« Puis les sept anges qui avaient les sept trompettes se préparèrent à en sonner. » (Ap 8,6)
« Puis les sept anges qui avaient les sept trompettes se préparèrent à en sonner. » (Ap 8,6)

Léon Bloy, « chevalier de Dieu dans un monde sans Dieu et sans chevalerie » écrivait que lorsqu’il voulait s’informer des évènements du monde, il lisait l’Apocalypse. L’anecdote est rappelée par Jacques de Guillebon et Falk van Gaver dans leur excellente publication L’anarchisme chrétien : « Un journaliste lui demande un jour quel journal il lisait tous les jours, « comme tout le monde », pour se tenir au courant des dernières nouvelles du monde ». A ces derniers mots, Bloy bondit : » Primo : Léon Bloy n’est pas « comme tout le monde ». Secundo : il ne lit jamais aucun journal. Tertio : quand il désire connaître les nouvelles du monde, il lit Saint Paul et l’Apocalypse ». Et comme aujourd’hui personne ne veut s’informer de ce qu’il se passe dans le monde, on lit n’importe quoi excepté l’Apocalypse.

Mais même en évitant de lire ce qui nous permettrait de nous informer sur les « grimaces atroces du Démon » qui nous traumatisent, la vérité nous rattrape même lorsqu’elle travestit son expression avec des déclarations mielleuses qui tutoient de manière éhontée un pharisaïsme d’Etat nauséeux. En réalité, des milliers d’heures, de pages, de commissions, de dossiers, de débats, de déclarations et contre-déclarations, de financements publics pour, après avoir proclamé la mort de Dieu ,constitutionaliser l’abolition de l’homme  à travers des lois sur le massacre d’enfants à naître- véritable holocauste silencieux - pudiquement renommé « Interruption volontaire de grossesse », l’autorisation de la recherche sur des embryons humains ou cellules souches embryonnaires,  la légalisation du mariage homosexuel chastement renommé « mariage pour tous » qui accouche - faute de pouvoir engendrer naturellement- d’une loi permettant la commercialisation d’enfants  renommée violemment «  Procréation Médicale Assistée » laquelle débouchera irrémédiablement sur la dépénalisation de la marchandisation du corps officiellement renommée « Gestation Pour Autrui » , puis légalisation de l’euthanasie honteusement renommée « Aide à mourir dans la dignité ».Et la condamnation convenue de la pornographie tout en la promouvant et la distillant dans les écoles ; et l’absolution de la pédophilie ;et la modélisation de l’homosexualisme ; et la banalisation de la pédérastie ;et la reddition en face du narcotrafic … Me revient alors cette phrase de Barbey d’Aurevilly : “Après Les Fleurs du mal, — dis-je à Baudelaire, — il ne vous reste plus, logiquement, que la bouche d’un pistolet ou les pieds de la croix.”

Baudelaire choisit les pieds de la croix.

La France, fille aînée de l’Eglise, n’a-t-elle pas, dans un grand mouvement collectif organisé et poussé par ce tsunami idéologique instituant un nouvel ordre immoral et diabolique, fait le choix de la bouche du revolver ?

Toutes ces décisions présentées comme d’immenses victoires font profession d’une foi illimitée sur les possibilités humaines, sur la grandeur de l’homme, sur sa capacité à instaurer un paradis sur terre, supprimant la souffrance et s’érigeant en juge tout puissant, investi d’une volonté et d’une véritable conscience morale pour déterminer le bien commun… sur les bases d’une culture de mort et de l’inversion convaincus qu’ils sont que la religion la plus authentique est l’homme.

Il ne s’agit pas là de cet athéisme d’antan qui niait l’existence de Dieu et faisait le vide dans le temple, transformant l’homme en orphelin cosmique ; non, il s’agit d’une nouvelle forme d’athéisme qui assied l’homme dans le temple de Dieu et l’adore comme s’il était Dieu lui-même.

