Article rédigé par Boulevard Voltaire, le 07 mars 2022
Source [Boulevard Voltaire] Je ne connais guère François Sureau, guère ses livres. Je n'ai fait que vagabonder dans L'Or du temps, cet hiver, mais le Remonter la Marne, de Jean-Paul Kauffmann, il y a quelques années, m'avait semblé, avec une autre modestie, avoir assez frayé ce chemin.
Depuis que je sais l'homme à la fois conseiller de Fillon et ami d'Emmanuel Macron, et même rédacteur des statuts d'En marche ! en 2017, il ne m'inspire pas la plus grande sympathie. Sa famille est prestigieuse, sa carrière aussi. Énarque, colonel de réserve, il aurait accompli des missions importantes en Afghanistan et au Mali, nous dit Le Monde. Homme de foi et fana mili, c'est lui qui souffle à l'oreille de son ami Président quand il faut s'adresser aux soldats ou aux cathos, toujours selon Le Monde. Vu les résultats du quinquennat en ces matières, je ne sais pas pour qui, finalement, c'est le plus gênant : Macron, Sureau ou les publics en question... Quai Conti, se côtoyaient donc jeudi Fillon, Cazeneuve, le général Lecointre et bien d'autres. Le fauteuil du Président, protecteur de l'Académie et ami du héros du jour, était vide. Brigitte Macron était là, flanquée des deux anciens Premiers ministres. Il y avait même Xavier Niel, BHL et Jean-Marc Sauvé : « les différents mondes de François Sureau »...
Comment dire ? Depuis ma petite place, cela fait beaucoup. Et le malaise s'accroît quand j'écoute son discours de réception à l'Académie, prononcé ce jeudi 3 mars. Il faisait donc, selon l'usage, l'éloge de son prédécesseur, Max Gallo, que ses origines modestes, son caractère entier - et moins « en même temp s» - et son parcours cohérent, depuis la rupture avec Mitterrand jusqu'au souverainisme, me rendent nettement plus proche.
Le passage le plus cité et le plus relayé sur les réseaux sociaux, notamment par les oppositions de droite et de gauche, est celui décrivant le « moment où nous sommes, où la fièvre des commémorations nous tient, pendant que d’un autre côté le sens disparaît des institutions que notre histoire nous a léguées : une séparation des pouvoirs battue en brèche, les principes du droit criminels rongés sur leurs marges, la représentation abaissée, la confusion des fonctions et des rôles recherchée sans hésitation, les libertés publiques compromises, le citoyen réduit à n’être plus le souverain, mais seulement l’objet de la sollicitude de ceux qui le gouvernent et prétendent non le servir mais le protéger, sans que l’efficacité promise, ultime justification de ces errements, soit jamais au rendez-vous [...] où chacun [fait] appel au gouvernement, aux procureurs, aux sociétés de l’information pour interdire les opinions qui le blessent ; où chaque groupe se croit justifié de faire passer, chacun pour son compte, la nation au tourniquet des droits de créance ; où gouvernement et Parlement ensemble prétendent, comme si la France n’avait pas dépassé la minorité légale, en bannir toute haine, oubliant qu’il est des haines justes et que la République s’est fondée sur la haine des tyrans. La liberté, c’est être révolté, blessé, au moins surpris, par les opinions contraires. »
Mais un mot de ce long et beau discours a semblé chargé de plus de poids que les autres : « En un siècle d’histoire constitutionnelle, nous aurons vu se succéder le système des partis, le système de l’État, le système du néant. » Le néant lancé à la face d'un fauteuil présidentiel vacant. François Sureau retrouvait, peut-être malgré lui, l'analyse même d'Éric Zemmour : « En 2017, la France a élu le néant et elle est tombée dedans. » Dit par un ami, ce néant fait encore plus mal. Le nouvel académicien a eu droit à une ovation.
En fait, quelque chose sonne vraiment creux et faux, dans ce spectacle de la Macronie qui nous joue la comédie de son propre effroi devant ses errances pourtant crânement assumées. Cela doit s'apparenter à de la triangulation pour réélection assurée.
Mais la même semaine où M. Sureau participait à sa façon au ballet, Jean Castex annonçait la suspension du passe vaccinal et Twitter débranchait, vendredi, des milliers de comptes d'opposants à Emmanuel Macron, partisans d'Éric Zemmour et de Marine Le Pen. Sans raison. Arguant, après coup, d'une « erreur ». Ce genre d'erreurs qui touche systématiquement les uns et pas les autres. Des illustrations parfaites de l'abaissement sans précédent des libertés sous Emmanuel Macron. François Sureau a-t-il appelé son ami pour le sermonner ?
Peut-on alors se contenter des mots, même critiques, de celui qui lui souffle ses bonnes phrases ? On a peut-être là l'essence du macronisme et de son chef : ils se payent - et nous payent - de mots. Selon les jours, l'un parle de « bain de sang » et de « tête au bout d'une pique » ; l'autre du « néant » du moment. Incohérence totale ou comédie ? De François Sureau, on est en droit d'attendre autre chose.