Article rédigé par Atlantico, le 13 octobre 2020
Source [Atlantico] Entre l’attaque du commissariat de Champigny et l’échec du gouvernement face à la 2e vague du Covid, la France ressemble de plus en plus à un État failli. Quelles sont les origines de cette déliquescence de l'Etat ? Quelle est la part de responsabilité de la technocratie française dans cette dégradation ?
Atlantico.fr : L'attaque du commissariat de Champigny ou la gestion de la 2e vague du Covid, sont des exemples d'échecs du gouvernement et ces derniers semblent se multiplier, ont-ils la même racine et jusqu'où cette incapacité à agir s'étend-t-elle ?
Frédéric Farah : La question de la délinquance doit être abordée avec prudence et je me garderai d’entrer dans le champ d’une sociologie complexe sur le sujet. Il est clair aux yeux de tous que la seule réponse sécuritaire n’est pas suffisante.
Beaucoup de gouvernements ont voulu renforcer un arsenal législatif plus sécuritaire sans qu’il y ait eu l’émergence d’une solution satisfaisante. Mais là n’est pas mon domaine de compétence. Dans le cas des forces de l’ordre, entendues comme service public ? ont vu leurs conditions de travail se dégrader.
En 2019, les députés de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur « les missions et les moyens de forces de sécurité » ont dressé un rapport alarmant.
Un commissariat sur quatre est considéré comme vétuste. Un sondage réalisé par la dite commission stipulait que 70% des 13 000 policiers et gendarmes interrogés, ne s’estimaient pas satisfait de leur lieu de travail.
Plus d’un milliard d’euros était estimé nécessaire pour la rénovation des bâtiments. Le ratio des dépenses d’équipement était à la baisse, de ce fait les agents n’étaient pas suffisamment protégés.
Les véhicules blindés à roue de la gendarmerie étaient la plupart vétustes, des véhicules de plus de 200 000 km au compteur qui roulent encore. Le forfait d’heures supplémentaires des forces de l’ordre a explosé qu’il faut corréler à la baisse d’effectifs avec une diminution de plus de 20% du nombre de CRS depuis 2007.
Il ne s’agit pas d’aligner les chiffres à l’envie, mais simplement de noter que la police comme les hôpitaux et la liste serait longue sont engagés dans des cures d’amaigrissement ou de réorganisation qui mettent les personnels sous tension. L’obsession comptable, la gouvernance par les nombres dévorent le tout.
Il en va de même pour la dite 2eme vague de la Covid 19, la situation hospitalière d’un point de vue matériel et personnel n’a guère progresser dans le bon sens. Les capacités n’ont pas augmenté et les personnels sont à bout de souffle.
Dans cette mise à mal des services publics, la même racine, le freinage de la dépense publique.
En 2017, la DREES rendait un rapport sur l’évolution de la dépense de santé depuis 1950 , je le cite « . De ce fait, au cours de ces trente années, la part des soins hospitaliers dans la consommation de soins et biens médicaux décroît, revenant quasiment à son niveau de 1950 (46 % en 2005) ».
Les impératifs comptables ont miné les services publics et en parallèle, l’Etat s’est lancé dans des politiques économiques plus que discutables qui n’ont pas su dynamiser l’activité économique. La politique fiscale de M Macron est un échec retentissant.
Edouard Husson : Je distinguerais entre les deux échecs que vous mettez en avant. La gestion du COVID 19 est de bout en bout un échec du gouvernement. Incapacité à analyser correctement les informations venues de Chine en décembre et janvier; absence de tests et de masques au début de l’épidémie; refus d’utiliser la thérapie qui a marché dans tous les endroits du monde où elle a été utilisée, à savoir la combinaison d’hydroxychloroquine et d’un antibiotique pour bloquer l’évolution de la maladie à un stade précoce; incapacité à protéger la population âgée; absence de mobilisation de l’armée pour établir des hôpitaux de campagne; absence d’utilisation des lits mis à disposition par le secteur hospitalier privé; incapacité à arrêter les suppressions de lits prévues depuis longtemps par la bureaucratie des ARS alors qu’on avait vu l’engorgement du printemps. Et aujourd’hui on assiste à une véritable panique alors qu’il n’y a pas de deuxième vague: le solde des hospitalisations est toujours négatif; celui des réanimations aussi. Le gouvernement devrait avoir appris du printemps: le COVID 19 est une épidémie de basse intensité, qui touche gravement surtout les personnes âgées. On peut comprendre qu’il y ait eu une grande prudence quand on ne savait pas encore à quoi s’en tenir. Mais à présent les mesures restrictives sont désastreuses pour l’économie; l’obsession du COVID 19 amène à négliger d’autres maladies; les jeunes et les actifs sont entravés par des mesures destinées à prévenir la diffusion d’une maladie qui ne touche sérieusement que les très âgés.
