Article rédigé par Constance Prazel, le 04 décembre 2020
La droite semble depuis des décennies avoir délaissé la culture, un concept désormais totalement préempté par la gauche. D’une part, elle s’en moque souvent, d’autre part, elle finit par se faire contaminer malgré elle par les représentations de gauche. Cela ne fait pas sans dommages, car il n’y a pas de reconquête politique possible sans culture vivante.
Retrouvez l'intégralité de l'article de Constance Prazel dans le dossier du dernier numéro de la revue Liberté Politique Transmettre entre culture et morale que vous pourrez vous procurer en cliquant ici
La culture ? « Un os à ronger », jeté dédaigneusement par le général de Gaulle à la gauche, si l’on en croit une citation peut-être apocryphe. A moins que l’os en question n’ait été, autre version, le « ministère de la Culture » octroyé à Malraux. Dans un cas comme dans l’autre, nous ignorons si la boutade est authentique, mais elle est le symptôme de quelque chose de profond, à savoir la profonde incompréhension de la majeure partie de la droite à l’égard des choses de la culture, terme valise mêlant, entre autres, l’art, l’éducation, la littérature, tout à la fois objet d’une réception passive par l’individu, et instrument militant mis au service d’une anthropologie, d’une vision de la société.
De Gaulle était indéniablement un homme cultivé, nourri de culture classique ; il avait fait ses humanités et aimait la littérature. Pourtant, héritier d’une longue chaîne de transmission, il n’a pas eu en son temps la claire vision de la rupture en train de s’opérer et de l’effort, de l’attitude pro-active qui allait être désormais nécessaire pour garantir que passent à la génération suivante des bribes de ce qui semblait évident dans les familles et maîtrisé de tout éternité. Depuis les années De Gaulle, de l’eau a coulé sous les ponts, mais il n’est pas sûr que le malentendu, l’aveuglement ou l’inconscience de la droite vis-à-vis de l’enjeu de la culture se soit vraiment résorbé.
Il y a quelques années, Éric Zemmour prenait la parole à une soirée anniversaire organisée par l’Institut de Formation politique. Devant un parterre de jeunes gens estampillés de droite, dans la foulée des grandes heures de la mobilisation contre la loi Taubira, il dressait un constat sans appel. La partie a été politiquement perdue car la culture reste de manière irrémédiable dominée par la gauche. De ce fait, cela permet à nos adversaires de maîtriser le discours, les représentations, l’imaginaire, l’affect, toutes choses qui leur assurent le succès dans les média, et qui leur permet de manipuler le public en faveur de leurs projets de loi, et de leurs évolutions de société. Il donnait ensuite pour conseil à la jeune génération militante, non pas de se former en techniques de communication et de marketing politique ou en maîtrise technique des dossiers, mais de lire… les classiques. Résister à la gauche en lisant Pascal, Racine ou Chateaubriand, réussir la reconquête politique en maîtrisant la fine fleur de notre culture française et européenne, que les déconstructeurs connaissaient sur le bout des doigts quand ils l’ont piétinée dans les années 1960 et 1970 : l’assistance accueillit les propos du polémiste d’un air dubitatif. Éric Zemmour savait bien qu’il mettait le doigt sur un authentique point de douleur. Les théories de Gramsci sont inconnues des militants de droite. Et cela est fort dommage, car le célèbre philosophe marxiste italien, opposant à Mussolini, a théorisé mieux que tout autre la nécessité d’une formation intellectuelle solide pour « réussir » la révolution. Une formation qui passe par la maîtrise aboutie de la langue, par l’assimilation brute des savoirs classiques et l’exercice de la mémoire, qui seuls permettront l’émergence d’une conscience libre et créative. Son objectif est évidemment la construction d’une société selon les dogmes du marxisme, mais le chemin qu’il propose reste parfaitement valable et pertinent pour tout autre combat.
Le rapport de la droite à la culture se trouve aujourd’hui, dans le débat public, trop souvent limité au débat sur l’école et sur la faillite de l’Éducation nationale. Avoir une vision de droite de la culture, c’est, dans le meilleur des cas, céder à la deploratio temporis acti sur la période présumée bénie des « Hussards noirs », érigés en héros et chevaliers d’une transmission réussie. Passons outre le fait que pour un conservateur, pour un catholique, tresser des couronnes aux instituteurs de la IIIème République révèle un certain aveuglement sur les motivations profondes des serviteurs de l’Instruction publique à la sauce Jules Ferry : leur principal objectif restait de dessaisir définitivement l’Église catholique de son rôle privilégié multi-séculaire dans la formation des jeunes esprits. Cette approche du problème conduit aussi à dangereusement restreindre les problématiques, en rejetant toute la responsabilité sur les pédagogistes et autres philosophes déconstructeurs ; elle conduit également à sous-estimer combien le problème de la transmission et de la culture, pour être pleinement considéré, doit être évalué à plusieurs niveaux, en fonction de publics et de l’objectif recherché. Le discours devient inaudible quand les plans sont confondus. Il se transforme en un brouet délavé sur « la transmission », et les solutions proposées pour enrayer la chute courent le risque d’être vagues et désincarnées car les enjeux, les exigences et les solutions ne sont pas les mêmes suivant le plan sur lequel on se place.
