La faillibilité du pape en question
Article rédigé par Constance Prazel, le 23 octobre 2020

Quelques jours après la parution de l’encyclique Fratelli tutti, le trouble s’empare à nouveau de l’Eglise catholique à la suite de la sortie d’un documentaire intitulé Francesco, du réalisateur Evgeny Afineevsky, présenté mercredi 21 octobre à la Fête du cinéma à Rome. Au cours du documentaire, le pape François y tient des propos polémiques qui tournent depuis en boucle dans la presse généraliste comme dans la presse catholique.

Qu’en est-il exactement ? Les propos du pape François, en espagnol, mentionnent tout d’abord que « les homosexuels ont le droit de faire partie de la famille. Ils sont enfants de Dieu et ont le droit à une famille. Personne ne devrait être mis à la porte de la famille, ou rendu malheureux à cause de cela. ». Puis il poursuit : « Ce que nous devons créer, c’est une loi sur l’union civile. De cette façon, ils seront légalement couverts. J’ai défendu cela. »

Ces propos n’ont pas été enregistrés spécifiquement pour le documentaire. Ils remontent à 2019, et sont extraits d’un entretien accordé par le pape à une journaliste mexicaine, Valentina Alazraki. Pour réaliser son film, Afineevsky s’est adonné à une manipulation éhontée. Au montage, il ne s’est pas privé de découper, redécouper des paroles du pape François, de mettre bout à bout des phrases qui n’avaient initialement pas pour but d’être prononcées ensemble : par cet artifice, il crée une déflagration particulièrement puissante. Le passage sur le droit des homosexuels à « faire partie de la famille » est tiré d’un passage, dans l’entretien initial, dans lequel le pape François insiste sur l’indispensable accueil charitable qui doit être fait à la personne homosexuelle, par sa propre famille, en cela conforme à l’enseignement du Catéchisme de l’Eglise Catholique. Le passage sur l’union civile (qui avait été coupé au montage lors de l’entretien avec la journaliste mexicaine) a été exhibé Dieu sait comment et « collé » derrière l’assertion précédente pour établir un lien évident sur le terme de famille : on assiste donc à un glissement sémantique, de la famille d’origine, à la famille qu’un couple homosexuel pourrait « fonder ».

Une fois que l’on a rétabli la genèse, si l’on peut dire, des propos du pape, quelles conclusions pouvons-nous en tirer ?

Tout d’abord, que la malhonnêteté des média, des journalistes, des cinéastes, est un fait absolument connu de tous, et qu’elle est décuplée quand il s’agit de l’Eglise catholique. Comment donc ne pas être surentraîné, quand on est pape, à l’exercice de la vigilance dans la prise de parole ? Certes, les propos du pape ont peut-être été découpés, déformés, mais ils ont bien été tenus un jour, donc livrés au public et à toutes les interprétations possibles. Il paraît incroyable qu’à une ère de surinformation, aucun service pontifical n’ait demandé à voir la copie du documentaire d’Afineevsky avant diffusion, et si cela a été fait, qu’il n’y ait pas eu de demande d’amendement. Il paraît évident que le pape est nécessairement un minimum conscient, et consentant, de l’utilisation qui est faite de ses propos – d’autant que ce n’est pas la première fois que l’on se retrouve dans une telle situation.

Sur le fond, maintenant. Les propos du pape sont évidemment problématiques. Une fois rappelé l’indispensable devoir de charité, la question de l’accueil des homosexuels par la famille d’origine est complexe. Le « droit » à la famille n’est pas un droit « absolu » : il y a d’autres facteurs à prendre en compte. Quelle est l’attitude de la personne homosexuelle dans sa famille, en public ? Est-elle respectueuse des croyances de sa famille, ou au contraire provocatrice ? Y a-t-il dans le foyer de jeunes frères et sœurs influençables à qui l’on ne tient pas à présenter sans garde-fou un choix de vie contre-nature, etc… ?

