Article rédigé par Marianne, le 24 septembre 2020
Source [Marianne] Il a été pendant des années le visage du procureur en France. Eric de Montgolfier appelle aujourd’hui ses collègues magistrats à protester contre l’actuel garde des Sceaux.
Il est une des grandes voix de la magistrature. Un de ses vieux sages. Eric de Montgolfier, 74 ans, aujourd’hui à la retraite, a traversé de nombreuses tempêtes judiciaires durant ses quarante années d’exercice. Jeune magistrat à la Chancellerie pendant huit ans, notamment sous Olivier Guichard, il a bien connu les rouages du ministère installé place Vendôme. Puis procureur à Valenciennes, Eric de Montgolfier a ferraillé contre Bernard Tapie, alors au sommet de sa gloire, dans l’affaire du match truqué VA-OM et tenu tête aux réseaux Mitterrand.
En poste à Nice, il a ensuite croisé le fer avec les réseaux francs-maçons au sein même de son tribunal. Une carrière d’incorruptible, de procureur courage, qui lui a d’ailleurs valu de nombreuses brimades de la part d’une institution qui prône l’indépendance mais où les hommes libres sont souvent catalogués « forte tête ». Nommé procureur général à Bourges en fin de carrière, Eric de Montgolfier aurait sans nul doute eu un parcours plus « prestigieux » si comme tant d’autres « hauts magistrats », il avait su se montrer plus docile dans le bureau de tel ou tel garde des Sceaux ou de tel ou tel directeur de cabinet. Mais chez lui, la « dignité » aura toujours été préférable au reste. Alors que la magistrature traverse une crise sans précédent contre son propre ministre et à la veille d’une mobilisation de protestation devant tous les tribunaux, à l’appel de plusieurs syndicats, Eric de Montgolfier lance une forme d’appel à ses pairs : « Levez-vous. »
Marianne : Vous avez lu le communiqué commun des deux syndicats de magistrats, USM et SM. Ils appellent ce jeudi à une « réaction collective » face à des « attaques dangereuses » de la part d’un garde des Sceaux qui n’aurait «toujours pas pris la mesure des responsabilités liées à son poste » et se positionnerait « en défenseur d’intérêts particuliers quitte à salir l’autorité judiciaire »… Quelle est votre réaction ?
Eric de Montgolfier : Je n’ai jamais été très porté aux actions collectives, mais je dois dire que si j’étais toujours en poste, pour une fois, je me joindrais à cette action. Trop c’est trop. Contrairement à ce qu’écrivent les syndicats, Eric Dupond-Moretti a trop bien pris la mesure de ses responsabilités ! Il a parfaitement compris l’usage qu’il pouvait faire de ses actuelles fonctions. C’est même le grand danger. La raison pour laquelle mes collègues magistrats doivent aujourd’hui se lever et dire non.
Etes-vous contre la nomination d’une avocate à la tête de l’Ecole nationale de la magistrature ?
Ce n’est même pas la question ! Je n’avais jusqu’à ces jours-ci jamais entendu parler de Mme Roret. En d’autres temps, j’aurais applaudi la nomination d’un Jacques Isorni, le grand avocat de l’après-guerre. Mais qu’Eric Dupond-Moretti ose dire aujourd’hui qu’il nomme une avocate à la tête de l’ENM pour lutter contre le « corporatisme » des magistrats, c’est quand même le monde à l’envers ! Une vaste blague quand on connaît le corporatisme des avocats ! A Valenciennes, quand j’avais requis des poursuites pour recel d’abus de biens sociaux visant l’un d’eux, par rétorsion, ils avaient « boudé » mon pot de départ ! A Nice, je me souviens d’un bâtonnier qui dans mon bureau s’était félicité de la garde à vue de l’un de ses collègues et qui le lendemain avait pris la tête d’une manifestation de soutien ! Aujourd’hui, le ministre de la Justice se moque de nous. Mais avec Eric Dupond-Moretti, il y a plus grave encore que ces attaques contre le corporatisme des magistrats, ce sont ses conflits d’intérêt.
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