Article rédigé par Causeur, le 05 novembre 2020
Source [Causeur] En imposant un reconfinement rustique, le gouvernement français fait fi des progrès accomplis dans la connaissance de la maladie depuis mars dernier. L’ensemble du corps médical ne communie plus dans cette «idolâtrie de la vie» qui est l’idolâtrie de la simple vie biologique.
Pour répondre à ce qu’il est convenu d’appeler « la deuxième vague » de l’épidémie de covid-19, le gouvernement a pris la décision de renouveler le blocage de tout le pays en décrétant un reconfinement national. Il agit, paraît-il, à la demande expresse des médecins et autres professionnels de santé, épuisés et débordés par l’explosion du nombre de malades dans les hôpitaux. C’est cette unanimité de façade que je veux dénoncer ici, après avoir pris quelques jours pour discuter avec mes collègues et amis dont beaucoup sont plus que réservés face à la mesure qui est sensée « empêcher l’effondrement de nos hôpitaux ».
Manque de mesure et manque de vision stratégique
La première chose qui se discute entre collègues est l’absence de validité scientifique des mesures prises, et même leur fréquente aberration. Ainsi la politique des tests gratuits et non ciblés, qui a entraîné l’engorgement des laboratoires et retardé la délivrance des résultats (parfois jusqu’à dix jours !), annulant tout effet positif sur la prévention des contaminations. Ainsi la limitation des activités de plein air, alors qu’on sait maintenant qu’il n’y a quasiment pas de contamination à l’extérieur. Ainsi l’interdiction des petits commerces, concentrant les clients dans les grandes surfaces. Ainsi la fermeture des universités alors que les écoles, collèges et lycées (y compris les classes préparatoires) restent ouverts. Ainsi le cadenassage des gens chez eux alors que les frontières sont béantes. Les diverses mesures sont discutées pied à pied : fermer les discothèques et les bars paraît de bon sens, tandis que condamner les salles de spectacles pourtant soumises à un protocole sanitaire draconien en révolte plus d’un ; limiter les voyages à longue distance est généralement accepté, tandis que maintenir les gens dans un périmètre d’un km autour de leur domicile est vu comme une mesure liberticide et injuste, sans aucun effet sur la propagation de la maladie ; interdire les grands rassemblements est plébiscité, tandis que détruire la vie de famille choque tout le monde. On regarde les courbes et les projections, on passe au peigne fin l’épidémiologie, on réfléchit aux dernières avancées en matière de traitement et de vaccin, on compare les décisions des différents pays – la Suède qui mise sur l’immunité collective et ne s’en porte pas si mal, l’Allemagne et la Suisse qui encouragent les gens à pratiquer des activités de plein air pour éviter qu’ils s’étiolent, la Belgique qui a compris que les livres étaient aussi essentiels que les pâtes alimentaires. Manifestement, notre gouvernement à nous manque de sens de la mesure – hybris ; et il manque aussi du sens de l’occasion propice – kairos ; et qu’on n’aille pas évoquer la prudence – phronesis – pour masquer son manque de vision stratégique ! Quant au « conseil scientifique » que les médias citent à tout bout de champ, son autorité est ici plus que contestée. Chacun sait que les prétendus experts sont choisis et nommés sans aucune transparence, sur des critères de canaillerie politicienne et de basse connivence, critères qui n’ont rien à voir avec leurs qualités scientifiques. De toute façon, la science c’est la discussion, la confrontation d’hypothèses contraires, et non l’unité dogmatique aboutissant à de véritables oukases.
Et puis, les scientifiques que nous sommes critiquent le confinement généralisé et indifférencié en tant que moyen primitif, voire moyenâgeux. Peut-on croire qu’en presque un an de covid on n’ait rien appris de cette maladie ? En réalité, on a progressé dans la connaissance et dans l’action. Ainsi les séjours en réanimation sont devenus à la fois plus rares et plus courts, avec des patients mieux sélectionnés et mieux soignés. L’arrivée des tests antigéniques rapides, qui donnent un résultat en quinze minutes, modifie la stratégie de dépistage en permettant de casser les chaines de contamination. Déjà la Slovaquie a lancé un ambitieux programme de dépistage de toute sa population, pour concentrer les efforts d’isolement sur les seuls patients contagieux. Se résoudre à nouveau au moyen rustique qui avait été imposé l’hiver dernier par la dramatique émergence d’une maladie nouvelle, complètement inconnue, c’est nier les progrès qui ont été effectués.
Le confinement génère d’autres pathologies
Deuxième motif de mécontentement chez les professionnels de santé : le choix de tout donner à la lutte contre la covid-19 en restreignant les autres besoins. Il y a là une grande menace pour les autres malades, et plus largement pour toute la population fragilisée dans son hygiène de vie, physique et mentale. Les cardiologues alertent sur les dangers de la sédentarité, les pédiatres voient les enfants rivés à des écrans qui dispensent une éducation au rabais (et plutôt une anti-éducation), les neurologues se désolent devant la perte d’autonomie des handicapés interdits de gymnastique, les gériatres s’horrifient devant les syndromes de glissement qui se multiplient dans les EHPAD, les psychiatres constatent l’explosion des addictions, de l’anxiété et de la dépression… Tous dénoncent le défaut de soins dont sont victimes les « autres » malades, ceux qui attendent des traitements non urgents, pour ne pas dire « non essentiels ». Non essentielle, la prothèse de hanche d’une personne souffrant d’arthrose au point qu’elle ne peut plus marcher ? Non essentielle, l’opération de la cataracte de celui qui ne peut plus lire ou conduire ? Non essentiel, le dépistage des cancers à un stade précoce par les coloscopies programmées ou les mammographies de routine ? Toutes ces activités sont mises en sommeil pour concentrer tous les moyens, matériels et humains, sur la covid. Au nom d’un refus grandiloquent du « tri » entre patients – tri qui est pourtant le fait même de la décision médicale : le bon soin au bon patient – on décrit les soignants comme avides d’une technique maximale déversée sur tous, sans réflexion sur le pronostic particulier ni le coût général.
C’est le cas surtout pour la revendication de toujours plus de réanimation, que les médias présentent comme une évidence dans le corps médical. Cette demande est pourtant loin de faire l’unanimité entre médecins. Nous savons tous que les lits de réanimation sont massivement occupés par des patients trop âgés ou trop fragiles pour bénéficier vraiment de cette débauche de technologies invasives. Nous savons que la situation de ces patients est atroce. Et nous savons que leur pronostic est catastrophique : la mort à court ou moyen terme, après une dégradation irréversible de leur qualité de vie, est ce qui les attend. Croyez-vous que les médecins sont satisfaits de ce qui s’apparente plus à de l’obstination déraisonnable qu’à des moyens justement proportionnés ? Croyez-vous qu’ils sont aveugles à l’acharnement thérapeutique effectivement pratiqué, comme si cette notion était préemptée par les seuls militants de l’ADMD ? Les soignants sont-ils de simples techniciens se querellant entre spécialités pour attirer sur eux toujours plus de gadgets techniques sans considération des conséquences de leur application sur les patients ? Sont-ils si bêtes qu’ils confondent quantité (de soins, de technologie, de durée de vie, etc.) avec qualité ? Sont-ils si incultes qu’ils ignorent le concept de justice distributive ?
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