Article rédigé par Le Figaro, le 26 mars 2021
Source [Le Figaro] Le porte-parole du gouvernement a annoncé ce mercredi une augmentation des contrôles et sanctions contre les entreprises «qui ne voudraient pas appliquer le télétravail quand elles le peuvent». Selon l’essayiste Fanny Lederlin, cette injonction à télétravailler atteste d’une dérive managériale du gouvernement.
Et un protocole de plus: le ministère du Travail a transmis mardi au patronat et aux syndicats un nouveau protocole sanitaire en entreprise visant à intensifier le recours au télétravail pour «réduire au maximum le temps de présence sur site». Ce document, qui demande notamment que «les entreprises définissent un plan d’action» qui, «en cas de contrôle, sera présenté à l’Inspection du travail», fait suite à une note de février dernier dans laquelle le directeur général du Travail ordonnait que «les tâches télétravaillables le soient», ainsi qu’aux nombreuses instructions, foires aux questions (FAQ) et autres questions-réponses (QR) qui se sont succédées depuis que le ministère du Travail gère la crise sanitaire. Non sans poser de problèmes. Car cette inflation de recommandations atteste de la pente interventionniste, voire normativiste du ministère du Travail, et plus profondément de la dérive managériale du Gouvernement.
Comment en effet ne pas s’inquiéter du pouvoir exorbitant que s’arroge le ministère du Travail en multipliant les injonctions aux entreprises, sous couvert d’une déclinaison de l’obligation de sécurité de l’employeur? Car, les recommandations ont beau ne pas être impératives, elles possèdent une forte valeur normative, rendue patente par la référence à l’Inspection du travail (et aux sanctions dont elle a le pouvoir). Il est urgent de relever que cet interventionnisme gouvernemental dans l’ordre juridique comme dans l’organisation des entreprises se fait aux dépens du respect du droit, du principe de concertation avec les acteurs sociaux, du pouvoir de direction de l’employeur et même de la liberté d’entreprendre.
Il est urgent de relever que cet interventionnisme gouvernemental dans l’ordre juridique comme dans l’organisation des entreprises se fait aux dépens du respect du droit.
De plus, cette émancipation du cadre réglementaire révèle l’égarement d’un gouvernement qui semble confondre la rhétorique didactique propre au format des «questions-réponses» qu’il produit, avec le dialogue social et le débat démocratique. Or, si le télétravail est sans conteste une mesure de distanciation sociale efficace, il n’est pas sans soulever des questions qui mériteraient un tel débat. À commencer par celle-ci: le télétravail est-il sans risque sur la santé des salariés? Il se trouve que de plus en plus de professionnels de la santé s’inquiètent des conséquences physiques et psychologiques de la sédentarité des télétravailleurs. Mais aussi celle-là: le télétravail est-il un progrès social? Il apparaît en effet, au bout d’un an d’expérimentation massive, que le télétravail risque de transposer les inégalités de revenu, sexuelles ou encore générationnelles aux conditions de travail puisque, selon que l’on vit dans un espace réduit ou confortable, que l’on est une femme en charge de l’essentiel des travaux domestiques ou un homme, et que l’on débute sa carrière ou que l’on est déjà expérimenté et formé, il est vécu comme une contrainte ou comme un avantage.
En outre, il serait intéressant de s’interroger collectivement sur le télétravail d’un point de vue existentiel, puisqu’à l’enthousiasme des débuts a succédé un désenchantement de la part de nombreux télétravailleurs, fatigués d’enchaîner les réunions Zoom et de subir une forme de dépossession de leur espace, de leur temps et de leur vie privée, au profit d’un travail qui «grignotte» peu à peu toutes les sphères de leur existence. Enfin, il serait légitime de se demander quelle société le télétravail contribue à ériger? Car, outre qu’il pourrait provoquer une dualisation du monde du travail - entre ceux qui peuvent télétravailler et ceux qui ne le peuvent pas (et qui se trouvent être les premières et les deuxièmes lignes à qui il est demandé depuis un an de «tenir») -, le télétravail risque de renforcer l’atomisation des travailleurs qui est déjà à l’œuvre depuis des décennies et qui n’est sans doute pas pour rien dans la déliaison sociale qui ronge notre vie démocratique.
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