une telle complexité alors que l’Egypte n’est pour rien dans ce conflit ?

Aujourd’hui, l’armée israélienne contrôle à peu près le territoire de Gaza malgré des pertes sporadiques ici ou là. Les tunnels ont tous été visités et détruits ou étroitement surveillés ; il y en avait le triple de ce qui était anticipé.

Mais ensuite, que faire ? Annexer le territoire, ce qui serait contraire aux traités mais peu importe puisque le monde entier regarde tout cela avec une passivité déconcertante, hormis l’Amérique qui continue à fournir des armes à Israël tout en l’appelant à la retenue ? Ou alors continuer à occuper des ruines au risque de s’enliser ?

Les Gazaouis sont accaparés par leur survie et l’on a du mal à évaluer précisément leur état d’esprit puisque personne n’est là pour s’en enquérir. Mais pour le peu que l’on en sache, ils en veulent aux deux parties : au Hamas, pour les avoir fourrés dans ce guêpier mortel et à Israël pour la violence de ses représailles parfois ciblées, souvent aveugles.

Il est impossible de dire si l’armée du Hamas est détruite ou simplement affaiblie avec des combattants qui se fondent dans la population prise en otage. L’avenir le dira.

En attendant, personne ne connaît la stratégie israélienne à long terme. Y en a-t-il une d’ailleurs ? Quant aux otages, le gouvernement ne semble plus guère s’en préoccuper.

Le Hamas a dû être déçu par ses alliés traditionnels. Il comptait sur un soutien actif du Hezbollah libanais et surtout de l’Iran. C’était une grossière erreur de calcul. Certes le Hezbollah s’est déclaré solidaire et par l’envoi régulier de missiles dans le nord d’Israël, il a obligé l’Etat hébreu à évacuer plus de 60 000 civils. Mais au fond, ce n’est pas une vraie guerre, juste des piqûres d’épingles.

 

LA RETENUE IRANIENNE

Quant à l’Iran, ce fut pire. Quelques missiles envoyés pour la forme avec riposte israélienne pour la forme également. La dramaturgie orchestrée par les médias n’a trompé personne : l’Amérique ne veut pas d’une vraie guerre entre l’Iran et Israël et il est notoire que les Américains et les Iraniens se parlent. Les mollahs, peu populaires dans leur pays, n’ont absolument pas l’intention de se jeter à corps perdu dans un conflit périlleux. Ils pourraient faire beaucoup de mal à Israël mais derrière il y a la puissance militaire américaine qui, même déclinante, peut encore faire des dégâts considérables en Iran ce qui remettrait en cause le pouvoir des religieux chiites.

Pour autant, ou plutôt de ce fait, Israël a décidé d’en finir avec le Hezbollah. Le signal fut donné par l’explosion des fameux bipeurs utilisés par de nombreux cadres du mouvement armé chiite. Ces téléphones préalablement piégés provoquèrent de nombreux blessés graves qui contribuèrent à désorganiser la milice. Ce fut là un coup de maître du Mossad qui se rachète ainsi aux yeux des Israéliens de son échec ahurissant du 7 octobre.

Puis des bombardements plus ou moins ciblés furent massivement entrepris tuant de nombreux dirigeants du Hezbollah jusqu’à son chef emblématique Hassan Nasrallah. Depuis, les bombardements n’ont pas cessé et se sont étendus à Beyrouth où les quartiers sud tenus par le Hezbollah ont été visés mais aussi certains immeubles du centre. La pauvre capitale libanaise paye encore un lourd tribut à une guerre qu’elle subit une nouvelle fois. Les victimes civiles sont nombreuses mais qu’importe n’est-ce pas ? La plaine de la Bekaa est également régulièrement visée, à proximité notamment des somptueuses ruines antiques de Baalbek.

Comme attendu, l’armée israélienne a ensuite envahi le territoire libanais. Le Hezbollah, décapité, a beaucoup moins réagi que lors des précédentes incursions de l’Etat hébreu. Il y a eu quelques embuscades, quelques morts israéliens mais rien à voir avec 1982 ou 2006.

Il faudra attendre pour savoir si le Hezbollah retrouvera sa puissance passée ou s’il est structurellement atteint. Il est certain que cette opération de bipeurs transformés en explosif a révélé un fait assez inattendu : le Hezbollah est profondément infiltré par les services secrets israéliens. Une opération de cette ampleur n’a pu se faire qu’avec de nombreuses complicités internes. De même le ciblage des dirigeants tués au cours de réunions dites secrètes a démontré que le Mossad disposait d’informations de première main en temps réel. C’est peut-être le plus grave pour la milice chiite.

C’est sous ce prisme qu’il faut examiner l’audacieuse opération terrestre réalisé par un commando israélien il y quelques jours. Plusieurs dizaines d’hommes ont débarqué au nord du Liban, près de Tripoli, pour « enlever » un important dignitaire religieux chiite. Les médias ont commenté, perplexes, une prise d’otage peu commune. En réalité, il semble bien que l’opération ai consisté à exfiltrer un agent de renseignement du Mossad près d’être démasqué.

La stratégie israélienne, au-delà des coups, réels, portés au Hezbollah, laisse là-aussi perplexe : occupation du Liban, poursuite des bombardements et ses milliers de victimes civils ou retrait pur et simple pour ne pas exposer trop longtemps ses soldats, notamment les réservistes ? Après l’invasion de 1982, l’armée israélienne resta 18 ans au sud-Liban avant de partir sur un bilan plus que mitigé.

 

La colonisation de la Cisjordanie

Les objectifs du troisième front, celui de la Cisjordanie, semblent moins flous. Depuis le 7 octobre, les colons israéliens, soutenus ouvertement par l’armée, ont multiplié les incursions, les attaques de villages et les assassinats de paysans palestiniens. Mais cette fois, l’Amérique, très gênée de cette violation flagrante des traités, a pris des sanctions nominatives contre les principaux meneurs qui s’en sont d’ailleurs moqué ouvertement.

Ces colons sont des militants suprémacistes (tendance très présente dans le gouvernement Netanyahou) qui veulent annexer la Cisjordanie. Ils l’appellent la Judée-Samarie, conformément à la tradition biblique. Le gouvernement encourage cette annexion rampante qui finira peut-être par être totale.

Cet état des lieux ne serait pas complet si l’on n’abordait pas le sujet de l’état d’esprit de la société israélienne. Assommée par le désastre du 7 octobre, elle a d’abord soutenu massivement l’attaque contre Gaza avant de se braquer contre Netanyahou en raison de son indifférence au sort des otages. Puis, elle a de nouveau soutenu le gouvernement grâce à ses succès contre les dirigeants du Hezbollah. Netanyahou en a profité pour évincer du gouvernement le dernier « modéré », le général Gallant, la veille de l’élection de Trump.

Aujourd’hui, le doute progresse à nouveau : est-il raisonnable de mener cette triple guerre sans aucune porte ouverte pour une négociation avec qui que ce soit ? Netanyahou a la réponse : Israël aura gagné dix ans.

Or ce climat de guerre sans fin lasse une société devenue malade : des réservistes refusent de servir et des familles s’en vont pour vivre en paix, ailleurs. C’est un phénomène tout à fait nouveau qu’il faudra observer avec soin.

 

Antoine de Lacoste