Article rédigé par Le Salon Beige, le 09 février 2021
Source [Le Salon Beige] Remarquable tribune de Jean-Loup Bonnamy, normalien, agrégé de philosophie et spécialiste de géopolitique et de philosophie politique.
Certains textes littéraires semblent parfois étrangement prophétiques (…) Il en va ainsi d’une brève nouvelle de Villiers de L’Isle-Adam (1838-1889), intitulée L’amour du naturel (…) Ce texte crucial nous permet de mieux comprendre les problématiques politiques liées à l’écologie (…)
On peut retenir plusieurs choses de cette nouvelle. Tout d’abord, on y voit que les pauvres sont chassés des villes. C’est exactement le phénomène que l’on constate aujourd’hui avec la gentrification des grandes villes, l’explosion du coût de l’immobilier dans les métropoles et la migration des classes populaires vers la France périphérique. Aujourd’hui, les riches sont à Paris et les classes populaires, comme Daphnis et Chloé, vivent en Seine-et-Marne, lieu où se déroule la nouvelle de Villiers (…). Ensuite, on pourrait croire qu’en vivant loin des grandes villes, les classes populaires seraient plus proches de la Nature.
Paradoxalement, comme l’a bien vu Villiers, ce n’est pas le cas. C’est même tout le contraire. Les pauvres n’ont jamais eu aussi peu accès à la nature. On peut habiter à 500 mètres d’une forêt sans jamais y avoir mis les pieds. Cette Nature, qui était auparavant omniprésente, universellement et immédiatement accessible, devient un produit de luxe. Villiers nous montre des pauvres privés de Nature. Or, c’est exactement ce que nous voyons aujourd’hui: des pauvres condamnés à une vie américanisée et artificialisée, à la dictature des zones commerciales et de la grande distribution, au hard discount, aux aliments hyper-transformés, à la malbouffe, au Made in China de mauvaise qualité… tout cela coûtant moins cher que des produits sains et locaux (…) Enfin, ce sont aujourd’hui les riches, qui, grâce à leur argent, confisquent à leur profit la Nature (produits bios inabordables, healthy food et jus de fuit detox, parcs et arbres dans les grandes villes…) (…) Mais cette confiscation de la Nature par l’argent n’implique nullement une meilleure connaissance de la Nature chez les classes aisées.
On notera au passage qu’il s’agit là d’un basculement historique et anthropologique majeur. Avant la Révolution industrielle, c’était les pauvres qui étaient proches de la Nature et les riches qui en étaient éloignés (…)
On notera aujourd’hui que ce sont principalement les élites, les habitants des grandes métropoles, les bobos, les gagnants de la mondialisation, les «anywhere» (…) qui portent le discours de l’écologie politique et les revendications écologistes. Pourtant, cette population aisée est la grande gagnante d’un système économique, la mondialisation, qui est à l’origine de l’essentiel de la pollution mondiale et qui est profondément anti-écologique. Et elle a souvent tendance à défendre des innovations sociétales, comme la GPA, qui enfreignent manifestement les lois et les limites de la Nature.
C’est cette population qui réclame davantage d’écologie et ne jure que par le bio alors que pourtant elle vit dans des grandes villes, ignore tout de la Nature réelle et concrète et serait bien en peine de différencier un hêtre d’un bouleau.
Paradoxalement, ce sont les riches qui ont accès au bio qui demandent davantage d’écologie. Tandis que les pauvres, condamnés à la malbouffe, se moquent de l’écologie politique. Pour eux, l’emploi, le pouvoir d’achat, le logement, la sécurité, l’immigration, l’identité sont des priorités autrement plus importantes que la protection de l’environnement. Quand on peine à boucler ses fins de mois, le climat parait bien lointain. Pire, ils voient souvent dans l’écologie un discours de riche, méprisant, hautain et dont ils seront les premières victimes. Victimes en payant leur électricité et leur gaz plus cher. 14% des ménages sont déjà en situation de précarité énergique. Victimes en payant encore plus d’impôts. Victimes en voyant le recours à l’automobile encore davantage pénalisé.
