Article rédigé par Le Salon Beige, le 02 février 2022
Philosophe et éthicien, Damien Le Guay vient de publier un ouvrage assez pessimiste sur l’euthanasie. Dès l’introduction, il annonce que ce combat est perdu.
« Le combat est perdu. Je le reconnais à contrecoeur, mais avec lucidité. Perdu. Depuis des années, dans les journaux, à la télévision, à la radio, dans des interventions publiques, je suis de ce combat contre l’euthanasie. Bientôt, tout bientôt, une loi sera votée. La pression est forte. Trop forte pour que la présente mandature ou la prochaine puissent résister. L’euthanasie est pour demain. Je le regrette. Le déplore même. Mais la militance de certains, le manque de courage d’autres et surtout l’étiolement d’une “éthique à la française” qui jusque-là tenait sa ligne de conduite, vont mener, sûrement, et tout prochainement, à une acceptation de l’euthanasie. Tout cela va arriver. Pour ma part, modestement, je défends la noble cause des soins palliatifs et vois bien, comme tous les gens de terrain, que l’euthanasie est incompatible avec cette approche respectueuse de la personne. Je suis de ceux-là, soucieux de tenir les rangs – mêmes s’ils sont clairsemés -, de défendre mes idées jusqu’au bout, surtout si je n’ai rien à y gagner, et que personne ne me paie pour les dire haut et fort. Ce combat-là, surtout s’il sent la déroute prochaine, devient un combat pour l’honneur. Le combat du dernier carré avant la défaite. Le combat de ceux qui se savent en sursis. »
Un combat perdu, en raison de la complicité médiatique avec le lobby de l’euthanasie, de la frilosité de nombreux politiques, etc…. mais pas seulement.
Dans Le Monde, Marie-José Thiel, médecin et professeur d’éthique à la faculté de théologie catholique de l’université de Strasbourg, directrice du Centre européen d’enseignement et de recherche en éthique, souligne que
« L’Eglise catholique s’interroge sur l’opportunité de l’assistance au suicide »
Elle rebondit sur la tribune du père Carlo Casalone, médecin, ancien provincial italien de la Compagnie de Jésus, aujourd’hui membre de l’Académie pontificale pour la vie et professeur de théologie morale à l’Université pontificale Grégorienne. Nous avions évoqué cette tribune favorable (sous certaines conditions, évidemment) au suicide assisté. Comme pour l’avortement, il s’agit, pour ces catholiques, d’encadrer la possibilité du suicide assisté afin d’éviter des maux plus dommageables…
Les partisans de l’euthanasie ont trouvé là un soutien de poids. Et Marie-José Thiel s’en amuse :
Evidemment, depuis la publication de l’article de la Civiltà cattolica, les partisans de la sacralisation absolue de la vie s’en donnent à cœur joie pour critiquer et condamner… Il sera intéressant d’observer les suites données à cette réflexion, qui ne manque pas de souligner la complexité des questions bioéthiques. S’il s’agit certes de proposer des repères et des valeurs, et parfois de tracer des lignes rouges, il ne faudrait pas oublier le mot de Pascal : « Qui veut faire l’ange fait la bête. »
Face à ces arguties, rappelons l’enseignement solennel de Jean-Paul II dans Evangelium Vitae :
[…] en conformité avec le Magistère de mes Prédécesseurs et en communion avec les Evêques de l’Eglise catholique, je confirme que l’euthanasie est une grave violation de la Loi de Dieu, en tant que meurtre délibéré moralement inacceptable d’une personne humaine. Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite; elle est transmise par la Tradition de l’Eglise et enseignée par le Magistère ordinaire et universel.
Une telle pratique comporte, suivant les circonstances, la malice propre au suicide ou à l’homicide.
Or, le suicide est toujours moralement inacceptable, au même titre que l’homicide. La tradition de l’Eglise l’a toujours refusé, le considérant comme un choix gravement mauvais. Bien que certains conditionnements psychologiques, culturels et sociaux puissent porter à accomplir un geste qui contredit aussi radicalement l’inclination innée de chacun à la vie, atténuant ou supprimant la responsabilité personnelle, le suicide, du point de vue objectif, est un acte gravement immoral, parce qu’il comporte le refus de l’amour envers soi-même et le renoncement aux devoirs de justice et de charité envers le prochain, envers les différentes communautés dont on fait partie et envers la société dans son ensemble. En son principe le plus profond, il constitue un refus de la souveraineté absolue de Dieu sur la vie et sur la mort, telle que la proclamait la prière de l’antique sage d’Israël: « C’est toi qui as pouvoir sur la vie et sur la mort, qui fais descendre aux portes de l’Hadès et en fais remonter » (Sg 16, 13; cf. Tb 13, 2).
Partager l’intention suicidaire d’une autre personne et l’aider à la réaliser, par ce qu’on appelle le « suicide assisté », signifie que l’on se fait collaborateur, et parfois soi-même acteur, d’une injustice qui ne peut jamais être justifiée, même si cela répond à une demande. « Il n’est jamais licite — écrit saint Augustin avec une surprenante actualité — de tuer un autre, même s’il le voulait, et plus encore s’il le demandait parce que, suspendu entre la vie et la mort, il supplie d’être aidé à libérer son âme qui lutte contre les liens du corps et désire s’en détacher; même si le malade n’était plus en état de vivre cela n’est pas licite ». Alors même que le motif n’est pas le refus égoïste de porter la charge de l’existence de celui qui souffre, on doit dire de l’euthanasie qu’elle est une fausse pitié, et plus encore une inquiétante « perversion » de la pitié: en effet, la vraie « compassion » rend solidaire de la souffrance d’autrui, mais elle ne supprime pas celui dont on ne peut supporter la souffrance. Le geste de l’euthanasie paraît d’autant plus une perversion qu’il est accompli par ceux qui — comme la famille — devraient assister leur proche avec patience et avec amour, ou par ceux qui, en raison de leur profession, comme les médecins, devraient précisément soigner le malade même dans les conditions de fin de vie les plus pénibles.
Le choix de l’euthanasie devient plus grave lorsqu’il se définit comme un homicide que des tiers pratiquent sur une personne qui ne l’a aucunement demandé et qui n’y a jamais donné aucun consentement. On atteint ensuite le sommet de l’arbitraire et de l’injustice lorsque certaines personnes, médecins ou législateurs, s’arrogent le pouvoir de décider qui doit vivre et qui doit mourir. Cela reproduit la tentation de l’Eden: devenir comme Dieu, « connaître le bien et le mal » (cf. Gn 3, 5). Mais Dieu seul a le pouvoir de faire mourir et de faire vivre: « C’est moi qui fais mourir et qui fais vivre » (Dt 32, 39; cf. 2 R 5, 7; 1 S 2, 6). Il fait toujours usage de ce pouvoir selon un dessein de sagesse et d’amour, et seulement ainsi. Quand l’homme usurpe ce pouvoir, dominé par une logique insensée et égoïste, l’usage qu’il en fait le conduit inévitablement à l’injustice et à la mort. La vie du plus faible est alors mise entre les mains du plus fort; dans la société, on perd le sens de la justice et l’on mine à sa racine la confiance mutuelle, fondement de tout rapport vrai entre les personnes. […]