Article rédigé par Le Salon Beige, le 11 septembre 2020
De Jean-Pierre Maugendre : L’obligation dominicale d’assistance à la messe n’en est plus une pour nos contemporains. Le taux de pratique religieuse ne cesse de baisser depuis 50 ans. N’est-ce pas la conséquence d’une nouvelle pastorale qui a plus contribué à vider les églises qu’à les remplir ?
Après plus de deux mois d’interruption quasi complète de la célébration de la messe en public, à l’heure du rétablissement de la liberté de culte deux tendances se dessinent. D’une part, un certain nombre de fidèles, 30% selon Mgr Chauvet, recteur de la cathédrale Notre-Dame de Paris le 14 août sur France Info, ont, pour l’heure, abandonné la pratique dominicale physique lui préférant une pratique virtuelle par les moyens télématiques. D’autre part, certains autres ont opéré un transfert vers les communautés traditionnelles, attirés par une application moins stricte des interdictions en vigueur ou blessés par les ukases épiscopaux de recevoir la sainte communion dans la main. Tout cela aura des conséquences, en particulier financières, pour des diocèses parfois dans des situations déjà bien difficiles…
L’effondrement de la pratique religieuse
Ce nouvel épisode se positionne dans une histoire récente désormais mieux connue. Les chiffres sont sans appel.
En l’espace de deux générations le taux de pratique religieuse, en France, est passé de 25% de la population à moins de 2%.
Cela, bien que l’assistance à la messe dominicale soit restée un commandement de l’Eglise : « Le dimanche où, de par la tradition apostolique, est célébré le mystère Pascal, doit être observé dans l’Eglise tout entière comme le principal jour de précepte». CIC can 1246, §1. Les travaux de Guillaume Cuchet in Comment notre monde a cessé d’être chrétien ont déterminé que la date de rupture de cette pratique était 1965, clôture du concile Vatican II et non 1968 (publication de l’encyclique Humanae Vitae de Paul VI sur la régulation des naissances et événements du mois de mai) ni 1969 (promulgation du nouvel ordinaire de la messe). Ce fait a accéléré un mouvement de déchristianisation déjà amorcé depuis plus de deux siècles. En effet, si la pratique religieuse ne suffit pas à faire le chrétien l’abandon de la pratique dominicale défait, incontestablement, la chrétienté, celle-ci étant conçue comme un ensemble d’habitudes et de modes de vie conformes à l’Evangile et à l’enseignement de l’Eglise.
Rencontrer le Christ pour faire Eglise
Le discours contemporain sur l’obligation dominicale est principalement axé sur la nécessité pour le chrétien de vivre régulièrement un temps de rencontre avec le Christ, dans le cadre de la communauté chrétienne. Le pape François enseigne ainsi : « La célébration dominicale de l’Eucharistie est au centre de la vie de l’Eglise. Nous, chrétiens, allons à la Messe le dimanche pour rencontrer le Seigneur ressuscité, ou mieux, pour nous laisser rencontrer par Lui, écouter sa parole, nous nourrir à sa table, et devenir ainsi Eglise, c’est-à-dire son Corps mystique vivant dans le monde ». Ce thème est repris sur le site de la conférence des évêques de France : « La messe est l’assemblée de la communauté chrétienne autour du Christ ». Dans un entretien sur Radio Notre-Dame le père Grieu, jésuite du centre Sèvres, commente : « La foi, c’est une relation vivante avec Dieu. Elle peut s’endormir. L’eucharistie dominicale est l’occasion de la réveiller, d’entendre la parole de Dieu, d’être nourri, de rencontrer les autres croyants qui vont nous encourager à croire. En même temps, il ne faut pas être anxieux si l’on manque la messe un dimanche. Dieu ne nous contrôle pas, nous n’avons pas une « carte de pointage ». Merci de cette bonne nouvelle dont on n’est pas certain, cependant, qu’elle suffise à remplir les églises !
Si tout cela n’est pas faux, est-ce l’essentiel ?