« Ne laissez personne vous égarer d’aucune manière. Car il faut que vienne d’abord l’apostasie, et que se révèle l’Homme de l’impiété, le fils de perdition, celui qui s’oppose, et qui s’élève contre tout ce que l’on nomme Dieu ou que l’on vénère, et qui va jusqu’à siéger dans le temple de Dieu en se faisant passer lui-même pour Dieu. » (II Th 2,34)

 

Dans l’Epître aux Romains, Saint Paul annonçait déjà les conséquences de cette usurpation :

« Ils se sont laissé aller à des raisonnements sans valeur, et les ténèbres ont rempli leurs cœurs privés d’intelligence. Ces soi-disant sages sont devenus fous ; ils ont échangé la gloire du Dieu impérissable contre des idoles représentant l’être humain périssable ou bien des volatiles, des quadrupèdes et des reptiles. Ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge ; ils ont vénéré la création et lui ont rendu un culte plutôt qu’à son Créateur, lui qui est béni éternellement.

C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez eux, les femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature.

De même, les hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour brûler de désir les uns pour les autres ; les hommes font avec les hommes des choses infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne le salaire dû à leur égarement ». (Rm 1, 22-27)

Nous y sommes. L’adoration de l’homme est la religion universelle de notre époque ; ses prêtres et coryphées la proclament et gravent de nouvelles tables de la loi.

Évidemment, le monde que nous ont présenté les faux messies et les faux prophètes n’est qu’un mirage, une utopie chimérique où l’idolâtrie de la Science, l’espoir dans le Progrès et la soumission à l’Idéologie promettent à l’homme l’implantation d’un nouveau paradis sur terre par la déconstruction systématique de tout ce qui fit et fait notre civilisation. Héritiers en cela d’autres faux prophètes dont les noms – Robespierre, Hitler, Staline, Lénine, Mehmed Kemal et les « Jeunes-Turcs », Mao, Ho-Chi Min, Pol-Pot, Castro, Duvalier…- laissèrent le sang de millions de victimes engraisser leur drôle de paradis. Un paradis, évidemment, dont l’arrière-plan est infernal, où la déification de l’homme se réalise au prix de son abolition, où la libération de l’humanité s’obtient sur son futur suicide, où l’expérimentation sur des cellules embryonnaires, la sinistre chorégraphie des avortoirs, la suppression de la différence entre l’homme et le femme, le transsexualisme et la lutte contre la famille et, par conséquent , contre la natalité nous sont vendues comme des avancées humanitaires, écologiques, comme des conquêtes de nouveaux droits qui instaurent un nouveau Royaume des Délices Universels.

Certains s’étonnent que ce messianisme sécularisé qu’est l’adoration de l’homme se démêle précisément aujourd’hui, quand des multitudes crédules mais offusquées se débattent dans la détresse, assaillies qu’elles sont par l’ombre de crises identitaire, économique, institutionnelle, civilisationnelle, religieuse, spirituelle qui ne cessent de se répandre comme nuée de sauterelles ;sidérées par ce que l’homme d’aujourd’hui est encore capable de sauvagerie bestiale ; révoltées par la soif de pouvoir et d’argent des « zélites » qui les tondent impunément, massacrent leurs paysages, affament la paysannerie qui les nourrit,  accueillent toute la misère d’un monde conquérant et fanatique qui les vident de toutes leurs ressources…et  à qui ils offrent tout ce qu’ils leur volent au nom d’un tartufhumanisme facile et béat  y compris les armes  qu’il retournent contre elles ; spoliées des droits les plus légitimes à dire leur lassitude ,leur tristesse  en face de comportements lunaires , grossiers mais impunis de quelques sans-culottes, ni foi ,ni loi mais qui la voudraient faire  quand même… la loi…dans la rue. Et malgré tout cela, ces mêmes « zélites », incapables de pénétrer dans la substance de ces mystères d’iniquité, renvoient ces jacques d’un revers de main dans leurs étables ,écuries, porcheries, salines ou chaluts affirmant toute honte bue que tout ceci n’est qu’une vue de l’esprit et que ceux qui s’insurgent contre l’insécurité criante, l’immigration complètement dévoilée, elle, l’islamisation rampante et décomplexée, l’arrachage systématique de leurs racines, la destruction de leur histoire, la dégradation de leur langue, le bâillonnement de leurs poètes,  l’anéantissement de leurs églises et de leurs calvaires, l’ensevelissement de leurs héros et de leurs saints sont les jouets de « la réaction ».