Il nous paraît pertinent de distinguer trois approches, qui ne se superposent pas complètement, dans la fameuse « crise de la transmission » qui conduit à une profonde « crise de la culture ». D’une part, la crise de l’école, avec l’omniprésence du pédagogisme, se traduisant par un discrédit de l’autorité, et un refus de transmettre les savoirs fondamentaux. Cette crise de l’école est universelle et touche sans distinction. C’est un leurre que de considérer qu’il existe des familles « préservées » ou privilégiées : elles aussi, malgré les moyens, malgré les apparences d’une transmission réussie, visibles dans les postes à responsabilité qu’on y exerce génération après génération, sont victimes des dysfonctionnements de l’école. Cela nous amène au deuxième niveau : la crise de la transmission frappe aussi plus spécifiquement les élites, et de manière plus grave compte tenu de leur responsabilité sociale. Elle se manifeste chez elles par un malentendu profond dans leur rapport à la culture. Enfin, se pose la question, à un troisième niveau, de la crise de la culture pour ceux qui, au sein de ces élites, veulent assumer un engagement politique.
Une réflexion approfondie de droite sur la culture ne peut faire l’économie d’embrasser les trois niveaux, et de prendre à bras le corps les défis spécifiques à chacun d’entre eux. Nous laisserons ici le premier volet concernant la crise de l’école, car c’est un sujet bien connu et abondamment traité, dans nos colonnes comme ailleurs. Nous souhaiterions nous attarder sur le « deuxième étage de la fusée », le rapport problématique qu’entretiennent les élites, ici volontairement ciblées comme étant celles de droite, avec la culture, la manière dont elles sont plus spécifiquement atteintes par cette crise générale de la transmission, et les conséquences qui en découlent.
Le terme d’élites est aujourd’hui miné : plus personne ne l’assume, il fait figure de repoussoir, a parfois chez certains des relents de lutte des classes ; pour autant il désigne une réalité difficilement compressible, celle de l’existence d’une catégorie de population exerçant des responsabilités politiques et économiques, souvent le théâtre d’une reproduction sociale, avec des codes normatifs intériorisés. On retrouve les élites de droite, qui nous intéressent présentement, à des postes à responsabilité dans les grands groupes du privé ou dans de jeunes entreprises montantes et dynamiques ; une part importante d’entre elles continuent d’entretenir un vernis de culture et de pratique catholique, avec des degrés divers de conviction.
Les enfants qui sont issus de ces milieux se forment dans des établissements scolaires privés souvent prestigieux, et poursuivent leur cursus dans le supérieur dans des structures généralement à l’écart du tout-venant de l’université publique : prépas et grandes écoles, écoles supérieures privées, en France ou à l’étranger, pour tenter d’échapper au nivellement de la formation résultant de la démocratisation du baccalauréat et des études post-bac. Malgré leur origine apparemment privilégiée, ils sont eux aussi les victimes d’un système scolaire en perdition. Et le rapport à la culture de ces milieux d’élites de fait est bien souvent dramatique, d’autant plus dramatique qu’ils baignent dans l’illusion purement sociologique d’être préservés des outrages d’une Éducation nationale qui ne remplit plus sa mission. Quels sont les fils de « grands patrons » qui prennent le temps de lire de la littérature classique ? Considère-t-on dans ces familles qu’il est prioritaire, pour former aux responsabilités, d’avoir une tête bien faite et non uniquement farcie des formules mathématiques indispensables pour entrer à Ginette ? Un simple examen de la manière dont fonctionnent les grands établissements du privé parisien – le schéma est d’ailleurs parfaitement reproductible dans les grandes villes de province – suffit à étayer ce propos. Pour plusieurs d’entre eux et non des moindres, la filière littéraire a été purement et simplement supprimée au motif inavoué qu’elle était un ramassis de feignants, de tire-au-flanc et de nullards. Il ne serait pas venu à l’idée des directeurs d’établissement qui ont procédé à leur suppression de plutôt œuvrer à en faire aussi des lieux d’incarnation de l’excellence : une perte de temps. La formation que dispensent ces établissements est tout entière orientée vers la réussite en écoles de commerce ou en « prépa ingé ». Aucune place n’est véritablement laissée à la culture, au théâtre ou à la musique par exemple : il s’agit de passe-temps bons pour de la graine de gauchistes, qui peuvent être tolérés, à la rigueur, dans le cercle de famille, et encore, point trop n’en faut. L’enseignement des beaux-arts, relooké sous le terme d’arts plastiques, un vocable imposé par la gauche mais assimilé par le privé, est souvent le parent pauvre de l’éducation, en particulier au primaire, et fait la part belle aux élucubrations contemporanéistes qui évitent de se poser la question du beau, véhicule du bien et du vrai, donc nécessitant hiérarchie et jugement de valeur.
Retrouvez l'intégralité de l'article de Constance Prazel dans le dossier du dernier numéro de la revue Liberté Politique Transmettre entre culture et morale que vous pourrez vous procurer en cliquant ici