Or quand on habite dans la France périphérique, la dépendance à l’automobile est un fait absolument fondamental. Victimes des éoliennes, qui se trouvent dans la France Périphérique et non au cœur des métropoles, avec leur bruit infernal, audible à plusieurs kilométres, et leur cortège de nuisances, nuisances qui font fuir les animaux (oiseaux, écureuils…) et rendent malades les humains (migraines, problèmes d’audition…). D’ailleurs, la présence d’éoliennes à proximité fait baisser la valeur d’une maison de 40 %. Ce sont les maisons des Gilets Jaunes, des Daphnis et Chloé modernes, qui vont perdre de la valeur à cause des éoliennes et non pas les appartements des électeurs d’Anne Hidalgo (…) Victimes d’une économie française plombée par les normes environnementales, normes qui vont détruire encore davantage d’emplois, nous faire perdre encore davantage en compétitivité, nous désindustrialiser encore plus (…)
Plus surprenant encore, l’écologie politique semble à la fois punitive et complètement inefficace et contre-productive sur le plan environnemental. Les exemples absurdes abondent. C’est, par exemple, le cas des éoliennes. Les partisans de l’écologie politique veulent à la fois réduire l’émission de gaz à effets de serre (ce qui est louable) et diminuer la part du nucléaire dans l’électricité française. Mais les deux objectifs sont contradictoires.
Miser sur l’éolien, c’est avoir une énergie moins fiable et plus coûteuse. Son développement amènera des coupures plus fréquentes (surtout en hiver), des factures plus chères qui pèseront sur le pouvoir d’achat des ménages et sur la compétitivité de notre économie. L’énergie abordable que nous offre le nucléaire, symbole de l’excellence française et gage de souveraineté, est l’un des derniers atouts d’une compétitivité industrielle française bien malade.
Surtout plus on remplacera le nucléaire par de l’éolien, plus nous émettrons de gaz à effet de serre, car l’intermittence du vent (le fait que le vent ne souffle pas tout le temps) nous pousse à recourir au gaz et au charbon, très polluant, alors que le nucléaire émet beaucoup moins de CO2.
Les centrales nucléaires émettent en moyenne 80 fois moins de CO2 par kilowattheure produit que les centrales à charbon et 45 fois moins que les centrales à gaz. La fermeture des réacteurs de Fessenheim se solde déjà par l’émission annuelle supplémentaire de 8 millions de tonnes de CO2 en Europe, soit l’équivalent de 15 % des émissions annuelles d’une région comme l’Île-de-France, et par un approvisionnement moins fiable. En abandonnant le nucléaire et en portant l’éolien au pinacle, Angela Merkel a considérablement développé le charbon, ce qui a fait exploser la pollution émise par l’Allemagne, au grand détriment de la qualité de l’air en Allemagne et dans le monde. L’Allemagne est aujourd’hui le sixième pollueur mondial, loin devant la France, émettant plus du double de CO2 par rapport à nous.
Une éolienne a des pâles de 50m qui s’appuient sur un mât de 100 mètres. Elle repose sur un socle en béton armé de 300m3. Il faut 1 500 tonnes de béton par éolienne, soit 30 millions de tonnes pour les 20 000 éoliennes qu’il est prévu d’installer (béton transportés par 1,2 million de voyages de camions-toupies, qui fonctionnent…à l’essence). Elle est bourrée de ferraille et de plastiques ainsi que d’huile de vidange qui risque à tout moment de polluer les nappes phréatiques. Sans compter les métaux rares nécessaires à sa fabrication et extraits à l’autre bout du monde de manière très polluante (pollution de l’air par émission de CO2, des sols et des eaux). Lorsque ses pâles sont gelées, il faut faire fondre la glace en pulvérisant par hélicoptère de l’eau à 60 degrés, chauffée dans un camion au fioul (…)
Pourquoi l’écologie politique est-elle aussi peu attentive à la réalité et à l’efficacité écologique? Tout simplement parce que l’écologie politique est avant tout une façon de se définir soi même, de renvoyer aux autres et surtout à soi même une certaine image sociale de soi (…) Aujourd’hui, une partie des classes moyennes supérieurs cherchent à se distinguer en adoptant un discours progressiste et écologiste. «Regardez nous sommes des gens bien! Nous sommes altruistes et gentils. Nous sommes intelligents et nous croyons la science, donc nous protégeons le climat. Nous ne sommes pas comme tous ces ploucs, ces climato-sceptiques admirateurs de Trump, ces Gilets Jaunes, ces beaufs racistes qui polluent et se moquent de la Nature». L’écologie politique n’est que la nouvelle forme d’un puissant narcissisme et d’un non moins puissant mépris de classe… (…)
Comme l’écrit Pierre Vermeren: «il est plus commode de s’en prendre aux chasseurs, aux corridas et aux cirques, pour se donner bonne conscience qu’aux vrais facteurs de l’extinction planétaire de la faune et de la flore.» Lorsqu’on vit dans une métropole, loin des éoliennes, et qu’on ne connait rien à la Nature, il est difficile de mesurer l’impact écologiquement négatif de certaines mesures que l’on défend pourtant au nom de l’écologie.