Venons-en maintenant aux propos sur l’union civile. Il s’agit là d’une véritable nouveauté, d’une rupture, avec l’enseignement traditionnel de l’Eglise, maintes fois réitéré sous les pontificats précédents, mais aussi dans d’autres déclarations du pape François, qui a fustigé à plusieurs reprises la théorie du genre, et rappelé que le terme de « mariage » ne pouvait s’appliquer qu’à l’union d’un homme et d’une femme. Dans le documentaire, François se prononce, sans le moindre doute, en faveur d’une « union civile ». Certains zélés commentateurs ont expliqué qu’il s’agissait simplement pour lui de prendre acte d’un état de fait, de considérer que ces unions civiles existent dans un certain nombre de pays, et de s’en accommoder. Mais cette interprétation minimaliste est selon nous erronée : il se prononce positivement en faveur de l’union civile (« j’ai défendu cela »).

Même s’il prend soin de « préserver » le mot de mariage, ce propos reste extrêmement grave : il légitime la possibilité pour deux homosexuels de vivre ensemble avec la bénédiction de la société, pour une cohabitation qui n’est certainement pas chaste, contrairement à ce que prône le Catéchisme. Il nie le fait qu’avec une union civile se posent de manière évidente, en conséquence, des problèmes de filiation et d’adoption. Quel camouflet pour tous ceux qui ont manifesté contre le « mariage pour tous » ! Bien plus, la reconnaissance par le pape de la pertinence d’une union civile vient tout aussi évidemment légitimer ce type d’union aux yeux du grand public (« si même le pape est d’accord… »). Cela finit par altérer même la notion de mariage selon le droit naturel.

Depuis la divulgation de ce documentaire, nous assistons à des torrents de commentaires et d’arguties rhétoriques dans la presse catholique, sur les réseaux sociaux, sur les blogs, très souvent pour justifier l’injustifiable. Nous entendons parler de « biais cognitifs » (les adversaires du pape François ne retiendraient que ce qui arrange leur argumentaire dont il ne faut pas les écouter), tandis que certains pratiquent une nouvelle forme de théorie du soupçon pour discréditer ceux qui émettent un avis dubitatif ou critique à l’égard du pape François : ils ne l’aiment pas, ils sont tradis, donc nécessairement « de mauvaise foi ». Quelle pitié !

Le diable est le Diviseur, et il est évident que les fruits produits par ces déclarations sont mauvais, par le seul fait qu’elles sèment la discorde et la colère. Les encycliques de Jean-Paul II ou de Benoît XVI pouvaient susciter l’interrogation, parfois la controverse dans la presse, mais elles étaient globalement accueillies par les croyants avec joie et sérénité. Le propos était stimulant. Il y a un monde entre un discours suscitant l’interrogation spirituelle, et la remise en cause pure et simple des fondements de la foi, appelant à une exégèse compliquée et retorse pour essayer d’y voir clair.

Pour défendre l’indéfendable, on lit aussi beaucoup l’argument, essentiel, des différents degrés d’autorité magistérielle dans les déclarations pontificales. Cette question est centrale. Oui, une interview télévisée n’a aucune valeur magistérielle. Mais il n’est pas normal que nous passions notre temps à devoir expliquer que telle ou telle parole du pape n’engage que lui et non l’Eglise, que l’encyclique n’a pas valeur dogmatique, que dans le cas précis, l’infaillibilité pontificale n’est pas en jeu, etc… La confiance n’est malheureusement pas au rendez-vous pour que nous soyons obligés de multiplier ces distinguos.

Alors, que faire ? La solution est dans la fidélité à l’Eglise éternelle, épouse du Christ, indépendamment des vicissitudes des temps. Un simple rappel à l’histoire tourmentée de l’Eglise doit nous inviter à l’espérance : elle en a vu d’autres ! Par ailleurs, dans son dernier ouvrage, Christus Vincit, Mgr Athanasius Schneider rappelle avec bon sens, grâce au contact régulier qu’il entretient avec les orthodoxes, qu’il faut se garder de tomber dans la papolâtrie, une maladie très contemporaine que nous reprochent nos frères d’Orient. Le respect que nous devons au vicaire du Christ dépasse, et heureusement, la personne du pape François, et émettre des critiques justes et rationnelles, en conformité avec le dogme, ne devrait pas nous faire rôtir en Enfer.

Constance Prazel  

Pour nos lecteurs anglophones, une analyse précise de la provenance des propos du pape : https://wherepeteris.com/those-pope-francis-quotes-video-editing-and-media-controversy-2/