Article rédigé par Front Populaire, le 31 mars 2021
Source [Front Populaire] Le temps d'une vacation, Laure Bourdin a enseigné la musique dans un collège près du Mans. Elle y a découvert des élèves et des collègues revigorants. Mais également une administration déprimante…
Je m'appelle Laure Bourdin. J'ai trente six ans et je suis cheffe de chœurs, ce qui, je l'ai appris à mon grand dam, s'avère être un métier "non essentiel". Cela me vaut donc une interdiction de travailler depuis douze longs mois. Au début, je me suis accommodée de la situation. D'un tempérament positif, j'ai voulu profiter de ce temps offert, de ce temps long qui permettait de déchiffrer de nouvelles partitions, de retrouver le goût de la course à pied et de me jeter à corps perdu dans des lectures toujours laissées de côté...
Je me suis adaptée, dans l'espoir qu'après quelques mois de parenthèse, la vie musicale reprendrait son cours.
Mais lorsqu'au mois d'octobre l'annonce du deuxième confinement a eu lieu, j'ai plongé dans un état de sidération.
Je n'entrais pas dans les cases qui permettaient d'obtenir les aides et j'étais arrivée au bout de mes économies avec ces six mois sans travail.
Il était temps de se réinventer.
J'ai appris à cette période que le collège voisin demeurait sans professeur de musique depuis le mois de septembre. Un peu contrainte et forcée, je m'y suis donc présentée dans un grand état de vulnérabilité et d'incertitude.
La rupture du délicat équilibre d'une vie d'artiste provinciale choisie génère un grand bouleversement et j'avoue que le métier de professeur de collège ne m'avait jamais fait rêver.
J'ai été reçue le lendemain de mon appel. La seule chose qui semblait importer était le diplôme universitaire de musicologue que j'avais obtenu quinze ans en amont: comme si cela pouvait être un gage de talent pédagogique!
Puis j'ai été parachutée dans la "fosse aux lions" dès le lundi suivant, sans la moindre préparation, sans aucun matériel (pas d'instrument à disposition, pas de piano, pas de projet en cours), sans contact avec le professeur remplacé, sans aucun conseil sur l'organisation des séances ou sur un programme à suivre, et, surtout, sans salle de classe de musique.
En raison du covid, les profs se déplacent de salle en salle, ce qui voulait dire que j'allais devoir travailler dans des salles banalisées, encombrées de tables et de chaises, sans le moindre espace pour s'épanouir. Une vraie gageure!
J'ai tout de suite compris que j'étais embauchée pour faire de la garderie musicale et libérer la vie scolaire. Il ne pouvait être réellement question d'autre chose dans de telles conditions. J'en ai pris mon parti en me disant que cela me laissait une certaine liberté, ce qui, à mes yeux, n'a pas de prix.
J'aime envisager le monde comme une scène de théâtre et je trouve toujours épanouissant que l'on cherche en soi le masque adéquat pour jouer au mieux le rôle qui nous est attribué. J'ai donc enfilé, comme j'ai pu, le costume du professeur de musique de collège et je me suis jetée stoïquement à l'assaut de mes quatre cents élèves.
Avant de faire le récit de cette expérience, je trouve plus honnête de spécifier quelques points.
Premièrement, je ne prétends aucunement révéler la réalité de ce qu'est la pratique musicale en collège, mais juste offrir un regard extérieur, une perspective de côté, puisqu'il s'agit, tout de même, d'un métier très proche du mien.
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