Le bobo peut mépriser le chasseur, mais le chasseur connaît infiniment mieux la nature que lui et participe activement à la régulation des espèces. Si l’écologie politique est un simple mode de distinction sociale et culturelle, elle n’a nulle besoin d’être efficace sur le plan environnemental. Une mode, un imaginaire (le vent et les petits oiseaux), une idéologie, parfois sectaire et fanatique, un moyen de distinction social n’ont pas besoin d’être rationnels ni de rechercher le bilan coûts-avantages. L’émotion prime. Le symbole suffit.
Cela veut-il dire qu’il faut abandonner toute préoccupation écologique en politique? Certainement pas. Au contraire, il est urgent de construire une autre écologie politique réaliste, alternative et crédible. Il doit s’agir d’une écologie populaire et patriote. Qu’on le veuille ou non, les faits sont les faits: l’urgence écologique est là et remet en question la pérennité de notre Nation et de nos modes de vies. Chaque année un à deux millions de personnes meurent en Chine à cause de la pollution. Idem en Inde. La pollution tue donc plus dans ces deux pays que le Covid-19 dans le monde entier. Et en France, la pollution menace notre santé.
Les patriotes, les gaullistes, les conservateurs, les populistes, les souverainistes (de gauche comme de droite), les défenseurs des identités et des traditions, bref tous les contempteurs d’une mondialisation devenue folle, doivent s’emparer de la question écologique pour ne pas en laisser le monopole aux Torquemada et aux Tartuffe de la bourgeoisie progressiste (…)
Cette nouvelle écologie politique doit reposer sur quelques principes simples.
Premier principe: Ne jamais prendre des mesures sur une base affective ou symbolique mais toujours rechercher l’efficacité, c’est-à-dire l’amélioration concrète de la situation environnementale. Pour cela, il faut se soucier des conséquences et procéder à des bilans coûts-avantages. Cela nous amènera probablement à revoir à la baisse nos ambitions en matière d’éolien.
Deuxième principe: être populaire, sociale et démocratique. Pour cela, elle doit être incitative et positive, et non pas négative et punitive. Elle doit encourager les initiatives, récompenser les bons comportements, se faire aimer en créant des emplois et de la croissance et en assurant une meilleure qualité de vie.
Troisième principe: Tout politique écologique crédible implique nécessairement un certain degré de démondialisation. Il n’y a pas d’écologie sans protectionnisme, sans souveraineté, sans frontières, sans patriotisme économique, sans réindustrialisation. Sans protectionnisme, l’écologie est un vain mot, qui ne peut que nuire à notre économie et à nos emplois. Cela ne sert à rien de s’imposer des normes écologiques si cela nous pénalise et nous conduit à importer, après un transport long et polluant, des produits fabriqués à l’autre bout du monde sans aucun respect des normes environnementales.
On ne peut pas avoir à la fois le libre-échange mondialisé et l’écologie. Certains pays polluent massivement et pratiquent un véritable dumping environnemental en faisant fi des normes que nous nous imposons à nous-mêmes. Dans une telle situation, il parait donc normal de protéger notre industrie, de relocaliser la production chez nous et de sanctionner ces pays par des taxes, des subventions aux entreprises qui produisent en France, des barrières douanières, des politiques de préférence nationale ou européenne et des quotas d’importation.
Quatrième principe: Privilégier les énergies renouvelables face aux énergies carbonées. Bien sûr, le nucléaire doit être considéré comme un renouvelable à part entière, et même comme le renouvelable par excellence. Notre filière nucléaire doit donc être sanctuarisée, développée, sans cesse améliorée (notamment sur les questions de sécurité et de gestion des déchets) et exportée (…)
Neuvième principe: Défendre la qualité, le petit commerce, l’artisanat, les petits paysans, l’art de vivre à la française, les circuits courts…(…)