L’attaque du commissariat de Champigny, elle, ne peut être imputée seulement au gouvernement. Il s’agit d’un lent processus d’aggravation, depuis dix ans. Nicolas Sarkozy avait promis une reprise en main, après les émeutes de 2005. Mais tous les efforts faits durant son quinquennat en matière de sécurité ont été défaits par les flux d’immigration en continu. La situation s’est aggravée sous ses successeurs. On ne peut pas assimiler une population immigrée en constante augmentation. L’immigration récente se fait au détriment de l’assimilation des immigrés plus anciens. On a affaire à un échec collectif de la classe politique, soutenue par d’un côté les industriels et d’autre part les intellectuels.
Emmanuel Macron est-il à l'origine de ce phénomène ou l'a-t-il accéléré depuis son élection ?
Frédéric Farah : Emmanuel Macron n’avait rien de neuf ni dans sa posture, celle du mépris d’une certaine élite française, ni dans les idées qui étaient celles de ses prédécesseurs. Il avait pour lui simplement son âge qui n’était pas celui des présidents de la République antérieurs , généralement plus âgés.
Pour le reste, c’est l’acceptation des contraintes européennes et financières que l’Etat s’est volontairement imposée depuis 1983 : libre circulation des capitaux, privatisations, monnaie unique, perte de la politique commerciale, fin des monopoles d’Etat, règles budgétaires européennes, transformation de la nature des services publics, obsession comptable et néomanagériale ».
Dans ce cadre, il n’y avait de place que pour la maitrise de la dépense publique, pour les cadeaux fiscaux aux déciles supérieurs de l’échelle des revenus, d’accroître la flexibilisation du marché du travail, de faire au pas de charge une reforme systémique des retraites, dans le fond injuste et incompréhensible, réduire des lits à l’hôpital, généraliser la logique néomanagériale partout où il était possible de le faire.
E Macron a tenté ensuite une piteuse opération de communication à coups d’innovations disruptives, de start up nation et dans la promotion déjà bien ancienne, car datant des années 1980, de la figure de l’entrepreneur.
Après les quinquennats Sarkozy, Hollande, voila un énième quinquennat pour rien qui n’a pas su répondre à la crise sociale dite des gilets jaunes ou encore la crise sanitaire. La présidence Macron devient le énième témoignage préoccupant de la déliquescence avancée de nos institutions.
Edouard Husson : Emmanuel Macron, c’est une formidable énergie au service d’un grand vide politique. Il a séduit des élites dirigeantes désemparées par les échecs successifs de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande. Emmanuel Macron a été secrétaire général adjoint de l’Elysée puis ministre de l’Economie de François Hollande. il était donc largement prévisible qu’il ne pouvait pas faire des étincelles. mais quand François Fillon répétait que ce serait « Hollande bis», personne ne le prenait au sérieux. Les gens sont donc tombés de haut lorsqu’ils ont vu les cafouillages successifs: gestion désastreuse de la crise des Gilets Jaunes, fiasco de la réforme des retraites, catastrophique management de la crise du COVID). Le fait que beaucoup des collaborateurs d’Emmanuel Macron aient été autrefois dans les réseaux strauss-kahniens et ne soient pas pour autant plus compétents que les autres, ne fait que renforcer l’impression D’un déclin profond du milieu dirigeant.
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