 

« Ces hommes-là sont de faux apôtres, des ouvriers trompeurs…Et cela n’est pas étonnant, puisque Satan lui-même se déguise en ange de lumière. Il n’est donc pas étrange que ses ministres aussi se déguisent en ministres de justice. Leur fin sera selon leurs oeuvres. » (2 Co 11,13-15) 

Quand donc comprendront-ils que ces « rideaux de fumée » sont en réalité les signes d’un drame que nous annonce sans fard ce livre que Léon Bloy nous conseille de lire pour nous informer de ce que nous sommes en train de vivre. Mais comment les gens vont-ils se mettre à suivre le conseil de Bloy, s’ils ignorent jusqu’au nom de ce soldat du Christ qui criait : « Quant à moi, j’attends les Cosaques et le Saint Esprit ! Tout le reste n’est qu’ordure ».

C’est sous l’influence de Barbey d’Aurevilly que Bloy et Huysmans, ces deux figures d’écrivains désespérés, se sont l’un puis l’autre convertis au catholicisme. Ils ouvrent ainsi le grand mouvement de conversion d’écrivains qui marquera tant la vie intellectuelle française à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Parmi ces grands convertis figurent Claudel, Péguy, Ernest Psichari ou encore Jacques Maritain, dont le parcours aux côtés de Raïssa rappelle ô combien l’alternative de Barbey d’Aurevilly. Celle-ci a cependant deux facettes, sinon elle serait truquée, et Drieu la Rochelle ou Montherlant sont la preuve qu’à l’inverse, c’est parfois la bouche du pistolet qui l’emporte. Michel Bernanos est probablement l’exemple le plus symptomatique de ces grands écrivains qui au bout du désespoir n’ont pas su trouver l’espérance.

Mais Bloy, qui donc est ce gueux, ce mendiant de l’Apocalypse, ce demandeur de prêtres, cet imprécateur qui considère le monde comme entièrement livré à Satan, le Christ et la Liberté restant cloués sur cette Croix faite d’un bois de cèdre et d’olivier, pour leur dire à eux, hommes déifiés que l’on doit adorés, ce qu’ils doivent lire ?

Pourtant, vivant dans les décombres d’Auschwitz où, encore, le Juif prit la figure évangélique de celui qui se consacre à expier sur son dos l’ignominie du monde, le XXIe siècle n’est en rien pauvre de symbolique. La lecture de Bloy nous pousserait à voir dans une époque à peine sortie de la Shoah, l’entrée dans une ère nouvelle, profondément éclairante et tissée du fil de la componction, où l’Esprit Saint s’éploie dans la langueur infinie qui harponne la pensée matérielle. La résurgence contemporaine de l’antisémitisme incarné par les vomissures de l’idéologie islamo gauchiste et voyoucrate nous devrait renvoyer à la dénonciation qu’il fit de ce qu’il considérait après la Désobéissance comme le plus grand crime de son époque.

Mais « L’homme n’est qu’une ruine avide de sa reconstruction » écrit Ernest Hello quand Rimbaud agonisant murmure : « j’attends Dieu avec gourmandise…Dieu fait ma force et je loue Dieu ».

« Nous voici donc, aujourd’hui, au bord du gouffre, privés de foi et totalement dénués de la faculté de voir, également incapables d’aimer et de comprendre » (Constantinople et Byzance)

La guerre Israélo-palestinienne dont l’objectif déclaré par l’Iran et ses « proxies » est l’élimination de l’Etat d’Israël et l’éradication de la race juive est avant tout ce qui révèle le vide de la modernité. Mais repousser la foi dans une boue où le doute et la science se mêlent, ne sont-ce pas déjà les prémices d’une annonciation ?

 « Voici que mon retour est proche », nous dit la Sainte Parole (Ap 22, 6-7). Et ce bientôt de Dieu, qui doit être entendu au sens divin, fait déjà peser sur lui le poids des millénaires. Dieu revient, et le christianisme ne fait que commencer.

C’est par cette prière qui achève le dernier chapitre d’À Rebours de Huysmans qui, lui aussi, choisit les pieds de la Croix contre la bouche du revolver que je voudrais conclure :

 « Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l’incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s’embarque seul, dans la nuit, sous un firmament que n’éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir ».

 

Thierry Aillet, ancien Directeur Diocésain de l’Enseignement Catholique d’Avignon