Rendre à Dieu le culte qui lui est dû
Le catéchisme de Saint Pie X traitant de la messe enseigne : « On offre à Dieu le sacrifice de la sainte Messe pour quatre fins :
- pour lui rendre l’honneur qui lui est dû, et à ce point de vue le sacrifice est latreutique
- pour le remercier de ses bienfaits et à ce point de vue le sacrifice est eucharistique ;
- pour l’apaiser, lui donner la satisfaction dûe pour nos péchés, soulager les âmes du purgatoire, et à ce point de vue le sacrifice est propitiatoire ;
- pour obtenir toutes les grâces qui nous sont nécessaires, et à ce point de vue le sacrifice est impétratoire ».
Dans cette perspective l’assistance à la messe dominicale est d’abord un devoir de justice vis-à-vis d’un Dieu qui nous a créés librement par pur amour, qui nous a rachetés par le sacrifice de son fils, qui nous maintient dans l’être et qui nous accompagne à chaque instant de sa Providence. En reconnaissance de tous ces bienfaits, Dieu, par son Eglise, nous demande de participer et de nous associer au sacrifice que le prêtre offre sur l’autel le dimanche lors de la messe. La disproportion entre les bienfaits prodigués et la faible marque de reconnaissance demandée prêterait presque à sourire.
Deux approches différentes
Les deux approches ainsi présentées sont assez sensiblement différentes. Ce qui est certain c’est que la perspective post-conciliaire n’a pas enrayé la chute de la pratique religieuse. Dans l’excellent ouvrage publié aux Editions Sainte-Madeleine du Barroux : Silence cartusien Dom Augustin Guillerand (1877-1945) écrit :
« La vie est affaire de foi et de volonté (…) Faisons ce qu’Il nous dit, pratiquons, dans la mesure du possible, ce qu’Il commande, et nous l’aimerons d’amour vrai (…) Toute la religion est là. S’il s’y ajoute des sentiments de joie intérieure tant mieux. Si nous ne les éprouvons pas c’est sans importance ; notre âme va bien et notre vie est selon Dieu. »
La religion catholique qui était celle de la foi et de la volonté semble être devenue celle du sentiment et de la communauté. Notons ici que, de manière évidente, la célébration de la messe face au peuple renforce l’aspect communautaire de la célébration au détriment de son aspect sacrificiel. Certains ont décrié une « pastorale de la peur » qui aurait fait la place, enfin, à une pastorale de l’amour et de la miséricorde. C’est oublier un peu vite que la miséricorde ne nie pas la justice, qui est de rendre à chacun ce qui lui est dû et en particulier à Dieu, pour les raisons évoquées ci-dessus, un culte qui lui soit agréable. L’Eglise, à la suite de la société civile, semble sortie d’une culture du devoir et de l’obligation, pour rejoindre une culture dans laquelle la volonté de l’homme et la satisfaction de ses désirs sont devenus l’alpha et l’omega de tout comportement. Or, le fait est, que dans les milieux « observants », pour reprendre la terminologie de Yann Raison du Cleuziou dans son essai : Une contre-révolution catholique, le taux de transmission du respect du précepte de l’obligation dominicale est bien supérieur à celui qu’il est dans les milieux plus « ouverts ». Yann Raison du Cleuziou va jusqu’à écrire :
«La faiblesse de la transmission intergénérationnelle au sein du catholicisme de gauche tranche avec plus d’autorité qu’un traité de théologie les controverses postconciliaires. »
Les événements dramatiques que nous vivons et leur impact sur la pratique dominicale devraient être l’occasion de s’interroger sur les raisons de l’échec, que personne ne peut nier, d’une pastorale uniquement fondée sur la joie et la nécessité de la rencontre. On pense à la théologie, sommaire, d’Edouard Baer dans Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre : « Si je devais résumer ma vie aujourd’hui avec vous, je dirais que c’est d’abord des rencontres… Je dis merci à la vie. Je chante la vie. Je danse la vie. » Pour mener à bien cette remise en cause il faudrait accepter de partir de l’observation des faits et de changer de paradigme. Vaste programme…